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Titre : [Bulletin et mémoire de la Société archéologique de Touraine]
Auteur : Société archéologique de Touraine. Auteur du texte
Éditeur : (Tours)
Date d'édition : 1900
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344296794
Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb344296794/date
Type : texte
Type : publication en série imprimée
Langue : français
Langue : Français
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Description : 1900
Description : 1900 (T41).
Description : Collection numérique : Fonds régional : Centre-Val de Loire
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5490820z
Source : Société archéologique de Touraine, 2008-211006
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/01/2011
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PUBLICATION TRIMESTRIELLE
Fascicule supplémentaire du BULLETIN du 4" trimestre 1900
BULLETIN & MÉMOIRES
DE LA
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE
DE TOURAINE
MÉMOIRES
TOME XLI
TOURS L. PÉRICAT
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TOURAINE 35, rue de la Scelleria 35
MDCCCC
(Le volume précédent doit être tome XL.)
Prière d'informer M. le Secrétaire général, 3, rue SainteMarthe, des changements d'adresses.
Pour les réclamations concernant l'envoi des BULLETINS et MEMOIRES, s'adresser à M. le Trésorier, 59, rue de la Californie
PRIX DES TIRAGES A PART (brochage compris)
50 exemplaires 100 exemplaires 200 exemplaires
De 1 à 8 pages 6 50 9 » 15 »
De 1 à 16 pages 12 » 16 » 24 «
Couverture ayec titre 7 » 9 » 12 »
Converture sans titre 1 50 2 25 4 »
BULLETINS ET MÉMOIRES
DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TOURAINE
MÉMOIRES, Série in-8.
T. 1. (1842) Statuts. — Loches et ses environs. — Monuments mégalithiques. —
Aigues-Vives. — Boucicaut, 10 fr.
T. 2. (1843-44) Marmoutier, Saiut-Côme. — Haches celtiques. — Cravant, Loches,
Vernou, Cinq-Mars. —■ Monuments classés. — Racan. — Verrières
de la Riche, Candes, Sainte-Radegonde. 10 fr.
T. 3. (1845-47) Preuilly, Faye-la-Vineuse. — Michel Colombe. — Exposition d'arts. —
Les chroniques. — Monuments mégalithiques. — Saint Lidoire. 6 fr. T. 4. (1848-52) Manuscrits de Touraine. —Cathédrale.— Bueil. — La Touraine en 1638.
— Bossay. — Preuilly. — Nouaus. — Descartes. — Livre des voeux de Beaumont. 6fr.
T. 5. (1853) Eglises au temps de Grégoire de Tours. — L'amphithéâtre. — Azay. Chinon, Cbampigny, Sainte-Catherine. — Castellum de Larçay. — Peintures de Saint-Mexme, du Grand-Pressigny, de Rivière. — Le Châtelier. — L'Ecrignole. . 6 fr.
T. 6. (1854) Armoriai des Archevêques. — Tombeaux antiques. — Luynes, Preuilly, Saiut-Paterue, Jiossay, Montrésor. — Seigneurs de Semblançay et de Sainte-Maure. — Tombeau d'Agnès Sorel. (Epuisé.)
T. 7. (1855) Tours sous Louis XL — Paulmy, Bueil, Grillemont. —* Les archives. —. Les sept dormants. — L'abbé Manceau. — Montgauger. 6 fr.
T. 8. (1856) Tombeau de la Cathédrale. —' Langeais, Saint-Michel, Larçay, Véretz. Chambon, Marmoutier, Montgauger, Aigues-Vives. — Travaux contre les inondations. — Réception princière à Loches. 6 fr.
T. 9. (1857) L'abbaye et les peintures de Sainl-Martin. — Bueil, Couziers, Pressigny,"Monlbazou, Chenonceau. — Le mille romain. — La Touraine "du iv° au xiu" siècle. — Marmoutier. — La tour Foubert. — Thais. ■ 6 fr.
T. 10. (1858) Les Protestants. — Assemblée de la Noblesse de Touraine. — Manuscrits. — Bombarde de Louis XI. (Epuisé.)
T. 11. (1859) Le Droit criminel. — Enceinte de Tours.— Saint-Julien, Saint-Libert.— Chenonceau, Cbisseaux, Preuilly, Saint-Louans.—Tournois.— Aqueducs. — lie Saint-Jacques. 6 fr.
T. 12. (1860) Cormery, sou histoire, — Cartulaire d° l'abbaye. (Epuisé.)
T. 13. (1861) Voies romaines. — Saint-Mexme, Rive*, Cingé, La Guerche, Chaumussay, Sou7igoé, La Carte, Saint-Laurent en Gâtine. — Le Pilier de la Riche. — La Grille d'argent de Saint-Martin. — Tours en 1426. — Rituel de Cormery. 6 fr.
T. 14. (1862) Catalogue analytique de la collection de Dom Housseau. (Epuisé.)
T. 15. (1863) Noms de lieu de Touraine. — Table des mémoires. (Epuisé.)
T. 16. (1864) Le livre des serfs de Marmoutier. — Le servage en Touraine. (Epuisé).
T. 17. (1865) Martyrologe-Obituaire de la cathédrale. — Chartes de Saint-Martin.
— Histoire de Marmoutier. — La pancarte noire. — Fontaine de Loches. — Saint-Christophe. — Neuvy. — Viileloin. — Castellum de Larçay. — Bivière. — Navigation commerciale de la Loire au xv et au xvic siècle. —Louis XUI-à Tours. — Le roi Hugon. — Temps mérovingiens. 6 fr.
T. 18-19 (66-67) Armoriai de Touraine (le second vol. est épuisé). 15 fr.
T. 20. (1868-69) Documents sur les arts en Touraine. 10 fr. •
T. 21. (1870-71) Origines de l'Eglise de Tours. — Saint-Gatien, sa mission dans les Gaules. (Epuisé.)
T. 22. (1872) Cartulaire de l'abbaye de Noyers. 10 fr.
T. 23. (1873) 1er fascicule : L'abbaye de Noyers. — 2e fascicule : Obituaire de SaintJulien. — Le couvent du Plessis.— Tointeaux de Descartes. — Synodes de Touraine au xiv« siècle (le 2" fascicule épuisé). 10 fr.
BULLETIN ET MEMOIRES
TOME X L I
PUBLICATION TRIMESTRIELLE
Fascicule supplémentaire du BULLETIN du 4" trimestre 1900
BULLETIN & MÉMOIRES
DE LA
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE
DE TOURAINE
MÉMOIRES
TOME XLI
TOURS L. PÉRICAT
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TOURAINE
,«,_ , 35, rue de la Scellerie 35
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M DCCCC
INVENTAIBES DE MOBILIERS
ECCLÉSIASTIQUES ET CIVILS
Parmi les sources de l'histoire, les inventaires, avec leur précision et leur caractère officiel, occupent une place importante et constituent une mine de renseignements précieuse entre toutes. Nos recherches dans les Archives du département d'Indre-etLoire et dans les autres dépôts publies et privés nous ont amené à lire et à transcrire nombre d'inventaires qui vont du xive au xvme siècle. Ces documents se rapportent plus particulièrement aux églises collégiales, paroissiales et conventuelles, et quelquesuns concernent des personnages de marque, chanoines ou grandes dames.
Les Archives d'Indre-et-Loire renferment, à cet égard, un ensemble de pièces fort intéressantes. Nous mentionnerons notamment trois inventaires des objets mobiliers de la Cathédrale (G 155, 174) ; les inventaires de Notre-Darne-Ia-Riche (G 998, p. 290), de Saint-Etienne (G 1013, p. 294), de Saint-Saturnin (G 1024, p. 297), de Notre-Dame de l'Ecrignole (G 997, p. 290), de Saint-Vincent (G 1031, p. 299), de Saint-Simple (G 1027, p. 298), et de Saint-Venant.
La série des pièces relatives aux domaines nationaux du district de Tours (liasse 54) renferme plusieurs autres inventaires, du xvme siècle. Ce sont ceux de Saint-Roch, du Serrain, de Semblançay, de Saint-Aubin le Dépeint, de Saint-Etienne de Chigny, de Luynes, de Vallière, de Pernay, du Calvaire de Chinon, de Beaumont-les-Tours, des Ursulines de Tours, des Minimes de Saint-Grégoire, de la chapelle Sainte-Anne, des Jacobins de Tours, de Saint-Paterne (cahiers de 1 à 14). Dans la suite, on voit la vente des portes des cloîtres de Saint-Gatien et de Saint Martin, les inventaires de Saint-Christophe, des Carmélites de Tours, des titres et papiers du château de Véretz, de Saint-François de Tours, de Sonzay et de Neuillé-Pont-Pierre, de la maison du « Sans », paroisse de Rochecorbon, dépendant de Marmoutier, du couvent
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de la Visitation, des Carmes et du petit couvent de Notre-Darnela-Riche (cahiers 10 à 29).
La Bibliothèque municipale de Tours possède quelques documents de cette nature, concernant soit les châteaux, tels que Ussé, soit les couvents, tels que la Chartreuse du Liget. Dans la bibliothèque de la Société archéologique de Touraine se trouvent deux inventaires importants du couvent des Minimes de SaintFrançois près le Plessis, et do la collégiale Notre-Dame du château de Loches. Les archives des mairies, des fabriques, de certains établissements publics et de plus d'une maison privée contiennent également des documents de cette nature. Je n'ai garde d'omettre les études des notaires qui, à tous points de vue, doivent fixer l'attention des travailleurs.
Déjà, quelques-unes de ces pièces ont été publiées en tout ou en partie par la Société archéologique. M. de Busserolle a donné dans le tome VI du' Dictionnaire un inventaire de La Riche, en 1756 (p. 276-8), des reliques de Saint-Saturnin en 1657 (p. 282) ; et une pièce très courte du milieu du xvme siècle relative à la Cathédrale (p. 234-5). M. Ch. de Grandmaison a reproduit, dans la Chronique de l'abbaye de Bcaumont (Mémoires de la Soc. arch. T. XXVI, p. 133-245J, un procès-verbal des reliques, en 1644 et 1650. L'inventaire du Trésor de Saint-Martin au xvi" siècle, avant le pillage par les protestants, a été publié par Gervaise dans sa Vie de saint Martin et réédité dans les Mémoires de la Soc. arch. (t. XX, p. 290); ce même volume renferme, l'Inventaire du Trésor de Saint-Gatien en 1562 (p. 326). A son tour, la Semaine religieuse du diocèse a mis au jour quelques documents analogues- qui se rapportent aux reliques de Saint-Venant en 15i,l (26 oct. 1889) et à celles du Liget (juin 1883).
Nous croyons le moment venu, en conformité d'ailleurs avec une décision prise par la Société archéologique, de publier en les groupant tout au moins un certain nombre de ces inventaires inédits, en nous réservant de donner la suite L'histoire artistique de notre province y puisera des éléments utiles, en même temps que l'on y trouvera la peinture des usages et des moeurs de nos ancêtres, au point do vue civil et religieux. Il y a notamment tel inventaire du Trésor de Saint-François ou des bijoux d'une noble dame qui nous renseignent plus parfaitement sur le passé que des volumes de considérations plus ou moins fantaisistes.
X.
— 3 — I. — INVENTAIRE DE JEAN GERVAISE
CHANOINE DE LA CATHÉDRALE (1384). (Archives d'Indre-et-Loire, G 144).
Jean Gervaiseest l'un des chanoines de la cathédrale de Tours qui méritent le mieux de fixer l'attention. A peine lui a-t-on consacré quelques lignes dans l'histoire ecclésiastique (Maan, Sanct. et metrop. eccl. Turon., p. 154, 162). C'était un homme intelligent, actif et pratique, qui possédait une maison bien meublée et avait constitué une sorte de Mont de Piété et de Banque. On sait de lui qu'il laissa à la cathédrale une fondation destinée à entretenir quatre vicaires qui, par suite, furent appelés Gernaisiens. Mais il est plus d'un côté de sa physionomie originale qui mérite d'être étudié. Pour cela, il n'y a qu'à parcourir un registre grand in-4, de 68 feuillets de parchemin, conservé aux archives d'Indre-et Loire (G 144). On y trouve trois documents importants : son testament, les comptes des dépenses à l'occasion de ses obsèques et de ses legs, et l'inventaire de son mobilier. En attendant de publier les deux premières pièces, nous donnons aujourd'hui la troisième, qui rentre dans notre cadre. On y remarquera une foule d'objets qui permettent de reconstituer les habitudes et les moeurs du moyen âge. Il n'est pas jusqu'à la cave qui ne nous intéresse, avec ses « IIII pipes de vin veil pouscé, qui estoit de VII ans ».
Inventaire de feu Monsieur Jehan Gervese, tant en or et enargent que en ménages et ustensiles d'ostel, trouvez es hostelx du dit feu, le dernier décembre 1384.
Et premièrement furent trovées trois poiches en quoy estoient les sommes d'argent qui s'ensuivent. C'est assavoir en la première poiche en laquelle ne avoit point de cédule a tachée, XVI livres XII s. et 1 d. en l'autre poiche des dits troys furent trovez en monnoye XVIII1. XVIII s. IX d., une cédule contenant telle es-
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cripture XXI livres XVIs., c'est assavoir pour III muis et demy froment XVI livres XVIS, et pour XVI sextiers de mestoil C soulx receuz par Jaquet, la feste de la St-André l'an IIIIXS ; sur ce ge eu dculx frans ainsi demeurent XIX 1. XVI s. en cestsac; en l'autre poiche furent trovez enmonnoye XXVII1. fut trovez en un sache ou une cédule faisant mencion que au dit sachet estoient sept vingt III frans d'or, lesquielx avoient estez baillez au dit feu de une personne qui se fioit au dit feu, et le avoit prié que il li pleust convertir la dicte somme en rente, pour fonder une chapellenie ou pour dire des messes comme plus a plain ce est contenu en la dite cédule escripte de mot a mot ou dit inventaire ; furent trovez CLX et IX florins à l'écu du coing du Roy Jehan des deniers faitz avaluez VIP* V1. XII s. XI d.; en un petit sachet de cuir furent trovez LXIII moutons, diz et neuf florins à la chaise, XXV florences vieilles, X reaux vieulx, deux escus vieulx et une royne, laquelle somme d'or a esté évaluée à VI» XIX 1 Vs IIXd ; en un aultre sac XXXV ecuz viez XVI escuz de Philippe des secons, XXXIII florences, XI reaux, II pavillons, un escu à l'aigle et un escu de Jehan, avaluez valoir par le dit feu corne plus à plain est contenu en une cédule du dit feu attachée au dit sac à la somme de quatre vins XIIII 1. XV s. VIII d.; furent trovez en un petit escrin et une poiche en petiz blans de cinq deniers XXX 1. en une autre poiche XIX 1. XIII s. IIII d.
Furent ouvers deux petiz forciers et on un d'iceulx estoit une petite poiche ou une cédule attachée à la dite poiche contenant que en la dite poiche avoit V cens frans à l'image de home, quatrevins et XI frans d'or ; fut trovez en un noed L florences de bon or et de bon pays valeur XLV L; fut trové en l'autre forcier dedens une poiche six cens quatrevins et XVII volans estimez
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et avaluez ci-apres avec le billon blanc et noir, si come apparoist plus à plain et pour ceci néant ; illec meismes en une poiche II cens grox de Philippe prisez et avaluezXVL; illec meismes LII volans estimez ciaprez on dit billon, néant; illec meismes XIIII grox prisez et avaluez XXs.; illec meismes furent trovez en autre sachet cent cinquante gros deLoys prisiez valoir XI L; furent trovez en une bourse de soye XPX un frans a ymaige de homme valant, compte franc pour XXst la pièce XP* VIII.; illec meismes cinc frans; furent trovez en autre poiche en blans de XV d. XXI1. III s. IX d. ;. illec meismes VIII1. ; tout le billon blanc et noir vallant et tout, excepté les grox, fut vendu et estimé l'un par l'autre XLVI1. XVI s. III d.; furent trovez en un escrin ferré, dedans une poiche en petits deniers XII. Xs., en une autre poiche XXIIIIL; furent trovez en un autre escrin ferré, dedens une bourse de cuir en billon noir II marcs une once et demie estimez, en billon dessus dit, et jjour ce ci néant ; illec meismes XIX mailles blanches a la grande croiz, estimez on dit billon, et pour ce néant, en une autre poiche IIIPX IX grox de Philippe et XXXVI grQX deLoys estimez valoir VIII1. XIIII s.; furent trovez en une bourse, XL vaillans et XXIII esterlins prisez on billon dessus dit, et pour ceyci néant; en une autre bourse VPX et VIII mailles blanches a la flor de lis et V mailles blanches a la corne estimée on dit billon, ainsi pour ce néant; illec meismes furent trovées VIII 0 IIIPX clavenches estimées valoir on dit billon, néant; en billon blanc une once et XV esterling, prisiez et estimez on dit billon néant ; en monnoye de Bretaigne LXX pièces appelées Lous, prisiez et estimez on dit billon, et por ce néant ; illec meismes II petiz seaux d'argent sanz chesne, valans Xs.; une petite boete d'ivere, en quoy sont II frans et un esneau d'or en une pierre de israel, estimez
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valoir pour totLXXs.; cinquante cinq pièces petites de billon, prisiez on billon dessus dit, ainsi pour ce néant ; fut trovez un couteau qui a manche de gest et
II virolles d'argent et une forcetes d'argent, esti.mez X s.
Furent trovez IIII1. monnoye courante, laquelle est de la chapelle que soloit tenir Guillaume Lebreton celon ce que estoit escript en une cédule illec trovez escripte de la main dudit feu Monsieur Jehan Gervese, néant ciquar, les IIII 1. ont esté baillées à Monsieur Julian chief de Ber, du commendement de chapitre pour les rendre et restituer au prouffit de la ditte chapelle ainsi pour ce néant. Furent trovez IIII madrés vielx desrompuz, les diz madrés furent prisez XXV s., et ont esté venduz le pris, ainssi pour ce XXV s. ; furent trovez
III callices pesant 11 mars une once et demie desqueulx l'un des dits callices le plus grand a esté baillé pour la chapelle de l'aumonsne, l'autre à la chapelle du pont de Tours, et l'autre à la chapelle del'aumosne de Chinon, ainsi por ce néant. Fut trovez en une poiche un callice et III gobelez d'argent, lesquielz le dit feu avoit engage de Monsieur Lorens Tarese pour X1. que il li avoit baillées comme il est contenu en une cédule escripte de la main du dit feu ainssi pour ce XL; furent trovez IIII gobellez qui etoient a Olivier de Noeray, lesquelx estoient en gage de VI frans : le dit Olivier a eu les diz gobellez et a payé VI frans; furent trovez IX petiz henaps plains et un grant henap plain, un pié d'argent pour un madré, et IIII petites cuillers d'argent, tout pesant VI mars et demi, au pris de cent et XV s. le marc ; ainsi pour ce XXXVII 1. VII s. VI d.; un grant gobellet couvert, doré dedenset dehors, qui est en gage de XXIIII1. le quel gobelet pesé IIII mars une once et demie ; ainssi pour ce XXXIIII 1,
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Fut trovez un escrin couvert de une poiche scellée du scel feu M. Jehan Gervese, dedens enquiel fut trovez une poiche en laquielle poiche avoit VIP valans prisez on billon dessus dit ; ainssi pour ce néant; illec meismes en une autre poiche CL grox de Loys, prisez XI L; furent trovez illec meismes en une autre poicheIP XIIII grox de Philippe, estimez valoir XV L; furent trovez une poiche scellée du scel du dit feu M. Jehan Gervese, en laquelle furent trovez une esvière et VI gobellets pesant ensamble V mars II onces et demie au pris de C et XV s. le mars XXX 1. Xs.; illec meismes furent trovez une autre esvière et VI gobellez pesans IIII mars et demi a pris dessus dit le marc, valent XXVI. XVII s. VI d.; illec meisme furent trovez VI gobellez pesans II marcs VII onces XII esterlins et demi, II gobellez pesans un marc VI onces et demi, II gobellez dorez pesans un marc II onces et V esterlins, marc d'argent prisé au pris dessus dit, valant XXXIIII 1. XV s. IIII d.; VI tasses blanches ovrées pesans V marcs II onces et demie, II henaps grenetés pesans un marc VII onces, II autres henaps ovrés pesans II marcs une once, un henap ovré doré dedens et dehors pesans un marc et demi et V esterlins au pris de C et XV s. le marc valent LXII 1.
VI s. VII d.; une petitecoppe dorée avec le pié, pesant
VII onces V esterlins, XXIIII cuillers et un pié pour madré pesans II mars une once et demi au pris dessus dit marc d'argent valent XVII 1. XV s. VIII d.
Furent trovez les livres qui s'ensuivent. Premièrement un beau Messel noté. Un beau Brevière à l'usage de Tours en 2 volumes. Item la légende dorée qui est belle. Deux Bibles portatives assez belles. Le Messel fut baillé à l'Eglise de Tours pour servir les chapelles, ainsi néant quant au Messel ; le beau Bréviaire noté à l'usage de Tours en deux volumes a esté baillé à
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Mestre Pierre Colet en récompensacion des peines qu'il a eues en la dicte exécution, néant. Item la Légende Dorée qui est belle et les Bibles sont par devers les exécuteurs. Un livre de sermons qui ce commance Dominus et Salvator noster XXX s. Le roman de la Roze assez beau prisé et vendu XXV s. Un gréel noté et un autre gréel qui est petit, lesquelx ne sont acompli et sont de pou de value, et ont esté donnez aux nepveuz Monsieur Ray mon, pour aprendre à chanter, néant. Un messel ancien baillé a laumosne pour servir les chapelenies, et pour ce néant. Un livre de l'ordonnance de la messe qui ce commance Quod velut quatuor V s. La Somme de Raymon baillée à Maistre Pierre Colet en recompense de ses paines, néant. Une petite Somme de charité qui se commaince ainsi Dominus dicit in evangelio, vendu et prisée V s. Un vieil Bréviaire noté, qui est en II volumes. Monsieur Jacques Vigier qui fut servitor du feu a eu le dit livre qui estoit de pou de value et li fut donné pour prier Dieu pour le dit feu, ainsi pour ce néant. Une Décretales en françoys, prisée vendue XX s. Le livre de Ysidore De sumino bono vendu et prisié XV s.
Un livre de sermons qui se commeince ainxi Actidia, et un autre de sermons qui se commeince Sermo ad presbiteros XXI s., auquel livre est l'office de la Feste-Dieu, et I autre livre ou sont plusieurs messes de l'an, XX s., les status sinodaux VI s., un livre qui se commence de passione, un veil mesel qui n'est point noté, il fut baillé a une des chapelenies de Chinon, ainsi pour ce néant. Un livre on quel sont plusieurs oraisons nescessaires, par an, prisé V s. Un livre ou est l'office de saint Jacques et de autres lestes VIII s. Un manuel veil qui n'est point à l'usage de Tours XXV s. Un livre on est l'office de la Feste-Dieu, Vigilles de mors et oraisons de Notre Dame, XX s.
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Porte hors bien ancien, Jehan Le Peletier qui fut serviteur du dit feu, a eu le dit livre en récompense des services et pour prier Dieu pour lui, ainsi pour ce néant. Les Espitres de saint Paul III s. 11 d. Un petit livre ou sont anciennes messes III s. Un Bréviaire 1res viel et ne scet l'en à quel usage il est,L s. Un livre qui est ainsi intitulé Flos historiarum terre Orientis VI s. et un autre livre qui est einsi intitulé Professio Monachorum II s. VI d. Un autre livre des histoires des Papes, lequel fut rendu à M. Guy Hugues qui disoit qu'il estoit sien, et lu fut rendu considéré que le dit livre estoit de petite value, pour ce néant. Un Texte de Clémentine, en petit volume, et autre livre qui commance einsi Dico de sermocinalibus scienciis, prisé et vendu VIII s.
Item fut trovez en un coffre, une chasuble de Sendel, on de Samit orfrazée, une aube, et un. amit paré, et une sainture de âl ; ce a esté baillé à l'église de Tours à l'oeuvre de vicaires et chapellenies fondées en la d'¬ église de Tours par le dit feu pour faire le service divin ; et pour ce néant. Un calice d'argent doré dedans et dehors, baillé a la chapellenie de leglise de Tours, pour ce néant ; deux vinagieres d'argent o un fourreau de cuir, pèsent les vinagieres VII onces V esterlin le marc CXV s. valent C1. IIII s. III d.; IIII chandeliers de coevrepains, à un foneau VII s. VI ds.; fut trové on dit coffre une chasuble de camelot vert doublée de toelle vert, une touaille d'autier avecbiaux paremens, II autres tonaylles qui n'estoient point parée, un autier portatif, et un amélien paré pour un livre, la dicte chasuble fut baillée à Loches pour la chappelle fondée parle dit feu en l'église de Loches, et le Témoignant à l'église de Tours, pour les dictes vicaires et chapellenies ainsi, néant ; fut trovez cledenz un autre coffre en quoi estoit un petit escrin dedenz on quel avoit
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quatre saintures de soye, garnies d'argent, II petites tables diviere, et une pierre appellée bésicle, II saintures de soye, l'une de coulor inde rayée on milieu, l'autre tiellée et une grelle partie ; item illec meismes II botonneures d'argent dorés et esmaillées que le dit feu avoit en gage pour X reaulx et lui demorerent pour le les saintures, les tables et la pierre valent C s.
Les boutonneures sont prisées avec mêmes pièces d'argent comme appert ci dessouz on secong chapitre, et pour ce ci néant.
Illec meismes une garnison de perles et un chappeau d'argent que le dit feu Jehan Gervaise avoit en gaige de XII frans d'or et H demorerent pour X frans d'or, furent la dicte garnison et y celle chappeau prisiez ce la dicte somme comme il estoit contenu en une cédule escripte de la main du dit feu, ainsi pour le X frans. Illec meismes plusieurs mesnucs pièces d'argent qui furent estimez par un changeur, valoir V onces d'argent, lesquelles avec les boutonneures dont dessus est faite mencion on prochain chapitre sauve un sont prisées IIII L, X s.; furent trovez un harnois d'armes, c'est à savoir, une cote de fer, II bacines et III camailz et I camail san bacinet, une visierre, deulx paires de gantellez de fer, une paire de avant bras et II paires garde bras, une paire de manche de maille, prisez et venduz par ce qu'ils estoient roillez et de anciennes façon et de poiy de priz IIII L, furent trovez une pièce de toile inde contenant X aines, une autre pièce semblable contenant IIII aines et demie, II aines de toile verte, une pièce cle ccndel vert qui estoit veil contenant Il aines, elles sont ordonnées pour fere les choses nécessaires et pour fere courtines, appareiller et les vestemens des chapelles ainsi pour ce néant. III couteaux a pointe et III gibecières veilles de broderie qui ont esté vendu XX s. Fut trové en un autre coiïre
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II custodes pour corporaux, couvers de soie esquiels avoit VI pièces de corporaux, une petite veille boete d'ivoire, III petites touailles ouvrées et paintes a mectre souz les livres ; ce a esté baillé, c'est assavoir, un custode pour la chapelle de l'aumosne de Tours avec II pièces de corporaux et une touaille pour livre et pour les vicaires et chapellenies de l'église de Tours un custode, IIII pièces de corporaux et la dicte boete d'ivere et les II touailles pour livres, pour ce néant ; X touailles d'autier, des dictes touailles, VI ont esté baillés pour les deux chapelles de Chinon, III à la chapelle du pont de Tours, et une a la chapelle d'Amboize, ainsi pour ce néant.
II autiers portatifs de marbre, l'un blanc et l'autre noir, cinq amiz parés, une chesuble de cendel vert doublé de toille vermoille, et une aube et un amit, une estolle et un phenon de meismes, et une sainture ; des diz autiers ont este baillez l'un à la chapelle d'Amboize et l'autre à la chapelle de Loches, et des diz amiz l'un a l'aumosne du pont, et un à la chapelle de l'aumosne de Tours, II a la chapelle d'Amboize et un a la chapelle de Loches, ladite chesuple et le remeignant de meisme, a la chapelle d'Amboize, ainsi pour ce néant. Illec meisme, des paremens de drap d'or de damas sur vermeil pour aube et amit, les dites choses ont esté données par les exécuteurs à l'Eglise de Saint Martin de la Basoiche de Tours dont le dit feu fut chanoine, pour ce néant. Fut trové en la chambre en laquelle trespassa le dit feu Monsieur Jehan Gervese, une coite de toile rayée, et autre coite de toile rayée, et III coiseins blans, et une petite coite de toile et demie avec le coisein ; le dit feu par le LXXP article de son testament vouloit que toutes ses coestes, coeissins et draps de lit fussent donnez pour Dieu par la main de Marguerite sa seur ; laquelle chose
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a este faicte et ont este baillez a la dicte Marguerite qui les a donnez; ainsi pour ce néant. Illec meisme, un couvertoir fouré de connins prisé par 1 persone jurez adee, XL s. ;une coeite pointe blanche, XXVs. ; une sarge vert ancienne, XV s. ; une coeite pointe veile, XXV s. ; et une sarge vairée de diverse colours. XXX s. ; ensemble pour ce VI 1. XV s.
Un bougueran de III tailles LV s. ; et I autre bougueran de II telles et demie, LXs.; une coeite pointe ovrée a armes et a bestes, LX s. ; une coeite blanche veille de II telles et demie, XL; une coiete pointe veille et percée de toile et demie, VI s. ; un petit bougran de II toile, vert et percé, XXV; une sarge vert de II toilles avec les II coestes de meisme, XXXVIII s. ; une autre sarge vert petite ancienne XV 1. ; et un autre sarge vert veil, X s. ; une autre serge rayée de diverse coleur, XV s. ; e,t une autre sarge rayée de divers coleurs, XXIIs. ; item une autre sarge percée rayée de vermoil et de jaune, XII s. ; lesquelles choses ont été vendues pour le dit pris; ainsi pour ce XVIII1. III s.; une sarge toute percée, mangée de toignes IIII s. ; une autre sarge rayée de fil retors XXX s. ; une sarge vielle vert destainte et percée, XX s. un drap roege pour couvertouer qui est de III draps, XXX s.; une sarge distainte vairée, XXX s.; une sarge de Parthenay vermoille XII; une sarge rayée de diverses couleurs. XXV s. ; trois mauves marchepiez percez et desrompuz en coleur de pers, VIII s. ; un viel tredox vermoil V s. ; une mauvese sarge XII s. ; einsi pour ce IX 1. XII s. Illec meismes II petis bans, V s.; une petite forme XV d. ; une taible et II bridiez un soulx ; trois cheises, IIII s., VII d. ; une huche IIII s. einsi pour ce XIX s. X d.; fut trové en la dicte huche, III aurillers parés de cendel, venduz XV s. Illec meismes II touailles d'autier; ces-
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tes deuls touailles d'autier, avec une autre touaille dont dessus est fait mencion a été baillée pour la chapelle d'Amboize ; ainsi pour ce néant.
En la garde-robe furent trovées Ilcoeites, II coessins, ce a esté baillé à Monsieur Raymon Musnier pour le lais à lui fait par le dit feu on LXV° article de son testament ; ainsi pour ce néant. Illec meismes une coete pointe -blanche prisée XXX s. ; neuf pièces de covreformes prisée et estimez valoir IIII1. IIII s. VIII d. ; XI quarrealx, I coessin couvert de veil drap blanc prisées l'un par l'autre comme il appartien on prisage XIX s. X d. ; item un drecouer VI s. III d. ainsi pour le VII 1. IX. Fut trové dedenz le dit dresoer un auriller couvrechiers, chacun de V quartiers, un tablier assez viel contenant IIII aulnes, une servie te. contenant une aulne et III quartiers, VIII draps de II toiles et demie, VI draps de II toilles ; les dictes choses sont contenues en linventaire du dit feu, mes elles ne furent pas prisées par ce que Marguerite, jouxte la volente et ordrenance dudit feu, comme apparoit par le L VIIIe article de son testament,, a preint cestes choses, ainsi pour ce néant; fut trové.I cuir de serf prisé X s., un peaux de meigeiz prisé V s., sept aulnes de toile grosse d'estopes, XIIII s.; une espée, Vs.;IIchappeaux de bievre XX s. ; Illcheses, Vil s., VI d. ; III couffres vuides XII s. VI d.; I chandelier de fer blanc, II s. VI d ; ainsi pour ce LXXVI s. VI d. Illec meisme un estole et I phanon de soye assez biaux ; ils estoient de poi de value et furent donnez à Saint Gervese de Sonnay; pour ce néant. Fut trové en la chapelle une grant huche prisée XXX s. la dicte huche est ordrenée a mettre les choses et lettres de l'execucion, laquelle est ad ce nécessaire, einsi pour ce néant; dedenz la dte huche estoient une pièce de serviettes grosses en toile contenant XI aulnes, prisée XVIII s. IIII d. une autre pièce
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de toile de grox po contenant XIII aulnes, prisée XXXIX, une autre pièce de toile de grox po en estoupe contenant XII aulnes prisée XXXIII s., une autre pièce de toile grosse de po en estoppe contenant VIII aulnes et demie prisée XXIIII sols et den., une autre pièce de toile de gros po contenant VIII aulne et demie prisée XXIIII sols, une autre pièce de toile on a II touailles de po en estope contenant XL aulnes prisées C s. ; IIII petites touailles de toile grosse neufve, chacune de une aulne et demie, prisées XIII s. VI d. ; une touaille plaine qui n'estoitpas neufve de II aulnes et 1 quartier, prisée V s. VII d. obole, somme de prisaigede linge contenu en cest chapitre XII 1. XIIII s., VIII d. obole. Illec meismes furent trovez une touaille plaine qui n'estoit pas neufve de IIII aulnes, prisée Xs., une autre touail le plaine assez usée de II aulnes et demie, VI s. III d., une touaille neufve de II aulnes et I quartier IIII s. VI d., une touaille neufve de III aulnes et I quartier VII s. VI d. ; une pièce de touaille plaines neufves de Meslinge contenant XIII aulnes prisée LU s., une touaille plaine de II aulnes et demie prisée VI s. III d., une autre semblable de II aulnes et demie, VI s. III d. ; II touailles plaines en une pièce contenant V aulnes prisées XV s. einsi pour ce CVII s. IX d. On dit lieu fut trové grosse touaille plaine de deux aulnes et demie prisée.VI s. III d. ; une autre touaille qui n'estoit pas neufve de II aulnes II s. VI d. ; une pièce de cuvrechiefs contenant VI aulnes, prisée XX s.; une autre pièce de cuvrechies contenant sept aulnes et demie, une autre pièce de cuvrechiefs de III aulnes prisée X s. et un cuvrechief de deux aulnes, prisée VI s. VIII d., einsi pour ce LXX s. V d.
Fut ouverte en l'aumosne de Tours en la dicte chapelle de Nostre-Dame une huche plate, prisée la dicte huche valoir XV s. ; la dite huche a esté baillée pour
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mectre les vestemens des vicaires et de la chapelle de l'église de Tours : einsi pour ce néant. Dedens cette huche furent trovées une pièce de toile de pou contenant XI aulnes, prisée XVIII s. IIII d., une pièce de toile de po contenant XIII aulnes XLV s. ; une autre pièce de toile de po en estoupes contenant XXXIIII aulnes, prisée IIII 1. V s. ; une autre de pou en estoupe, contenant XII aulnes et demie. XX s. X d. ; une autre semblable de XIII aulnes et demie, prisée, XL s. VI d. ; une autre semblable de XIIII aulnes, prisée XLII s. ; et une autre de XI aulnes et demie XXXIIII s. VI d.; einsi pour ce XIIII 1. VII s. IL Au dit lieu fut trové une autre huche appellée couffre, prisée valoir XX s. Dedans lequel coffre a plusieurs lettres papiers et autre choses des comptes touchans les faits du dit feu : pour ce néant. On dit fortier avoit VI aurillers parez et VI blans prisiez valoir LXI s. Dedans un poupitre ou letrun lequel est de l'aumosne furent trovées VI touailles d'autier, II paires de corporaux o le fourreau, une chasuble de vert doublé de toile perse, une aube et amit parez, une estole et phanon de meismes et II vinagiers d'estain, de ce len a baillé a la chapelle de l'aumosne de Tours III touailles dautier, une paire de corporaux la chesuble entre et les autres vestemens de mesmes, a la chapelle du Pont de Tours une paire de corporeaux et aux vicaires et chappellins de l'Église de Tours les III touailles, einsi ce néant.
Fut trové en la chapelle de Saint-Jacques en ladicte aumosne unes armaires lesquelles ont esté baillés pour mectre les vestemens de la chapelle de l'aumosne de Tours ; ernsi pour ce néant. Furent trovées dedens lesdictes armaires une chesuble rayée doublé de drap de saye noir avec une aube et amit, estolle et fanon et auriller couvert de cendel jaune ; IIII touailles et II vinagiers, ce est pour les IIII vicaires et II chappel-
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lains fondes en l'église de Tours ; einsi pour ce néant. Fut trovez en la sale I banc, III formes à saloers prisiés valoir et vendues XVI s. ; II cheieres, II s. VI d. ; et VIII draps de lit pour la despence de la meson. Les diz draps ont esté baillez à Marguerite pour les donner comme le dit feu avoit ordrené au LXXP article de son testament ; einsi pour les dits draps néant, et pour les autres choses XVIII s. VI d. Fut trové en la Meson de la Parchetninerie en la chambre haute III grans bacins à laver, II meloins et un petit, prisez VIII s. IIII d.; VI chaufïoers de coevre, prisez XXVI s.;
II lavoirs a birc, prisez XXV s. ; II bacins à brader, prisez IX s., III grans chaudières contenant chacune VI seill.écs, prisées LXX s.; II bacins assez grans et
III petit prisez XLVI s.; II poelles dairain creu prisé VI s. VI d., et IIII mauveses prisée VIII s., II grans poz de coevre prisez XLV s.; et XVIII autres poz de coevre petiz, prisez VI1. III d.; et une paelle de fer, einsi pour ce, rabatu XX s. sur les sommes dessus dictes pour un bacin et un chauiïoer baillez a M. Raynon Musnier pour le lais à luix fait comme appert par le LXV° article du testament dudit feu, XIX1. XIXs. Id.
Illec meismes II landiers prisez V s.; une fourche de fer, prisée XX d.; I tripié veil prisé II s. VI d.; unemauvesepoile V s.; II bons grans fripiez Xs. VId.; un soich III s. IIII d.; un cofre prisé XX s.; XI fessoirs neufs XXXVI s. VIII d. ; IIII fessoiers vieulx prisez VI s. VIII d.; III asses veilles X s.; deulx chiens pour charpenter prisés*XX d.; III coignées veilles à charpenter XII s.; deulx doloires veillez IIII s.; une chesne pour puiz prisée II s. VI d.; une besague II s. VI d.; item II daviez II s. VI d.; III tenailles de fer prisiés VI s. IIII d.; I trefïeu prisé XV d.; II chevilles de tumbereaux prisées II s. VI d. ; un rotissouer
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X d.; IIII broches de fer prisées VII s. VI d. ; le fer de II ceel veilles X d.; II claveuresa huche prisées V s.; tout le dessus dit prisé VI1. XV s. V d.
X plaz d'estain, XXI escuelles, LIIII saucières, IIII salières, I vesseau à mectre moutarde, un pot a aumosne, II guartes, une tierce, III petites esvieres quarrées, une chopine quarrée et une ronde senz couvercle, les plaz, escuelles, saucières, salières, quartes et chopine quarrée et esvieres pesant CXVI1. furent prisées a part la livre XX d. valent IX 1. XIII. s. IIII d., le pot à aumosne, la chopine ronde et le pot a moutarde pesant XIII 1. la livre XVI d. valent XVII s. IIII d.; einsi est la somme de ces articles XL Xs. VIIId.; II cheires II 1. I d. ; V huches plates XLVII s. ; einsi pour ceXLIX s. I d.; II chandelliers de cristal donnez a l'église Saint-Martin de la Besoiche de Tours ; einsi pour ce néant. Fut trové en la chambre basse de la dicte meson, II coetes, II coeissins qui ont esté baillez à la dicte Margarite pour distribuez pour Dieu jouxte la volonté du dit feu, contenue on LXXP article de son testament; einsi pour ce néant. Illec meisme une coeite pointe blanche prisée X s., II cheises II s. I d., IIII tables, un brichet prisé X s., VI huches plates telles quelles XXXIIII s. VI d., II formes de boeys prisés IIH's. II d., un petit banc prisé XX d., ainsi pour ce IIII 1. II s. V d.
Item fut trové en autre meson du dit feu près l'Aire Berte IIII pipes de vin veil pouscé, qui essoit de VII ans, donné pour Dieu, einsi pour ce néant; IX grans tonneaux neufs, chacun prisé X s. valent IIII 1. X d., XII pipes veilles mauveises, vendues XXXV s. et II vieulz coustez de char salé XXX s., einsi pour ce VII 1. XV s. Fut trové on selier qui est soubz les chapelles de l'aumosne de Tours III pipes de vin veil, V pipes de vin noveau de Vencay et une de la
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Varenne ; le dit vin parce qu'il fut trait, il poussa, et estoit deslié, et eust autant cousté à lier comme il eust valu, einsi pour qu'il fut donné pour Dieu, et eust la dicte Margarite les fûts d'iceulx, comme le dit feu le voloit par le LXIIIP article de son testament, einsi pour ce néant.
Fut trouvé on rcvestuaire de l'Eglise de Tours une huche vuide prisée XII s. et une autre huche vuide qui estoit on grant revestuaire prisée X s., et un fortier tout vuide qui estoit ou revestuaire, II s. 6 d.; et une autre huche XVIII s.; des dictes huches Monsieur Raymond a eu la huche dessus dicte prisée XVIII, pour le lays à lui fait ou LXVe article du testament du dit feu, et les vicaires de l'Eglise de Tours ont eu celle de XII s. pour mectre leur finance, qu'ils l'ont eue à cause de la fundacion, einsi pour ce XII s. VI d.
II. — INVENTAIRE DE SAINT-VENANT *.
Inventaire des Ornements et. Linges appartenant à l'église Saint-Venant. Mars 1519 (Arch. départ. G 1031).
.Inventaire des biens meubles et ornements estant en l'église de Monsieur Saint-Venant de Tours comme chesubles diacres, soubs diacres, chappes, estolles, ferrons, aubes, amyz, nappes, serviettes et austres chouses destinez à servir à ladite Église, et qui y a été trouvé ce jourdhuy de mars l'an mil cinq cent dix-neuf,
1 Cette église, fondée au v» siècle, érigée en collégiale au x- siècle, et devenue paroisse au xiv, s'élevait à l'est de la place qui conserve le nom du pieux abbé.
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que Laurent le Briays et Amant le Brun procureurs anciens de ladite église -ont rendus et baillés à sire Guillaume David, nommé procureur et fabricier et à Macé Robin, nommé mariller, en la présence des paroissians subscrLptz et signés comme tesmoings a ce appelez par les dits le Brun et le Briays, en la fin de ce présent Inventaire fait en la forme et manière qui s'en suit.
Et premièrent des ornements. Une checuble avecques les diacres et soubs diacres et deux chappes garnies d'estolle et tenons, le tout de velours cramoisy ; et une checuble avecques les diacres et soubz-cliacres et chappe garnie d'estolle et tenons, le tout de damas blanc que Mgr le Contrôleur a donné. Une chappe de velours figuré en faczon de drap d'or, les orfroys de toille d'argent que M. Fortia a donné. Une checuble avec le tour de damas noir que feu M. Jehan Goyô a donné. Un parrement d'autelle pour parer par bas figuré d'or. Ung ciel de taphetas violet semé de ung souleil d'or et d'estoilles que feu M. Alexandre Aubert, prieur curé de ladite église, a donné. Ung parrement d'autel de velours noir figuré en damas auquel y a ung creusifix, saint Jehan et Notre-Dame, faictz de broderie que la Rolende a donné. Ung parrement d'autel de velours rouge auquel y a Notre-Dame de pitié, saincte Barbe et sainct Jehan, faictz de broderie neuve de drap d'or que la femme d'Avoyne a donné. Ung parrement d'autel de damas blanc ou y a ung cruxifixment de broderie et deux pièces de drap d'or que la femme Dango mère a donné. Ung autre parrement d'autel de velours noir beau auquel y a un crucifixment de broderie et deux priant que feu Aubert Vallès et sa femme ont donnez et lesquelz ont fondés la messe qui se dit au gran autel après la grande messe tous les dimanches.
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Deux beaux ridaulx de soye de plusieur couleur ausquel y a du fil d'or parmy que la Gomyne a donné. Deux autres ridaulx de sayette verdetung tappisverd et rouge que la Charlet a donné. Ung tappis verd figuré a trois carraulx que la femme d'Avoynea donné. Une frange garnie a chevculx de soie et broderie. Une autre frange faicte sur estamyne et broderie ou est Jésus. Une autre frange de soye ou y a Jésus Marie, faict de broderie. Une autre frange de soye couverte de broderie en faczon de rosier. Une autre frange de broderie sur estamyne. Une autre frange d'estamyne semée de fleurettes, faicte de broderie parmi entrelassée de Jésus. Une autre frange de soye fine couverte de broderie. Une autre frange d'estamyne teinte de Jésus Maria et de souleil faictz de broderie. Une frange de soye retorse figurée et estoilles. Une frange de taphetas blanc. Ung carreau de damas jaune beau et riche, auquel est l'armerye et contemplation de la passion Notre-Seigneur, faicte de broderie. Un corporallier beau et riche lequel est couvert de satin cramoisy semé de une pucelle et licorne faicte d'orfeverie et broderie que la Cholet a donné. Un autre corporallier couvert de velours cramoisy et ung cruciffiment dessus beau faict de broderie que feu Mmo la contrôleur de Bretaigne a donné. Ung autre corporallier couvert de rouge. Ung autre corporallier couvert de damas rouge qui est beau. Ung autre corporallier couvert de soye tissuée sur fil d'or. Trois beaux tabliers faiz richement des enlumyneures à l'ymagerie de Notre-Dame ; et que tous ces dits ornements sont on grant coffre large des ornements sur le pepître et ne servent les ditz que pour les grandes fêtes.
Autres Ornements communs. Et premièrement ung parrement d'autel de velours
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noir auquel y a une grande croix blanche et quatre écussons, à l'armoyerie des Ursins de Rome, qui sert pour les trespassez. Ung autre parrement d'autel de soye tannée auquel y a un cruciffiment pour servir tous les dimanches. Une checuble tel quel et qui sert a tous les jours, auquel y a une Notre-Dame de broderie. Une checuble tel quel et qui sert tous les jour courant. Une autre checuble de velours les orfroys de broderie. Deux ridaulx de sayette rouge et ung rideau de toile noire. Cinq parrements d'autel de toile noire a chacune une grant croix blanche pour parer pour les trespassez. Deux couvertures d'autel de toille noire, deux ridaulx de toille noire et une frange qui sert à tous les jours au grant autel. Une chacuble de camelot noir les orfroys de vert. Une chacuble avecques les diacres et soubz diacres, et chappe garnie d'estolle et fenons, le tout de vieille soye blanche excepté la checuble qui est de fustayne blanche. Une vieille frange de broderie et soubz-diacres garnye d'estolle et fenons le tout de camelot noir qui sert à tous les jours, et nota qu'il a esté desrobé la chappe de mesme. Une chappe de satin noir orfroys de broderie qui sert pour les trespassez.
Une checuble avec les diacre et soubzdiacre garnie d'estolle et fenons le tous de soye rouge vieille à l'anticque qui servent le jeudy absolu. Une checuble faicte de rosetes qui sert tous les jours. Une checuble de fustayne qui sert à tous les jours. Une checuble faicte à fleurs de lys et petits oyseaulx qui sert tous les jours. Deux checubles de camelot tanné, dont l'une sert tous les jours à M. le prieur curé, qui a ses orfroys de velours, et l'autre les orfroys de broderies auquel est l'armoyerie de feu la Charles, qui sert le dimanche. Trois corporalliers qui servent à tous les jours. Ung drap mortuaire de fustayne auquel il y a une grande
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croix blanche, qui sert pour les trépassés. Ung autre drap mortuaire de demye ostade avec une grant croix blanche que la femme feu Jacques Farré a donné à la f abri ce, lequel a esté print en la châsse du mortuaire que on dit le prieur avait print. Ung manteau de drap noir a usage de femme qui est pour prêter aux pauvres commères.
La bannière des pardons que l'on met a la porte. La grant bannière que feu Jacques Farré doiïna pour les paroissians. Ung ciel de custode frange a couleur et faèzon de drap d'or qui sert aux grandes fêtes sur la custode ou repose Corpus domini, que feu Mme la contrôleur de Bretaigne a donné. Ung autre ciel de custode qui sert le caresme sur la dite custode. Trois robbes pour l'imaige Notre-Dame dont y en a une belle et riche de satin blanc bordée de fil d'or. La robbe du petit Dieu de satin jaune aussi bordée de fil d'or. Une belle Allemeigne de taphetas rouge que la Charles a donné.
S'ensuit le Linge. Et premièrement, aujourd'huy y a pour servir aux autels six aubes et six amyz garnies d'estolles fenons et seintures. Deux aulbes et deux amyz garnies, les quieulx servent à M. le prieur et sont au petit coffre près le maistre autel.
S'ensuit le lingede Caresme. Les deux grands rideaulx de lin qui cache l'autel. Les deux rideaulx des deux costez de l'autel. Cinq grandes nappes et une frange le tout de lin, qui est pour le parement du grand-autel. Au dit autel y a deux carreaulx ou y a en l'un ung crucifiement et en l'autre un porte-croix. A l'autel de la première chapelle trois nappes, une nappe de coton faicte a oeuvre de Lyon de quoi l'ymaige de SaintClaude est cachée, un rideau pour cacher les ymaiges auquel y a ung carreau ou Jésus meurt en Croix. Ung rideau devant le crucifix et ung autre rideau devant
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saincte Anne, le tout de lin. Ung autre rideau à SaintSébastien. En la petite chapelle ou est l'ymaige NotreDame de pitié ung autre rideau de lin. Au coffre qui est en bas joignant la cloison de la première chapelle trente et six nappes de lin tant ouvrées que plaines belles et honnestes. Item au dit coffre y a cinq belles serviettes ouvrées et de lin, ung petit coffre couvert de une aiment auquel y a plusieurs reliquaires, deux amyz, le tout enveloppé en ung méchant rideau dedans ledit coffre. Trois nappes d'autel lesquelles servent tous les jours aux autelz communes.
Au coffre d'en-haut du pepitre proche du grand ciarge ou sont les hornements y a dix neuf nappes que ouvrées que plaines le tout de lin, seize aulbes garnies de chacunes son amyz, belles et bonnes, cinq amyz, en outre les aulbes garnies le tous de lin et enveloppez en deux méchants rideaulx. Item au coffre du pepitre y a cinq beaux tabliers ouvrez à oeuvre de Venise qui servent au grand autel le jour de Pasque et y a cinq almenez enveloppez en un amyz. Et n'a que la femme de Jehan Larue a.deux belles almenez pour empezer et blanchir. Item une robbe de l'ymaige Notre-Dame qui est de lin franche. En l'autre coffre y a dix-neuf nappes qui ont serviz devant le caresme dont y a de telles quelles, deux grant rideaulx et deux petits qui ont serviz au grant autel devant le caresme le tout de lin, dix petites serviettes, deux serviettes de coton oeuvrée de Lyon, unze aulbes et treize amyz lesquelz ont servis devant le caresme. Au d. coffre ou sont les ornements qui est le grant coffre, y a quattre belles aulbes garnies pour les grant testes. Ung amyz de quoy la croix est enveloppée, neuf pouchettes pour envelopper les calices, deux nappes telles quelles dont les custodes et bannières sont enveloppées, le tout sur le pepitre et autres plusieurs meschant linge auquel y a la couver-
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ture d'un corporallier de velours de plusieurs couleurs, et deux beaux corporaux qui ne sont pas benist, et en plus une nappe qui est au banc des reliques.
AUTRES MEUBLES, et premièrement ung chasble ou corde qui est pour servir à l'oeuvre de l'église qui a cousté trente solz tournois. Quatre grant chopine destain et huict petites. Quatre grant chandelliers d'autel encuyvre. Quatre petits chandelliers d'autel en cuyvre. L'empâtement de cuyvre qui sert a la grant croix d'argent. Le petit empâtement de cuyvre de la petite croix d'argent. Deux bassins d'airain d'ont l'un est ouvré et l'autre sert davant le crucifix. Deux croix d'argent, une grande et une petite. Deux benoistiers de cuivre. Quatre calices d'argent dont en y a deux vermeil doré. Ung calice destain. Deux custodes d'argent, l'une ou repose Corpus Dei, et l'autre qui sert à porter Dieu par la paroisse. Ung angelot et ung petit ymaige et une croix ou y a aucunes reliques.
LA LIBRAIRIE. — Ung livre en parchemin nommé le Grec, et ung autre nommé Antefonye. Ung messel en parchemin, et ung autre. Une légende en parchemin. Un petit psaultier en parchemin. Ung cayer en parchemin pour servir aux festes solempnelles. Un psaultier en papier. Deux psautiers en papier. Ung manuel en parchemin qui est àprésent chez Mathieu Lateron pour relier. Ung vemmeshrin en parchemin qui sert de manuel.
Ce présent inventayre a esté faict par Amant Lebrun et Laurent le Briays procureurs anciens et baillé à Guillaume David nouveau procureur et à Macé Robin nouveau marrillier es présence de(suivent les signatures) Guil. David, A. Lebrun, L. le Briays, M. Robin.
Tous les pappiers des loiz et testamens de l'église et plusieurs titres enseignement en général sont dedans le coffre des testamens qui a esté fait neuf.
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III. — INVENTAIRE DE N.-D. DE L'ÉCRIGNOLE
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(Arch. départ. Registre de la fabriquer pp. 32 et 34) l
Inventaire du linge, ornements, croix, callices et autres meubles estant dans l'église Notre-Dame-del'Escrignole le XXVe jour de juing de l'an mil cinq ceris quatre vingt et deux.
LINGE. — Quarante et six nappes tant ouvrées que plaine et dont y en a treize neufves. Neuf ofïrandeaux tant plain que ouvrés. Trente et quatre serviettes. Vingt et quatre aubes. Dix pièces de tantes. Quatre petits surpelits. Trente et deux amys. Quatorze seintures. Quatre rideaux. Trois alamaignes. Ung alamaigne ouvré, de soye cramoisye. Quatres petites poichettes. Une enveloppe de custode, Ung mouchoir.
ORNEMENTS. — Ung callice et la patène d'argent avec son estuit et enveloppe. Ung callice destain (y en a deux). Deux chopines destain. Une paix de cuivre. Deux grandes croix, l'une de fer blanc argentée, et une de cuivre avec le baston pour les porter, paint de fleurs de lis. La banière avec son bâton pour la porter, laquelle est de damas verd, une Notre-Dame et deux anges devant. Deux missels et deux orcllers a mestre dessoubz. Six chandeliers de cuivre sur la muraille du grand autel. Deux petits chandeliers de cuivre que por1
por1 paroisse de l'EcrignoIe a été supprimée on 1777, et l'église se voit encore au nord de la i-.ue des Halles, entre les rues du Panier Fleuri et du Boucassin. C'est de cette église que provient le curieux bas-relief des Pèlerins, ouvrage de l'école de Michel Colombe, actuellement à Saint Martin.
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tent les enfants de choeur. Ung autre chandelier de cuivre hault de demy pié le pied de cuivre, qui porte la croix sur le grand autel. La lampe de cuivre pendante dans le choeur. Deux bassins de cuivre pendant pour mestre cierges. Ung bénitier de cuivre. Quatre grands chandeliers de fer pour mestre sur la fosse des trépassés. Plusieurs livres a chanter tant en parchemin et papier au nombre de dix. Une clochette de fonte pour les processions. Une chasuble de damas rouge, la croix de broderye de fin or laquelle est fort usée. Les deux courtibeaux de mesme. Une chasuble de satin blanc figuré de vellour noir. Une chasuble cle damas orange la croix de vellour violet brun. Une chape de mesme. Une chape de demye stade noir pour les trépassés. Les deux courtibeaux de mesme. Une chasuble de damas blanc avec les orfrois de broderye, la chape et ses deux courtibeaux de mesme. Une chasuble, la chape et deux courtibeaux sur vellour vert et broderye. Une chasuble et deux courtibeaux cle velours rouge cramoisy, avec la croix de broderye d'or fin sans chape. Une chasuble de satin rouge esfacé et la croix de satin jaulne orangé. Une chasuble de damas noir la croix de satin blanc et le damas fort rompu, la doublure de treilly noire toute entière. Une chape de demye stade noir avec la croix cle demye stade blanche pour le service des trépassés. Une chasuble de demye stade noir avec la croix de satin blanc pour les trépassés. Deux courtibeaux de damas noir garni de satin blanc. Ung parment d'autel pour le hault seulement qui est cle demye stade noir rayée, la croix de satin blanc. Ung aultre grand parement d'auctel et ung plus petit de demye stade noire, la croix de satin blanc qui ont été donné par deffunt Guillochin. Ung parement du bas d'auctel de vellours noire semy de soleil d'or. Deux parements de clamas blanc pour le grand autel, qui sont pour les jours de
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Notre-Dame. Une petite pièce de tapicerie de mesme verdure, qui sert a mestre sur lestrain. Une grande pièce de tapicerie à personnages que l'on mect devant le crucifix (hault Lice). Ung grand drap mortuaire de velours noir avec une croix de satin blanc. Ung aultre viel drap mortuaire de demye stade, la grande croix de satin blanc.
Ung riche parement de grand auctel faict à broderye d'or, d'argent et de soye ou est représenté la Nativité Notre-Seigneur. Deux grands rideaux de taffetas rouge et vert pour servir au grand auctel. Deux aultrès rideaux de camelot jaulne vert viollet. Ung aultre parement de l'auctel Sainte-Barbe faict de velours cramoisy, des soleils d'or, et ung crucifix devant. Ung aultre parement d'auctel cle vellours cramoisy, ung crucifix dedans sans soleil. Ung aultre parement du bas d'auctel faict de vellours rouge et de satin viollet esfacé et de damas ou il y a plusieurs fleurs semées. Ung aultre jDetit parement pour le bas d'un autel fait a broderye ou il y a ung crucifix devant, une NotreDame et un sainct Jehan. Un ciel de sayette vercl et viollet. Ung petit ciel appelé paradis ou l'on mect Corpus Dei en repos garnis de rideaux blanc et verd. Cinq corporaliers de drap d'or. Ung grand carré faict a broderye pour mestre soubz le callice. Ung orillet pour mestre soubz le mise], faict a broderye. Deux custodes dont l'une est cle drap d'or et l'autre de damas verd à fleurs de lis d'or.
Fait par nous Gilbert Rousseau et Bertrant Briault, le XXVe jour de juing mil cinq cent quatre-vingt et deux. — {Signé) Rousseau. Procurât de deux années finissant à la Saint-Jehan mil IIIIP ÏLIPX deux.
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IV. — INVENTAIRE DE LA CATHÉDRALE SAINT-GATIEN
Fait vers 1675 (Arch. départ. G 155)
Inventaire des meubles du revestiaire de l'Église de Tours, commençant par les chappes
PREMIÈREMENT. — La chappe d'Angleterre inestimable ; une autre chappe de drap d'or figuré d'un chardon à fond de velours vert; une autre chappe de drap d'or violet figuré appellée Saint-Lidoire ; cinq chappes d'autre drap d'or figuré de rouge à fleurons ; une autre chappe rouge à bandes d'or, ondées; six chappes de velours rouge à fleurons et d'argent donnée par M. Victor le Boutillier, archevêque de Tours; une autre chappe de drap d'or rouge appelée le Grand-Chardon ; la chappe appellée M. de Maillé ondée d'or et de gueules ; une autre chappe à fond de brocart figuré de jaune et de vert à l'orfraye d'or de masse; une autre chappe de drap d'or figuré de vert, plus cinq chappes do drap d'or figuré de blanc ; une autre chappe de drap d'or à fleurons d'or frisé; une autre chappe de drap d'or trai figuré dont le fond est d'or, très chargé des armures de France et de Bretaigne.
Plus la chappe à fond d'argent et à fleurs d'or donnée par M. de Saint-Brieuc, les orfrays d'argent lamé figuré de fleur de soyes de couleurs; six chappes de damas blanc, les orfrays lamés d'argent, figuré d'incarnadin, donnée par M. Chomalus, plus cinq chappes de damas violet par feu M. Deschaux, archevêque de Tours; deux chappes de velours noir les orfrais de satin blanc; deux chappes de damas rouge; deux chappes de velours rouge les orfrays de toile d'or figuré
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de violet; deux chappes de velours rouge les orfrais de toile d'or figuré de rouge; une autre chappe de velours rouge le champs semé de petits fleurons d'argent; une autre chappe de velours rouge à la turque les orfrays broderye cle toile d'or du vuide au plain; une autre vieille chappe de velours rouge figuré de souches d'or; trois chappes vert les orfrayes de broderye d'or damassé; une chappe antique blanche appellée Tous-les-Saincts ; deux autres chappes de vieille panne blanche les orfrais de broderie d'or de masse; deux chappes de damas blanc à orfrais couleur de moutarde ; quatre chappes pour les enfans dont la première de satin rouge, la deuxième de satin rouge chargé de fleurons d'or et de soye, la troisième et la quatrième pour les plus petits enfans, de vieux velours blanc; plus sept chappes de velours noir les orfrais de satin blanc, dont l'une d'icellea les armes de-feu M. le Bouthilier, et l'autre les armes de feu M. Rosmadec; quatre chappes de tiretaine, la première de damas vert, lorfraye de damas rouge figuré d'or, la seconde* de damas blanc l'orfraye de toile d'or, la troisième violette pareille aux chappes de M. Deschaux, la quatrième de velours rouge brun figuré d'or.
Plus une chasuble avec les deux tuniques de drap d'or traict, les orfrayes en broderie d'or et d'argent surchargée des armes de France et Bretaigne, dont les estolles et-fanons sont simple toile d'or; deux autres tuniques, l'une de toile d'or, et l'autre de drap d'or, toutes deux figurées de blanc, les orfrais de broderies d'or damassé en or faux, servant aux petits diacres aux testes annuelles ; une chasuble et deux tuniques de brocard fond d'argent figuré d'or avec du passement d'or doublé de taffetas blanc marqué des armes de M. de Besnard de Rezé, doyen de l'Église de Tours ; une chasuble de drap d'or figuré d'un rosier rouge
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formé des armes d'Angleterre avec un crucifix dans la auce des couronnes cle roses d'or; une autre chasuble de velours rouge semée cle rose blanche et rouge et cle grenades d'Angleterre, l'estolle et fanon sont aussi destoffe différente de toile d'or et de velours rouge; deux tuniques de velours rouge figuré d'or, les orfrais de velours violet brodé de petites ovalles feuillagee et fleurie cle lys d'or servant aux deux chasubles d'Angleterre dessus ; une autre chasuble de satin rouge à petite couronne d'or, l'orfrais de toile d'or filé ; une chasuble avec les deux tuniques de velours rouge deux estolles à trois fanons, les coussins, la bourse et la palle le tout comme les chappes données par M. le Boutillier ; une chasuble avec les deux tuniques, deux estolles à fanons cle drap d'or figuré cle violet les orfraies de broderie d'or et argent fin; une autre tunique cle drap d'or figuré de violet les orfraies cle broderie d'or fin ; une autre tunique de velours violet les orfrais de broderie figuré d'armes différentes avec leurs estolles à fanons différent, lesquelles tuniques servent ensemble et quoique différentes aux testes annuelles avec les chasubles et tuniques cy-dessus; deux tuniques de velours rouge plain les orfrais de petite broderie d'argent avec les estolles à fanons de diverses étoffes rouge; une chasuble cle velours plain avec des tuniques aussy de velours vert différent les orfrais de broderie, savoir la chasuble d'or fin et les tuniques d'or faux, les estolles et fanons pareillement de velours vert; une chasuble avec deux tuniques de damas blanc les orfrais de toille d'or figuré cle rouge avec les estolles à fanons de damas ; une petite tunique de damas rouge figuré d'or avec l'orfrais cle broderie d'or fin; une chasuble et quatre tuniques de velours noir, les orfrais cle satin blanc garnies de leur estolle et fanons avec les deux parements hault et bas du
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_grand et les rideaux de damas noir; une autre chasuble de velours noir, l'orfraye de satin blanc, un drap mortuaire, les parements d'autel hault et bas à coussinet croisés de satin blanc marqués des armes de mon dit Sieur d'Eschaux.
Plus le riche parement à cinq tableaux, le parement est différent, représentant cinq histoires savoir : la Nativité, l'Epiphanie, le Couronnement de la Vierge, au milieu, la Résurrection et l'Ascension de NotreSeigneur; une chasuble à deux tuniques de velours noir et les orfrais de satin blanc noir, et un drap mortuaire de la même ,estoffe ; plus le parement haut et bas de velours rouge à fleurons d'or et d'argent fin avec la croix du Saint-Esprit, de même les chappes cy-dessus du dict sieur le Bouthillier; un parement haut et bas de drajD d'or figuré de vert ; un parement haut et bas de damas vert avec un Christ au milieu, et les rideaux de taffetas vert ; un parement haut et bas de damas rouge avec un Christ au milieu et les rideaux de taffetas rouge; un parement haut et bas de toile d'argent à fleurs d'or avec rideaux de taffetas blanc plus huit custodes ou pavillons sur le Saint-Sacrement suspendu, dont la première est de velours rouge à fleurons en broderies, de mesme les ornements de feu M. le Bouthillier,i la seconde de drap d'or à fleurons rouges, la troisième de toile d'argent à fleurons d'or et d'argent meslé, et la quatrième de velours vert avec un passement d'or ; la cinquième de damas vert, la sixième de damas violet, la dernière de velours noir avec passement de soye; plus huit petites tuniques pour les enfans de choeur, de satin rouge à fleurons blancs et les orfrais vert.
Argenterie de l'Église de Tours. PREMIÈREMENT. — Un petit encensoir d'argent
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pesant 6 marcs ; plus deux grands pesant les deux 14 marcs une once ; deux navettes qui pèsent 3 marcs et demi avec les cuillers; 7 grands chandeliers pesant 45 marcs ; un benoistier d'argent avec le jettoy, pesant 14 marcs 7 onces ; un bassin d'argent, cinq marcs 3 onces ; les grandes chopinettes, 3 marcs 6 onces ; les moyennes chopinettes, 2 marcs 6 onces ; la croix que l'on porte à l'autel aux festes doubles, dans laquelle il y a de la vraye Croix, 6 marcs ; la petite croix, qui a une couronne d'espine, un marc ; le grand calice de vermeil doré marqué d'une levrette avec la patène, 5 marcs ; une autre calice de vermeil d'or cizelé en soleil semé de fleurs de lys, 4 marcs 2 onces ; un autre de pareille façon semé de larmes, 3 marcs 7 onces et demi ; un autre de vermeil cizelé d'une tête de Christ avec les armées séraphines, 2 marcs 6 onces (ces deux calices de la chapelle Notre-Dame) ; un autre cizelé en soleil, 3 marcs 6 onces ; un autre calice de vermeil cizelé avec Histoire cle la Vierge, de 4 marcs 3 onces ; un autre petit calice de vermeil cizelé d'un soleil a la patte avec des armes, 2 marcs 2 onces; un autre doré tout uni la pomme, 2 marcs 1 once ; trois petits calices tous blanc pesans chacun 1 marc 6 onces ; un autre petit calice blanc à pomme doré sur lequel il y a un crucifix avec les armes du chapitre, un marc et demi ; un autre pareil, un marc et deux demi-once ; un autre petit sur lequel il y a une croix gravée, un marc 3 once 1/2 ; un ciboire d'argent mat cysclô pesant 2 marcs 6 onces ; deux petites paix pesant 2 marcs une once; deux grandes paix, 2 marcs ; la crosse de revermeil doré pesant 6 marcs 6 onces ; la boite de vermeil à mettre le pain, un marc 3 onces; une croix de christal garnie de vermeil avec son chassis,; un vase de christal cizelé plain de reliques, garni d'argent doré ; deux petites chopinettes d'argent doré
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pesant 6 onces. Le tout monte à cent soixante et trois marcs quatre onces et demi.
Plus la grande croix de vermeil doré avec son bâton d'argent ; la seconde croix de vermeil doré de même argent; la petite croix de vermeil doré avec son bâton d'argent; le grand bâton de M. le chantre, de vermeil doré; le petit bâton de M. le chantre de vermeil doré avec pierreries ; le grand soleil de vermeil doré cizelé de façon de Paris ; le petit soleil ancien sans pied cle vermeil doré ; trois phioles d'argent où sont les saintes huiles ; un réchaux d'argent servant au grand autel en hyver ; la custode de vermeil doré dans laquelle le le Saint-Sacrement est suspendu au grand autel ; le bassin avec ses chaînes d'argent où est le cierge de Corpus Christi au grand autel ; plus deux bras de bois couvert d'argent où il y a des reliques.
V. — INVENTAIRE DE SA1NT-HILAIRE (1712)
(Communiqué par M. l'abbé Buisard.)
Inventaire général de l'argenterie, des reliques, des ornements, linges, livres, meubles de tapisserie, de bois et autres de l'église paroissialle de SaintHilaire de Tours, fait au mois de juillet 1712 K
I. L'ARGENTERIE. — La grande croix d'argent pour les processions. Le bâton de la même croix tout couvert d'argent. La petite croix d'argent pour le maîtreautel. La lampe d'argent. Deux encensoirs d'argent
1 La paroisse de Saint-Hilaire, supprimée à la Révolution, avait son église au nord de la rue des Halles, près de l'impasse encore dite de Saint-Hil'iire.
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avec chacun leur navette et leur cuillière aussy d'argent. Qu'aire chandeliers d'argent. Le bénitier d'argent avec son goupillon aussy d'argent. Le soleil d'argent avec son pied d'argent. Un calice d'argent en vermeil dorré cizelé. Un autre calice d'argent ou est un écusson de Saint-Hilaire. Un autre calice d'argent en vermeil plein. Deux burettes de vermeil doré cizelées. Un bassin d'argent au milieu duquel est gravé le nom de Jésus. Un ciboire de vermeil doré cizelé. Un autre ciboire d'argent blanc pour le viatique. Une coquille d'argent pour lesbatêmes. Une boete d'argent, dans laquelle sont les deux vaiseaux des saintes huiles, aussy d'argent, qui servent aux batêmes. Un vaisseau d'argent pour l'extrême-onction. La couronne et les deux anges d'argent pour l'exposition du Saint-Sacrement. Le bâton du marguiller en baleine orné de plaques d'argent. La petite croix de vermeil doré, dans laquelle on croit être enfermé un morceau du bois de la sainte Croix. Le petit coffre façon cle tombeau dans lequel sont plusieurs reliques, couvert d'une feuille d'argent. Les deux chandeliers d'argent bruny et haché. La sonnette cle même argent haché. Les deux instruments de paix d'argent haché. Le pied d'estal de bois argenté servant à soutenir les deux anges d'argent pour l'exposition du Saint-Sacrement. Deux petits chandeliers d'argent qu'on met sur l'autel lors de l'exposition du Saint-Sacrement avec deux bougies.
II. LES RELIQUAIRES. — Deux reliquaires de bois doré où sont plusieurs ossements de saints sur du tapis rouge. Deux bras dorés où-sont les reliques de saint Venant et de saint Cederin ou saint Celerin cardinal, dont autrefois on faisait la feste dans cette église le 7 de may, et dont l'autel était posé proche la chaire du prédicateur ; on l'invoquait pour les ardeurs. Deux reliquaires de bois doré soutenus par deux anges. Deux
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grands bustes de bois argenté où sont les reliques de saint Félix et de sainte Colombe. Deux petits tableaux en bordure doré où sont des reliques. Un ancien reliquaire, où il n'y a plus cle reliques, de bois de cormier façon d'ébène, en forme d'architecture, dans lequel est le véritable portrait de saint Hilaire, qui a été donné par M. Testu, secrétaire du Roy, fabricier de cette église en 1607, qui le choisit entre les plus curieuses pièces du cabinet du château de Gaillon, maison de campagne des archevêques de Rouen, — au sr Catherin Ferrand, prêtre habitué de cette paroisse, qui en fit présent à M. Dupin, ancien prieur. L'enchassure ancienne de bois, dans lequel il était, avait cette inscription à l'entour de la moulure en lettres d'or : Sanctus Hilarius episcopus et doctor pictaviensis.
III. LES TAPISSERIES DE HAUTE LISSE ET VERDURE. — Une pièce ancienne de tapisserie où sont les figures du crucifix, de la sainte Vierge, de saint Jean, de sainte Anne, et de saint Hilaire. Une tenture de verdure contenant quatorze pièces garnies de toille pour tendre toute l'Église. Un tapis à feuillages où est représenté le mystère de la Visitation de la sainte Vierge servant à couvrir le banc de fabrique. Deux carreaux de tapisseries pour servir aux épousailles. Un grand tapis de Turquie pour le marchepied du maître-autel doublé de toille. Un autre tapis plus petit aussy de Turquie doublé pour couvrir le sanctuaire. Un fauteuil de bois de noyer tourné avec deux tabourets, garnis de crin, couverts de tapisseries de roses, pour le prêtre à l'autel et ses ministres. Un tapis de roses pour la grande crédence aux festes solennelles. Trois bancs couverts d'une serge violette avec une frange do soye aurore pour les jeunes élèves de la maîtrise pendant le service.
IV. LES LIVRES DE L'ÉGLISE. — Un grand missel
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romain neuf avec plusieurs estampes fines. Un autre grand missel neuf couvert de veau marbré. Un autre missel in-quarto couvert de maroquin rouge. Deux autres missels anciens que j'ay fait relier. Deux rituels romains, un neuf, un vieux, que j'ay fait relier. Deux graduels, l'un neuf, l'autre vieux. Quatre agenda pour les deffunts. Trois processionnaux anciens. Six processionnaux neufs. Deuxantiphonaires romains anciens. Un grand antiphonaire neuf. Un supplément du missel romain à l'usage de ce diocèse. Un grand graduel de velin pour chanter les messes des deffunts. Un j)seaultier in-quarto couvert de parchemin. Deux pseaultiers très-anciens. Un martyrologe romain. Un petit graduel romain.
V. LES ORNEMENTS DE L'AUTEL. — 1° Couleur blanche. — Un parement de broderie de laine et soye, couleur blanche, relevé de fleurs de soye, deux crédences, un chasuble, deux tuniques, deux étoiles, trois manipules, le voile, la bource et la chappe de même façon, pour les festes solennelles. Un ornement complet de brocard à fond blanc et grandes fleurs rouges, composé du parement, de deux crédences, chasuble, deux tuniques, bource, voile du calice, et de trois chappes, le tout par bandes chapperons et orfrois de moire d'or, avec dentelle, gallons et frange d'argent fin, et une petite chappe idem pour les festes de seconde classe. Plus huit tuniques, dont il y en a deux grandes et six petites ; quatre grandes chappes de même étoffe avec des gallons et franges d'or faux, avec un petit voile pour lé pulpitre de l'autel, le tout pour l'office des festes solennelles. Un parement et deux crédences de point à la turque à fond blanc et fleurs au naturel. Un parement en broderie, où sont représentés les mystères de la naissance, de la mort, de la résurrection du Sauveur. Un chasuble de satin blanc avec des
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fleurs rouges. Un chasuble de damas blanc avec une ancienne broderie. Un chasuble de damas blanc usé avec des galons de soye aurore. Un chasuble usé de damas à petites fleurs blanches et rouges. Un chasuble de camelot blanc usé. Chaque chasuble susditte a son étole et manipule. Une écharpe de moire d'argent pour le Saint-Sacrement. Une grande étoile de satin blanc, doublée de taffetas rouge, brodée d'or fin, usée.
Trois grands yoiles, deux de moire blanche brodée de fleurs, et un autre de damas blanc à fleurs pour les trois pulpitres du choeur. Deux petites tuniques de satin de Bruges, de couleur blanche, avec des broderies, vieilles. Deux autres petites tuniques de damas aurore avec de la broderie, vieilles. Deux rideaux de damas blanc avec des franges d'or faux pour la chapelle de la sainte Vierge. Une niche pour le SaintSacrement de velours à la turque à fond d'argent, avec une bource du même velours. Une chappe de moire d'argent avec des orfrois et un chaperon de satin à fleurs et gallons d'or faux. Une chappe d'un gros taffetas aurore avec son chaperon et orfrois de damas à fleurs blanches et rouges. Une chappe de moire, couleur de cerulle, parsemées de grandes fleurs brodées avec un chaperon et orfrois de satin blanc à fleurs, et des gallons et franges d'or faux. Quatre voiles blancs de calice pour les jours ouvriers. Huit coussins de damas blanc pour les quatre petits autels. Deux coussins de tapisserie très-belle. Un petit lit de damas à fleurs rouges et blanches, qui servait cy devant le jour du Jeudi saint. Quatre parements blancs pour les petits autels, dont trois sont relevés de broderie de soye sur un damas, le quatrième sur un damas à gallon et franges d'or faux. Un petit pavillon d'indienne pour le tabernacle de la chapelle de la sainte Vierge.
Un petit pavillon de moire d'or avec une dentelle
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d'argent pour le saint ciboire, en 1740. Un petit pavillon fond rouge à fleurs d'or pour le second saint ciboire, en 1751. Une chappe à fond blanc à fleurs, à gallon d'argent et crespine d'argent, en 1752.
2° Couleur rouge. — Un ornement complet de velours rouge cramoisy, consistant en parement du maîtreautel, deux crédences, chasuble, deux tuniques, revêtues de leurs étoiles et manipules, deux chappes à chapperons et orfrois d'étoffe d'or et argent fond blanc, gallon et franges d'or fin, et une. des franges d'or faux, le total doublé de taffetas rouge ; voile de calice et bource du dit velours. Un grand dais de velours cramoisy, doublé de taffetas rouge, orné de gallons et franges violettes et trois glands d'argent fin. Le châssis doublé du même taffetas. Six bâtons couverts aussy de taffetas rouge, relevé d'un gallon d'argent fin. Un petit lit avec quatre colonnes torses et quatre flammes dorées, composé de deux grands rideaux, ornés de gallons et franges d'argent fin, le tout de velours cramoisy, pantes du même velours, dossier de taffetas et tous les rideaux aussy, doublés de taffetas, avec une petite courtepointe. Un parement de damas rouge, chasuble et deux tuniques, deux crédences, une chappe, une bource, et voile de calice de même étoffe. Deux chappes de velours rouge avec une dentelle d'argent faux. Deux chappes à fond rubis et grandes fleurs avec dentelle et gallons faux. Un voile de satin rouge bordé d'or et d'argent fin pour le calice. Deux voiles de damas rouge pour porter les reliques à la Ste-Messe les grandes festes. Un dais pour porter le St-Viatique aux malades de damas rouge à franges fausses. Un gros oreiller rouge bordé d'or et d'argent fin. Deux petits pavillons de brocard rouges pour les Sts-Ciboires. Deux couvertures de toille rouge pour les reliquaires des Crédences. Une étoile de velours rouge avec une.bource pour porter le
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St-Viatique. Le parement de la chaire du prédicateur avec une grande pante pour le dais et le dossier, de damas rouge avec des franges de broderie de soye. Un petit pavillon de damas rubis, orné cle dentelles d'or et d'argent faux pour le tabernacle de la Sainte Vierge (il a été volé). La couverture du grand pulpitre de damas avec frange de soye et broderie. Les couvertures des pulpitres de l'épitre et cle l'évangile, idem. La bannierre de damas rouge frange d'or avec l'image de la sainte Vierge et de saint Hilaire. Six rideaux de taffetas rouges pour couvrir les trois tableaux du maître autel, et deux autres pour la chapelle de Saint-Joseph. Un chasuble de gros taffetas rouge, étole, manipule, voile et bource. Un autre chasuble de camelot rouge, étoile, manipule, bource et voile. Huit coussins de damas rouge pour les petits autels. Quatre parements de damas rouge avec une frange d'or faux pour les petits autels. Une couverture de toille cirée pour le grand dais, en cas de pluye à la procession de SaintSacrement. Deux chappes de velours cramoisy rouge avec des orfrois et chaperons de satin à fleurs d'or et d'argent fin, avec les gallons et franges d'or fin, doublées de bougran, pour accompagner les deux autres mentionnées au 1er article des ornements rouges. Une " tablette couverte de taffetas rouge cramoisy, orné de galons fins et frange, pour porter le Saint-Sacrement à la grande procession, en 1712. Un chasuble de damas rouge à galons et franges d'or, en 1745. Un clais pour porter le Saint Viatique, de damas rouge à galons et franges d'argent, en 1745.
3° Couleur verte. — Un chasuble, étoile, manipule, bource et voile de moire d'argent et or vert. Le pavillon du tabernacle avec la couverture des gradins à frange de soye. Le parement de satin vert à fleurs d'or et d'argent fin, et les crédences de damas vert. Deux
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chappes de damas vert avec des gallons et franges d'or faux. Un chasuble de satin de Bruges, à grandes fleurs vertes et blanches, étole, manipule, bource et voile de calice. Une couverture de camelot vert pour le lutrin. Deux autres cle même étoffe pour les pulpitres de l'épitre et évangile ; un autre plus petit pour le pulpitre de l'autel ; un autre pour celuy du sr prieur. Quatre petits parements verds pour les petits autels, un de damas, un de camelot, deux de satin de Bruges. Quatre coussins verts pour les petits autels. Un tapis verd pour la table de la sacristie. Un petit pavillon verd pour le tabernacle de la chapelle de la Ste Vierge, et un d'étoffe d'or et d'argent pour le St ciboire. Un tapis verd pour couvrir le maître-autel. Un pavillon de toille indienne à fond blanc pour couvrir le tabernacle. Six rideaux de toille indienne à fond rouge pour les tableaux du maître autel, et deux tuniques même étoffe pour les deux bustes argentés qui sont sur les crédences. Une chappe de damas vert prez à galons et frange d'argent fin, léguée par Me Fouquet, faiste*en 1735. Deux chappes de damas vert à galons et frange de soye blanche, en 1745.
4° Couleur violette. — Un pavillon et la couverture des gradins pour le tabernacle et les dits gradins, de gros taffetas violet avec frange aurore. Un parement, deux crédences et une chappe d'un damas violet à grandes fleurs, avec une-dentelle et frange d'or et d'argent faux. Un chasuble, étoile, manipule, bource et voile de damas violet à petites fleurs, avec une dentelle d'or et d'argent faux. Un autre chasuble de damas tanné, figuré d'or, avec une croix de satin rouge, bordé; étoile, manipule, voile et bource de taffetas violet. Un parement d'autel, deux crédences, un chasuble, étoile et manipule de camelot violet. Six petites couvertures violettes pour les croix des autels et la
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grande croix en carême. Deux étoiles violettes, l'une pour les batêmes doublée d'un taffetas blanc, l'autre pour l'extrême-onction doublée de taffetas verd foncé et blanc. Un petit pavillon pour le saint ciboire d'un gros taffetas violet. Quatre coussins de damas violet pour les petits autels. Trois couvertures de damas violet pour les trois grands pulpitres. Une robbe violette doublée de rouge pour le marguiller. Une robbe de camelot violet pour le portier. Deux petites couvertures de cotton violet pour les deux statues du grand autel en carême. Quatre parements de damas tané pour les quatre petits autels. Un parement, deux crédences cle damas violet à frange et galons de soye blanche, deux chappes, un chasuble, deux étoles, trois manipules, bource et voile, et sept voiles pour couvrir les crucifix en carême, ornement neuf. Une chappe de damas violet cramoisy fin, à galon et frange d'argent fin, légué par Me Fouquet, faite en 1735.
5° Couleur noire. — Un grand drap mortuaire de velours noir servant de contretable au maître-autel. Un autre drap mortuaire de velours neuf, à croix de • satin blanc. Deux rideaux de calmande pour couvrir les tableaux des crédences, à frange de soye noire blanche. Un parement avec deux crédences de velours, avec des croix de satin blanc et têtes cle mort. Deux chappes de velours noir, chaperon et orfrois de satin blanc. Une chappe de trippe noire avec son chaperon et orfrois de satin. Cinq chasubles de velours noir, étoles, manipules, un voile de calice de satin noir brodé d'argent fin avec la bource aussy brodée idem. Quatre autres voiles de taffetas et velours noir. Quatre coussins de damas noir et deux de velours. Une étole de velours noir parsemée cle larmes d'argent fin, avec trois croix en broderie et une frange d'argent fin. Un chasuble de camelot noire avec les deux tuniques toutes
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usées. Quatre parements noirs pour les petits autels. Deux voiles de crespe pour les pulpitres d'épître et d'évangile, Une étole de damas noir. Deux couvertures avec des croix blanches pour les messes des morts. Un grand pavillon de crespe noir pour couvrir le tabernacle. Un chasuble, étoile, manipule, voile et bource de ras Saint-Maur, avec des gallons et franges d'or faux, toute usée. Un chasuble et deux tuniques de tabis. noir avec des gallons de soye blanche, les étoiles et manipules. Un drap mortuaire neuf de calmande avec une croix de serge blanc. Un autre drap mortuaire neuf, très court, de calmande noire avec une croix de serge blanche pour mettre sur les cercueils. Un parement de damas noir orné de trois lais de moire d'argent avec une frange d'argent fin, deux crédence de damas noir avec un demy lais chacune de moire d'argent. Un chasuble, étoile et manipule du même damas noir, une croix de moire d'argent fin au dit chasuble, le voile du même damas orné d'un gallon d'argent fin, une bource de simple damas, plus deux voiles simples, l'un de damas noir et l'autre de triple ou pluche, ornés chacun d'un gallon dé soye noire et blanche. Un pavillon de toille indienne pour le tabernacle, six rideaux d'indienne pour les tableaux du maître autel, et deux tuniques pour couvrir les bustes argentés, où il y a des reliques.
VI. L'ÉTAIN ET LA CUIVRERIE.— Une fontaine d'étain fin et son bassin pour laver les mains dans la sacristie. Quatre burettes d'étain et un bassin d'étain fin. Une lampe de cuivre. Un grand bénitier et deux petits de cuivre. Quatre chandeliers à trois pieds de cuivre. Six petits chandeliers cle cuivre. Trois boôtes de cuivre pour faire les questes dans l'église. Une lanterne de fer blanc pour le saint viatique. Une échelette pour servir au saint viatique et aux processions. Trois écritaux
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pour les indulgences et les prières de quarante heures. Un petit réchaux et une paire de pincette pour les encensoirs. Un grand chandelier'de fer doré à huit branches qui est placé au milieu du choeur. Plusieurs tringles de fer à rideaux pour les grands tableaux du choeur, et huit autres tringles de fer attachées aux petits autels, non compris six qui sont attachées au maître autel. Deux grands bassins d'étain fin pour porter les oblata aux festes solennelles. Deux petits chandeliers de fer pour attacher aux pulpitres pour les matines en hiver.
VII. LES MEUBLES DE BOIS. — Une croix de bois avec son bâton et huit chandeliers de bois noirs, tous piqués de vers. Trois croix pour les petits autels et un d'ébeine-à Christ d'y voire au maître autel. Des canons et évangiles de St-Jean pour les cinq autels. Un chandelier pour les ténèbres. Un chandelier pour le cierge pascal et sa tige de bois revêtue de cire blanche. Trois pulpitres scavoir pour le lutrin, les épîtres et évangiles, et trois autres au choeur, un petit pulpitre pour les messes. Six escabeaux pour M. le prieur et ses chantres. Un fauteuil, deux tabourets, couverts de drap violet, cy-devant couverts de tapisseries. Quatre chandeliers de fer pour mettre à côté des deffunts. Deux bras de bois noir au maître-autel. Trois grandes armoires dans la sacristie pour serrer l'argenterie, le linge et ornements». Deux grands coffres pour serrer les tapisseries. Une grande table pour mettre les ornements du célébrant et de ses ministres où ils s'habillent. Un crucifix et un miroir à.bordure d'ébeine. Deux boetes pour le pain d'autel. Un chevallet et une main de fer pour la croix d'argent, et quatre grands chandeliers de fer. Un grand chandelier à deux branches pour les matines en hiver. Deux grands bancs de boisdediesne dans la nef, quatre bancs dans le choeur,
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outre les quarante stalles, et deux bancs dans la chapelle de la Ste-Vierge. Un grand bénistier façon de coquille avec son pied de marbre blanc, entouré d'une balustrade de fer. Un autre bénistier creusé dans la pierre, couvert de plomb, enfoncé dans'le mur. L'horloge sonnante et son cadran et son timbre, une boëte pour les poids. Une grande armoire dans la chapelle de la Ste-Vierge, où l'on met le dais de velours cramoisy ; deux autres en ycelle chapelle pour mettre les ornements qui sont entre le confessionnal de M. le prieur; deux autres entre celui de M. le vicaire pour mettre les tableaux de l'église, la cire et l'huile. Une armoire dans la chapelle de la Ste-Vierge attachée au mur pour mettre les titres de la fabrique. Quatre fiches de bois couvertes de cire qui servent au maître-autel. Un tronc pour l'hôpital général. Quatre bras dorés pour accompagner le maître-autel. Un canon, l'évangile de S t-Jean et le lavabo avec leur bordure dorée. Quatre chandeliers de bois argenté. Une grande table servant de crédence dans le sanctuaire, et une petite ronde pour bénir le pain. Plusieurs cannes pour allumer et éteindre les cierges et des éteignoirs de fer blanc. Une douzaine de supports pour suspendre les chasubles. Deux boetes de sapin pour mettre les flambeaux, cierges et fiches. Un cercueil pour les pauvres. Plusieurs petites boëtes pour serrer les lavabo, dentelles, etc. Un petit marchepied pour le tabernacle. Une porte de toille cirée et deux autres de sapin pour abbatre le vent des portes de l'église. Trois impériales de bois doré pour le maître-autel et ses crédences. Un petit tabernacle de bois doré placé à la chapelle de la Ste-Vierge, un crucifix dessus de même bois et un Crist de fonte. Un grand tabernacle de bois doré au maître-autel. Une tablette couverte de toille pour porter les ornements dans la sacristie. Un soliveau de
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quinze pieds tenant en l'air à la muraille, une grande table et des cordes pour le reposoir du Jeudy-St, à la chapelle de la Ste-Vierge. Une table couverte de taffetas rouge, ornée de frange et galon d'argent fin, pour porter le St-Sacrement, à la feste du St-Sacrement, à la procession. Des planches à deux rangs toutes neuves sur le lambris de la nef de l'église pour aller aux échelles qui conduisent au clocher ; trois autres planches derrière le maître-autel. Cinq cadres de bois de chêne en menuiserie et sculpture pour accompagner les parements des cinq autels, outre la menuiserie qui accompagne les côtés du maître-autel. Une lanterne de ver dans la nef pour éclairer pendant l'hiver. Une armoire suspendue à la chapelle de St-Joseph pour y placer la bannière neuve.
VHI. LINGE DE L'ÉGLISE. — Trois aubes de toille fine à dentelle. Trois aubes de baptiste unies, dont une a une dentelle. Deux aubes neuves de toille commune, dont une a une petite dentelle. Une neuve de grosse toille à dentelle. Une aube demy usée de toille à une petite dentelle pleine. Quatre aubes d'une grosse toile usée. Sept petites aubes pour les enfants presqu'usées. Deux nappes toute de dentelle pour la table du pain bény et de la table de la crédence. Cinq nappes pour la table de la communion et une petite. Sept amits neufs et six amits vieux. Six ceintures neuves de fil, quatre ceintures de soye, et quelques autres ceintures de fil usées. Vingt corporeaux, dont plusieurs sont très propres. Quatre douzaines de purificatoires et vingt lavabo. Treize nappes d'autel, dont il y en a cinq grandes et les autres servent indistinctement. Quatre essuys-mains en tournois à la sacristie pour la messe. Les deux costés du maître-autel à toille ornée de dentelle, et deux nappes pour les crédences à dentelle. Deux tours de dentelles pour les ornements des cré-
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dences. Deux dentelles pour le bas des nuages qui servent à l'exposition du St-Sacrement. Trois voiles fins à dentelles pour les oblata. La grande nappe à dentelle de point pour la crédence. Deux voiles pour conserver les parements, dont l'un est de mousseline unie, et l'autre cle mousseline à dentelle. Trois aubes neuves, toille de Rouen. Six rideaux cle toille verte, attachés aux croisées de l'église qui sont du côté du soleil, du midy et du couchant.
IX. CATALOGUE DES TABLEAUX DE L'ÉGLISE TOUS A CADRES DORÉS. — Un Jésus en croix. Un Jésus résuscité. Une descente du St-Esprit. Un St-Jean décolé. Un Jésus avec les disciples d'Ernmaûs. Une Magdeleine consolée par les anges. Un Jésus resuscité. Un st Cardinal nommé St-Cerénic. Un Jésus accompagné de la Ste-Vierge et de St-Jean-Baptiste. Un St-François de Sales. Un Jésus à la colonne. Une Ste-Vierge. Une Magdeleine. Une Ste-Vierge tenant son fils Jésus. Un St-François d'Assise. Une tête de mort. Une Vierge tenant son fils Jésus. Un St-François de Sales dans la gloire. Une Vierge tenant son fils, sur du cuivre. Une Vierge tenant son fils, à petits points. Un Jésus mort descendu de la croix sur les genoux de sa Ste Mère. Et dans la sacristie : un St-Jacques; une nativité; un Jésus crucifié; l'ordre romain pour encenser; ste-Marguerite; une Magdeleine; une Visitation.
(Extrait du journal de Jacques-Louis Chambault, chanoine régulier de St-Augustin, cle la congrégation de Stc-Geneviève cle Paris, prieur-curé de St-Hilaire de Tours 1711-1762. — Archives du Petit-Séminaire de Tours.)
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VI.—INVENTAIRE DU COUVENT DES MINIMES DU PLESSIS (vers 1770)
Le 28 avril 1790, les officiers municipaux de la Riche dressèrent l'inventaire du "couvent des Minimes. Cet acte est conservé dans les archives de la mairie de Sainte-Anne et a été publié en substance dans l'Histoire de Saint François de Paule Ip. 375-83). Nous y renvoyons pour ce qui concerne la sacristie, à savoir l'argenterie et les ornements. Mais nous possédons, en outre, un Inventaire, à la fois descriptif et historique, des oeuvres d'art du couvent dont le manuscrit fut rédigé par les Minimes vers 1770, sous le titre Notes historiques sur l'établissement du couvent roial du Plessis-lès-Tours rangées par ordre alphabétique. Ce manuscrit appartient à la bibliothèque de la Société archéologique, et une copie en est conservée aux archives du département d'Indreet-Loire. Aussi, en raison de l'importance historique du couvent du Plessis et de l'intérêt des objets qu'il renfermait, nous estimons opportun de publier ces notes pour la partie qui se rattache au mobilier artistique, possédé par le monastère des Minimes au milieu du xviiie siècle. On y trouvera d'ailleurs une foule d'indications sur ce qu'était ce mobilier aux siècles précédents.
Trésor des reliques. — (Inventaire avec développements historiques, de la page 88 à la page 116.)
Art. 1. —Vraie croix et relique de S. Jean-Baptiste données en 1680 par le P. Julien Alloyau, minime, et enchâssée dans une grande croix d'argent ciselée, faite en partie aux frais du couvent et en partie d'argent trouvé au tronc du trésor.
Art. 2. — Châsse de S. François de Paule, grande châsse de bois couverte de lames d'argent donnée en 1582 par M. Jean de la Rochefoucault, abbé de Marmoutier, dans laquelle ont été déposés le 29 novembre tous les ossemens et reliques de S.François. Sur cette châsse on lit sur une lame d'or : Dei divique Francisci a Paula honori et cultui generosus D. Joarines
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de la Rochefoucault, abbas meritissimus majoris monasterii sua summa et pervulgata pietate me dicavit an. 1582.
Art. 3. — Petit reliquaire et figure d'argent de S. François de Paule tenant en sa main droite une petite médaille sur laquelle on lit charitas, posé sur un piédestal carré de bois noirci garni de cartouches d'argent, sous les pies duquel sont renfermées dans un autre espèce cle piédestal d'argent doré garni de glaces et octogone des reliques du saint ; derrière le reliquaire, on voit les armes de la famille cl'Alesso qui porte « d'azur au sautoir d'or accompagné de quatre limaçons d'argent ». Ce reliquaire a été donné en 1546 par MM. les petits neveux de S. François, Jean d'Alesso de Lezeau, Me cle la Chambre des Comptes, et Marin d'Alesso, abbé de Fermoutier, en Picardie, prieur de de N.-D. de Liesse et chanoine de St-Martin, mort en 1580 et inhumé dans la chapelle du cloître de ce couvent avec son père et sa mère.
Art. 4. — Reliquaire d'argent représentant la SteVierge tenant sur ses bras l'enfant Jésus, sur un piédestal d'ébène octogone garni de cartouches d'argent. Cette figure d'argent a été fabriquée à Paris à la fin de 1682 ou au commencement de 1683, grâce à un legs de 600 livres de M. Jean de Mourgues, missionnaire apostolique décédé à Hambourg en 1681, en vue de la construction de cette image d'argent cle la Ste-Vierge. En 1626, Mgr Henri de Bourbon, prince de Condé, et dame Charlotte de Montmorency son épouse donnèrent par voeu un reliquaire d'argent pesant 58 marcs pour y renfermer le St Cordon de S. François, en reconnaissance de ce qu'ils avaient obtenu Louis de Bourbon, duc d'Enghien ensuite prince de Condé, et Françoise de Bourbon, mariée à Mgr le duc de Longueville. Ce reliquaire représentant ce prince, la princesse et
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leurs deux enfants à genoux au-dessous d'un rouleau porté par trois anges, sçavoir deux grands aux extrémités et un petit au milieu, tous massifs. Au-dessus du rouleau était la figure de S. François de Paule dans un soleil d'argent entouré de ses rayons ; dans le rouleau était renfermé le cordon que le saint portoit en mourant.
Art. 5. — Petit reliquaire et figure d'argent de S. François de P. tenant en sa main gauche une petite chapelle d'argent, posé sur un piédestal d'ébène octogone garni de cartouches d'argent, creusé et garni d'une glace, dans lequel pié sont un ossement de la cuisse de S. Hyacinthe et une lettre de S. François de Sales au P. de Billy minime ; il y a encore dans le trésor des reliques une autre lettre de S. François de Sales dans un cadre doré à deux glaces. Ce reliquaire a été donné au mois d'août 1627 par M. de Villandry ; il pèse marcs 5 onces 4 gros ; on voit ses armes sur ce reliquaire.
Art. 6. — Grande châsse d'ébène garnie de cartouches, lames, chapiteaux et autres ornemens d'argenterie, de rosettes d'écaillé et de glaces (Nate de S. François de P.). En 1620, Henry de Bourbon, prince de Condé, et dame Charlotte de Montmorency donnèrent 240 1. pour faire une châsse afin de renfermer cette nate ; en 1625, le P. A. Jardin, sacristain, fit faire un châsse sur laquelle a été peinte l'image de S. François de P. expirant. En 1644, Fr. Gauguin oblat habile menuisier et tourneur commença à faire cette châsse d'ébène par l'ordre du P. Amirault provincial et l'acheva dans la seconde année du provincialat clu P. Gauthier ; on transfera la nate de la châsse précédente dans cette belle châsse, en 1646. On lit dans l'ancien inventaire des reliques qu'il y a au-dessus de la châsse d'ébène deux plates figures de cuivre dont l'une représente la Ste4
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Vierge tenant l'enfant Jésus sur son bras, et l'autre S. François de P., et à costé sont : deux chandeliers façon d'ébène garnis de quelques feuilles d'argenterie ; ces deux figures ne sont plus attachées au-dessus de la châsse, on les laisse à présent aux deux côtés avec les chandeliers ; les matières employées à cette châsse ont coûté 585 1. 15 s.
Art. 7. — Grand reliquaire et figure d'argent de s. François de P. passant la mer sur son manteau, posé sur un piédestal d'argent creux et garni d'une glace, le tout posé sur une base de bois noirci. Le P. M. Portays fit faire à Paris ce reliquaire; il est du poids de 42 marcs 6 onces et demie, sa hauteur est de deux pies huit pouces, le tout a coûté 1729 1. 15 s. (1647).
Art. 8. — Grand reliquaire et buste d'argent de s. François de P. sur une base cle bois noirci et creusé, garnie d'une glace. M. Charles Mis de la Vieuville, surintendant des finances, étant détenu prisonnier d'Etat en 1653, dans le château d'Amboise, fit voeu à Dieu pour obtenir sa délivrance par l'intercession de s. François de P. Lorsqu'il fut délivré il donna 1500 1. avec lesquelles on a fait fabriquer à Paris cette figure ; au bas sont les armes de ce seigneur. On conserve encore dans le réfectoire au-dessus de la place du supérieur le modèle en bois qui fut fait alors pour l'usage de l'orfèvre, on l'a envoie de Paris avec le buste d'argent.
Art. 9. — Tableau garni d'une bordure dorée unie à deux glaces, l'une au devant, l'autre au revers (lettre de s. François de P. à Charles VIII).
Art. 10. — Messel ancien en papier couvert de velours rouge garni d'argent aux quatre coins et au milieu de deux fermoirs d'argent avec un reglet à tête aussi d'argent ; à la lin un ancien morceau de parchemin avec date delà mort de s. François de P. Ce messel est un des deux mentionnés sur l'inventaire des
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meubles et effets de la chapele et couvent de s. Mathias accordés à s. François de P. par Charles VIII (6 mai 1488) et qu'il eut permission d'emporter en son nouveau couvent du Plessis du Parc avec les autres meubles dont Met ses disciples se servaient dans leur petit couvent ou hospice de s. Mathias, dans lequel ils demeuraient dans la basse-cour du château du Plessis. (Il y a encore des vestiges dans les bâtiments neufs situés en dehors et à gauche de l'entrée du château.)
Le reglet à tête d'argent massif valant demie pistole fut mis le 12 septembre 1686 par le P. Perrein correcte ur.
Art. 11. ■— Deux châsses de bois doré des saints apôtres et autres saints. Elles ont chacune de longueur un pié et demi ; à l'entour de chacune il y a douze niches garnies de reliques et fermées d'une petite glace, dont quatre de chaque côté et deux aux extrémités ; sur la couverture est une glace (les dépôts de reliques paraissant du xvir 9 siècle).
Art. 12. — Reliquaire d'argent doré de st 0 Madeleine, sur le pié duquel sont deux anges à genoux qui soutiennent un vase ou reliquaire oblong couvert d'une glace (partie de côté), et au dehors du reliquaire est une plaque du même métal sur laquelle est représentée ste Marie-Madeleine à genoux. En avril 1630, le P. Jardin, sacristain, le fit faire à Paris.
Art. 13. — Petit reliquaire et figure d'argent de s. Mathias apôtre tenant en ses mains l'instrument de son martire et un livre. Il y a devant ses pies un petit reliquaire oblong qui est aussi d'argent et couvert d'une glace, le tout porte sur son piédestal quarré noirci, plein etgarni de cartouches d'argent : la figure d'argent a un pié de hauteur. Le P. Portais sacristin fit faire ce reliquaire en 1647, à Paris.
Art. 14. — Châsse de bois peint de ste Pauline martire.
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Art. 15. — Petit reliquaire et figure d'argent de saint Roch avec un ange aussi d'argent à son côté, sur un piédestal octogone debène garni de cartouches d'argent et d'une glace (toile de Hollande ayant renfermé ossements du saint). Ce reliquaire a été fabriqué à Tours chez le sieur Baubé, orfèvre; il pèse 7 marcs 5 onces et demie et a coûté 335 1.
Art. 16. — Reliquaire de bois doré de s. Rubert, oblong et garni d'une glace, porté sur une tige et sur un pié rond aussi de bois doré.
Art. 17. — Petit reliquaire d'étain de Cornouaille, oblong, garni d'une glace, porté sur tige et pié de même métal (ossement de compagnes de ste-Ursule).
Art. 18. — Petit reliquaire de cuivre forme ronde, porté sur pié de même, contenant un agnus Dei. Ce reliquaire parait avoir servi d'ostensoir pour exposer le Saint-Sacrement, si cela est, il est bien ancien et peut être du temps de s. François de Paule. Cependant il n'y a rien de certain dans les mémoires de ce couvent ; on ne porte ce jugement qu'à l'occasion de sa forme.
Art. 19. — Trois grands cadres de bois doré garnis d'une glace et derrière chaque glace sont des cartons ou papier aussi doré découpié à jour en compartiment, contenant des reliques considérables de plusieurs saints martirs ; donnés en 1686 par le P. Jean de Méré provincial des Minimes de Touraine.
Art. 20. — Deux autres grands cadres de bois doré garni chacun d'une glace, ornés en dedans de roulleaux en fleurs et fleurons de papier doré ; un ruban de couleur rose disposé en croix (relique de saint Félix).
Art. 21. — Cadre doré de moyenne grandeur, garni d'une glace et le fond tapissé de tafetas vert, contenant des reliques de s. François de Sales et de s. François de P., dont ; un petit reliquaire ovale de corne
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noircie à deux faces avec d'un côté le portrait en basrelief de s. François de Sales en argent, donné en 1667, un anneau d'or de s. François de Sales, etc.
Art. 22. — Petit tableau de s. François d'Assise d'argent en bas-relief dans un cadre d'ébène garni cle cartouches d'argent, en haut duquel est une relique de s. Brice, évêque de Tours.
Art. 23. — Tableau avec bordure dorée à deux glaces où,une lettre de s. François de Sales au baron de Luz.
Voeux. Croix. — Art. 24. — Une grande croix d'ébène de la hauteur de 2 coudées portée sur un pié garnie d'un Christ d'argent dont la couronne d'épines est dorée, garnie d'argenterie aux extrémités, et sur le pié de la croix est une image en bas-relief d'argent, représentant la sépulture de N.-S.-J.-C, donnée par Mme l'abblesse de Beaumont, Mme de la Bourdaisière.
Art. 25. — Un crucifix à côté duquel sont les images de la sainte Vierge et de saint Jean l'évangéliste, le tout d'ambre jaune dans un tableau profond garni d'un cadre doré et d'une glace, donné par M. Souchai de Nantes. Un metteur en oeuvre a apprécié ce tableau, en 1771, à la valeur de mil louis ou vingt quatre mil livres de notre monnaie actuelle.
Art. 26. — Une petite croix de Jérusalem de bois marquetée aportée et donnée par le frère Hermel Joubert.
Art. 27. — Une croix d'argent de chevalier de Malthe garnie d'une agate au milieu sur laquelle est représentée une sainte Vierge debout ; au revers de la croix, des reliques des ss. apôtres et înartirs ; la dite croix garnie cle sa chaîne et de son bouton ; donnée au trésor par le P. Olivier Juliene correcteur de ce couvent le premier novembre 1727.
Voeux. Tableaux. — Art. 28. — Grand tableau d'argent, entouré d'un cadre d'ébène garni de cartouches
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aussi d'argent représentant en bas-relief s. François de Paule dans un ciel bénissant un petit enfant couché dans son berceau ; au-dessus du tableau sont les armes de messire François Marie de la Rovère, 2e du nom et 5e duc d'Arbin, et dame Lucie de la Rovère sa parente et son épouse, mis à l'autel du tombeau. — Ce voeu a été apporté en 1608 dans le couvent de leur part et de la part des habitans de la ville de Pesaro par les seigneurs Pierre Galli et Valere Pompei, en action,de grâce de la naissance d'un fils et héritier du d. seigneur duc, lequel enfant fut nommé le prince Frédéric Ubalde, et depuis a été Frédéric II duc d'Arbin.
Art. 29. — Autre petit tableau d'argent entouré d'un cadre debène, représentant en bas-relief s. François de Paule bénissant un homme à genoux ; donné par le sr Annibal Chrepius Mantouan en reconnaissance des grâces et faveurs qu'il avait reçues de Dieu par l'intercession de s. François de Paule.
Art. 30. — Tableau à bordure de bois doré garni d'une glace, dans lequel est renfermé une image étant le vrai portrait des. François de Paule.
Art. 31. — Deux petits tableaux quarrés de bronze émaillés dont l'un représente s. Michel, l'autre s. François de Paule.
Autres Voeux.'— Art. 32. — Deux petits coeurs d'argent sur lesquels il y a un saint nom de Jésus, mis au trésor en 1708.
Art. 33. — Une médaille de cuivre sur les deux faces de laquelle est représenté s. François de Paule, sçavoir d'un côté son buste, et de l'autre côté dans toute sa hauteur avec quelques-uns de ses disciples ; donnée au trésor par le P. Pierre de la Croix.
Art. 34. — Un gros coeur d'argent donné par Mme Gassot, veuve de M. Gassot, président au présidial de Bourges, le 18 mai 1697.
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Art. 35.— Moitié d'un coeur d'argent attaché par un ruban de soie blanche, mis au trésor en 1723.
Art. 36. — Cinq chapelets de différentes natures, sur l'origine desquels on ne peut rien dire de positif.
Art. 37. — Une petite croix portative d'argent à l'usage des femmes de campagne gravée des deux côtés, représentant les instruments de la Passion de N.-S.
Art. 38. — Une couronne dont les petits grains sont d'amétiste, et les gros grains d'agate.
Art. 39. — Un ruban jaune sur lequel est imprimée la figure du Sauveur dans le sépulcre, lequel ruban est précisément de la même longueur qu'était la hauteur de N.-S.; il est renfermé dans une boîte ronde.
Art. 40. — Deux'petites figures ou statues de bronze dont l'une représente la Ste Vierge, et l'autre S.François de P., avec deux chandeliers de bois noirci façon d'ébène, garnis de quelques fleurons d'argent.
Art. 41. — Un livre in folio couvert de maroquin rouge renfermé dans une boite de cuir noir contenant l'Abrégé de la vie, de la mort et des miracles cle S. François de P., en images ou estampes fines; donné au trésor par fr. Antoine Dondé, minime, qui en est l'autheur. — Les tableaux du cloître sont des copies des estampes contenues dans ce volume.
Statues, images ou figures en relief. — Toutes les figures du grand autel, scavoir la Ste Vierge, les quatre écangélistes, les deux anges qui sont sur les frontons de l'autel, ainsi que les trois figures qui sont à la chapelle du Tombeau, ont été faites par Charles Hoyau, sculpteur du Mans en 1631 ou 1632, lorsque l'on changea la forme de l'église : il mis son nom au bas de la statue de S. Marc. (Les statues de 2 évangélistes sont actuellement dans l'église de la Riche.)
Toutes les figures de la chapelle du Mariage de la Ste Vierge ont été faites par Antoine Charpentier,
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lorsque cette chapelle a été bâtie, en 1650 ; il a mis son nom au bas de la figure de s. Joachim. (Ces cinq statues sont présentement dans l'église La Riche.)
Les figures des chapelles du Baptême de N. S. et du Trépas ont été faites, selon les apparences, en même temps que ces deux chapelles en 1637; de sorte que nous sommes portés à croire qu'elles sont pareillement faites par Charles Hoyau ; cependant les mémoires du couvent ne disent rien.
La figure cle YEcce-Homo, qui est au dessus de la petite porte de l'église, ou porte cle la grande chapelle, n'est point mentionnée dans les mémoires du Couvent. (Cette statue en terre cuite se voit aujourd'hui dans la chapelle des soeurs, rue Aileron.)
La figure de s. Francois-de-Paule dans .une niche au dessus de la grande porte d'entrée dans la cour de l'église, où elle a été placée en août 1609 ; on ne scait qui en est l'autheur. (C'est probablement la statue en terre cuite conservée à cette heure dans la nouvelle chapelle de s. François.)
L'ancien Crucifix avec les images de la <SYe Vierge et de s. Jean-Baptiste, à présent clans le double chapitre des novices, paraissants être les mêmes qui furent faits après les ravages des protestants en 1562 pour être placés sur la porte du choeur, ainsi que les figures sont représentées dans le tableau de l'église où est dépeint l'enlèvement du corps de s. F. cle P. de son tombeau et dans le tableau du cloître qui représente s. Fr. faisant sa dernière communion paschale. Ces statues furent faites en 1586. On ôta de l'église ces trois figures en 1630, lorsqu'on changea la forme de l'église et on remit en place un . beau crucifix de hauteur humaine fait par le même Charles Hoyau du Mans qui avait fait celles du choeur. Ce beau crucifix était, comme l'ancien, au dessus de la cloison du choeur et au-dessus
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de la porte ; il a été enlevé en 1750, lorsqu'on fit faire la la porte du choeur en grille cle fer ; il a été vendu, le 23 mars 1753, aux minimes d'Angers qui l'ont placé dans le choeur de leur église, derrière le grand autel.
Grande figure de la Sta Vierge sur l'autel du vestibule du grand chapitre et autre petite figuré de la Ste Vierge dans l'escalier de bois, données en considération du P. Girard, maître des novices, en mars 1681 parMme l'abbesse de Beaumont avec 701. pour aider aux frais de laboisure de l'autel ; il y a toute apparence que la sculpture de cet autel est du frère Audric, minime.
Figure en buste de s. F. de P. dans le réfectoire audessus de la place du réfectoire ; ce buste est un modèle du grand buste d'argent du trésor.
Figure en buste de Louis XIV au-dessus de la porte de la grande bibliothèque, faite en 1686 par le fr. Audric ainsi que toute la sculpture de cette porte.
Statue de la <Ste Vierge dans une niche au-dessus du grand autel, faite en 1630 par Charles Hoyau. Le même a fait les statues du grand autel des PP. Dominicains à Tours.
Tableaux. — Tableau du grand autel peint à Paris (on ignore l'auteur) en 1631 ou 1632 ; il a coûté 200 1. pris sur une somme donnée par Mgr César de Bourbon, duc de Vendôme, et dame Françoise de Mercoeur son épouse.
Tableaux des deux crédences du grand autel, peints par M. Le Mosnier fils, directeur de l'académie royale de peinture et de sculpture, pour 200 1.
Trois grands tableaux au-dessus des chaires du choeur du côté cle l'évangile, peints savoir le Voeu de Naples après l'année 1629 par le sr Vignon, le tableau des Quatre Voeux par Le Pileur, le tableau de s. F. de P. élevé en l'air à la vue de Louis XI et de toute sa cour, par M. Le Mosnier père.
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Les tableaux et autres peintures des chaires du choeur tant en dehors qu'au dedans ont été faits par fr. Jean Damoiseau, oblat profès de Dijon en 1663 et 1666.
Le tableau, vrai portrait de l'original de s. F. de P. qui est à l'autel de la chapelle du Tombeau et que l'on tient par tradition dans le couvent avoir été peint sur les mêmes planches sur lesquelles le saint couchait et est mort, ainsi que l'autre tableau qui est aussi son vrai portrait original et qui est attaché au pilier de l'église renfermé dans une espèce cle petite armoire, ont été peints d'après nature par son ami le sieur Jean Bourdichon, peintre du roi Louis XII et de la cour, son valet de chambre, qui a été le premier témoin dans le procès de canonisation. Le d. sieur Bourdichon en avait peint un troisième que le roi François Ier envoia à Rome au tems de sa canonisation, lequel se voit encore au Vatican.
Les deux tableaux, qui sont aux autels des chapelles de s. Jean et du Trépas ont été peints par Le Pileur qui y a mis son nom en 1636 ou 1637 lorsque ces deux chapelles furent bâties ; celui du Baptême de N.-S. a coûté 100 L, et celui du Trépas de s. F. de P. 110 1.
Tableaux dans le trésor des reliques (v. plus haut ce qui concerne le Trésor).
Trois tableaux originaux dans la sacristie, scavoir : s. Sébastien peint par le Ticien, peintre vénitien, S. Pierre élevé en croix, du Carache, et s. Pierre renversé, du Dominiquain, dont il y a une estampe gravée par Audran, et signée « Dominiquain pinxit » ; un ancien inventaire attribuait à tort le s. Pierre racourci ou renversé à Volterre. On tient par tradition que c'est M. le cardinal de Richelieu qui a fait présent de ces trois tableaux et qu'il les avait reçus en présent d'un seigneur qui cherchait à se réconcilier avec lui.
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Tableau de la Cène clans la sacristie, peint par le P. Antoine Maugeant, minime, en 1683.
Tableau du Baptême de N.-S. dans le vestibule de la sacristie et celui de Y Annonciation, dans le vestibule du grand chapitre, sont suivant toute apparence peints par Jean Bourdichon.
Tableaux du cloître, commencés en 1619 ; il y en a en tout 54 dont 34 portant des armoiries.
Tableaux du grand chapitre ; ils ont tous été peints par le P. Mangeant, minime (1683). Ils ont été retouchés et gâtés en 1731, aux frais de Mlle Chicoisneau par le nommé David, mauvais peintre. C'est aussi le P. Mangeant qui a peint les patriarches d'ordre que l'on voit dans les embrasures des fenêtres du grand chapitre (l'auteur des PETITS MEM. ANON., p. 109, a copié les vers qui sont au-dessous des figures).
Tableaux du réfectoire. Les trois premiers au-dessus de la porte du réfectoire et au-dedans, et ceux du Lavement des pieds et de Jésus au jardin des Oliviers sont du P. Mangeant (ces trois ont aussi été retouchés et gâtés en 1731). Les tableaux suivants de la Passion : la Prise de Jésus, la Flagellation, le Couronnement d'épines, Jésus portant la croix, Jésus en croix, et Jésus mis au tombeau, ont tous été peints par le Pileur qui travaillait en 1631, avant que le réfectoire fut allongé. En 1661, fr. Jean Damoiseau peignit les consoles et bordures entre ces tableaux qui occupaient la longueur du réfectoire; il a peint les figures dans les trumeaux des fenêtres. Le grand tableau de Jésus que l'on élève en croix est d'un auteur inconnu qui travaillait en 1661.
Tableau de Louis XIVenfant. A la suite d'un voeu fait pour la naissance de son fils, Anne d'Autriche envoya un tableau représentant le dauphin, depuis
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Louis XIV, en 1641 ; il fut placé dans la grande nef au-dessus de l'arceau de la chapelle du Tombeau.
Tableau de l'Annonciation, d'abord dans la chapelle de la Ste Vierge consistant en trois voûtes, et où il devait servir de retable, puis dans le vestibule du chapitre au-dessus cle la porte. Peint sur bois il paraît de main de maître; il y a assez d'apparence.qu'il soit fait par Bourdichon ; sa vétusté, sa forme et ses caractères paraissent assez confirmer ce sentiment ; cependant les mémoires n'en disent rien ; de plus on y voit à main droite et derrière la Ste Vierge les armes de France (alors de Charles VIII) et de l'autre côté ces mêmes armes accolées avec celles d'Anne de Bretagne, ou que nous croions telles car elles commencent à se biffer ; il est vrai qu'il y a une grande faute dans ce tableau, c'est d'avoir placé un crucifix avec la représentation du mistère de l'Annonciation ; ce tableau paraît de même grandeur que celui qui est dans la chapelle de Tombeau ; il a été vendu avec les matériaux de ce chapitre en 1777. Dans la petite chapelle derrière le choeur fut fait et posé, en 1491, leBaptême de N.-S. par s. Jean, qui paraît aussi de Bourdichon ; il aies mêmes teintes et le même caractère, mais sans armoiries; plus tard, on les remplaça par celui de Pileur. En 1650, on refit l'arceau et la voûte de la chapelle de la sainte Vierge et Pierre Bugeaut architecte de Châtellerault a fait la maçonnerie.
Relique tableau et vrai portrait de s. François de Paule au-dessus de l'autel de la chapelle du Tombeau. Ce tableau est original et précieux, aiant été peint d'après nature par Jean Bourdichon, d4 en la ville de Tours, peintre et valet de chambre du roi Louis XII. Le dit Jean Bourdichon a été le premier témoin entendu dans l'enquête faite à Tours pour la canonisation de s. François de Paule, et dans sa déposition il a
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déclaré avoir moulé le visage du saint une première fois lorsqu'il fut mort et avant sa première sépulture à laquelle il déclare avoir assisté. Il a encore déclaré avoir moulé une seconde fois son visage pour le mieux peindre dix ou douze jours après la première sépulture, qu'il l'a embrassé et qu'il n'y a apperçu aucun signe de corruption. Enfin il a déclaré qu'il fut présent lorsque le corps du saint fut enlevé de son cercueil de bois pour être déposé dans son tombeau de pierre.
On tient pour certain que le susd. Bourdichon, ami du saint, peintre du roi et de la cour, est autheur de ce tableau. La tradition de ce couvent constante et suivie jusqu'à nous est qu'il a été peint sur les mêmes planches sur lesquelles le saint reposait lorsqu'il était vivant et sur lesquelles il est mort.
Le sr Bourdichon a peint en outre deux autres ta-r bleaux du saint d'après nature scavoir un autre tableau ou portrait du saint plus petit, lequel est encadré et renfermé dans une boite de bois, le tout étant attaché dans l'église au pilier qui sépare la grande nef de l'église d'avec celle de la chapelle de la Ste Vierge, presque vis à vis le trésor ; enfin un troisième que le roi François Ier envoia au pape Léon X à Rome, au temps de la canonisation du saint, lequel tableau se voit encore à Rome, au palais du Vatican.
Le grand tableau original, vrai portrait du saint qui est actuellement (1771) dans la chapelle du tombeau fut d'abord placé au-dessus de l'autel de l'ancienne petite chapelle du sépulcre du saint, laquelle existait avant 1630, derrière les chaires du choeur dans la grande nef de l'église du côté de l'épitre.
Cette ancienne chapelle du sépulcre laquelle fut bâtie du temps de s. Fr. fut dédiée au baptême de N.-S. Il y a tout lieu de croire qu'au-dessus de l'autel était le tableau représentant le Baptême, actuellement dans
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le vestibule de la sacristie ; par la même raison on pourrait penser que dans la chapelle de la Ste Vierge qui était de l'autre côté, on avait mis du tems du saint le tableau de l'Annonciation actuellement dans le vestibule du grand chapitre, car il paraît à peu près de la même grandeur que celui de la chapelle du Tombeau et paraît aussi fort antique par l'air des caractères.
Il y a tout lieu de croire que le grand tableau du saint peint par Bourdichon fut placé au-dessus de l'autel de l'ancienne chapelle du Sépulcre, en place de celui du Baptême de N.-S. lorsque le saint fut béatifié six ans après sa mort et lorsqu'il fut permis aux religieux de son ordre d'en faire l'office et d'exposer ses images à la vénération des fidèles par la bulle de Léon X du 7 juillet 1513, six ans avant sa canonisation.
On voit le tableau de s. Fr. de Paule par Bourdichon, très bien représenté, si on veut y faire attention dans un autre tableau que l'on voit aussi dans l'église, sur lequel on a dépeint le pillage du tombeau de s. Fr. de P., fait par les protestants le 13 ou 14 avril 1568 (de Coste, p. 251) ; on y reconnoità main droite la petite chapelle dans laquelle on voit le sépulcre à main gauche et dans le lointain on voit à gauche de cette chapelle le grand crucifix au-dessus de la porte du choeur et le tabernacle du grand autel dans le fond : tout cecy est dans la partie gauche du tableau. (Ce dernier tableau fait partie du Musée de la Société archéologique.)
On voit dans le choeur de cette église du Plessis un grand tableau, le plus prochain du sanctuaire, du côté de l'évangile, que l'on appelle le Voeu de Naples; saint François de P. y est représenté dans l'air chassant deux géants qui figurent la peste et la famine ; il est de la main de Vignon.
La nouvelle chapelle du Tombeau étant faite en 1630,
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on l'orna de peinture et de statues; la voûte a été peinte et étoffée par Pileur; les images en relief de s. F. de P. dans une niche et les deux anges par Charles Hoyau. En 1664, sur les dessins du fr. Damoiseau, on l'orna de peinture et dorure. Les chapelles de saint Jean et du Trépas ont été peintes et étoffées par les P. Paul de Saint-Anatole et Julien Gondée minimes ; les deux tableaux des autels ont été faits par Pileur.
La chapelle du cloître ou chambre de s. F. de P. dans le cloître fut bâti, croit-on, vers 1530; on y voyait les armes de François Ier, du dauphin, de Louise de Savoie, du cardinal de Lorraine, abbé de Marmoutier, et de André d'Alesso. Dans les vitres du pignon de la chapelle paraissait ce dernier à genoux priant avec ses enfants derrière lui et sa femme avec ses filles : parmi les garçons il y avait le P. François d'Alesso, minime, et parmi les filles, Anne d'Alesso, religieuse de sainte Claire à Gien.
Tabernacle du grand autel. — L'ancien tabernacle fait en même temps que l'église en 1490 ou 1491, était à 8 pans et 3 étages, haut de 8 pies, tout rempli de piliers à phiole et arcs-boutans, et entre les d. piliers garnis d'embossemens, moulures, tailles, feuillages et couronnement tout à l'entour, garni par dedans d'une voûte faite à croisée d'ogives, remplie de tiercerons à une clef pendante par le milieu du d. tabernacle où se mettait la custode : il fut paie 35 francs. Au-dessus du tabernacle étoit un drap de velours fait à lettres d'or, attaché sur une table de bois pour empêcher que la muraille ne pourisse ce drap qui tenoit lieu de tableau. On ne sait si ce premier tabernacle a été détruit par les protestants, et dans ce cas, comment nos prédécesseurs y ont suppléé.
Pour le tabernacle actuel on fit marché le 6 mai 1689,
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pour 120 1. avec le menuisier Jacques Pin pour faire un tabernacle de noyer haut de 4 pies et long de 9 pies, avec premier corps haut de 18 pouces, et second corps haut de 12'pouces et dôme de 9 pouces ; le dit tabernacle posé de tous côtés sur une caisse. Les places pour poser ce marbre alligées dans les panneaux et frises et autres endroits où il en faudroit mettre et une petite moulure à l'entour des lieux où serait posé le marbre. Le menuisier devait faire les chapiteaux et bases de colonnes, sans lés fournir, et 8 figures de bosse telles qu'elles lui seraient ordonnées par les religieux ; il reçut en outre les planches et 50 fr. pour l'application du marbre. On fit marché avec le marbrier Simon Chevalier pour 240 fr. et un poinçon de vin pour fournir 16 colonnes et le reste du marbre. En 1644, le tabernacle a été doré pour 300 fr. par Mathieu Lesot de Richelieu, doreur ' .
Tabernacle d'ébène en la chapelle du Tombeau de s. F. de P. En 1644 on le fit sur les dessins du frère Jean Damoiseau oblat prof es de Dijon, moyennant 200 1. matière et façon ; « les ornements d'argenterie reviennent en outre à 436 1. 10 s.
Autels (cinq), devant en marbre. Note renfermée en 1771 dans la pierre du grand autel lorsqu'on a fait . construire les devant d'autels de marbre : a Hoc altare majus ecclesise conventualis f. f. ord. Minimorum S. Franc, de Paulâ, sacra unctione delibutum fuit et dicatum cum totâ ecelesiâ coeterisque quatuor minoribus altaribus, singulatim sub iisdem titulis scilicet, Annuntiationis B. M. V., S. Joannis Baptistaî, S. Francisci de Paulâ, consecrante D.D. Victore Le Bouthilier archiep. Turon. domin. 3 post pascha
1 II est question do cet artiste dans l'Histoire de Richelieu et des environs, p. 249-52.
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die 26 aprilis Ann. 1646. In hâc sacra vero thecâ plumbea reposuit ossa quaîdam de S. Eutichio (martire), de Sa Conscientia (martire) et de S. Francesco de Paulâ. Ornamentum vero marmoreum loco paramentorum sericorum, fabricante ojjerario andegavensi nomine Francesco Landeau, positum fuit diebus 17, 18, 19 etc. septembris. Et similiter ante altare capellaî de Tumulo S. Fr. de P. posuit ornamentum marmoreum argento varié decoratum, diebus sequentibus ejusdem mensis anni MDCCLXXI. » (Provincial P. Jean François de l'Epine, correcteur P. François d'Espagne.)
Tabernacle d'ébène, garni de bordures et autres ornemens d'argenterie et de glaces et colonnes de cristal, fait en l'année 1664, sur les dessins de fr. Jean Damoiseau, contenant dans ses panneaux, pilastres, coins et gradins de nombreuses reliques.
Le grand autel de l'église de Notre-Dame ou JesusMaria était une grande pierre au-dessus de laquelle étaient quelques ouvrages de menuiserie et de sculpture avec leur tabernacle d'une structure particulière ; sur la muraille au lieu de retable et dé tableau était un drap de velours semé de lettres d'or de 9 pies de largeur sur 7 pies de hauteur, cloué sur cadre de bois orné de corniches, consoles et autres menuiseries ; il y a toute apparence que c'est d'une partie de ce tapis que l'on a fait un parement de velours rouge où est écrit Jésus Maria en lettres gothiques avec les armes de France à chaque côté, à en juger par sa vétusté et le goût antique. Il y avait aux côtés de l'autel deux pyramides de cuivre surmontées de deux anges qui portoient des chandeliers de cuivre.
En 1630 on allongea le sanctuaire et la menuiserie fut faite par Nicolas Charles, l'architecture par Claude, le marbre du tombeau et du grand autel et de la cha5
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pelle du tombeau par Etienne et Pierre Corbineaux ; la sculpture est de Hoyau et les peintures de Pileur, de Le Mosnier, ainsi qu'il est dit ailleurs.
La ferrade, ou ferrure, de la porte du choeur fut faite en 1750, et celle de la chapelle de la Ste Vierge en 1650. Les deux pupitres de fer dans le choeur ont été faits en 1755 et ont été payés 43 L; le grand pupitre de fer du choeur a été fait en 1756 et a été payé 961. Aigle en bois servant de pupitre au choeur, fait par fr. Audric en 1686.
Siales. — A l'origine onze stales, ou chaires, de chaque côté du choeur, garnies de crosses entre les accoudoirs, selon les apparences, à la façon de celles des Cordeliers d'Amboise ; brisées par les protestants en 1562 ; on les refit en 1584 ; en 1630 oh en fit d'autres, oeuvres des fr. JeanLarieux, Victor et Pierre Gauguin, et Nicolas Baubin oblats, et peintes en 1666 par fr. Jean Damoiseau, oblat.
Ornements. — Le plus bel ornement brodé en or et argent, ainsi que la belle chape garnie de perles, chasuble et dalmatiques, devant d'autel pour le grand autel et pour celui de S. Fr. de Paule a été fait et donné par les dames Huau, soeur du P. Paschase Huau en 1647. Les deux devants d'autel ont été vendus aux juifs en 1771 pour aider à la dépense de paremens de marbre. — Pour les autres ornemens voir les anciens inventaires de la sacristie.
Soleil ou ostensoir d'argent doré ciselé et émaillé pour servir à l'exposition du T.-S. Sacrement. C'est suivant la tradition le même dans lequel Mgr le cardinal de Richelieu porta le s. Sacrement dans la ville de la Rochelle, après sa reddition au roi : ce seigneur le donna à nos confrères de la pointe de Corée, qui nous l'ont donné en échange de celui qui était dans ce couvent.
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Calice ciselé à fleurs de lis, d'argent doré, pesant 7 marcs 6 onces, donné en 1625 par Mme la duchesse de Longueville.
Une petite croix d'argent doré que le célébrant porte en main pendant la procession où sont des particules de la vraie croix (sacristie).
Pot couvert en forme d'écaillé, d'argent doré, donné pour l'église en 1650, par Mme Musset ; il y avait plus de deux cents ans que ce pot était dans la famille Musset.
A côté du grand autel, étaient deux piliers de cuivre, surmontés de deux anges de même matière, qui portaient chacun un chandelier ; ils furent pillés par les Protestants. Ceux-ci enlevèrent aussi une tombe de cuivre, au milieu du choeur devant le grand autel qui était celle de M. le maréchal Jean de Baudricourt, gouverneur de Bourgogne, fils de Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, qui envoya Jeanne d'Arc à Charles VII ; il avait demandé par testament que son coeur fut enterré en cette église ; ce qui fût exécuté le 14 ou 15 mai 1499.
On reconnaît par les différentes enquêtes et procédures faites contre les voleurs (1562) de ce couvent - qu'il y eût beaucoup de meubles, tableaux et boisures brisées. Les provisions, linge, livres et autres meubles qui pouvaient servir ailleurs, furent emportés. Le sr Pibaleau de la Bedoëre et sa femme disant que le couvent leur avait été donné pour les récompenser des dépenses qu'il avait fait pour soutenir la guerre de Religion, faisaient voiturer chez eux par charrettes les meubles et les livres en des poinçons. S. François avait reçu en dépôt le corps de Frédéric II, roi de Naples, le 15 novembre 1504. Le nommé Pierre Piron prit la couronne d'or du roi Frédéric IL Guillaume Lamyne eût l'anneau d'or garni d'une pierre cornaline. Le
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nommé Péchart eût une coupe où était un coeur, elle était garnie d'un couvercle, le tout d'argent doré en dedans et en dehors, avec deux oreilles, le roi la tenait en sa main gauche. Jaspar Piet eut l'habillement de drap d'or, et ainsi du reste, chacun prit ce qu'il put, chaînes, pierres précieuses, bagues, anneaux, pomme et sceptre d'argent doré, épée, éperons dorés et autres ornemens et habillemens qui étaient conservés depuis 58 ans que le corps reposait dans cette église.
VIL —INVENTAIRE DE L'EGLISE COLLEGIALE DU CHATEAU DE LOCHES (1749)
(Ms. 1 in-folio aux archives de la Société archéologique.)
L'église de Loches, actuellement dite de Saint-Ours, fut fondée au xc siècle, rebâtie aux xi" et xn° siècles et servit depuis lors d'église collégiale sous le titre de Notre-Dame du Château. Elle fut enrichie successivement par les dons des princes et des seigneurs, ainsi que par les acquisitions des chanoines. LJinventaire que nous citons a été dressé en 1749 ; un autre fut fait en 1778 et se lit à la suite du premier. Comme quelques-uns des objets du premier inventaire n'étaient plus dans l'église à cette dernière époque, ils ont été rayés sur la rédaction primitive. Nous nous bornerons à citer l'état le plus ancien, tel qu'il a été écrit à l'origine, et nous indiquerons par un astérique les objets qui ont été rayés, dans la suite, comme ayant cessé d'appartenir à la fabrique. Ainsi qu'on l'a fait sur le manuscrit, nous indiquerons à la fin de chaque chapitre, les objets reçus ou achetés après l'année 1749. Le volume dont il s'agit contient, en outre, les comptes de la fabrique de la Collégiale, de 1755 à 1789 inclusivement.
Inventaire de la Fabrique de l'Eglise royalle et collégialle du chapitre de Loches. — Inventaire
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fait par nous, Jacques Louis Debaraudin, prêtre chanoine et fabricier de l'Eglise royalle et collêgialle de Notre-Dame du château de Loches des reliquaires, argenteries, ornemens, linges, livres, tableaux dont est chargé maître Joseph Ilaranc prêtre, en conséquence de l'acte de sa nomination au bénéfice de la Sacristie de ladite Eglise du douze février 1749.
Chapitre lev. —Reliquaires.
Les chasses des corps de S* Hermeland et de S1 Bault qui paroissent au dessus des deux côtés du grand autel, couvertes d'argent avec figures relevées en bosses dont quelques-unes sont dorées, renouvellées en l'an 1688. — Une colombe d'argent doré suspendue au dessus du grand autel dans laquelle repose le très Saint-Sacrement dans une petite boëte d'argent faite en 1675. —■ Un ciboire d'argent doré et émaillé avec son pavillon. — Une croix d'or fors la pâte qui n'est que d'argent doré où il y a de la vraye croix, quelques pierres enchâssées, quelques perles et papillottes d'argent doré. — Une petite statue de la Ste-Vierge d'argent doré avec le petit fils Jésus qui tient entre ses mains un petit vaisseau qui contient un peu de terre lactée et une petite croix d'or ornée de trois petites perles attachées à la dite statue par une petite chaisne d'argent. — Une petite statue d'argent doré représentante Ste-Marie-Magdelaine avec une partie de ses côtes et cheveux dans de petites boëtes qu'elle tient entre ses mains. — Un reliquaire d'argent en forme de bras qui renferme un des ossemens de S* Hermeland. — Un autre reliquaire d'argent en forme de bras garni de quelques pierres, où sont renfermés des reliques de S'-Bault, de S'-Gilles, de S'-Grégoire et de S'-Mathieu. — Un reliquaire d'ar-
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gent en forme de tombeau sur un pied destal qui contient du vestement de S'-Martin, une de S'-Machut ou Malo, des reliques de Sl-Blaise, au sommet duquel il y a une petite croix d'argent.— Un autre reliquaire en forme de croix d'argent dans lequel il y a des reliques de S* Paul, de S' Barthelemi et autres.
Un vaisseau en pyramide d'argent doré, émaillé à la pomme avec des verrines de christal, un croissant d'argent propre à tenir la sainte hostie, lorsqu'on expose le Très Saint Sacrement à la Fête-Dieu et qu'on le porte processionnellement, renouvelle en l'an 1675. Il y manque quelques agréments à la couronne et pyramide. — Un reliquaire en forme de châsse nommé l'hosanne couvert d'argent avec plusieurs fleurs de lis relevées et autres figures et deux croix d'argent sur les deux extrémités. Il y a plusieurs petits agrémens perdus anciennement. — Le livre des Evangiles des fêtes annuelles, d'argent doré, enrichi d'un très beau crucifix, notre Dame et S4 Jean relevés en bosse d'un côté, et de l'autre une Ascension. — Un autre livre des Evangiles en partie couvert d'argent, le surplus étant rompu et perdu, sur lequel il y a quelques figures gravées, il sert les dimanchesT — Le couteau de S' Hermeland. —Un vaisseau d'étain qui renferme une boëte d'argent avec la spatulle qui a une petite croix, laquelle boëte contient l'huille des infirmes. — Un très beau reliquaire d'argent doré en forme d'église qui renferme un autre reliquaire d'une agathe enchâssée d'argent doré avec un petit christal qui contient la ceinture cle la Sainte Vierge, le tout dans une bourse de velours cramoisi brodée en or et une autre petite bourse brodée en argent dans laquelle il y a une petite croix d'or ayant trois petites perles. La ceinture de la Sainte Vierge et la petite croix ont été données par le fondateur de cette église, vers l'an 980.
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— Deux grands encensoirs d'argent avec la navette et cuillère renouvelles à la diligence de M. Boillac, fabricier en 1648, et depuis en 1747 le chapitre les a fait renouveller et refaire les chaînes en y augmentant un marc, six onces, trois gros d'argent, cle sorte que lesdits deux encensoirs pèsent actuellement chacun quatre,marcs, cinq onces, trois gros, en tout neuf marcs, deux onces, six gros. — Une grande lampe d'argent donnée par M. le marquis cle Chandenier en l'année 1675, sur laquelle il y a trois cartouches d'argent ; sur l'un sont ses armes et sur les deux autres sont écrits ces mots : « Franciscus princeps Lemovicus marchio de Chandenier pratoriarum cohortium prfefectus, in tenebris hanc dédit lucem anno 1675. » « François, prince de Limoges, marquis cle Chandenier, premier'capitaine des gardes du corps l'an 1675. » Cette lampe est devant le grand autel. — Une autre petite lampe d'argent donnée par M. Boillac, chanoine, en 1648 ; elle est dans la nef devant l'autel de la SainteVierge.— Un long bâton de chantre, couvert d'argent, au haut duquel il y a une pomme d'argent et au-dessus une pierre enchâssée en argent, il a été rehausé en 1733. — Deux verges de baleine garnies de deux bouts cle placques et fleurs de lis d'argent, et au milieu avec l'image cle la sainte Vierge gravée dessus.
Chapitre 3. — Cuivreries.
* Quatre grandes colonnes cle cuivre sur lesquelles sont posées quatre statues dont l'une représente la Ste Vierge et les autres trois anges avec différens ornemens. Les dites colonnes placées clans le sanctuaire. — * Une cinquième colonne aussi de cuivre beaucoup plus haute que les quatre autres, placée derrière le grand autel et portant la suspente. — * Trois petites lampes cle cuivre, deux dans la nef, la troisième est devant le lieu où est renfermée la ceinture
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Cette précieuse relique n'est exposée à la vénération des fidèles que deux fois l'année et on ne la descend que pour la faire voir au roy, aux princes et princesses de son sang et au seigneur cle Preuilly premier baron de Touraine. Monsieur le sacristain n'est point chargé de ce reliquaire. Monsieur le doyen et M. le chanoine fabricier sont chargés chacun de deux clefs de l'armoire qui le contient.
Chapitre 2. — Argenterie.
Une grande croix d'argent massif, avec son long bâton couvert d'argent renouvelé en l'an 1638. — Un grand calice fort beau, doré et ciselé avec sa patène cle même servant aux fêtes de Mr le Doyen. — Un autre grand calice doré et émaillé à la pomme, avec patène, ayant au milieu une figure assez belle ; il sert aux fêtes de messieurs les chanoines. — Un autre grand calice d'argent avec sa patène, doré et renouvelé en l'année 1624 ; il sert à toutes les messes hautes et basses du choeur. — Trois autres calices d'argent avec leurs patènes dorées comme les coupes, dont le plus grand a été donné par Monsieur Débit chanoine l'an 1724. Les trois sont à la sacristie et servent aux messes basses des petits autels. — Il y en a deux autres, dont un a été donné par M. Nau, doyen, et l'autre par M. Boussay, chanoine, chacun avec leur patène. — Quatre burettes d'argent avec deux bassins aussi d'argent, les petites et le bassin semblable ont été donnés par M. Débit en 1724. — Un autre bassin d'argent donné par Mr Boullay avec les burettes. — Un bassin cle cuivre argenté servant à toutes les grandes messes des fériés. — Quatre autres burettes d'argent.
Un beau bénitier d'argent avec son goupillon aussi d'argent, donné par damoiselle Agnès Seurelle. — Deux grands chandeliers d'argent, dorés en quelques endroits. — Deux autres moïens chandeliers d'argent.
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de la Ste Vierge. — Huit chandeliers de cuivre qui servent aux autels dans l'église. — * Dix-neuf culs de lampes de cuivre, treize au grand râteau qui est devant le grand autel, et six au petit qui est derrière le même autel. — Un bassin de cuivre pour le lavement des pieds le Jeudy-saint. — Six mouchettes pour les chandelles du choeur. — Un petit chandelier de cuivre pour le pulpitre des leçons. •— Deux grands chandeliers avec leurs binets pour les deux escabeaux du célébrant et du chantre. -— Six grands chandeliers de cuivre bronzé ainsi que la croix placés sur le grand autel. — Quatre chandeliers et une croix de cuivre garnis d'argent haché, placés ordinairement à la chapelle de la communion. — Une piscine de cuivre à la sacristie pour laver les prêtres qui vont célébrer, renouvelée et augmentée du double en 1755, de deux vieux bassins de cuivre. •— Un petit bénitier de fonte. — Une petite clochette qui sert quand on porte le Saint-Sacrement aux malades. — L'aigle de cuivre placé au milieu du choeur.
Chapitre 4. — Meubles d'étain et de fer.
Deux urnes d'étain pour présenter le vin aux princes et grands seigneurs qui passent par Loches. •— Six paires burettes d'étain refaites en 1639. — Un chandelier de fer pliant pour le siège de M. le chantre. — Onze petits chandeliers cle fer travaillés en consolles et attachés aux autels du Crucifix, de la Sainte-Vierge, de Sù Hermeland et de S4 Louis, deux dans le sanctuaire et un devant l'autel de la communion. — Douze verges de fer dont quatre pour sus.penclre les rideaux du grand autel et du sanctuaire et les autres pour soutenir les colonnes de cuivre (plus tard on ajouta: pour couvrir les tableaux de la Vierge, du Crucifix, de S* Hermeland et de S* Louis). — Les fers-pour faire le pain à chanter. — Les fers à couper le pain dont l'un
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a été donné par M. Lanneau, en 1741, au nombre de deux et un autre pour les petites hosties. —Six grands chandeliers cle fer pour mettre autour de la représentation pour les morts. — Une boëte de fer blanc pour mettre le pain. —Deux grosses cloches placées dans la tour qui est sur la grande porte de l'église ; quatre autres cloches, dont deux appelées communément tierciers et deux autres plus petites posées dans la tour qui est sur le choeur. — Une petite clochette pour avertir et arrêter l'orgue. — L'horloge, ses instruments et le timbre qui donne dans la nef. — Six grandes et six petites souches pour mettre les bougies qui brulent pendant les offices.
Chapitre 5. — Menuiserie.
Un grand chandelier de bois placé au pied du tombeau de la belle Agnès, qui sert à mettre le cierge paschal. — *Six chandeliers de bois peints en noir qui servent aux représentations pour les morts. — Huit chandeliers de bois pour porter les chandelles du choeur. — Un tabernacle peint en bleu et blanc avec des moulures en or, posé sur l'autel de la communion pour y conserver le S* Sacrement, acheté par le chapitre en 1755. — Deux crédences de marbre jaspé et deux bancs garnis avec les couvertures et un bancelle posés dans le sanctuaire. — Deux grands bancs dans l'église. — Un triangulaire pour les cierges des ténèbres. — Un gradin pour le reposoir du jeudi saint, avec le dais pour mettre au dessus du S* Sacrement, d'un damas rouge, broché en or. — Un petit gradin peint pour exposer .les reliques au grand autel. — Une selle des morts. — Cinq confessionnaux y compris celui de la sacristie. ■— Quatre pupitres pour les missels pendant la messe. — Douze agenouilloirs. — Deux sièges avec leurs agenouilloirs pied-destaux et prie-dieu pour messieurs les chantres en dignité du
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chapitre et des bénédictins lorsqu'ils officient ensemble. — Deux escabeaux pour Mrs les chappiers les jours des grandes fêtes. — Un pupitre dans le choeur pour chanter les leçons et les oraisons aux offices. — Un autre pupitre tournant qui sert lorsqu'on chante la musique. — Un autre petit pupitre dans le jubé pour chanter les épitres. — Un cadre et quatre bâtons pour la châsse lorsqu'on porte le S'Sacremeut. — Un petit cadre et deux bâtons pour la châsse lorsqu'on porte le S1 Sacrement aux malades.
Quatre bouquets de fausses fleurs, achetés en 1749 et gardés en chapitre. — Cinq chevalets pour poser les chappes ordinaires. — Une grande armoire portée sur deux traiteaux dans l'avant sacristie pour serrer les chappes de Mr le doyen, de Mrs les chanoines et des fêtes à bâton, ainsi que les retables des fêtes de 2e classe. — Une grande commode, autrement chapier à cinq tiroirs dont chacun sont foncés de toile avec deux barres de fer dans chaque bout, tombant de haut en bas et fermant à clef. — Deux armoires dans la sacristie, dont l'une pour serrer les chappes violettes, noires et autres communes et l'autre pour mettre tous les parements d'autel, ainsi que les baleines et les flambeaux pour porter le S* Sacrement aux malades, à l'usage de Mr le sacristain. — Quatre armoires dans la table cle la sacristie dont deux servent à serrer les chasubles et les dalmatiques des fêtes de doyen, chanoine et de fondation et celles de tous les jours et fermant à clef, les deux autres ne fermant point, contiennent les chasubles quotidiennes des messes particulières et les chandeliers noirs pour les représentations. — Deux autres petites armoires posées sur la table de la sacristie fermant à clef dont l'une contient les calices, les voiles de calices et les pâlies, et six tiroirs , contenant les bourses, pâlies, voiles de différentes cou-
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leurs, le registre des messes et plusieurs autres petites ustenciles de la sacristie. — Deux autres armoires encore dans la sacristie fermant à clef, dont l'une sert à Mv le sacristain pour serrer les aubes quotidiennes et l'autre pour serrer les tapis. — Une autre armoire dans l'avant sacristie faite pour serrer tout le linge de l'église fermant à clef. — Trois autres armoires, dont deux derrière le grand autel pour serrer les calices des grandes messes, les chandeliers d'argent, les encensoirs et autres meubles d'argent ; la troisième dans le sanctuaire à côté du sacraire pour serrer toutes les reliques. — Une commode dans l'avant sacristie, composée de deux petits tiroirs et un grand fermants tous à clef. — Une autre petite commode attenant au marchepied de la table de la sacristie. — Une autre petite table en forme de commode avec deux petites fenestres dont une fermant à clef, servant autrefois de credence dans le sanctuaire. — Une petite boëte contenant les cartons de grand autel avec verreries dessus lesdits cartons.
Chapitre 6. — Tableaux.
Un tableau représentant l'assomption de la Ste Vierge à l'autel de S4 Nicolas. — Un tableau médiocre d'émail qui se met ordinairement sur la credence les jours de festes solennels. — Chez Mr Musnier un tableau, ou mieux un parement de damas rouge sur lequel il y a un beau crucifix et la Magdelaine en broderie or, argent et soye et frange d'or et soye, le tout renfermé dans un cadre de menuiserie. — Un tableau dans la chapelle cle la communion au-dessus cle l'autel, représentant la sainte Vierge, l'enfant Jésus avec le petit S4 Jean-Baptiste, encadré avec baguettes dorées. — Deux autres tableaux posés aux deux costés de la grille en dedans de la nef : le tableau posé au costé droit représente S4 Hermeland patron de l'église et l'autre
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posé à gauche représente S4 Louis. — Un autre tableau représentant S4 Jean dans le désert, posé à l'autel de ce nom. — Un tableau au-dessus de la porte de la sacristie représentant S4e Magdelaine. — Un tableau représentant la visite de la S4e Vierge chez Ste Elisabeth, placé à l'autel de S4 Roch. — Un tableau représentant sainte Anne avec la sainte Vierge et S4 René à l'autel de S4 René. — Un tableau qui représente un Christ en croix accompagné de la Ste Vierge, S4 Jean et Ste Magdelaine, au-dessus de la table de la sacristie. — Une glace de jaspe et un petit tableau réprésentant la Ste Vierge avec son fils Jésus aux deux costés de l'autel de S4 René. — Un tableau de Mr de Salerne audessus de la porte de la chapelle de S4 Nicolas. — Un petit miroir à la sacristie.-— Deux statues de la S4e Vierge dont une dans la niche de la boisure derrière le grand autel et l'autre à l'autel qui est dans la nef. — Un petit Christ en croix, en bronze, au-dessus de la grille de fer, ou porte d'entrée du choeur. — Une statue de S4 Jacques et une de S4 .Antoine dans la chapelle de S4 Nicolas. — La statue de S4 Pierre au-dessus de l'autel de S4 René, et celle de S4 Roch à l'autel de la chapelle de ce nom.
Chapitre 7. —■ Livres de plein-chant et missels.
Cinq missels. — Deux suppléments au missel Romain achetés en 1734. — Deux petits livres pour les messes des morts. — Trois livres nottés pour chanter la passion et les leçons de ténèbres. — Deux livres dont un antiphonaire et l'autre un graduel nottés à la main à l'usage de Mr le chantre. — Sept processionaux et deux autres processionaux nottés à la main. — Deux gros antiphonaires et un moindre ; l'un des deux gros a été partagé en trois et l'autre en deux. — Deux graduels dont un gros et l'autre moïen. Le gros a été partagé en deux. — Trois psaultiers.— Cinq livres notés
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de l'office de S4 Hermeland, trois grands et deux petits. — Quatre livres notés de l'office nouveau du Sacré Coeur de Jésus. — Deux livres de l'office nouveau de S4 Joseph et deux de l'office nouveau de la compassion de la Ste Vierge. — Un gros pontifical romain donné par Mr l'abbé de Menou, chanoine, est entre les mains de Mr le doyen. — Un rituel romain. — Un martyrologe romain. Le martyrologe romain est entre les mains de Mr le maître de psallette. Chapitre 8. — Tapis.
Un grand tapis de Turquie qui sert au grand autel lorsque le S4-Sacrement y est exposé. — Un autre tapis de Turquie moins grand pour couvrir le marchepied du grand autel lorsque Mr le doyen ou Mrs les chanoines officient. — * Un tapis de triple velours, qui sert aux festes de Mr le Doyen ou de Mrs les chanoines pour mettre à la stalle de celui qui officie. — Un tapis de triple velours d'Utrech cramoisi avec son coussin garni de galons et glands d'or qui est devant la stale de M. le doyen. — Deux tapis de points d'Ongrie pour le devant et le derrière de la stale de Mr le chantre lorsqu'il officie en bâton. — Deux tapis, l'un de damas rouge avec frange d'argent et écusson, et l'autre de damas violet avec frange soye violette et blanche et écusson qui servent à couvrir le petit pupitre du choeur les jours de fête. — Quatre tapis de pulpitres, l'un de damas rouge avec frange et écusson d'argent, et l'autre de damas violet avec frange et soye violette et blanche et écusson, et l'autre de damas blanc avec fleurs rouges et galons et franges d'or, et l'autre de satin rouge avec frange et galon d'argent. — Un autre tapis de drap violet qui se met sur la table de communion lorsque la vraye ceinture est exposée. — Deux couvertures pour mettre sur la custode de la soupente, dont l'une de velours cramoisi brochée
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et relevée en bosse d'or avec galons et franges d'or faux, et l'autre de damas violet avec galon et frange en soie. — Six tapis tant bons que mauvais pour couvrir les autels. — Une couverture de toille grise pour conserver le bas de l'aigle.
Chapitre 9. — Rideaux.
* Deux rideaux rouges cramoisis pour les côtés du grand autel. — * Deux rideaux de damas blanc pour le même. — *Deux rideaux de damas vert avec galon pour le même, tous lesquels rideaux sont garnis de franges selon les différentes couleurs.— * Deux grands rideaux de toille bordés d'indienne devant les fenestres du grand autel à côté du grand autel. — * Un petit rideau de damas cramoisi devant le lieu où l'on passe le S4-Sacrement, de l'autel de la communion au grand autel.— Le grand rideau de la passion de toille blanche avec franges. — *Deux grands rideaux de même qui couvrent le grand crucifix dans le même temps. — Huit autres rideaux à l'usage des autels au dit tems de la passion. — Un rideau de toille blanche avec dantelle pour voiler la S4e-Vierge. — Deux rideaux de toille indienne pour couvrir les deux tableaux de S4 Hermeland et de S4-Louis. — Un rideau de toille verdâtre pour couvrir le tableau qui est au dessus de la grande porte du choeur.
Chapitre 10. — Paremens d'autel.
Un parement avec son retable pour le grand autel d'une czarienne fond cramoisi avec des guirllandes blanches remplies de fleurs de différentes couleurs avec une croix du S4 Esprit de moire d'or, le S4 Esprit brodé en argent et relevé en bosse pour les fêtes de M. le Doyen fait en 1730, servant comme il est porté à l'article du jeudy saint.— Un parement pour le même autel avec son retable de damas blanc avec orfrois d'un damas rouge broché en or avec galons et franges
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d'or fait en 1741, pour les fêtes de Mrs les chanoines.
— * Un parement pour le même autel avec son retable de damas blanc à fleurs de même couleur avec une croix de mal te au milieu, fait d'une étoffe fond blanc et fleurs or brodé d'un passepoil d'or fin et d'un double velouté vert pour les fêtes de fondation. — *Un parement du même autel avec son retable de damas blanc ancien avec deux croix d'un galon d'or fort ancien et fort passé. — *Un parement du même autel avec son retable de damas violet avec galons et franges violettes et blanches et des écussons. — * Un parement avec son retable de damas verd avec galons et franges.
— * Un parement avec son retable de damas rouge avec croix galons d'argent et des écussons, donné par Mr le doyen Betaud en 1701. — * Un parement du même autel avec son retable de triple velours noir avec des croix de satin blanc, acheté en 1735. — * Un parement
ans retable pour l'autel de N.-D. de Liesse d'une étoffe de différentes couleurs avec dentelle d'argent fait en 1736. — * Un parement d'autel de damas violet sans retable garni de galons de soye violette et blanche et un écusson au milieu. — * Un parement de credence de damas violet garni de soie violette et blanche.—*Quatre morceaux d'étoffe à fond d'argent et or velouté bordés d'une dentelle or, argent et soie, servant pour le tour de la châsse lors de la procession du Très-S 4 Sacrement et le fonds de laditte chasse d'un taffetas rouge doublé d'une toille.— Quatre morceaux de damas violet servant à la petite chasse lorsqu'on porte le S4 Sacrement les jeudi et vendredi saint et aux malades.— *Une grande bande à fond violet, à fleurs or et argent qui sert au grand autel les jours que Mrs les doyen et chanoines officient.— Un grand drap mortuaire avec têtes de mort et ossemens en broderie.— Trois coussinets, un noir et deux violets qui servent à appuier Mrs les
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prêtre, diacre et soudiacre les vendredi et samedi saints, lorsqu'ils se couchent sur le marchepied de l'autel.— Deux couvertures de cuir peint et doré pour couvrir dans la passion les deux châsses de S4 Hermeland et S4 Bault. — * J'ai fait faire un dais neuf pour la procession, composé dans les quatre bandes d'une étoffe semblable aux orfrois de l'ornement decanal, bordé en total d'un galon système or velouté, doublé d'un damas cramoisi avec une crépine d'or fin, 4 aigrettes et une couverture complète de damas vert. (Il s'agit du chanoine-sacristain Joseph Haranc.)
Chapitre 11. — Chasubles et tuniques.
* Une chasuble et quatre tuniques avec les étoiles et manipules d'une czarienne avec orfrois de moire d'argent et galons d'or fait en 1730 pour les fêtes de Mr le doyen. — * Une chasuble et deux tuniques de damas blanc, avec orfrois d'un damas rouge broché en or faits en 1741 pour les fêtes de Mrsles chanoines.— Une chasuble et deux dalmatiques d'une étoffe des Indes à fond blanc et fleurs d'or et les orfrois d'un satin blanc brodé en or et en soie de différentes couleurs, lesdits orfrois bordés d'un passe poil d'or fin et d'un double velouté verd, les dittes pièces bordées d'un galon verd ainsi que les manipules, les étoles, le voile et la bource pour le calice dont les croix sont bordées de passepoil d'or et velouté verd, et le fond de même étoffe, fond blanc et fleur or.— * Une chasuble et deux dalmatiques de damas rouge cramoisi avec orfrois d'une moire fond argent et fleurs vertes garnis d'une dentelle d'or. —*Une chasuble et deux tuniques de damas rouge garnies d'écussons et galons d'argent.—Une chasuble et deux tuniques de damas verd avec orfrois anciens. — Une chasuble et deux tuniques de damas violet avec écussons et galons et franges de soie violette et blanche. — * Une chasuble et deux tuniques
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d'une étoffe couleur maron, brochées en or avec orfrois de moire d'argent ; la chasuble est garnie d'un petit galon d'or fin et les dalmatiques d'un galon d'or faux. Ces trois pièces viennent d'être refaites tout à neuf, on y a fait entrer un ancien parement d'autel de pareil étoffe. — Une chasuble et deux dalmatiques de triple velours violet avec ses orfrois anciens brochés en or et relevés en bosses.
*Une chasuble et deux dalmatiques de camelot blanc le tout garni de soie jaune. — * Une chasuble et deux dalmatiques de camelot rouge. — Une chasuble et deux dalmatiques de triple velours noir avec ses anciens orfrois. — *Une chasuble et ses deux tuniques d'étamine noire croix et bandes de camelot blanc. — Une chasuble de damas blanc à fleurs de toutes couleurs garnie d'une croix d'argent fin. — Une chasuble de satin blanc uni avec une croix faite de l'orfrois de la chappe de M. le chantre d'un damas de Tours fond rouge et fleurs blanches, le voile de même étoffe que les orfrois, l'étole et le manipule comme la chasuble, la croix de la chasuble bordée d'un passe poil d'or fin et le devant d'un petit galon d'or faux. — *Une chasuble de satin d'église à fleurs, avec galons d'or faux, donnée par M. Débit, chanoine. — *Une chasuble de damas rouge avec une croix d'un petit galon d'or, l'étole et le manipule sont de camelot rouge garni d'un galon de soie blanche. — Une chasuble verte de camelot damassé. — Une autre chasuble verte et rouge. — Deux chasubles violettes, dont une de moire travaillée en or, dont la croix est fait avec un petit galon d'or et l'autre chasuble de camelot garnie d'un galon de soye jaune. — Une chasuble violette avec écussons et galons et franges de soye violette. — Une chasuble de camelot noire garnie d'un grand galon d'argent faux.
1757. Une chasuble de satin à fleurs de toute cou-
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leur avec croix en galon d'or faux et voile de la même étoffe. — Deux chasubles à fond de damas blanc et croix de satin blanc à fleurs pourpres et vertes ; voile à croix de Malte faite d'une dentelle d'orfroi et bourse d'étoffe blanche à fleurs d'or et croix de dentelle d'or. Trois chasubles violettes et deux chappes. — 1759. Une chasuble verte à fond de damas ; croix d'une étoffe brochée d'or avec fleurs rouges et blanches. — 1763. Chasuble de soie blanche et rouge. — 1766. Un ornement complet pour les fêtes annuelles et décanales ; 2 chappes, 1 chasuble, 4 dalmatiques, 3 étoles, 4 manipules et un voile de calice de damas broché en or, fond blanc et fleurs rouges, vertes et violettes pour les orfrois, et d'un gros damas de Tours en soye à fond blanc et mêmes nuances ; tout l'ornement est garni en galon d'or fin et velouté vert, dentelle d'or fin pour le voile. — 1768. 2 chappes, 1 chasuble, 2 dalmatiques, tiré de l'ancien ornement des fêtes annuelles d'unegrosse czarienne, avec orfrois en drap d'argent. — 1769. Fait refaire l'ornement complet des chanoines, avec le rétable et le devant d'autel semblables. Plus une chasuble et deux dalmatiques en damas blanc et étoffe à petits bouquets rouges et violets pour tous les jours. Plus un tapis pour le pupitre du célébrant, d'un reste de l'ornement des fêtes annuelles.
Chapitre 12. — Chappes.
Une chappe d'une czariennne à fond brun garnie de fleurs de soie de toutes couleurs avec bandes et chaperon d'une étoffe à fleurs d'or et d'argent et des galons d'or fin faite en 1733 par le chapitre. — Une chappe d'un ras de Sicile broché, fond blanc garnie de fleurs violettes et vertes avec bande et chaperon d'une étoffe fond blanc et argent garnie de grands arbres or et argent. Les galons d'or fin garnis d'un double velouté vert donnée par Mr l'abbé Boulai, chanoine en
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1755. —*Deux chappes d'une czarienne avec bandes et chaperons d'étoffe d'argent, garnies, l'une d'un galon d'or fin, et l'autre d'une dentelle aussi d'or fin.-—Deux chappes de damas blanc avec bandes d'orfrois d'un damas rouge broché en or.—*Deux chappes d'un beau satin broché fond blanc garnies de fleurs rouges et vertes avec bandes et chaperon d'une étoffe fond verd parsemés de guirlandes d'or, et de soie rouge et verte garnie d'un passe poil d'or fin et d'un double velouté vert. — Deux chappes de damas blanc avec des bandes et orfrois d'un ras de Sicile à fond rouge et fleurs blanches, le tout bordé d'un passe, poil d'or fin et d'un double velouté vert (depuis teintes en rouges). — *Trois chappes de damas rouge cramoisi avec les bandes et chaperons d'une moire d'argent fleurs soie et or. Quatre chappes de damas violet avec écussons et galons de soie blanche et violette. — * Une chappe de damas blanc avec orfrois d'un satin d'église et galons d'or faux. — Deux chappes de calmante blanche avec orfrois d'un satin d'église à fleurs et galons d'or faux. — Une chappe de damas rouge avec orfrois de satin d'église et le chaperon de même avec galon et franges desoiejeaune. — Deux chappes rouges d'une étoffe dit de fort en diable avec orfrois et chaperons de satin d'église avec galon et franges de soie jeaune. — Une chappe de damas verd avec orfrois anciens. — Deux chappes de camelot verd. — Deux chappes de camelot violet. — *Deux chappes de calmante blanche avec galons de soie jeaune. — *Deux chappes de camelot blanc avec galon de soie jeaune.— Trois chapes de camelot rouge avec galon de soye blanche. — Une chappe de velours noir avec bandes et chaperons de satin blanc garnies d'un galon assortissant. —Deux chappes de triple velours noir, avec orfrois de satin blanc galon noir et blanc. — Une chappe de camelot noir.
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1757. 2 chappes de damas violet. 10 mars, fait remettre des orfrois et chaperons neufs de damas broché de Tours, fond blanc avec guirlandes en rouge vert et jaune aux deux chappes de satin broché à fond blanc. 1759. Chappe de clamas vert avec orfrois et chaperon d'étoffe verte parsemée d'une guirlande d'or et de soie rouge et verte.
Chapitre 13. — Voiles, bources, pâlies de calice et écharpes.
Une écharpe de taffetas blanc avec deux grandes et deux petites franges d'or fin, une petite écharpe ou étoile de drap d'or et de petites boules de verre de couleurs différentes qui sert lorsqu'on porte le S4 Sacrement en procession. — Un corporalier d'étoffe d'or conforme aux orfrois et chaperon de la chappe dénommée au premier article du chapitre des chappes. — Un corporalier d'une étoffe de soye blanche à fleurs de diverses couleurs avec galons d'or fin. — Un autre corporalier de satin fond blanc, fleurs or, avec une croix faite d'un passe poil d'or garni d'un double velouté verd. — Un corporalier de damas noir avec une croix d'argent fin. •— Vingt corporaliers ou bources de toutes couleurs. ■— Vingt-un voiles de calices de toutes couleurs parmi lesquels il y en a un acheté cette année 1756 par le chapitre, d'un brocard d'or, garni de dentelle d'or fin et doublé d'un gros de Naples verd et changé pour un voile de damas cramoisi, garni aux quatres coins et au milieu de fleurs d'or. Ce voile est destiné pour mettre sur l'autel lorsque le S4 Sacrement est exposé. Pour le conserver plus soigneusement, il est déposé dans la commode de Mr de Baraudin, chanoine. — Un autre voile de damas rouge broché fleurs or et soye conforme à l'ornement de Mrs les chanoines, et tous les autres voiles de calice, tant ceux du grand autel qui sont étendus dans une
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boëte de bois de noyer faite exprès, qui se met derrière le grand autel, que les autres voiles de calice pour les messes particulières.
Sept pâlies de calice de toutes couleurs et d'autres de toille qui ne sont pas encartonnées. —* Une robbe de la S4e Vierge avec une dentelle d'or fin.— * Une de velours cramoisi garnie d'un passement d'or. — *Une autre d'un gros de Tours broché à fleurs et fond blanc garni d'une dentelle d'argent et d'une frange de soye, donnée par une famille pieuse de cette ville en 1752. •— * Une autre de satin blanc avec des fleurs de toutes couleurs donnée par une personne infirme en 1748. —
* Une autre de velours verd garnie d'une dentelle d'or. — * Une de damas verd garnie d'un galon de soye et de franges vertes. — * Une de damas blanc varié. — *Une de satin blanc. — * Une violette, assez mauvaise. —
* Toutes les robbes cy-dessus sont garnies. Les robbes du petit enfant Jésus toutes conformes à celles de la g te Vierge.
Le jour de la Toussaint 1757 a été donné par une dame pieuse, à la Ste Vierge de la nef, un collier fort ample de perles (double employ, cet article étant porté à la fin dià sixième chapitre de cet inventaire). — 1758, fait faire l'écharpe de taffatas blanc qui a servi de doublure à nouvelle achetée d'une grosse étoffe de Tours, à grands bouquets rouges, violets et verts, garnies des grandes et petites franges d'or fin de l'ancienne.
Chapitre 14. — Crucifix et cartes des autels.
Un grand crucifix à l'autel du Crucifix. — Un beau crucifix à l'autel de la Vierge. — Cinq crucifix communs pour les autels, dont un dans l'armoire de Mr le sacristain. — Neuf cartes pour la messe déposées sur les autels.
1765, 5 octobre, acheté à Paris un grand crucifix de cuivre ciselé et bruni pour le grand autel, avec les six
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chandeliers de la même espèce ; ils ont coûté avec le port de Paris à Amboise, et d'Amboise icy, 786 1. ; en 1776, ce crucifix a été placé à l'autel de S4-Jean.
Chapitre 15. — Linge d'église.
Quarante-deux nappes d'autel tant grandes que petites ouvrées ou unies en état de servir, dont huit ouvrées et deux damassées. —*Plus deux nappes damassées, données en 1756. — Dix nappes pour la table de la communion. — Deux nappes pour l'exposition du S4 Sacrement garnies de dentelles belles et larges. — Trente-six amicts. — Treize aubes à dentelle, dont quatres neuves. — Huit aubes à mousseline. — Douze aubes unies. — Dix-neuf ceintures. — Vingt-trois corporaux tant bons que mauvais dont deux à dentelle. — Quatre-vingt purificatoires tant bons que mauvais. — Trente-cinq lavabos. — Dix-sept essuiemains pour la sacristie dont huit neuf, faits en 1754. — * Treize voiles pour les statues de la S4e Vierge garnis d'autant de collerettes, et de la dentelle à tous. — Six grosses serviettes d'étoupe et de bourasse un peu élimées pour essuier les stales du choeur.
1761, vingt-cinq ceintures de prêtres, faites à la Bourdillière. 1763, quatre aubes neuves, dont une garnie d'une petite dentelle. 1768, une aube à dentelle donnée par feu M. de Maisonrouge, chanoine notre confrère ; du même, trois nappes dont deux ouvrées, six amicts, six purificatoires et deux ceintures. 1769, trois aubes, une de toile d'Allemagne avec un point d'Angleterre, une de dentelle à gros point, et la troisième garnie d'une belle mousseline rayée, coquillée d'un quart de haut.
Chapitre 1Q. — Des tapisseries.
Six morceaux de tapisserie de leine et de soye représentante l'histoire de la chaste Suzanne, dont quatre morceaux sont tendus dans le choeur de l'église et les
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deux grandes dans la nef, donnés par Agnès Seurelle. — Un autre morceau de tapisserie de même fabrique représentante les quatre docteurs de l'Eglise, tendue dans la nef sous le balustre de l'orgue. — Trois autres morceaux de tapisserie fort ancienne et fort mauvaise tendues dans la chapelle de la communion. — Huit autres morceaux de tapisserie, tant bons que mauvais.
VIII. — INVENTAIRE D'ÉGLISES DE CHINON EN 1790 ET 1791.
Archives de l'hôtel de ville de Chinon. (Extraits communiqués par M. H. Grimaud.)
COLLÉGIALE SAINT-MEXME (27 décembre 1790).— Objets se trouvant dans la salle du Chapitre : huit calices de différentes grandeurs dont deux en vermeil, le pied d'un desquels sert de support à l'ostensoir, qui s'est également trouyé ; les dits calices avec leurs patennes, deux vases à reliques, deux grands chandeliers d'enfants de choeur, deux flambeaux et trois encensoirs avec leurs navettes, une paire de burettes avec leur bassin, un bénitier avec son aspersoir, un ciboire avec une custode, le tout d'argent ; une croix d'argent avec son bâton de bois, avec son couvercle d'une feuille d'argent; un bâton de chantre avec sa tête en argent, le bâton couvert d'une feuille d'argent; un bâton de bâtonnier à tête d'argent avec son couvercle à feuilles, d'argent, six chapes, trois chasubles, six dalmatiques et un devant d'autel garnis en galon d'argent ; deux chapes, une chasuble et deux dalmatiques garnies en dentelles d'argent; quatre chapes, deux chasubles et
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quatre dalmatiques garnies en galon d'or faux ; douze chapes communes garnies en galon d'or faux ; quatre chapes, une chasuble, deux dalmatiques et un devant d'autel garni en galon de soie blanche, deux chapes d'enfants de choeur et une commune ; quatre chasubles et deux dalmatiques violettes garnies en galon d'or faux ; six chasubles et une dalmatique blanche garnies en galon d'or faux et fil blanc, six chasubles et deux dalmatiques rouges garnies en galons d'or faux ; un dais en velours rouge garni de franges d'or*
Linges. — 38 aubes dont seize à dentelles et vingtdeux unies, cinquante-six amicts, trente corporaux, soixante-quinze purificatoires, trente lavabos, vingtsix nappes, vingt essuie-mains pour la sacristie, vingtcinq ceintures, huit bourses.
Quatre grands chandeliers et un crucifix en cuivre sur le grand autel ; quatre grands chandeliers et un crucifix en cuivre sur l'autel de la Vierge ; dix chandeliers en cuivre servant aux basses messes ; six missels ; deux antiphonaires ; deux graduels ; cinq mauvais tapis servant au pupitre et de marchepied ; vingt morceaux de tapisserie tendus autour du choeur; un pupitre en cuivre formant un aigle ; plus deux armoires et deux bas de buffets dans la sacristie servant à mettre les ornements ; plus, dans l'église, un petit buffet d'orgues. Plus cinq cloches, une horloge et un socle ; et un tableau en cadre doré représentant M. de Rastignac ; vingt-quatre livres de différents auteurs détachés.
CHAPELLE DES AUGUSTINS (14 mai 1790).— Objets se trouvant dans la sacristie : quatre calices dont un vermeil; un soleil vermeil, un ciboire, une petite clef d'argent, un petit vase des saintes huiles en argent, une petite croix d'argent pour l'autel; une petite lampe d'argent, une paire de burettes d'argent, une clochette et un plat d'argent; quatre petits chande-
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liers d'argent ; un encensoir, cuillère et navette d'argent ; deux petites couronnes d'argent pour la Sainte Vierge et le petit Jésus; une grande croix avec son bâton d'argent pour les processions.
Plus une paire de burettes d'étain, seize chandeliers de cuivre, deux bras au grand autel, une fontaine en cuivre rouge, deux lampes, deux petits chandeliers, un bassin de cuivre rouge, deux bénitiers, une croix de cuivre argenté, deux Christs, un miroir, trois vases de faïence pour les ablutions, vingt-huit bouquets, six grands chandeliers bronzés.
Ornements. — Un ornement complet de première classe en dauphine avec les ors avec les orfrois en petites fleurs d'or ceux de soie rouge petit galon et franges d'or ; un autre de seconde classe en soie fond bleu célestre complet, faux gallon ; un troisième fond rouge et orfrois blanc n'ayant qu'une chasuble et trois chapes ; lequel ornement est tout neuf. Une étole de grande cérémonie en drap de soie fleur d'or et galonné d'or, une autre en soie et faux galons ; un autre ornement complet rouge et usé ; un cinquième en vert très usé ; un sixième ornement complet tout neuf ayant chasuble, 2 dalmatiques et 3 chapes noires ; une chasuble rouge en soie ayant fleurs d'or, la croix et orfrois en drap d'or et galon à l'exception des franges ; une très belle bource de calice et un voile en broderie fine, une chape violette, 4 chasubles blanches, 2 autres chasubles rouges, 4 devants d'autel pour les fêtes, 2 autres communs, un tour de dais avec son ciel et bâton pour les processions ; 20 coussins.
Linges. — 30 napes d'autel dont 17 vieilles pour dessous ; 3 enveloppes de calices ; 5 napes de communion ; 20 aubes ; 8 surplis, 2 pour les enfants ; 12 ceintures ou cordons, 30 lavabos ; 80 purificatoires; 23 corporaux ; 16 pâlies ; 37 amits.
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CHAPELLES DES CAPUCINS (15 mai 1790). — Objets se trouvant dans la sacristie : 3 calices d'argent ; une boîte aussi en argent pour les saintes huiles, un soleil aussi d'argent avec trois patennes ; un ciboire. Une croix pour les processions, un encensoir, une navette, un bénitier avec son goupillon, le tout en cuivre. Plus une lampe en cuivre, une piscine d'étain, 4 chandeliers de cuivre ; plus 6 ornements de différentes couleurs pour les grandes fêtes ; plus pour le commun 2 violets, deux verts, un blanc; 38 aubes, 8 surplis ; 32 corporaux ; 240 purificatoires et lavabos ; 21 linges à usage de calice, 22 napes, 15 autres napes de communion, 20 cordons. Plus dix-sept cent vingt volumes tant in-folio, in-4, in-8, in-12 et in-16. Plus une cloche pesant environ 320 livres et une vieille horloge.
CHAPELLE DE L'UNION-CHRÉTIENNE (19 novembre 1790). — Objets se trouvant dans la sacristie : Un ciboire, un soleil, une custode, un calice, 2 encensoirs, leurs navettes dont une en argent, 2 burettes en argent ; une croix argentée, 12 chandelliers de cuivre, 2 autres petits, 10 aubes, 9 napes de communion, 10 rideaux, 2 serviettes ouvrées, 60 purificatoires, 10 corporaux, 7 ceintures, 3 garnitures d'autel, 11 ornements, 2 grands devants d'autel, 4 petits, un clrap mortuaire, un tapis, un bénitier de cuivre, une armoire dans la sacristie (attachée avec des pattes), une autre armoire.
CHAPELLE DU CALVAIRE (26 octobre 1790). —Objets se trouvant dans la sacristie : 2 calices, 2 patennes, un ciboire et un autre pour les malades, un autre pour les saintes huiles, un goblet d'argent, un soleil doré, deux plats et chopinette, un encensoir et navette d'argent, un de cuivre, une timbale, 2 bénitiers, une lampe, 18 chandeliers le tout en cuivre, 6 chandeliers de cuivre verni et dix de bois doré ; deux châsses de
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bois doré; 3 crucifix, une grande croix de bois; un pupitre, une couronne de bois doré, une niche pour porter le bon Dieu aux malades, 7 grands cadres en en peinture et 8 petits.
Ornements. —Vingt chasubles, huit dalmatiques, dix-huit voiles de calices, dix-huit bourses, vingtquatre ceintures, quatre chapes, six rideaux, deux soutanes, vingt parements d'autels, quatre pavillons, un dais; une douzaine de cadres dorés; deux douzaines de corporaux, dix-huit douzaines de purificatoires et un lavabo ; dix douzaines d'amicts, onze surplis, trois rochets, trois douzaines d'aubes, trois douzaines de nappes, deux douzaines de serviettes, huit douzaines d'essuie-mains.
EGLISE DE PARILLY (28 janvier 1791). — Objets se trouvant dans la sacristie : deux calices avec leurs patènes, un ciboire, un soleil et une petite custode, deux croix, une argentée et l'autre de cuivre, seize chandeliers de cuivre et une croix en cuivre servant au banc de l'oeuvre, deux paires de chopinettes d'étain, deux assiettes en étain pour quêter, plus sept aubes tant bonnes que mauvaises, plus vingt-six nappes d'église et quatre pour les morts ; une boîte en étain pour les saintes huiles ; plus douze amicts, trente-deux purifitoires, douze lavabos, six corporaux et deux pâlies ; quatre bourses : une blanche, une violette, une verte et une autre blanche à fleurs ; neuf cordons ; deux nappes -de communion, un voile blanc pour les mariés, plus une chape de damas vert et le'surplis de damas vert à fleurs d'or et le surplis couleur de roses à fleurs d'argent et une chasuble; l'étole et le manipule de même étoffe; plus une chape de velours à fleurs, dont le chaperon est cle clamas vert or fin; plus une chape noire detafetas dont les orfrois sont de damas blanc et une chasuble de pareille couleur y compris l'étole et le mani--
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pule, plus une autre chasuble noire de ras et les deux dalmatiques pareilles, plus une autre chasuble de soie noire; plus une chasuble de ras blanche, étole, manipule, voiles pareils, plus une chasuble d'étoffe de soie blanche, la croix brodée de toutes couleurs; plus une chasuble, l'étole, manipule et voile de velours rouge, ainsi que les parements et garnis de galons de laine rouge, plus une chasuble de soie à fleurs rouges et sa suite, plus une chasuble de soie violette et sa suite, plus une autre chasuble violette en laine et sa suite : puis une autre chasuble verte, le fond de la croix blanc de plusieurs couleurs et sa suite; plus une autre chasuble et sa suite à la chapelle de Saint-Lazare ; plus un tour de chasse de velours rouge et la frange d'or et d'argent ; et la châsse cle bois de chêne ; plus un devant d'autel d'étamine noir avec une croix blanche et un pavillon de même étoffe semé de larmes blanches.
Les draps mortuaires de serge blanche et noire ; plus un parement de dentelles de damas rouge brodé de grosses fleurs de toutes couleurs, plus un autre de la même étoffe, plus un autre pavillon violet, plus un habit de la Vierge, de coton rouge, plus un parement d'autel violet, plus un parement d'autel en gros à croix rouge, un devant d'autel en blanc à fleurs de plusieurs couleurs ; une autre d'étoffe blanche avec une croix de passement d'or fin ; une autre devant d'autel de soie blanche à toutes couleurs; une bannière, deux étoles pastorales de soie, deux encensoirs de cuivre, deux lampes de cuivre dont une argentée, trois devants d'autel en cadres à fleurs blanches et vertes ; un bénitier de cuivre rouge avec son goupillon, une commode dans la sacristie servant à mettre les ornements, un petit coffre servant à mettre les titres et papiers ; une une autre petite armoire ouvrant à deux battants
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aussi pour les linges de l'église, plus deux cloches servant à l'usage de l'église.
CHAPELLE SAINT-JÉRÔME, PAROISSE DE ST-LOUANS (5 avril 1791). — Objets se trouvant dans cette chapelle : deux aubes, quatre nappes, deux chasubles, deux étoles, deux corporaux, deux voiles, deux cordons, quatre amicts, dix lavabos, huit purificatoires, deux devants d'autel, deux chandeliers, six bouquets, six vases en bois, un crucifix en cuivre, une clochette, deux chopinettes d'étain, un missel, trois cartons.
IX. — INVENTAIRE DE Mi4e DE CONAN DAME DE RIEUX (1565).
(Communiqué par Mc Langlois et extrait de son étude de notaire.)
La maison de Rieux est une des plus anciennes de Bretagne, où ses seigneurs paraissent avec éclat à la Cour des ducs dès le xi" siècle et possédèrent de beaux domaines. Un des plus connus est Roland, sire de Rieux, qui fit partie de l'Assemblée, réunie à Vannes en 1203, pour venger la mort d'Artus de Bretagne. Son fils Alain se souleva contre Pierre de Dreux, duc de Bretagne, à cause des injustices de celui-ci pour la levée du droit de bail. Il donna le jour à Gilles, qui se croisa, et qui mourut en 1255. De Gilles est descendu Geoffroy, dont Guillaume, dont Jean I". dont Jean II, maréchal de France, dont Jean III, dont François, ctl! d'Harcourt et chambellan de Louis XI. François eut pour fils Jean IV, maréchal de Bretagne, et compagnon de Charles VIII en Italie ; de ce Jean, naquit François, tige des Rieux d'Acérac, qui épousa Renée de la Feillée. François avait pour frère Claude I", qui s'unit à Suzanne de Bourbon, et Jean, tige des Châteauneuf, auquel sa femme Beatrix de Jonchères donna la célèbre Renée de Rieux, dite la belle de Châteauneuf, fille d'honneur de Catherine de Médicis et favorite de Henri III, encore duc d'Anjou.
De François de Rieux et de Renée de la Feillée est né René,
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seigneur de la Feillée, de l'Isle-Dieu et de Belle-Isle, chevalier et chambellan du roi, et aussi du roi de Navarre, lieutenant des cent hommes d'armes de la compagnie du prince de Condé. Il mourut le 25 août 1575, et fut enterré dans l'église des Cordeliers de Nantes où se voyait son épitaphe. René de Rieux épousa Marguerite de Conan, fille de François de Conan, seigneur de Robestan, maître des requêtes, et de Jeanne Hennequin. De ce mariage, naquirent : Jean l'aîné, marquis d'Acerac, tué à Paris en 1595, qui s'unit à Jeanne-Hélène de la Motte de Vaucler, dame de la Hunaudaye, dont le fils René, né en 1592, périt dans le Tibre en 1600, en voulant sauver un de ses pages qui se noyait; Jean le jeune, qui fut seigneur de la Feillée, et Suzanne qui, en 1601, épousa Pierre de Montmorency, seigneur de Lauresse 1. C'est à Marguerite de Conan que se rapporte l'inventaire dont il s'agit.
Inventaire et apréciation faicte par nous Martin Portays et Jehan Foucher notaires royaulx à Tors des meubles, bagues, joyaulx et doreures apartenant à noble demoiselle Margueritte Deconan suyvant le contract de mariage faict entre elle et noble homme René de Ryeulx sr de l'Isle Dieu, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roy passé à Nantes le quatorziesme jour d'octobre dernier par devant Chebvet et Mabit notaires royaulx aud. lieu de Nantes, et pour led. inventaire et apréciation faire de ses bagues, joyaulx a esté apellé honneste personne Guillaume Decarnoys facteur de honneste homme sire Jehan Trudaine orfèvre du roy en présence de noble homme Guillaume de Boisdavy, sr dud. lieu de bois davy sénéchal de Belile en mer et député pour ce veoir de la part dud. sr de l'Isle Dieu, et de Michel Daulphin, député de la part de lad. damoiselle. Et pour ce faire nous ont représenté les bagues et doreures qui s'ensuy vent.
Et premièrement ung carquan d'or perse à jour esmaillé de blanc et rouge auquel est aplicqué plu1
plu1 Anselme, Histoire généalogique, etc., U VI, p. 763, etc.
sieurs pierres de cristal contenant vingt une pièces pesant deux onses sept gros apprécyées par led. de Carnoys à la somme de quatre vingt dix sept 1. cinq s. comprins la faczon dud. carquan. Deux escofyons de poil teint ou sont aplicqués plusieurs boutons de perles, à l'un desquelz escofions sont aplicqués quarante boutons de perles et or esmaillés de rouge et sur l'autre sont aplicqués trente trois boutons aussi de perles et or esmaiilés en gris apréciés les deux ensemble à la somme de sept vingt six 1. Une paire de brodeures d'or esmaillés de blanc et rouge a escailles et de fil de rapport contenants les deux ensemble soixante neuf pièces l'un cousues et attachés de présent sur velours noir et l'autre sur satin blanc appréciées ensemble or et faczon quatre vingts dix 1. Une autre paire de brodeures esmaillées de blanc et noir contenant les deux ensemble soixante pièces percées à jour appréciées or et faczon à la somme de cent 1. Une autre paire de brodeures d'or sans esmail à canette siées et persées à jour, toutes les deux ensemble soixante huict pièces appréciées ensemble tant or que faczon la somme de six vingts 1. Une autre paire de brodeures d'or esmaillez de rouge noir blanc et vert faicte à boulions contenant les deux ensemble quarante deux pièces appréciées ensemble or et faczon la somme de six vingts 1.
Une autre paire de brodeures d'or à canettes esmaillés de noir contenant soixante et huit pièces sur lesquelles deux brodeures sont aplicquées trante quatre grosses perles demyes rondes et plusieurs autres petites perles aplicquées sur chacune desd. pièces appréciées or, perles et faczon la somme de six cents 1. Une autre paire de brodeures d'or taillée et cyselée, esmaillée de plusieurs coulleurs contenant quarante quatre pièces ou sont aplicquées savoir sur vingt trois desdites pièces à chacune ung diamant et sur les vingt
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et une aultres pièces à chacune quatre perles rondes, appréciées or, diamant, perles, et faczon la somme de quinze cent 1. Une chesne d'or et de parfin à mettre avec le carcan de mesme et une autre cotouère semblable où sont aplicquées plusieurs perles demyes rondes avec une autre chesne d'or et de parfin garnye de grains de gestz et grains d'or perses à jour esmaillés dazul et ung petit carcan d'or et de parfin esmaillé d'azul et percé à jour, poisant le tout ensemble sept onczes appréciés le tout ensemble or, perles, parfin et faczon la somme de quatre cens soixante dix 1. Une grosse chesne à saindre avec la coutouère de mesme et ung quarquan de mesme pareure avec le vase de lad. chesne le tout d'or et esmaillé de blanc, poisant le tout ensemble unze onczes trois gros vaillant or et faczon le tout ensemble la somme de trois cens vingt cinq L Trois carquans d'or esmaillé de blanc et noir à l'un desquelz est aplicqué des grenatz et perles poisant les trois ensemble quatre onses appréciés tant or, grenatz que faczon la somme de cens dix-huit 1. Deux chesnes d'or l'une esmaillée de rouge, blanc et noir et l'autre sans esmail poisant les deux ensemble quinze unczes deux gros appréciées ensemble or et faczon la somme de trois cents quatre vingts 1. Une autre chesne d'or sans esmail de doubles (deest) et de chiffres perses à jour et ung carquan d'or perse à jour aussi sans esmail où est aplicqué unze perles rondes, poisant les deux ensemble quatre onczes ung gros apprésiées tant or, perles que faczon la somme de sept vingt 1. quinze s. Deux dizains garnys d'or l'un d'agathe et grains de grenaz esmaillés de rouge, vert, blanc et bleu et l'autre de gros grains de turquin et perles entre deux esmaillés de rouge vallant les deux ensemble tant or, perles, grenatz, et faczon la somme de trois cents 1. Une chesne de perles rondes à saindre poisant une oncze six gros
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appréciée la somme de trois cens 1. Ung corps de sainture...., quarante trois.... ou est appliqué entre deulx des petites parles le tout poisant une uncze quatre gros et demy apprécié la somme de trante 1. Une paire de bracellets d'agatte cornaline et lappys où est aplicqué vingt deux pierres desd. sortes taillées et gravées garnys d'or sans esmail appréciés ensemble la somme de cent 1.
Ung petit carquan d'or perse à jour esmaillé de blanc et rouge poisant une oncze deulx gros appréciés la somme de trente six 1. Une chesne toute de parles rondes ou est aplicqué entre deulx des canons d'or esmaillés de rouge avec ung corps de sainture de six vingt deux grosses parles demyes rondes à deux rangs entre lesquelles est aplicqué des petites parles et des croix d'or esmaillées cle rouge, poisant ensemble quatre onczes moings ung gros apprécié ensemble la somme de trois cens cinquante 1. Une chesne à saindre faicte d'or petites perles et grenatz taillés en oranges poisant deux onses sept gros et demy appréciée or grenatz, parles et faczon la somme de cent 1. Douze perles rondes fort belles appréciées à la somme de trante 1. Quatre vingts quatre parles rondes ung peu rousses vallant ensemble six vingts six 1. Deux pièces de brodeures d'or esmaillées en rouge noir blanc et vert à boullon appréciées sept 1. dix s. Deux pendans d'or esquelz sont aplicqués quatre rubis et deux perles appréciés douze 1. dix s. Deux autres petitz pendans aussy d'or faicts de trophées darmes esmaillez de plusieurs coulleurs appréciés ensemble quatre 1.
Deux grosses parles ung peu rousses appréciés ensemble soixante 1. Ung chiffre dor apprécié or et faczon sept L, dix s. Huit douzaines neuf d'escuillettes dor esmailliés de blanc faictes à pompettes appréciées ensemble or et faczon la somme de huict vingts quinze 1.
Vingt cinq boutons d'or esmaillés de blanc appréciés or et faczon vingt trois 1. quinze s. Ung enseigne d'or àmedalle à mettre à ung chappeau ou est aplicqué ung grenat sur la teste apprécié or et faczon la somme de quinze 1. Vingt-quatre boutons en cristal garnys d'argent doré appréciés ensemble la somme de vingt 1. Ung petit carquan d'or esmaillé de blanc et noir apprécié or et faczon la somme de vingt cinq 1. Six douzaines et quatre boutons de parles faictz et appréciés ensemble vingtdeuxl., dix s. Unesainturede velournoirgarnye d'or où sont aplicqués plusieurs chiffres appréciés or et faczon quinze 1. Quarante quatre escuillettes en fin d'argent appréciées ensemble à la somme de six 1. or et faczon.
Constat en glose les motz une | d'or J une autre paire | quatre | une [ or et faczon | vert | rondes | fers | à medalles | quarante quatre |
Faict a Tours le vingt troisiesme jour de novembre lan mil cinq cent soixante cinq. — Ducarnoy.
Et le vingt sixiesme jour du susdit moys et an en contynuant à la parfaction dud. inventaire suysmes transportés en la maison de Gaspart Delusson maître ouvrier en draps de soye demourant sur la parroisse Notre Dame de la Riche où est de présent l'un des logis dud. sr, en la compagnye du d. Michel Daulphin procureur de lad. dame et en la présence de noble homme Pierre Ligiart escuyer, archer de la garde du roy à présent demourant et résidant au service dud. sr lequel Daulphin nous a représenté ung coffre de bahu fermant à clef auquel coffre a esté trouvé les habillements à ladicte dame apartenants cy après inventairiez et lesquelz en la présence et du consentement des d. Daulphin et Ligiart ont esté apréciés par honneste personne françoys Millart me tailleur d'habillement en ceste ville deTorz.
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Et premièrement : Une robe de toille de satin incarnat broché d'argent apprécyées à la somme de soixante cinq 1. Une robe à queue et poignetz et manches de toille d'or damassée passemantée d'argent appréciée à la somme de deux cens quatre 1. Une robe à queue de tocque d'argent et de soye rouge et blanc appréciée vingt six 1. Une robe à queue de toille d'or, d'argent et soye rouge bordée d'un passemant d'or et d'argent appréciée à la somme de six vingt dix 1. quinze s. Une robe à queue de toille d'or cramoisy figurée damassée d'or et soye cramoisy bordée d'un passemant d'or et d'argent appréciée à la somme de cent 1. Une robe à queue de clamas blanc bandée et bordée d'un passemant d'or appréciée à la somme de cent 1. Une robe à queue de velours cramoisy bandée et bordée cle passemant d'or et d'argent fin appréciée à la somme de trois cens 1. Une autre robe à queue de velours noir bandée et bordée de passemant d'or appréciée à la somme de deux cens cinquante 1. Une robe de taffetas noir à queue bordée de passemant d'or appréciée quinze 1. Une autre robe ronde de taffetas gris manchetée bordée dépanne de soye appréciée sept 1.
Une robbe a queue de taffetas fleur de pescher bordée de velours cramoisy et de taffetas de soye appréciée vingt cinq 1. Une robbe de damas noir à queue bordée et passementée d'argent aprécyée à la somme de vingt 1. Une robbe de taffetas noir., bordée de velours noir appréciée quinze 1. Une autre robe à queue de taffetas chenille garnye par tout le corps et davant de boutons de gestz couverte d'argent appréciée à la somme cle vingt cinq 1. Une autre robe ronde de damas noir bordée cle velours noir appréciée à cent s. Une robe de burat de soye bordée d'un passemant de soye noir appréciée à dix 1. Une autre robe ronde de taffetas noir bordée de passemant de soye
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garnye par le davant et par les manches de boutons d'or esmaillés cle blanc et noir appréciée quinze 1. Un cotillon de taffetas changeant bandé d'une bande de velours jaulne passementée à trois passemens d'argent appréciée soixante 1. Ung dessus de vasquin de satin cramoysy bandée de trois passemens d'or apprécié à trante 1. Ung autre dessus de vasquin de satin blanc à fleurs bordé avec trois passemens d'or apprécié trente 1. Ung autre dessus de vasquin de taffetas chenille bordé de passemens serge de soye apprécié soixante s. Ung petit manteau cle taffetas noir à porter à cheval bordé de passement serge apprécié à cent s. Ung autre manteau de taffetas noir aussi à aller à cheval ayant une bande de velours noir couvert de quatre canetilles d'or et ung bor de velours canetillé garny de boutonnières de fil d'or avec ung davant de cotte de mesme led. manteau aprécié quarante 1. Une robbe de toille d'or d'argent et de soye noyre appréciée vingt cinq 1.
Du lendemain vingtseptiesme jour des d. moys et an que dessus led. Michel Daulphin en la présence dud. Liziard cy dessus nommé estant en la maison dud. Delusson nous ont présenté autres abillements ensemble deux boestes de cuyr noyr ou estoient plusieurs meubles comme manches, coëffes, collectz, saintures, carcans et autres choses cy après déclarées qui ont esté aprécyés savoir les habillements par le d. Francoys Millart tailleur et lesd. besongnes et meubles estant es boestes par Michel Dedouet marchant mercyer suyvant la court, natif de Ver en Normandye présens pour ce faire.
Et premièrement lesd. habillements. Une robe de velours noir figure à ondes bordée en passemant d'un passemant dargent apprecyée à deux cens cinquante 1. Une robe de satin noir a flure bordée de velours appréciée vingt 1. seize s. Une robe de velours noir à queue
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bordée de mesme appréciée quatre vingt dix 1. Ung manteau à porter à cheval de taffetas noir doublé et bandé de velours noir garny de boutons de soye apprécyée cinquante 1. Une robe en velours figuré fort usé appréciée huit 1.
Sensuyvent les besongnes et meubles estans esd. deux boestes. Ung cynturon avec la chesne et le carquan de pourcelayne à roue garnys de parles apprécié a vingt 1. seize s. Une cynture longue avec une chesne et quarcan de nacle de perles garnys de petits grains de cristallin appréciée dix 1. huict s. Deux petites chesnes coutoueres de grains d'esmail garnyes de petits canons d'or appréciée sept 1. seize s. Une coutouere de cristal de roche garnye de gerbes dor de trois pièces esmaillées d. rouge appréciée trante 1. Ung cynturon et une coutouere de coural et de mures de perles, garnyes de gerbes d'or apprécié cinquante deux 1. Une cynture et une coutouere à fer de moulin montée d'or et montée de porcelayne avec le vase garny d'or appréciée cinquante 1. Une chesne et quarquan d'or etdegrins d'aiguë maryne bleu appréciée vingt six 1. Ung cynturon avec la coutouere à poupon d'esmail blanc et noir garni de globes d'or esmaillé de noir appréciée la somme de trante cinq 1. Une paire de manches d'or battu garny rozes dargent et de papillottes appréciée a quarente six 1. Une paire de manches de satin jaulne gaulfré passemantez de passements d'argent appréciée dix sept 1. Une autre paire de manches de satin coulombe aussi gaulfrés et passementés de passemant d'or appréciée à vingt cinq 1. Une autre paire de manches de velours cramoisy passementées d'un passemant d'or et d'argent appréciée à trante 1. Une autre paire de manches de satyn noir passemantées de passement d'argent appréciée quatorze 1. Une autre paire de manche de cane tille et de fil d'or appréciée quinze L
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Une paire cle manches de satin noir passementées d'or apprecyé cent s. Une autre paire de manches à compartyment avec passement de natte d'or apprécié dix huict L'Une autre paire de manchons de satin blanc passementées de passemant d'or appréciée à vingt 1. Une autre paire de manches de satin cramoisy toutes plaines appréciée à soixante s. Une autre paire de manches de toille d'argent appréciée dix 1. Une autre paire de manches de guypeuse et danctelle d'or et dargent appréciée quinze 1. six s. Une autre paire de manches de toille d'argent damassein appréciée dix 1. Une autre paire de manches de taffetas changeant découppées appréciées quarante s. Une autre paire de manches de satin noir appréciée vingt s. Un bonnet de velours noir garny de grain d'or et de petits boutons aussy dor apprécié trante 1. Trois coeffes d'or et d'argent baptudont en y a une garnye de rozes vert blanc jaulne et incarnat, l'autre d'argent a incarnat et la tierce toute d'or et d'argent appréciées les trois ensemble trante L Quatre pièces de passemant l'un d'argent et incarnat, l'autre toute d'argent et les deux autres d'or et d'argent appréciées vingt huict 1. Quatre pièces de rubans et... d'or et d'argent fin appréciées vingt 1. Une coeffe en canons de voirre et d'or appréciée cinquante s. Six collectz de raizeau garny d'or et d'argent appréciés ensemble à la somme de soixante 1. Six autres collectz aussi de raizeau tous garnys d'or et d'argent appréciés quatre vingts dix 1. Deux collects de crespe voilant passementés de passemant de soye coulombin appréciés ensemble cinquante s. Ung collet dor baptu garny de rozes et papillottes d'or et d'argent dessus apprécié vingt cinq 1.
Un agneau d'or à mettre aux doibz enquel est enchâssé ung diamant taillé en croissant apprécié par led. Trudaine orfebvre quatrevingt dix L Deux autres agneaux
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aussi dor en l'un desquelz est enchâssé ung cabochon de ruby et en l'autre une table de ruby appréciés ensemble vingt 1. Trois aultres agneaulx aussi dor esquelz sont enchâssés trois tables de dyamans appréciés les trois ensemble trante 1. Ung autre agneau dor esmaillé de plusieurs coulleurs auquel est aplicqué trois petitz dyamans et trois petitz rubis appréciés sept 1. Plus trois douzaines et demye d'esguillettes d'or appréciées à trante 1. Une ayguière, une coupe et ung chandelier le tout d'argent poisant ensemble trois marcs et demy douze onczes appréciés à dix sept 1. le marc soixante 1. dix s.
Et le vingt huictiesme jour dud. moys et an que dessus a esté présent en sa personne led. hault et puissant Sr René de Ryeulx lequel après avoir tenu, veu, et leu mot à mot le contenu de l'inventaire des biens cy dessus inventairiés à lad. damoiselle apartenant a led. inventaire loué, ratifié, consenti, aprouvé et eu pour agréable comme si présent y eust esté en personne et desd. biens y mentionnés et inventairiés sen est tenu pour comptant ensemble desaprésiations faictes d'iceulx bien ainsi qu'il est porté est contenu par led. inventaire, auquel icelui Sr ensemble lad. damoiselle aussi à ce présente ont faict arrest et de tout ce que dessus requis nous notaires leur avons octroyé pour leu servir et valloir en temps et lieu ce que de raison et en tesmoing de vérité icelui est signé de leurs seings manuels et des seings de nous notaires à leurs registres les jour mois et an que dessus.
René de Rieulx. ' Portays.
M. deConnan. Foucher.
Du 26 novembre 1565 procuration devant MMes Portays et Foucher notaires à Tours par hault et puissant seigneur René de Rieux sr de l'Isle Dieu et M"e Mar-
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guérite de Conan. Guillaume de Boisdavy sr dud. lieu et noble homme Pierre Boesteau sr de Rochefort advocat en la court de parlemant a Paris, pour M° de Rieux, et à noble homme Jacques... sr de Dyon conseiller du roy en la court du parlement de Paris et Raphaël Guilbaudois advocat à la court pour Marguerite de Conan. Pour faire procedder par les notaires du chastelet de Paris à la confection de l'inventaire des autres meubles, debtes deniers, et bagues estant en lad. ville de Paris a elle appartenant pour en assurer la reprise en nature en cas de décès.
X. — INVENTAIRE DE SAINT-SIMPLE
Vente faite à l'occasion.de la suppression de l'église (1777).
(Note communiquée par M. G. Bonnery.)
M. Cartier, curé de la Ville-aux-Dames, achète un bénitier 235 1. 15 s., et une boîte aux Saintes-Huiles 50 1. 8 s. 3 d. — M. Moreau, curé de Vallières, un calice et sa patène 144 1.15 s., et une paire de burettes 48 1. 10 s. — M. Legris, chanoine de Saint-Pierre-lePuellier, un crucifix et deux chandeliers 4 L, un calice et patène 113 L, et un tableau 10 1. — M. Deslandes, curé à Saint-Avertin, les boiseries, rétable d'autel, banc d'oeuvre, cariatides 300 1. — M. Barbier, curé à Chambrai, un tabernacle 70 1. et un ciboire 119 1. 12 s. 6 d. — M. de la Chaise, prieur à Ambillou, un ciboire 841.15 s. et une statue de saint Louis 15 1. — M. Moreau, du chapitre de Tours, une croix d'autel 135 1. — M. Lefebvre, chanoine de Saint-Venant, les bancs 100 1. — M. Dumont, chanoine de Saint-Mar-
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tin, les marchepieds d'autel 12 1. — Les dames de l'hôpital de la Madeleine, fine custode 63 1. 8 s. 9 cl. — M. Poirier, vitrier, les vitres 36 1.14 s. — M. Vazon, vicaire à Montrichard, une garniture de chandeliers et croix de bois argenté 27 1. •— M. Marchand, receveur de MM. de l'église de Tours, les 4 cloches de Saint-Simple et du Chardonnet, 1085 1.5 s. — M. Robin, dit Simonin, fondeur, la cuvette des fonds, 4 1. 10 s. — M. Désiré, curé de La Croix près de Bléré, le soleil (ostensoir), 1841. 8 s. —M.Bardin, curéà SaintCyr-du-Gaut, 1 tableau 100 L, un bénitier en marbre, 36 1. — M. le curé de Cigogne, le dais, 172 1. — M. Deschamp, desservant de Saint-Genoulph, un graduel, 18 1. — M. Barbé-Bellanger, orfèvre, un lot de vieille argenterie 765 1. —MM. Vaux et Joubert, charpentiers, payent les matériaux divers 2475 1. — Divers ornements et des lots de linge furent répartis entre les églises pauvres.
XL — L'ÉGLISE DE SAINT-PIERRELE-PUELLIER
[Une partie subsiste au nord de la place Plumereau.} (Arch. dlndre-et-Loire, Biens nationaux, n° 32.)
« Cette église est bornée au nord par le préau et les bâtimens dépendant du cy devant chapitre, du midi par le carroy, du levant par la rue de l'Écouerie, et du couchant par celle des Trois-Pucelles, ayant de longueur vingt toises sur treize deux pieds de largeur, le tout hors-d'oeuvre, construite sur un plan de figure parallélogramme, ayant une principale nef et deux bas côtés, le tout voûté en pierre de taille dont les voûtes sont posées sur les murs d'enceinte, piliers et
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contrefort, ledit édifice surmonté au milieu de la nef d'un clocher ou tour en pierre de taille sur un plan carré, à sa base, dans lequel est un befroy en charpente, et terminé par une pyramide en pierre sur un plan octogone, et dont le surplus des voûtes des bas côtés et nef est terminé par un comble dont la charpente à deuxégoûts, est couverte en ardoise. Dans l'intérieur de l'église sont dix autels dont les rétables et contre-rétables ne sont point compris dans notre évaluation, ainsi que les stales du choeur, bancs, tambours des deux portes d'entrée et celui du côté du préau, et généralement tout revêtissement en menuiserie, chaire à prescher, grilles en fer formant la clôture du choeur, marchepieds des autels et le carrelage en dales de pierre dure cle partie de la surface de l'église.
Sont compris dans notre estimation les murs à hauteur d'appui sur les quels sont posées les grilles du choeur, la tribune construite en charpente au bout de l'église et au couchant. Au levant est une sacristie voûtée et adossée au dit édifice, couverte en appenty; ne sont point compris dans notre estimation les armoires et placards qui y sont en ce moment. Se trouvent comprises les trois petites boutiques situées entre les contreforts au midi et au couchant. Au nord de lad. église est un cloître et préau dont les arcades du cloître sont construites en maçonnerie dont la charpente en comble à un égoût est couverte en ardoise, adossée à l'église et aux bâtimens des dépendances du cy devant chapitre, ayant de longueur ledit préau et cloître du nord au midi, 14 toises 4 pieds sur 10 toises 3 pieds de largeur du levant au couchant ; entre sept arcades du dit cloître est construit une chambre servant au chapitre ; au pourtour du préau et cloître sont plusieurs passages communicant aux maisons dépendantes du chapitre desquels il ne convient conserver que celui près
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et adjacent l'église et joignant la maison du sieur Cormier, laquelle est commune par un traité fait entre les devanciers de la maison et les chanoines aux conditions d'une rente de 30 solz. Laquelle église, préau et cloître, nous estimons la somme de 17,000 1. Il nous reste à observer que nous n'avons point compris dans l'estimation le vitrail de la chapelle de la Vierge peint sur verre par la main des célèbres Lepellerin, frères, natifs de Tours, seuls restes en cette ville de leurs ouvrages, et digne d'être conservé et placé dans l'une des paroisses qu'il plaira à messieurs du district d'indiquer, nous offrant à cet effet de conduire sans frais pour ce qui nous concerne à sa fin. — A Tours, le 3 novembre 1791. PINGUET. »
DOMAINE DE DIANE DE POITIERS
A AMBOISE
Dans sa Notice historique sur le château de Chenonceau (page 43), M. l'abbé Chevalier nous apprend que Diane de Poitiers « pour moins perdre de vue son royal esclave, avait acheté des vignes sur le coteau d'Amboise, près du château, avec le dessein d'y bâtir une maison ». Cette affirmation s'appuie sur deux contrats du 16 mai 1556, par lesquels la belle et ambitieuse favorite acheta deux parcelles de vigne sur le Chatellier, près le chastel d'Amboise « pour en icelles bastir, construire et édifier maison, cour, jardins, vergers et austres choses qu'elle verra estre à faire pour placer commodément et honorablement son logis ». Il ne paraît pas sans intérêt de faire connaître ces actes retrouvés au cours de mes recherches : je me pro-
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pose de reproduire le premier de ces documents que j'ai copié dans son entier ; quant au second, pour éviter des répétitions, je me suis contenté de l'analyser et je n'en rapporterai que les parties principales ; du reste, il me serait difficile de faire autrement, car la fin de la pièce manque, quelque ménagère l'aura utilisée sans doute à des usages domestiques.
Voici l'acte d'acquêt :
« Saichent tous présens et advenir qu'en la cour du roy, notre sire, à Amboise, par devant nous, personnellement establi, honorable homme René de Combras, dict Pied de bille, huissier de salle du roy, demourant en faubourg de Violette, proche le chastel d'Amboise, soubzmettant soy ses hoirs et ayant cause avecque tous et chacun ses biens présens et advenir, soubz le pouvoir, ressort et juridiction delà dicte cour quant a ce :
« Lequel a vendu cédé délaissé et transporté et par ces présentes cedde délaisse et transporte dès à présent à toujours mais à héritaige et a promis et promet garantir à haulte et puissante dame et princesse madame Dyane de Poictiers, duchesse de Valentinois et de Dyons, absente, maître René de la Bretonnière, escuyer seigneur, mre des requestes ordinaires de la Royne, son procureur, suffisamment et spécialement fondé quant au faîct qui s'ensuyt, comme il a faict apparoir par lecture et procuration passé par la dicte dame duchesse et princesse, signé Richart, passé en la cour du prévost de l'hostel à Chambord le sixième jour du présent mois et an le roy y estant à ce présent et achaptant stipulant et acceptant, avec nous notaires cy soubzsignés pour et au nom de la dicte dame ses hoirs et ayant cause, une pièce de vigne contenant ung quartier et demi trois chaînées situé sur les Chastelliers proche le chastel d'Amboise, joignant d'un long à la vigne des héritiers feu Jehan Gastignon, d'un
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autre long à la maison du dict vendeur et sur les pendants du roc, d'un bout au chemin tendant du chastel du dict Amboise en Violette et d'autre bout aux vignes qui furent au dict défunt Gastignon. Au fief des doyen chanoine et chapitre de notre Dame de S4 Florentin d'Amboise tenu à cinq sols du cens et rente payable au jour de Noël et S4 Jean-Baptiste par moitié, pour toutes charges et debvoirs franc et quitte de tous arrérages jusques à huy. L'avoif, tenir, jouir, user, posséder et exploiter par la dicte dame duchesse achaptaresse ses hoirs et ayant cause. La dicte pièce de vigne ainsi vendue et transportée comme dict est et en faire et disposer dorénavant à tous et suivant toute sa plaine volonté plainement et paisiblement par nom et titre de la présente vendition. Laquelle vente a esté faicte pour le prix et somme de soixante quinze livres tournois, laquelle somme ains a été payée contant en nos présences par le dict de la Bretonnière
procureur susdict des deniers de la dicte dame duchesse achaptaresse en or et monnoye ayant à présent cours, dont il s'est tenu pour contant et bien payé et en a quitté et quitte la dicte dame duchesse achaptaresse ses hoirs et ayant cause à la charge, convention et observation faicte que les fruicts étant à présent pendants par les racines en l'héritaige cy dessus vendu seront et appartiendront pour cette présente année seulement au dict vendeur, lesquels fruicts il fera cueillir, prendre et amasser sans aucunement détériorer ou incommoder le fond et propriété d'ycelle et aussi à la charge et convention faicte que la dicte dame duchesse, incontinent les dicts fruits recueillis et enlevés, pourra les faire arracher, defrenner et démolir en icelle pièce de vigne ce que bon lui semblera et en icelle bâtir, construire et édifier maison, cours, jardins, vergers et aultres choses qu'elle verra
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estre a faire pour placer commodément et honorablement son logis, aproprier et accomoder ses gens, famille, hoirs et ayant cause promettant le dict vendeur en bonne foy sous l'obligation de tous et chacun
ses biens présens et advenir garentir et défendre
la dicte pièce de vigne ainsi vendue et transportée comme dict est à la dicte dame duchesse achaptaresse
ses hoirs et ayant cause de tous ennuis et évictions
et tous troubles et empeschements quelconques à toujours quoy advienne nonobstant droicts establys
et coutumes du pays a ce contraires et de n'en jamais aller faire ni venir encontre en aucune manière et renoncer généralement à toutes choses convenues et acceptées. Ce fut faict audict Amboise et jugé à temps par le jugement de la dicte cour le dict vendeur à ce présent et aux choses susdictes consentant et scellé avec requeste du scel royal estably et dont l'on use aux contracts royaux d'Amboise. Donné et faict le seizième jour de may l'an mil-cinq-cent-cinquantesix et ce même jour et an que dessus en la présence de nous notaires royaux à Amboise soubzsignés, le dict de la Brétonnière procureur de la dicte dame duchesse, s'est transporté en personne sur la dicte pièce de vigne de laquelle en la présence et du consentement du dict vendeur il a preins et appréhendé la possession et
saisine et en signe de ce est entré en
icelle allé et venu par dedans a rompu et cassé des bourgeons d'icelle disant qu'il en prenait possession
pour la dicte dame duchesse et faict aultour à ce
requis et nécessaires dont il nous a requis acte auquel nous avons octroyé ces présentes pour servir à la dicte dame duchesse ce que de raison.
(Signé) Cormier. (Signé) Dercourt ».
Quant au second acte, concernant l'acquisition faite
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par Diane de Poitiers, le voici dans la partie qui complète la première pièce :
« Saichent qu'en la cour du roy notre sire....
honneste personne François Chastaigner, marchand, demourant au dict Amboise, a vendu à heritaige à haulte et puissante dame madame Dyane de Poictiers, duchesse de Valentinois et de Dyons, absente, Me René
de la Brétonnière, escuyer, seigneur de Cangé son
procureur suffisamment fondé, quant au faict qui
s'en suyt une pièce de vigne de ung quartier et
quart de quartier située sur le Chastelier, près le Chapitre d'Amboise, joignant d'un long aux vignes de la dicte dame duchesse, acquerresse, par acquest qu'elfe a faict le jour dhier de Pasquier Portier, d'aultre long aux vignes de Ligier et Lafons, d'un long aux vignes de la dicte dame par acquest par elle faict le jour dhier de la veuve et héritiers de feu Gillet Dorimeau, d'autre bout au chemin par lequel on va du chastel d'Amboise à la fontaine S4 Florentin d'Amboise et tenue à 3 sols et 4 deniers tournois de cens et de rente, le jour de S4 Jean pour toutes charges et debvoirs. Vendu pour le prix de 46 livres tournois payés comptant, etc »
Assurément ces actes n'apportent pas une contribution importante à l'histoire de Diane de Poitiers, mais comme tout ce qui touche à la vie de la célèbre favorite de Henri II, particulièrement en ce qui concerne la Touraine, est de nature à piquer la curiosité des chercheurs, j'ai cru devoir publier ces documents ; il m'a semblé qu'on ne m'en voudrait pas d'attirer l'attention sur ce qui regarde les projets de Diane au sujet du petit palais qu'elle se proposait d'édifier dans le voisinage du grand palais royal, une sorte de Trianon auprès du Versailles des rives de la Loire.
A. GABEAU.
MONUMENT D'AGNÈS SOREL
1. Tombeau d'Agnès, état actuel. — 2. M., détail. — 3. M., statue tombale. — 4. Etat ancien (1699).— 5. /<*., statue tombale (1S99).— 6. Bas-relief en bronze figurant Agnès avec sa patronne devant la Vierge (détruit) —7. Vue du Château de Loches, d'après Gaignières. — 8. Vue de l'Abbaye de Beaulieu, id. \1699).
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LE TOMBEAU D'AGNÈS SOREL
A LOCHES
I. —■ L'état primitif.
Agnès Seurel ou Sorel, fille de Jean Soreau et de Catherine de Maignelais, vint au monde à Fromenteau, dans le Berry ; on admet communément qu'elle naquit en l'année 1409. Charles VII remarqua Agnès, devenue dame d'honneur de la reine, et l'admit clans son intimité; Agnès, dit-on, mit au monde une fille qui mourut en bas âge et dont le prince désavouait la paternité 1. Toujours est-il qu'après une existence consacrée à la séduction et au luxe de la cour, elle mourut le 9 février 1449 (a.s.), à Jumièges, où elle était allée pour rejoindre le roi. Ses entrailles furent inhumées dans ce monastère et son corps fut transporté dans la collégiale de Loches'. Suivant sa volonté, grâce à une donation qu'elle fit au chapitre, ses restes furent mis
1 Nous lisons dans la chronique de Gaguin, Historiarum Francioe, lib. X : « Constans mea oelate fama fuit eam a Carolo adainatam fuisse et puellam brevissima; vit» peperisse, quamque Carolus ex se prognatam esse omnino diffiteretur. » Edit. 1!>04, f. CXXXIII.
* « Decessit in eo (Gemetensi) coenobio Agnes, condito LX niillium aureorum leslamento. Ubi exsecta ejus praccordia humo Iradita sunt, reliquum cadaver Lochias elatum et in divoe Mariic templo sepultum.'Fuit namque admodum lepida et faceta luxuque et vcstium cultu supra mulieris modestiam gloriabunda, qui l'aslus quandoquidem nonnisi grandi sumptu ducitur, ejus pompa; impensam ad armorum mercedem Carolus facere credebatur. » (Ibicl.)
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dans un tombeau au milieu du choeur de l'église NotreDame du Château 1. Charles VII ressentit trop vivement la perte de la Belle des belles pour ne pas ériger un mausolée à celle que les contemporains se sont plu à célébrer comme une femme,
Candidior cignis, fia m m a rubicundior ignis.
A quel artiste le roi s'adressa-t-il pour faire revivre et conserver à la postérité les traits de la défunte ? Nous nous efforcerons plus loin cle lever un coin du voile qui enveloppe cette question ; mais, pour l'instant, nous suivrons notre exposé dans la partie qui présente le moins de difficultés, fidèle encore à pratiquer la méthode qui prescrit d'aller du plus connu au moins connu.
Le choeur de la collégiale est de proportion commune et, semble-t-il, l'humilité chrétienne devait incliner Agnès à demander la sépulture dans une autre partie de l'église, bien que d'ailleurs, à ses derniers moments, elle eût « request son confesseur quil la vouloist absoudre de peine et de coulpe ». Néanmoins, conformément à son désir, elle y fut enterrée et ses cendres furent recouvertes d'un cénotaphe digne de la belle ensevelie, Agnes pulchra. Les poètes ont chanté l'élégance de.l'oeuvre :
Qua; titulis decorata fuit, decoratur amictu, In laudis titulum picta ducissa jacet.
Et non miretur quis si species deeoretur Ipsius, est ipsa quoniam depicta ducissa.
Le sarcophage est formé d'un soubassement rectan1
rectan1 Ea in domina; Mariae templo, quod in caslello Loccarum est, sepeliri voluit, dalo sacerdotum annuo proventu, in medio templi choro sepulcrum sibi exlrui impetravit. »
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gulaire en dalles unies de marbre noir; un socle et une table, de la plus grande simplicité, donnent seuls quelque relief au massif. Sur l'un des grands panneaux était figuré le sureau, armes parlantes d'Agnès Sorel qui ont disparu. Il n'en est pas cle même de l'inscription funéraire, gravée en creux, en lettres gothiques dorées, sur le bord externe de la dalle supérieure. On lit, à partir du côté droit : « Cy gist noble damoyselle Agnès Seurelle en son vivant dame de Beaulté de Roquesserrle d'Issoulclun et de Vernon sur \ Seine piteuse envers toutes gens et qui largement | donnait de ses biens aus eglyses et ans pouvres laquelle trèspassa le IXe jour de fr évier lan de grâce MCCCC \ XLIX, priies dieu pour lame délie. Amen ».
Les Muses latines payèrent leur tribut d'éloges à la défunte, et le poète Millet,-fort en vogue à la cour et qui mourut quelque quinze ans plus tard, composa un petit poème formé de dix dystiques. Ce dithyrambe dans le goût de l'époque, qui commence par Fulgor Apollineus pour se terminer par Fundite quoeso preces, fut gravé "sur le soubassement du côté de la tête. Nous y reviendrons en parlant des inscriptions relatives à Agnès Sorel.
Sur la dalle servant de couvercle reposait la statue couchée, et la « figure de la gisante duchesse répondait à la louange cle ses contemporains ». Une douce sérénité respirait sur le visage et les mains se joignaient dans l'attitude priante que l'on voit d'ordinaire aux statues tombales. La chevelure, qui encadrait gracieusement l'ovale de la figure, était retenue par une couronne rehaussée de pierres précieuses : ce devait être la coiffure ordinaire de la favorite ; un collier de perles complétait la parure. La robe, largement drapée, était recouverte d'un surcot, richement bordé d'hermines et.
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orné de fines broderies et de perles, tant sur le devant que sur les côtés.
Selon la coutume, la tête s'appuyait sur un coussin délicatement brodé, qui était tenu sur les bords par deux anges agenouillés, aux ailes abaissées et aux visages pieusement recueillis. Les pieds recouverts des plis ondoyants de la robe, au lieu de reposer comme d'ordinaire sur une levrette ou un lion, portaient sur deux agneaux affrontés, dont celui de droite approchait tendrement sa bouche du voisin, rejetant la tête en arrière : le choix du support était indiqué par le prénom de la défunte. Conformément aux habitudes artistiques du temps, un dais, enrichi des nervures, des arcatures, des pinacles et des motifs variés que les xiv° et xve siècles avaient mis en vogue, abritait la tête. Cette disposition, inspirée par les baldaquins des statues debout qui se voyent principalement dans les porches des églises, se remarque en particulier à SaintDenis, à Bueil, à Tréguier et en maintes localités. Le dais à cinq pans, décoré d'une fine dentelle de sculpture de style flamboyant et posé sur la dalle de marbre noir, a été l'objet d'une méprise de la part d'un historien, qui a écrit qu'il s'agit d'une « couronne ducale taillée à cinq faces » '.
La- description que nous donnons est faite d'après les dessins de la collection Gaignières, si précieux pour la restitution des monuments détruits ou transformés. Il est vrai que la plume des visiteurs d'antan ■ s'est plu à compléter le crayon de l'artiste et va nous permettre d'ajouter de nouveaux traits.
1 Dufour, Dictionnaire historique du département d'Indre-et-Loire, in-8, 1812, t. II, pp. 178-179.
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II. — Description d'après des visiteurs anciens.
A cet égard, le xvii 8 siècle nous a laissé des descriptions détaillées. Nous citerons d'abord le voyageur Du Buisson. « Au milieu du choeur (de la collégiale), écrit-il, est la sépulture de la belle Agnès, eslevée de trois pieds sur terre, ayant une lame de marbre noir large de trois pieds environ et longue du double, sur laquelle est une statue gisante de marbre blanc fin, vestue, représentant un très beau visage, mais un peu longue et maigre, ayant le bandeau de duchesse ou comtesse, et la teste sur un coussin ou oreiller de mesme marbre blanc, que deux anges soutiennent par les deux costés. A ses pieds sont deux agneaux allusifs de son propre nom d'Agnès. La dite sépulture est couverte de barreaux de fer à clairevoye, tant pleins que vuydes qui se lèvent par les costés d'en haut, et sur les bouts sont appliqués en tables ou escussons cle fer les armes de la d. Agnès Surelle qui sont parlantes et allusives à son nom, car c'est un sureau. Les couleurs sont constantes et très certaines aux chappes et devant d'autel et ornemens, le sureau de sable en champ d'argent L »
« Au milieu du choeur de l'église, écrit en 1661 un auteur tourangeau, est le corps d'Agnès Seurelle, dite la belle Agnès, effigie au naturel sur un tombeau de marbre, laquelle y a fait de riches dons et belles fondations 2. »
« Le tombeau de la belle Agnès Seurelle, lit-on dans une relation, est dans le choeur entre l'aigle et lesanc1
lesanc1 Mazarine, ms. 4,403, Voyage de France.
2 Martin Marteau, Le Paradis délicieux! de Touraine. In-4, 1661, chap. VIII, p. 46.
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tuaire ; il est de marbre noir et la figure est de marbre blanc, représentée couchée, ayant des agneaux à ses pieds *. » .
Les almanachs historiques de Touraine sont une source utile à consulter au point de vue archéologique et artistique, en particulier pour la seconde moitié du XVIII 0 siècle; nous les ouvrons à propos de Loches. « Cette belle personne (Agnès),morte en 1450, repose dans l'église collégiale de Loches. Elle est représentée de grandeur naturelle en marbre blanc sur un tombeau de marbre noir (1755). » — « Au milieu du choeur de la Collégiale de Loches est le tombeau d'Agnès Sorel. Le socle et le dé sont de marbre noir, ainsi que la table. Cette table présente Agnès la tête appuyée sur un carreau avec deux anges qui l'accompagnent et un agneau qui est à ses pieds; le tout exécuté avec un marbre blanc dont le grain donnerait plus à penser que c'est du stuc que du marbre. La table, qui couvre le monument, saillante de près de deux pouces plus que le dé, présentait sur la partie supérieure une arête, qui abattue en chamfrain, a ' formé tout autour du monument une bandelette, sur laquelle est cette inscription : Cy gist, etc. Le soubassement de ce tombeau, formé par quatre panneaux, de trois à quatre pouces d'épaisseur, vuide dans son milieu, présente sur les angles des joints qui font apercevoir dans le vuide une masse qu'on aurait lieu de présumer être le cercueil où reposent les cendres d'Agnès (1759). »
De Baraudin, doyen du chapitre de Loches, dans une lettre adressée à un bénédictin et conservée dans la collection D. Housseau, écrivait en 1778 : « Ce mausolée est de marbre noir ; il a huit pieds de longueur sur trois et demi de large. Agnès Seurelle y est repré1
repré1 du duché de Vanti, du 14 décembre 1700.
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sentée par une statue faite de stuc, couchée sur le tombeau, ayant deux anges de même matière auprès de la teste et deux moutons à ses pieds 4. »
Dufour, l'historien du Lochois, qui vit le mausolée avant sa démolition, le décrit en ces termes : « Son tombeau en marbre noir (chaux carbonnattée bituminifère) était élevé au milieu de cette partie de l'église; il avait huit pieds de long sur trois de large et deux et demi de hauteur. Sur la table était la statue d'Agnès (en chaux sulfatée niviforme), représentée couchée, les mains jointes, la tête appuyée sur un oreiller : de chaque côté on voyait un ange de quinze pouces de haut environ, placés l'un et l'autre derrière une couronne ducale taillée à cinq faces et creusée pour recevoir la partie supérieure de la tête d'Agnès; à ses pieds étaient deux agneaux, symboles de la douceur de son caractère 2. »
Ces descriptions, qui se complètent les unes les autres, nous permettent de restituer l'état primitif du monument ; mais on a remarqué qu'il y règne une contradiction flagrante sur la matière dont a été formée la statue. Nous nous réservons d'examiner ce point important dans le paragraphe où nous parlerons de l'état actuel du tombeau. Pour l'heure nous allons raconter les vicissitudes que le mausolée a connues.
III. •— Les vicissitudes.
Les cendres d'Agnès Sorel reposaient en paix dans le choeur de la collégiale de Loches quand Louis XI, dont on sait le peu de sympathie pour la maîtresse de
i D. Housseau, Coll. d'Anjnu et de Tour aine, t. XVIII, p. 240. 2 Dufour, Dictionnaire historique du département d'Indre-et-Loire, in-8, 2 vol. 1812, t. II, pp. 178-119.
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son père, vint visiter l'église dédiée à Notre-Dame. Le roi s'informa quelle était la sépulture placée au milieu du choeur. Les chanoines répondirent que c'était le tombeau d'Agnès et, comme il était « une gêne » pour la liberté des cérémonies en raison de l'exiguïté du choeur, ils demanderent.au roi d'en autoriser le transfert dans une autre partie honorable de l'église. Au rapport d'un chroniqueur contemporain, Louis XI répondit aux chanoines : « Bien qu'elle m'ait desservi de son vivant, néanmoins je ne foulerai pas aux pieds les lois en violant son tombeau. Vous avez reçu ses dons ; conservez à votre bienfaitrice morte ce que vous lui avez octroyé de son vivant 1 . »
Une circonstance atténuante tempère, semble-t-il, le reproche d'ingratitude que l'on serait tenté d'adresser au chapitre de Loches. Des doutes persistaient dans l'esprit des chanoines au sujet de la réalité de la sépulture d'Agnès dans la collégiale. Par suite d'une interprétation erronée d'une phrase de l'inscription, d'aucuns pensaient que son corps reposait à Jumièges et nullement dans le cénotaphe du choeur de Loches, qui eût été une sorte de monument votif à.la mémoire de la défunte, pour laquelle d'ailleurs on célébrait exactement les offices funèbres, suivant l'ordre des fondations.
Longtemps il y eut entre les prêtres de Loches et les religieux de Jumièges une curieuse contestation touchant la sépulture réelle d'Agnès. A propos de l'opinion des chanoines, le voyageur Du Buisson écrivait, en 1634 : « Il y a un registre aux archives de l'église du cliasteau par lequel appert du contraire et comme on feist telle et telle despense y spécifiée pour
I « Quanquam iJIa, duni vixil, milii mullum advcrsala sil, mulifiris buslum conlra leges non violabo. Servale benefactrici quod vivenli promisislis. »
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apporter de Jumièges le coeur de la dite dame. M. Maninien, esleu à Loches, et M. Victor Luthier, chantre, et autres chanoines sic inquiunt; mais je ne l'ai pas veu. Au contraire, jay veu un compte-rendu par M. Isaac Baudouin, chanoine, des frais et mises par ,1'uy faictes pour les affaires du chapitre vers la dite demoiselle, tant durant la vie d'elle que depuis qu'elle fust morte et enterrée en icelle église de Loches.
« Au surplus, dans la sépulture de cette belle Agnès, il n'y a rien, selon la tradition des chanoines et de tous ceux de Loches, sinon le coeur de cette dame que l'on envoya quérir à Jumièges sur Seine par solennelle ambassade, dont il se trouve encore mémoire dans un vieil registre que le sr Maninien, esleu à Loches, dit avoir veu comme plusieurs autres, portant une liste ou compte des frais faicts au voyage des députés du chapitre pour aller à Jumièges quérir et porter à Loches le coeur d'Agnès Seurelle, dame de Beauté. Cependant tout ce qui s'est peu trouver pour m'estre montré est un vieil cayer de parchemin commençant ainsi : « S'ensuyvent les despenses et mises faictes par les chanoynes et chapitre de l'église collégiale de Loches pour feue mademoiselle que Dieu absolve, tant de son vivant et par son ordonnance que depuis qu'elle est trespassée et enterrée en la dite église, lesquelles despenses ont esté faictes en la forme et manière que s'ensuyt. » Au premier article il est dit que la d. damoiselle avoit sa demourance (c'est le propre mot) au chasteau de Loches et qu'elle voulait fonder une prébende pour entretenir une psalette ou maîtrise d'enfans de choeur; et au 9° article il est dit que M. Baudouin, chanoyne député du chapitre et rendant compte, estant allé à Jumièges, abbaye de Normandie, vers la' d. damoiselle qui y estoit allée, la trouva trespassée, et ne dit rien de son inhumation.
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« Néanmoins, poursuit Du Buisson, malgré la tradition des chanoines et de ceux de Loches, la légende du tombeau porte : « Cy gist.... », ainsi que les vers de son éloge : « Hic corpus », et aucuns mots du compte ci-mentionné. Il est vrai qu'à Jumièges c'est la même légende mot pour mot; mais là ils n'ont point de statue gisante sur la lame, comme ils en ont à Loches, quoiqu'il y ait eu autrefois quelque chose, selon les marques qui en paraissent encore sur la d. lame. Les religieux de Jumièges croient que c'est seulement l'effigie de son coeur lequel seul, et non le corps, ils pensent avoir, de mesme que ceux de Loches. Ainsi au contraire de plusieurs autres qui ont desbattu" et desbattent encore d'aucuns corps qu'ils disent avoir, les religieux de Jumièges et les chanoines de Loches semblent discuter à qui ne l'aura pas l. »
L'équivoque relative au coeur et aux membres d'Agnès persista jusqu'au XVIII 0 siècle. A cette époque, de Baraudin, doyen du chapitre, s'en faisait l'écho en ces termes : « L'extrême négligence du chapitre dans la conservation de ses chartes... et une lacune de près de trois siècles dans les actes capitulaires l'avoient constitué dans le cloute le mieux fondé qu'il nepossedoit pas les cendres de sa bienfaitrice ; une charte presqu'inlisible échappée à la négligence et qui contient le résultat ou le compte de dépense du voyage de deux députez que le chapitre luy avoit envoyé en 1449, pour la solliciter d'obtenir du roy l'extinction de l'une des douse prébendes pour en appliquer les revenus pour l'érection d'une psalette, prouve la réalité du doute. Ces députez rapportèrent qu'Agnès Seurelle estoit morte avant leur arrivée, dans une terre près de Jumièges en Normandie. — Une plaque de cuivre inscrustée dans un
1 Biblioth. Mazarinc, n° 4405, Voxjage de France.
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des piliers du choeur et sous laquelle est un coeur de plomb contenant celuy de la bienfaitrice pouvait encore prouver que son corps n'était pas dans le tombeau ; il n'est pas ordinaire que l'on sépare dans la mesme église des parties d'un corps qui est inhumé. » Nous reviendrons plus loin à la plaque de cuivre et au coeur ' de plomb, dont parle le doyen de la collégiale.
Un beau jour, la lumière se fit complète au sujet de la présence des restes mortels d'Agnès Sorel. Vers la fin de 1772, le chapitre, à l'occasion de travaux à l'église, écrivit une supplique au duc de la Vrillière, ministre secrétaire d'État, pour demander au roi l'autorisation de placer le tombeau « dans une chapelle latérale de la nef où il serait dans la même évidence », et qui. est rehaussée d'une « décoration en sculpture ». A l'aide d'un plan l'on prouva que par ses dimensions le tombeau « gêne infiniment le service divin », attendu qu'il « ne laisse que trois pieds de passage de chaque côté, empêche, comme il est né-' cessaire dans bien des cérémonies, trois ecclésiastiques revêtus d'ornements de marcher de front, et fait courir les risques déjà multipliés de gâter les chappes ou autres habillements sacerdotaux, soit par le froissement du d. tombeau, ou par celui des personnes qui sont assises dans les basses chaises ».
En vue de prévenir le reproche d'ingratitude, les chanoines ajoutent qu'ils « ne croient en aucune manière manquer à la mémoire de leur bienfaitrice » par cette demande. Car, font-ils observer, « son coeur est incrusté clans un pilier intérieur du sanctuaire et couvert d'une plaque de cuivre sur laquelle sont inscrits ses qualités et ses dons ; aucun titre d'ailleurs de leurs chartes n'annonce qu'Agnès Sorelle ait demandé cette place au milieu du choeur pour son tombeau; il n'y a
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même aucune certitude que son corps y soit déposé l. »
Louis XV, pour lequel ils formaient « les voeux les plus ardents », après avoir lu le mémoire, se borna à écrire en marge : Néant, laisser ce tombeau où il est. Les chanoines ne se découragèrent pas et renouvelèrent leur demande auprès de Louis XVI, en 1777. Cette fois ils furent plus heureux et, d'après autorisation royale et sur la permission de l'archevêque de Tours, le 5 mars, on descella le tombeau et l'on porta les dalles « dans la nef ». On se trouva alors en présence d'un « caveau voûté en pierre tendre de sept pieds de long, trois pieds de profondeur, et large à un bout de deux pieds quatre pouces et à l'autre bout d'un pied dix pouces ». A l'ouverture, qui eut lieu en présence du chapitre et des officiers du siège de Loches, on découvrit un triple cercueil rongé de vétusté : le premier en chêne avec poignée et équerres aux angles, le second en plomb et le troisième en cèdre, « dans lequel étaient les restes avec des débris de plantes aromatiques ». Le corps était réduit en cendre à l'exception de « la mâchoire inférieure, les deux os maxillaires, les dents bien conservées, les cheveux absolument sains, comme ceux d'un cadavre récent ». Au rapport du doyen du chapitre, « la chevelure estoit tressée et frisée en grosse boucle comme les femmes se coiffent aujourdhuy ; la couleur des cheveux est de noir de jais; les parties qui approchaient du crasne étaient devenues rousses ». D'après le témoignage de Dufour, qui le tenait de son ami le Dr Henri, présenta l'exhumation, « un crêpé de 4 ou 5 pouces de hauteur de devant en arrière, sur 9 à 10 pouces d'un côté à l'autre, formait la partie supérieure de la coiffure; de chaque côté
1 Mémoires de la Société Archéologique de Touraine, t. XXX, pp. 92, 93.
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estoient deux boucles flottantes ; lés cheveux de derrière, nattés en trois et formant une tresse" de 18 à 20 pouces de long, étoient relevés et attachés sous le crêpé. Ces cheveux avoient une couleur brun-clair ou cendrée; les boucles estoient en partie rousses et cassantes ». Parmi les restes on ne remarqua « aucuns effets, inscriptions ni médailles l ».
Suivant le procès-verbal, « les dits ossements, chevelure et cendres ont été ramassés avec soin, placés dans une urne ou pot de grès couvert d'une. brique, et transférés processionnellement soûs le dit tombeau de marbre noir, que les d. sieurs du chapitre ont fait réédifier à l'instant dans la d. nef, à main droite en entrant, et ensuite les d. sieurs du chapitre ont chanté solennellement les suffrages des morts pour le repos de l'âme de la d. Agnès Seurelle 2 ».' A cet égard on lit dans les comptes de la fabrique : « Année 1777, mars, le cinq, payé aux ouvriers qui ont démoli le tombeau de la belle Agnès trois livres et ce pour boire. Le six payé pour l'achat d'une urne pour déposer les cendres de la belle Agnès deux livres deux sols. Le 23 may payé à Morisseau, serrurier, pour la grille qu'il a fourni et posée autour du tombeau d'Agnès Sorelle et autre ouvrage qu'il a fait au mesme tombeau cent livres quatre sols. Le 2 juin payé à Marteau, maçon, pour le raccomodage de la statue d'Agnès Sorelle onze livres six sols 3 ».
La Révolution s'attaqua au tombeau d'Agnès Sorel aussi bien qu'aux autres mausolées de la collégiale. L'urne, qui contenait ses restes, fut transportée dans
i Dufour, loc. cit., p. 187.
* Mémoires de la Société Archéologique de Touraine, t. XXX, p. 92. 3 Registres des comptes de la collégiale N.-D. de Loches (Archives de la Société Archéologique de Touraine).
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le cimetière, et le représentant Pocholle en fit extraire-- des cheveux et des dents en attendant que, le 16 décembre 1801, par ordre du préfet Pommereul, le vase fut déposé dans le château royal, devenu la Sous-Préfecture. Quant au cénotaphe, il fut victime d'odieuses mutilations. Suivant une lettre du président de l'administration municipale au ministre de l'Intérieur, le 19 brumaire an V, la « statue faite en stuc » fut prise par les soldats d'un bataillon de passage pour l'image d'une « sainte », si bien qu'ils « sabrèrent Agnès, les anges qui la gardaient et les moutons qui étaient à ses pieds ». On recueillit les « morceaux d'Agnès et de son entourage », et on les déposa dans les magasins de l'administration.
Le général de Pommereul, préfet d'Indre-et-Loire, s'inspirant de son goût pour les souvenirs historiques et pour les oeuvres d'art, résolut de rétablir le tombeau d'Agnès dans une tour du château. Par arrêté du 10 nivôse an XIV, il décida qu'avec les fragments on restaurerait le monument suivant « les plans et devis présentés par M. Murison, commissaire expert de la préfecture » ; la statue ainsi que les accessoires seront envoyés à Paris « pour y être restaurés ». En même temps, il donna l'ordre de rétablir les inscriptions anciennes et d'en apposer de nouvelles; nous parlerons en son lieu des unes et des autres.
Un témoin de cet acte de réparation écrivait en 1812 : « Les débris épars du tombeau ont été recueillis avec soin; un artiste de Paris a restauré les figures, et le sarcophage, à l'exception des inscriptions latines, est aujourd'hui placé clans la tour du château de Loches, qui porte le nom d'Agnès *. »
Que s'était-il passé dans l'intervalle? A Paris, le
i Dufour, (oc. cit., t. II, p. 188.
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sculpteur Beauvallet avait montré un réel talent dans la restauration des statues, qui avaient été sauvées du naufrage par A. Lenoir. On s'adressa à cet artiste et le préfet d'Indre-et-Loire lui promit pour ce travail 900 francs, par lettre du 10 mars 1806. Le départ de M. de Pommereul pour la préfecture du Nord n'arrêta pas la commande et, dans les premiers jours de mai, Beauvallet informa l'administration qu'il avait terminé « la restauration de la statue d'Agnès Sorel » ; outre le prix convenu, on lui devait les frais de caisse et d'emballage, soit en tout 981 francs.
Il s'en faut cependant que la statue fut expédiée surle-champ . Ce n'est que le 16 avril 1808 que l'envoi parvint à Tours, et il fut réexpédié à Loches la semaine qui suivit. Ainsi qu'il en avait été décidé, le sarcophage fut placé dans la tour du château où il se voit actuellement. Pour le soubassement en marbre noir, on remplaça par un panneau semblable « la partie d'un des grands côtés du tombeau manquante » ; seulement .on omit d'y sculpter les armes d'Agnès, dont on ignorait sans doute la présence en cet endroit. Quant à ce qui est des inscriptions, par une sorte de compensation, elles s'offrirent comme d'elles-mêmes avec une telle prodigalité que nous devons nous y arrêter quelque peu.
IV. — Les inscriptions.
S'il .faut en croire le dernier auteur qui s'est occupé du tombeau d'Agnès et au savoir duquel nous nous plaisons à rendre hommage, des trois inscriptions gothiques gravées sur le cénotaphe « une seule lui paraît ancienne, c'est celle qui est gravée sur le rebord de la dalle » ; les deux autres « sont modernes : elles ont été gravées lors de la restauration du monument,
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ou même postérieurement ; on le reconnaît au moindre examen 4 ».
Nous sommes obligé de proclamer que, contrairement à cette assertion, les trois inscriptions sont bien du xve siècle et remontent aux origines du tombeau. L'identité des lettres, du procédé d'exécution, des formules et des abréviations, en un mot tous les caractères de la légende et du travail du ciseau le démontrent péremptoirement, « au moindre examen ». Si quelque doute pouvait subsister après l'étude comparée, il s'évanouirait à la lumière des témoignages décisifs que nous allons apporter.
En 1634, Du Buisson, à l'occasion de son voyage à Loches, transcrivit l'inscription française ainsi que l'inscription latine en vers. A ce sujet, l'auteur s'exprime en ces termes : « A l'entour de la lame
de marbre noir est gravée cette légende : « Cy gist »
Au bout de la d. lame et derrière la teste est apposée une table de marbre noir où est en lettres d'or gravé
un éloge : « Hic jacet » Le livre manuscript de
l'église fait aussi mention d'un autre éloge escryt au bout de lad. sépulture : « Fulgor rutilantis » lesquels jai transférés, avec une troisième gravée en la table de cuivre et commençant : « Astra petit... » en un cayer à part ». A son tour, en 1699, Gaignières indique les inscriptions gravées sur le tombeau.
L'auteur de VAlmanach historique de Touraine pour 1759 entre dans des détails encore plus précis. Après avoir mentionné la première inscription, il ajoute : « Sur le panneau du côté de l'aigle du choeur (côté de la tête) sont gravés en gothique les vers
suivans : « Fulgor Apollineus » Au-dessus de ce
même panneau s'élève une espèce de plaque de marbre
1 Ch. de Grandmaison, Le Tombeau d'Agnès Sorel à Loches, etc., in-8 de 22 p., Tours, 1890.
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noir scellée avec crampon de fer sur la table qui couronne le monument. Cette table présente une pièce de vers en gothique imitée de celle du panneau, avec cette ■ différence que les lettres dans la gothique du panneau sont remplies de mastic, tandis que celles de la plaque sont évuidées. Cette pièce de vers se voit en lettres gothiques minuscules sur une plaque de cuivre attachée à un pillier du sanctuaire, du côté de l'épitre : « Hâc jacet... » et « Astrapetit »
Les auteurs tourangeaux Dufour et Chalmel, qui avaient vu le tombeau avant la Révolution, tiennent le même langage. Dufour mentionne l'inscription du
pourtour de la dalle supérieure : « Cy gist » ; celle
du panneau du soubassement, « gravée en lettres d'or sur le marbre qui formait la tête du mausolée : Fulgor apollineus », et la troisième, « derrière la tête d'Agnès sur une plaque de marbre noir de la largeur du sarcophage et de 18 pouces de hauteur : Hâc jacet... l ». A son tour, l'historien de la Touraine écrit : « Les chanoines lui firent élever un tombeau en marbre noir décoré de plusieurs inscriptions et épitaphes, au nombre desquelles se trouve celle-ci, la seule qui soit en français : Cy gist... Au nombre des inscriptions en vers latins, on peut remarquer celle-ci : Astra petit... ; tel était le goût bizarre de ce temps. On y voit une autre inscription dans le même genre : Hâc jacet 2. »
Après ces déclarations catégoriques, il n'y a pas lieu évidemment de tirer la moindre objection d'une phrase de Dufour, ainsi qu'on a cru devoir le faire. Quand l'historien du Lochois écrit, à propos de la réédification du tombeau : « Le sarcophage, à l'exception des inscriptions latines, est aujourd'hui placé dans la tour du
« Dufour, loc. cV., t. H, p. 179, 180.
* Bislc-ire de Touraine, 4 vol. in-8. Tours, 1828, t. IV, pp. 467-68.
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château de Loches ! », il n'entend pas se mettre en contradiction avec lui-même, avec la description qu'il a donnée de la place et du texte de ces légendes « sur le cénotaphe primitif ». Il constate seulement qu'au moment de la publication de son livre (1812), on n'avait pas encore replacé les inscriptions latines. Bien plus, sa phrase « à l'exception des inscriptions latines » est un nouvel argument en faveur de l'ancienneté de ces dernières, et ne fait que corroborer, au lieu de l'infirmer, ce qu'il a dit d'autre part.
Les épitaphes d'Agnès Sorel ont été citées à plusieurs reprises, mais toujours d'une façon incorrecte et parfois inintelligible, par suite des abréviations et de la confusion de certains caractères serrés à l'excès. Parfois même les incorrections sont si flagrantes que nous devons penser qu'au lieu de relever les inscriptions de risu, les auteurs se sont contentés de se copier les uns les autres 2. Comme nous les avons transcrites sur place avec le plus grand soin, nous espérons bien apporter ici un texte définitif ne varietur.
Nous avons donné précédemment l'inscription française en caractères gothiques, gravée sur le rebord de la dalle supérieure et sur l'authenticité de laquelle tout le monde est d'accord ; nous n'y reviendrons pas. La plaque de marbre noir scellée derrière la tête, ainsi qu'on le remarque dans le dessin de Gaignières, et dont
> Loc. cit., t. II, p. 188.
2 Les ouvrages principaux qui ont reproduit les inscriptions sont, dans l'ordre chronologique: l'Almanach historique de Touraine en 1759 ; le Dictionnaire historique du département d'Indre-et-Loire, par Dufour, en 1S12. t. II, p. 179-180 ; l'Histoire de Touraine, par Chalmel, en 1828, t. IV, p. 467-4B8 ; Congrès archéologique de France, session tenue à Loches, en 1869, p. 156-59 ; Dictimnaire géographique, etc., d'Indre-etLoire, par M. de liusserolle, dans les MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ARCH. DE TOURAINE, t. XXX, p. 90, 91. Ces deux derniers ouvrages ont laissé chacun une cinquantaine de fautes dans leur transcription.
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on voit les traces de scellement, plaque actuellement brisée en deux morceaux déposés dans un coin de la tour, porte l'inscription suivante en gothique :
Hac jacet in tuba mittis sirAplexque coluba Candidior oignis, Jlama vubicundior ignis. Agnespulcra nimis terre latitur in imis. Ut flores vcris faciès hujus mulieris. BelaUeque domu nenxus astans Vinceniaru. Rexit et a specie nomen suscepit utrumque. Sereriamque roquant Vernonis et utique getcni Ac Yssoldunû regimen dédit omïbus unum, Alloquiis midis compescens scandala litis. Ecclesiisque dabat et egenos sponte foecbat ; Illi Seurelle cognomen erat domicelle Et non miretur quis si species decoretur Ipsius est ipsa quoniani dcpitta ducissa. Hoc factum sponte certa racione movente. Pro laudum titidis moritorum sine libellis. Hic corpus reliqua sunt Gemeticis inhumaiaMille quadringentis quadringenta note tulit annis Illam- cum sanctis i tronu tsita perhennis, Nona dies mensis hanc absialit inde secundi Palmis extensis transmit ab ordine mundi.
Le panneau du soubassement du sarcophage, du côté de la tête, conserve un autre petit poëme en vers latins à l'honneur d'Agnès, et également en caractères gothiques. Cette inscription est attribuée à Jacques Millet, poète en faveur à la cour de Charles VII et qui mourut en 1466. Les vers sont gravés à la suite sans coupure; pour l'intelligence plus parfaite du sens, nous les avons disposés d'après leur forme de dystiques.
Fulgor apollineus rutildntis luxque Diane
Quani jubaris radiis clarificare soient Nunc tegit ops et opem negat atrox iridis arcus,
Dum furie prime tela superoeniunt. Nunc elegis dictare decetplanctuque sonoro.
Leticiam pellat turtureus gemitus.
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Libéra du m quondam que subiieniebat egenis
Ecclesiisquc, modo cogitur egra mori. O mors seva nimis que jam juvenelibus annis,
Abstulit a terris membra serena suis. Manibus ad tuinulu cuncti cclebrctis honores
Ejfundcndo preces quas nisiparca sinit, Que titulis decoratafuit decoratur amictu,
In taudis titulum picta ducissa jacet. Occubuere simul sensus species et honestas
Dum décor Agnetis occubuisse datur. Solas virtutes meritum famamque relinquens.
Corpus eu specie mors miseranda rapit Premia sunt mortis luctus querimonia tcllus.
Huic ergo célèbres fundite queso preces.
Cette dernière inscription avait eu les honneurs non pas seulement du marbre, mais encore du bronze, et nous arrivons ainsi à parler d'un très curieux bas-relief qui était fixé non loin du tombeau d'Agnès. Comme les seuls témoins de ce monument sont un dessin de Gaignières et la description laissée par les visiteurs d'antan, nous recourrons, une fois de plus, au témoignage doublement précieux de ces auteurs, trop peu fréquentés par les amis des arts et de l'archéologie. Cette pièce avait ceci de particulier que les treize premiers vers présentaient en acrostiche le nom d'Agnès Seurelle. En voici la transcription exacte *.
Astra petit mol \ ,. Agnes redimitaque flo )
Grato coelico \ Hanc credo vigere déco \
Nulla sub oethere j Thalamo permansit ima )
Ejus namque De ) Placuit sublimis ori )
Simplex alloqui \ . Et egenis subvenien ) ,
Sacris ecclesi \ Et libéra munera dan 1 \
* Comme l'original de cette inscription n'a été signalé nulle part, nous indiquerons ici quelques variantes dans la publication qui en a été faite.
1 D'après La Thomassière,. cet hémistiche appartient au vers précédent : itd Chalmel.
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Eripuit pari ) , Animam mors atque cruo )
Venarum per i j Solitum proestare déco ]
Rexit Verno ) . Issolduni quoquegen )
Effleat hinc om ) Ipsam populus morien )
Limina Belal ) Vincennarum comitart )
Leta per hanc ci \ Tcnuit turrim resonam )
Et Roqua sereri ) 2 Fuit Mi subditaju )
Illi propiti ) SU virginis optio pu? )
Quam pingi volu ) . Ratio de jure ducis )
Nam titulis decu \ Ornari talibus ip )
Anno mille \ Nono simul et quadrage' 1 )
Cum quadracente \ Decessit ait orbe 5 sere \
Nona dies fcbru ) . Vit a m cum sanguine mo ) .,
„.,... i ^ • [vit
Prosint spintu \ Quoe sepe frccanuna co \
Et si defunctoe nomen cognuscrre eu )
Metrorum primas tredecim conjunge figu - \
FlammarubiMogsij Sinai Mons,janua coel ) .6 Astrea, Lucifera tirgo, mémento me )
Telles étaient les inscriptions relatives à Agnès Sorel au moment où la Révolution les dispersa ou les détruisit. Le général-préfet de Pommereul, imbu des idées de son temps, ne concevait pas la restauration du monument sans une pointe d'esprit moderne, tout au moins dans la rédaction de l'inscription destinée à rappeler les circonstances de la reconstitution du mausolée dans la tour de la Sous-Préfecture. Le 31 mars 1805, il rendit un arrêté portant que « les anciennes inscriptions encore existantes seront conservées et posées dans les
i Concilantem, Dufour.
2 lioquesererioe, Dufour.
3 Et propicia sit virgo optio quoere, La Thomassiôre.
4 Anno milien'o simul et quadrageno, Dufour, de Busserolle.
5 Ab ore, de Busserolle.
6 Ces quatre derniers vers ne sont pas dans Dufour, et les deux derniers font défaut dans Chalrncl.
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mêmes places qu'elles occupaient », et qu'à la partie antérieure on gravera une autre épitaphe commémorative, dont voici les termes :
LES CHANOINES DE LOCHES. ENRICHIS DE SES DONS,
DEMANDÈRENT A LOUIS XI
D'ÉLOIGNER SON TOMBEAU DE LEUR CHOEUR.
J'Y CONSENS, DIT-IL, MAIS RENDEZ LA DOT.
LE TOMBEAU y RESTA.
UN ARCHEVÊQUE DE TOURS MOINS JUSTE
LE FIT RELÉGUER DANS UNE CHAPELLE.
A LA RÉVOLUTION IL Y FUT DÉTRUIT.
DES HOMMES SENSIBLES RECUEILLIRENT LES RESTES D'AGNÈS
ET LE GÉNÉRAL POMMEREUL, PRÉFET D'INDRE-ET-LOIRE,
RELEVA LE MAUSOLÉE DE LA SEULE MAITRESSE DE NOS ROIS
QUI AIT BIEN MÉRITÉ DE LA PATRIE
EN METTANT POUR PRIX A SES FAVEURS
L'EXPULSION DES ANGLAIS HORS DE LA FRANCE.
SA RESTAURATION EUT LIEU L'AN MDCCCVI.
En même temps, le général-préfet donna l'ordre de mettre|sur un autre panneau du sarcophage le quatrain écrit, dit-on, par François Ier sur l'album de Mme de Boisy :
Gentille Agites, plus de los tu mérites, La cause étant de France recouvrer, Que ce peut dedans un cloître ouvrer Close nonnain ou bien dévot hermite '.
Enfin au tympan de la porte de la tour, il commanda de graver ces mots :
Je suis Agnès, vice France et amour!
Les deux dernières inscriptions et certains passages
i Dans une note de la collection Gaignières on lit :
ÉPITAPHE DE LA BELLE AGNÈS SOHEL
Ici dessoubs des belles gist l'êlitte
Car de louange sa beauté plus mérite,
Estant cause de France recouvrer
Que n'est tout ce qu'en eloistre peut oeuvrer
Clause nonnain ny en désert hermite.
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- de la première présentaient un caractère trop peu en rapport avec les traditions épigraphiques, aussi bien qu'avec la nature du monument et les données historiques, pour ne pas soulever clés protestations. Mgr de Barrai, archevêque de Tours, prit la plume et, le 7 mars 1806, écrivit une lettre d'observations graves et motivées à M. Lambert, successeur de Al. de Pommereul. Il fait remarquer que ces inscriptions sont en opposition avec les affirmations de l'histoire, qu'il examine de point en point, et avec la décence, « le bon goût » et les règles du style lapidaire. Comme l'administration publique ne peut vouloir sanctionner de pareils procédés, il exprime le voeu de voir rapporter l'arrêté pris par M. de Pommereul '. Pour atteindre plus sûrement le but, l'archevêque de Tours écrivit ensuite une lettre au ministre, dans laquelle il rappelle celle qu'il a adressée au préfet d'Indre-et-Loire et fait valoir les motifs qui appuyent ses desiderata, exprimés dans une forme différente 2.
L'archevêque obtint en partie gain de cause. L'arrêté fut rapporté et il fut décidé qu'on omettrait les susdites inscriptions. Néanmoins M. de Busserolle affirme qu'on y mit l'épitaphe et Chalmel écrivait en 1828 : a On lit sur une des faces du sarcophage cette nouvelle inscription : Les chanoines... l'an MDCCCVI 3 ».
D'autre part, un arrêté du 3 mars 1809 porte que « les anciennes inscriptions encore existantes seront conservées et posées dans les mêmes places qu'elles occupaient » et que, à la partie antérieure du sarcophage, on gravera une autre inscription pour rappeler
1 Nous donnons en appendice la lettre inédite de Mgr do Barrai, qui constitue un document intéressant pour l'histoire do la restauration du tombeau.
2 Celte lettre a été publiée par M. Ch. de Grandmaison, dans son étude le Tombeau d'Agnès Sorel à Loches.
8 Histoire de Touraine, t. III, p. 148.
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la restauration. Cette inscription, placée sur le panneau du soubassement, qui est aux pieds, est ainsi conçue :
CE MAUSOLÉE, ÉRIGÉ A LA BELLE AGNÈS VERS j LE MILIEU DU XVe SIÈCLE, A ÉTÉ RELEVÉ L'AN 1809 | AVEC LES FONDS VOTÉS PAR LE CONSEIL GÊNÉ' | DU DÉPARTEMENT D'iNDRE-ET-LOIRE, SOUS LA I PRÉFECTURE DE M. LAMBERT, CHEVALIER DE | L'EMPIRE, LEMAISTRE ÉTANT SOUS-TOÉFET.
V. — L'état actuel et l'auteur du tombeau.
Les divers documents qui précèdent nous préparent à un examen approfondi et à une visite utile du tombeau d'Agnès Sorel clans son état présent. Si nous en croyons un historien tourangeau, « la statue d'Agnès, envoyée à Paris, en revint aussi parfaite que dans son état primitif * ». C'est là une assertion qui ne répond pas à la réalité, et il y a une assez grande différence entre l'état actuel et le tombeau primitif.
Une première observation qui saute aux yeux du visiteur, c'est qu'il existe une disproportion choquante entre les dimensions de la statue et la longueur de la dalle supérieure, sur laquelle elle repose. « L'ymaige » d'Agnès, comme on disait alors, doit être ramenée sensiblement vers la partie inférieure ou le pied du cénotaphe. La place, qui demeurerait vide au-dessus de la tête, était occupée jadis par le dais à cinq pans qui a disparu et qui nous est conservé clans les dessins de Gaignières, et par le panneau de marbre noir, brisé avec inscription, qui gît dans l'angle de la tour.
Quant à la statue, les odieuses mutilations dont elle fut victime de la part des vandales nous donnent la mesure des morceaux multiples qui ont été refaits. Les
1 Chaluiel, Histoire de Tournine, t. III, p. 148.
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parties neuves sont le nez, les mains, une large portion du corps et partant du vêtement, au point que, pour ce dernier, les vestiges delà statue primitive paraissent très rares ; la couronne ducale restaurée a été, dit-on, dérobée par un touriste sans scrupule. Les anges, qui supportent le coussin, ont vu reconstituer leurs mains et leurs ailes, et les agneaux sur lesquels s'appuyent les pieds ont été dotés d'une tête nouvelle et d'une partie du corps.
Si l'on rapproche la statue actuelle des reproductions laissées par Gaignières, on remarque tout au moins des dissemblances dans les détails, en particulier pour quelques parties du costume et des agneaux. On pourra s'en rendre compte en comparant les reproductions des unes et des autres, qui viennent à l'appui de cette étude.
L'examen attentif de la statue nous aidera en outre à éclaircir la question de la matière qui a servi à l'artiste. On peut s'étonner que nous fassions cette observation, et cependant ceux qui en ont écrit n'ont pas apporté d'ordinaire une attention suffisante à ce point : aussi croyons-nous utile de trancher définitivement le débat.
Tous les auteurs sont d'accord pour reconnaître que le sarcophage est en marbre noir. Le dissentiment commence quand il s'agit de la statue tombale et de ses accessoires. A cet égard, on a prétendu qu'elle était en bronze, en stuc et en marbre blanc. Où est la vérité parmi ces assertions contradictoires? D'après Pierre de L'Estoile, le premier qui en ait parlé, Agnès fut « enterrée à Loches en une superbe sépulture de bronze ' ». C'est la réflexion d'un homme qui n'a jamais vu le monument et dont la méprise tient vraisem1
vraisem1 des règnes de Henri III et de Henri IV.
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blablement à ce qu'auprès du tombeau se trouvait un bas-relief en bronze, figurant Agnès et portant également l'inscription funéraire de la défunte; mais la presque unanimité des écrivains a adopté l'idée que la statue était en marbre blanc, ainsi qu'on peut s'en convaincre par les nombreuses citations que nous avons faites précédemment.
Au XVIII 0 siècle, comme pour interrompre la, prescription au profit de cette opinion, le doyen Baraudin écrivait à D. Housseau (1778) que la statue d'Agnès était « faite de stuc ». Néanmoins on continua de soutenir qu'elle est « en marbre blanc »\ jusqu'à ce qu'une dernière confirmation fut apportée à cette manière de voir par un des historiens les plus compétents de l'art en Touraine *.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on s'est trop facilement arrêté aux apparences. Si la statue dans ses parties anciennes a le poli et le brillant mat du marbre patiné par le temps, elle n'en a pas le grain dense et ferme qui ne se laisse pas entamer aisément, et en l'examinant de près on s'aperçoit qu'elle est en stuc. Quant aux nombreuses parties restaurées, elles sont traitées en plâtre plus commun et ne sauraient produire de confusion.
Nous l'avons dit, ce dernier travail est l'oeuvre du sculpteur Beauvallet ; mais à quelles mains attribuer la facture de la statue elle-même ? Aucun document précis ne nous renseigne sur ce point et le champ libre demeure ouvert aux conjectures.
Au dire des uns, cette oeuvre très fine pourrait
1 Abbé C. Chevalier, Promenades pittoresques en Touraine. Gr. in-8, 592 p. Tours, Marne, p. 385.
2 C. de Grandmaison, le Tombeau d'Agnès Sorel à Loches, etc., in-8 de 22 p. Tours, 189Q, p. 1.
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s' « attribuer à la jeunesse de Michel Colombe » '. Un autre écrivain ne verrait pas de difficulté à y reconnaîtrele faire de Guillaume Brassefort, a tailleur d'y marges », qui fut mandé de Tours à Paris, en 1460, pour « marchander... plusieurs ymaiges » à faire au clocher de la Sainte-Chapelle, ou bien le travail de Jacques Morel ou Morella, habile sculpteur du milieu du xve siècle 2.
En attendant la découverte d'une pièce qui fasse complètement la lumière, on nous permettra d'exprimer à cet égard une simple réflexion. On sait quel rôle les peintres d'autrefois jouèrent dans la conception et dans l'exécution des maquettes et projets d'une foule d'ouvrages tels que édifices, arcs de triomphe, scènes de théâtre, monuments funéraires, statues en groupe ou isolées.
Au moyen âge et à l'aurore de la Renaissance, les maîtres du pinceau en miniatures ou en panneaux de grande dimension remplirent maintes fois la fonction d'architectes et, comme on disait, furent les auteurs des « pourtraicts et devis », ou plans, qui étaient exécutés par des maîtres d'oeuvre et « tailleurs dimages », ou sculpteurs. Il est superflu de rappeler l'influence et la part qui reviennent, sous ce rapport, à Léonard de Vinci, Michel-Ange et Raphaël. Pour ce qui est de la France, grâce à des documents incontestables, on sait le rôle prépondérant du peintre Jean Perréal, dit de Paris ; il fit notamment le plan ou « portrait » du tombeau de François II, sculpté par Michel Colombe et ses collaborateurs, et du tombeau du duc de Bourgogne, qui fut exécuté d'après un dessin différent par suite de la disgrâce de l'artiste « deviseur ».
1 Abbé C. Chevalier, Guide pittoresque du voyageur en Touraine, in-12, 316 p. Tours, 1889, p. 318. s Ch. de Grandmaison, le Tombeau d'Agnès Sorel, etc.
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Au milieu du xve siècle la Touraine possédait son Jean Perréal en la personne de Jean Foucquet. On le voit tour à tour travailler à la décoration des funérailles'de Charles VII, dire son « advis » surlepoële ou dais destiné à l'entrée du roi et de la reine, et diriger la préparation des « chafaux et des mistères, tracez par Jean Foucquet » (1461), dessiner et peindre le modèle du tombeau que Louis XI projetait de se faire élever à Notre-Dame de Clery (1475), et s'occuper de la réception du roi Alphonse de Portugal (1476) '.
Avant l'époque que nous indiquons et du vivant d'Agnès Sorel, qui tenait l'artiste en haute estime, Jean Fouquet avait peint pour l'église de Melun, sur l'ordre d'Etienne Chevalier, trésorier de France et protégé de la favorite, le tableau de la Vierge avec le donateur et son patron saint Etienne ; on voit au Louvre un fragment où paraissent ces deux derniers personnages, tandis que le panneau qui figure la Vierge est conservé au musée d'Anvers. La tradition s'est plu à retrouver sous les traits de Notre-Dame une réminiscence de la physionomie d'Agnès. Quoi qu'il en soit, la particulière estime que Charles VII avait pour son peintre préféré a dû porter le roi à lui demander un « pourtraict » pour le tombeau de la Belle des belles.
Cette opinion s'harmonise d'ailleurs parfaitement avec le caractère du mausolée. Le soubassement, au lieu d'offrir une série de motifs comme un sculpteur eût aimé à en semer sous son ciseau, n'est qu'un massif rectangulaire privé de tout ornement, à l'instar des sarcophages de marbre noir que le peintre a dessinés dans ses miniatures. Aussi bien le modelé de la statue et des accessoires n'est pas fait pour contredire cette im1
im1 Giraudet, les ArliUes tourangeaux, dans les MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TOURAINE, t. XXXIII, pp. 169-170.
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pression. Celle-ci, au surplus, trouve une confirmation dans un autre monument d'Agnès jadis placé dans le voisinage, dont nous avons parlé plus haut et clans la description duquel nous entrerons d'autant plus volontiers que l'original a été détruit.
Le voyageur Du Buisson, ce guide si sûr pour l'étude des monuments dans la première moitié du xvn° siècle, décrivant le choeur de la collégiale de Loches, dit: « Au pilier, du costé épistolique, est la statue du fondateur, Geoffroy Grisegonelle, en pierre dure, priante; au mesme pilier, au dessoubs d'icelle est une table de cuivre où la belle Agnès est en statue pédale, priante, en habit et bandeau ou couronne de duchesse (ou plutôt de comtesse avec un bandeau chargé de plaques rondes ou bezants), et il y a deux éloges en vers gravés, dont l'un commence : Astra petit mollis..., et l'autre: Hic jacet in tumba » '
Cette description trouve son complément sous la plume d'un écrivain de la fin du siècle dernier, qui dépeint le « panneau de bronze doré, décoré dans son pourtour d'une moulure couronnée, au-dessous de laquelle s'élèvent, clans la partie supérieure, trois petits dômes d'architecture gothique qui servent de couronnement à trois consoles, sur lesquelles sont trois figures de plein relief, en bronze doré. L'une représente une sainte Vierge, l'autre Agnès à genoux, et l'autre une Ste Agnès avec un mouton. Cette dernière paraît implorer la Vierge en faveur de la supliante Agnès. Ces trois figures, assez bien caractérisées pour le temps où elles ont été faites, ont chacune des draperies de bronze doré traitées avec délicatesse ; mais le fini paraît encore avec plus d'éclat dans la touche des traits de
1 Bibl. Mazarine, ms. '4405.
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leurs visages, peints à l'huile ; la vivacité des couleurs trahit la main habile qui, en exécutant ce morceau, nous fait regretter de n'en pas connaître l'auteur, qui n'a pas traité avec moins de légèreté les petits dômes gothiques de ronde bosse qui couronnent ce monument '».
Dans « la main habile », qui sut faire briller le pinceau en « la touche des traits » aussi bien qu'en la partie purement décorative, nous inclinons à voir l'artiste de prédilection d'Agnès ainsi que des Mécènes de cette époque. Quel génie plus souple et plus fin était mieux en mesure de dresser la maquette du tombeau d'Agnès et du bas-relief figurant la favorite-, présentée à la Vierge par la patronne avec l'agneau symbolique, puis de rehausser ce dernier ouvrage en bronze par le charme et « la vivacité des couleurs », que l'on advnire dans les miniatures du grand peintre ? Aussi, jusqu'à preuve manifeste du contraire établie par la découverte d'un document nouveau, nous nous permettrons d'attribuer à Jean Fouquet le projet du tombeau d'Agnès Sorel.
C'est sur ces observations que nous terminerons la série des considérations qui nous ont été suggérées par une étude attentive du tombeau, présentement conservé clans une tour de l'ancien château de Charles VIL Nous osons espérer que ces pages apporteront quelque lumière sur certains points demeurés dans l'ombre; puisse notre espoir se réaliser, en même temps que notre voeu de voir restaurer le monument suivant les données que nous venons d'indiquer!
L. BOSSEBOETJF.
1 Ms. de la Bibliothèque de Tours, n° 1219.
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DOCUMENT ANNEXE
LETTRE DE M«r DE BARHAL A M. LE PREFET D'INDRE-ET-LOIRE
AU SUJET DU TOMBEAU D'AGNÈS SOREL
A M. Lambert, préfet,
Tours, le 7 mars 1806. MONSIEUR LE PRÉFET,
C'est avec une peine sensible que je me vois forcé, presqu'au moment du départ de M. de Pommereul, à réclamer auprès de vous contre le dispositif d'un arrêté qu'il a pris le 10 nivôse ou 31 décembre dernier, pour la restauration du tombeau d'Agnès Sorel.
Cet arrêté, malgré l'ancienneté de sa date, était resté dans le secret de l'administration de Loches et de Tours, et n'est venu à ma connaissance qu'après la publication très récente du Suplément au n° V du Journal des Communes du département. Au moment de son envoi, le général Pommereul, promu à la préfecture du Nord, ne pouvoit plus exercer ici aucun acte d'autorité, même pour revenir sur ses propres décisions. Je suis donc réduit à vous faire part des réflexions que m'a suggérées l'arrêté du 10 nivôse, et que j'aurais préféré de soumettre, avec ma franchise ordinaire, à votre prédécesseur, afin d'en obtenir de lui-même le prompt rapport.
Par son arrêté, le général préfet ordonne le rétablissement du sarcophage d'Agnès Sorel dans le chef-lieu de la sous-préfecture de Loches.
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Je n'ai rien à dire des divers considérants qui le précèdent, car ces considérants, très bien rédigés en euxmêmes, et qui devroient servir de motif aux dispositions prises dans l'arrêté, n'ont pourtant aucun rapport avec celles contre lesquelles je suis obligé de réclamer ; tellement qu'elles pourraient disparaître du dit arrêté sans que les considérants perdissent un iota de leur valeur. C'est une observation qu'il vous sera facile de faire, M. le préfet, en comparant les unes avec les autres.
Venant au dispositif, je commence par déclarer que la restauration du tombeau d'Agnès Sorel comme monument dés arts ou comme monument historique, et son placement à la sous-préfecture de Loches, ne sont pas du tout l'objet de ma réclamation ; mais la nouvelle inscription, que l'arrêté ordonne de graver sur la troisième face du sarcophage et que sans doute M. de Pommereul a cru pouvoir examiner moins scrupuleusement que l'ensemble du projet, m'a paru devoir être réformée ou supprimée.
Vous penserez comme moi, M. le Préfet, qu'une inscription que l'autorité fait apposer sur un monument quelconque, doit avoir pour base la certitude des faits qu'elle atteste à la postérité. La vérité d'un fait dépend surtout de l'exactitude avec laquelle sont rapportées les principales circonstances qui le caractérisent. Sans doute une inscription lapidaire ne peut pas tout dire, mais lorsqu'elle censure avec amertume, elle devient infidèle, si elle supprime ce qui pourrait atténuer la faute. On juge alors que la rédaction a sacrifié la vérité et la réputation d'autrui pour obtenir le mérite de la concision du style épigrammatique; et quand la censure, dirigée contre un corps quelconque, est d'ailleurs sans la moindre utilité pour la gloire du personnage que l'inscription veut honorer,
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le sentiment des convenances fait que chacun se demande de quel motif plausible a pu être animé le rédacteur.
L'application de ces règles se présente d'elle-même en lisant la nouvelle inscription projetée pour le tombeau d'Agnès Sorel. Personne, à la vérité, ne prend aujourd'hui un grand intérêt à ce qui concerne les chanoines de Loches, qui vivaient du temps de Louis XI ; mais pourquoi flétrir leur mémoire par une accusation d'ingratitude envers une de leurs bienfaitrices ?
Ils furent enrichis des dons d'Agnès Sorel, dit l'inscription. Cela est vrai, et cela veut dire qu'elle lit une fondation dans l'église royale de Loches. Or les chanoines ont-ils interrompu ou voulu interrompre, du temps de Louis XI, les prières portées par la fondation? Personne ne les en accuse, et l'accomplissement de ce devoir a été le premier et le perpétuel hommage de leur reconnaissance.
Mais, ajoute l'inscription, ils demandèrent, à Louis XI d'éloigner son tombeau de leur choeur. Parmi les historiens, les uns ont passé ce fait sous silence; d'autres le rapportent d'une manière qui n'est pas uniforme. S'il y en a qui insinuent ou rapportent que les chanoines de Loches voulurent, par cette demande, servir la passion du prince, dont les anciens démêlés avec Agnès Sorel n'étaient pas ignorés, au moins il est constant que ce motif ignoble n'est point du tout avéré par l'histoire. Les autres observent que la demande des chanoines était fondée sur la petitesse du choeur et sur l'encombrement qu'y causoient les dimensions disproportionnées du monument ; et la ville de Loches se trouve encore pleine de témoins qui déposent de la vérité de cette dernière allégation, puisque la translation du tombeau dans une des chapelles ne remonte pas au delà de vingt ans.
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Après avoir disculpé les anciens chanoines du crime d'ingratitude envers leur bienfaitrice, il ne sera pas difficile de venger la mémoire d'un archevêque de Tours, que le rédacteur injurie encore plus gratuitement. L'inscription projetée continue en ces termes : « Un archevêque de Tours, moins juste, le fit reléguer dans une des chapelles. » —Moins juste !'En quoi donc cet archevêque de Tours a-t-il manqué aux règles de la justice? M. de Conzié, en faisant la visite de son diocèse, apperçut qu'en effet alors, comme au temps de Louis XI, le choeur étoit beaucoup trop petit et le mausolée beaucoup trop grand en proportion. Il en fit, comme il le devoit, son rapport au gouvernement, et la translation du mausolée dans une des chapelles fut ordonnée. Le motif était légitime ; la translation s'exécuta du consentement ou plutôt par ordre du représentant légal de la fondatrice. Elle se fit avec la plus grande pompe, comme l'atteste une foule de témoins qui vivent encore. La, chapelle fut réparée et le mausolée entouré d'une belle grille, tant pour lui servir d'ornement que pour le garantir de tout dommage.
Ainsi la justicene fut violée en rien, et la censure du rédacteur de l'inscription est un indice d'autant plus évident de sa propre malignité, que les faits qu'il rapporte, fussent-ils vrais, n'intéressent pas du tout la mémoire d'Agnès Sorel. Ils n'ont d'ailleurs aucune liaison nécessaire avec la restauration d'un mausolée, que la Révolution a détruit comme tant d'autres plus clignes d'être conservés.
Tous ces détails ont pu échapper à l'attention de M. de Pommereul lorsque le projet d'inscription lui fut présenté, et j'ai cru, M. le Préfet, qu'il était de mon devoir de les mettre sous vos yeux.
Il en est d'autres d'un intérêt plus général, que je veux également vous soumettre. A force de sensibilité
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pour les restes d'Agnès Sorel, le rédacteur de l'inscription nous la représente comme la principale cause de l'expulsion des Anglois hors de la France. Vous savez, Monsieur, que cette fausse idée serait plus propre à orner un roman historique qu'à être consignée dans nos fastes. Elle est fausse parce qu'elle est au moins très exagérée.
A l'époque du siège d'Orléans, l'historien de Charles VII dit que ce prince resta quelque temps irrésolu, ne sachant à quel parti s'arrêter pour sauver le reste de la Monarchie. Le Conseil du roi se partagea sur une question d'où dépendait le salut de l'État. Les uns insistèrent sur la nécessité de se retirer, dans les provinces méridionales pour y mettre plus sûrement en action les forces du Languedoc, les secours promis par les comtes de Foix et d'Armagnac, et ceux qu'on attendait des ducs de Savoie et de Milan. Ce parti pusillanime fut vivement combattu. Les autres ministres vouloient qu'en attendant les secours d'Ecosse ou d'Italie, on disputât pied à pied le terrein aux Anglois ; ils crurent avec raison que tout seroit perdu si le roi s'éloignoit un instant des villes en deçà de la Loire.
Au milieu de ces contrariétés, Charles VII, dévoré de tristesse et d'ennui, cédoit, pour ainsi dire, à l'excès du malheur. Quelle fut alors la première cause du salut de la France ? Fût-ce la maîtresse ou l'épouse du monarque indécis? « La reine seule, dit l'historien de Charles VII, faisoit voir un visage constant au milieu des adversités... Dans l'extrémité où le roi étoit réduit, elle le rassuroit, lui faisoit concevoir de l'espérance sans en avoir elle-même et, à force de tourner cet esprit agité, elle le fit enfin résoudre à demeurer dans les provinces de la Loire, et à défendre son royaume ville à ville ' ».
* Histoire de Charles VU, par Baudot de Sailli, 2 vol. in-12, 1754.
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Telle a été l'heureuse influence de Marie d'Anjou, la princesse la plus accomplie de son siècle. L'histoire ajoute qu'elle vendit ses pierreries, ses plus riches vêtements et qu'elle engagea l'argenterie de sa chapelle afin de payer la solde de l'armée.
Pour savoir maintenant quelle part eut Agnès au salut de la France, je consulte le même historien et, au lieu de faits positifs, je ne trouve plus que des rumeurs populaires, des anecdotes suspectes et des incertitudes. « On dit... On ajoute... On dit que la maîtresse du roi raffermit son courage ébranlé... On ajoute que la menace qu'elle fit de passer à la cour d'Angleterre engagea le roi à demeurer ».
Ce que les 'panégyristes d'Agnès citent avec plus d'avantage, c'est l'adresse dont elle usa pour alarmer le roi par la prétendue prédiction d'un astrologue, et le quatrain si connu que François Ier fit en son honneur, plus de quatre-vingts ans après sa mort.
Ce n'est pas, cerne semble, sur des on dit... fertur... aiunt, sur le bruit d'une prédiction, ou sur l'autorité d'un madrigal que les magistrats de l'antiquité s'appuyoient pour graver sur le marbre ou l'airain les faits qu'ils vouloient, au nom de leur gouvernement, transmettre à la postérité. Et lorsque le préteur ou le proconsul romain érigeoit un monument ou décernoit une inscription à la louange d'une femme, il respectait assez la morale publique et sa propre dignité pour ne pas la louer, comme le fait l'inscription projetée pour Loches, sur les faveurs qu'elle avoit accordées ou sur le prix qu'elle avoit mis à ses faveurs.
Vous croyez bien, M. le Préfet, qu'il m'en coûte d'être réduit à relever de telles expressions, qui tiennent plutôt du style de ruelle que de la gravité d'une inscription lapidaire, et qu'ici le bon goût ne réprouve
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pas moins que ne le font toutes les autres convenances.
De plus, à n'en juger que par la phrase de l'inscription, qui ne croiro.it que Y expulsion des Anglois hors de la France fut le prix que mit Agnès Sorel au sacrifice de sa pudeur? Or, l'histoire nous la représente uniformément comme la maîtresse reconnue cle Charles VII à l'époque du siège d'Orléans, et déjà la « simple demoiselle », qui débuta par dire que « sa conquête ne seroit pas facile au roi », avoit cédé comme une femme vulgaire à l'appât de la richesse et à l'éclat de la grandeur.
Au reste, personne n'ignore d'où vint le salut de la France, à ce moment de la plus grande détresse, et qu'une main plus pure fut choisie pour être l'instrument spécial de la Providence. Voilà un sujet qui appartient à la gloire, au véritable honneur et à la vertu, sujet vraiment digne d'être célébré par nos monumens, par nos louanges et nos inscriptions.
J'arrive à la dernière inscription projetée pour le monument d'Agnès Sorel, celle que l'arrêté ordonne de placer sur le fronton cle la porte d'entrée de la Tour de Loches.- Non ! je ne veux pas la transcrire, ni en faire ici la critique.
S'il est vrai, comme l'assure un des employés de la Préfecture, que ce vers soit extrait d'un poème scandaleux, que le simple usage du monde ne permet pas même de nommer en bonne compagnie, vous jugerez, M. le Préfet, s'il est convenable qu'une citation faite avec la sanction du dépositaire de l'autorité publique, en consacre le souvenir dans ce département.
Telles sont les principales considérations que je crois devoir vous offrir pour vous déterminer à rapporter l'arrêté du 10 nivôse et qui ont sans doute échappé à l'attention de M. de Pommereul, au moment où il reçut
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l'importante nouvelle de sa promotion à la préfecture du Nord.
J'ai l'honneur de vous saluer, M. le Préfet, avec la considération la plus distinguée.
f L. M., Archeu. de Tours.
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ENTREE
CHARLES IX A CHENONCEAU
Lorsque la paix qui mettait fin à la première des guerres de religion eut été conclue sous les murs d'Orléans, Catherine de Médicis, quiavait pressé avec ardeur ces conférences, redescendit aussitôt la vallée cle la Loire dans l'intention de faire un séjour à Chenonceau. Obligée par l'approche de Pâques de s'arrêter d'abord à Amboise', elle y retrouva ses enfants: le jeune roi Charles IX, arrivé de Blois depuis trois semaines,qui, en apposant sa signature sur le nouveau traité, venait de lui donner la date du 19 mars 1563 et le nom bientôt célèbre d'édit d'Amboise, ses deux autres fils, Monsieur duc d'Orléans et Hercule duc d'Anjou ; enfin Madame Marguerite, âgée alors de dix ans, la dernière ' de ses filles 2. Les murailles du château paraissaient si
1 La paix ayant été conclue le 12 mars 1563 avec le prince de Condé, la reine resta avec son armée sous les murs d'Orléans, pour attendre la signature du roi et surtout la retraite de la garnison protestante. Elle entra dans la ville le 1er avril, en repartit le lendemain, et, malgré la distance vint le soir môme coucher à Amboise (Arch. nat., KK tin ; ilal. 1724, f°s 26 et 30 : dép. de Barbare, des 5 et 13 avril 1563). — Charles IX s'y trouvait depuis le 8 mars. II était venu de Blois, où il avait séjourné, d'abord avec sa mère, du 23 janvier au 20 février, puis seul jusqu'au 7 mars.
- Monsieur, né le 20 septembre 1551 et baptisé sous les prénoms de Edouard-Alexandre, portait le titre de duc d'Orléans depuis que son frère Charles IX était sur le trône. Il se fit ensuite appeler
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sûres, qu'elles avaient abrité cette jeune princesse pendant une année entière presque sans interruption i, même lors de l'occupation de Tours et de Chinon par les calvinistes, et que tout récemment elles avaient servi de prison pour le prince de Condé. Réunie dans cette forteresse, la famille royale, sans faste, mais aussi sans ajouter à la piété ce qu'elle retranchait à l'étiquette, avait assisté selon l'usage aux offices de la semaine sainte et aux cérémonies de Pâques. Le mardi 13 avril, dès que la bienséance parut le permettre, chacun se mit en selle et prit joyeusement le chemin de Chenonceau.
La reine mère avait hâte de revoir cette demeure, longtemps désirée et qui allait devenir pour elle une résidence de prédilection. Avec l'entrain d'un nouveau propriétaire 2, elle n'avait point perdu de temps pour commander cle l'embellir. Réservant à l'avenir d'augmenter les bâtiments d'habitation, ses premiers soins
Henri duc d'Anjou, et régna sous le nom de Henri III. — Hercule, duc d'Anjou, né le 18 mars 1554, changea aussi do nom (voir dans fr. 26144 n° 618, une quittance de lui, du 26 décembre 1563 sous le nom d'Hercule), cl prit celui de François duc d'Alençon. Il mourut en 1584-. — Madame, c'est-à-dire la princesse Marguerite, née le 14 mai 1553, épousa, comme on sait, Henri de Navarre, qui devint le roi Henri IV.
1 Madame, laissée à Amboise en mars 1562, peu avant le début de la guerre civile, avait rejoint sa mère pendant le mois de juillet et la première quinzaine d'août de cette môme année, puis était revenue habiter le château d'Amboise {Arch. nul., KK 119). Elle eut comme compagnon, au moins pendant les derniers mois, son jeune frère, Hercule, âgé alors de neuf ans, qui était sous la garde de Jean Babou de la Bourdaisière (voir Mém. de Nevers, t. I, p. 70; Arch. nat., KK 132 f" 873 et 871). — Quant à son autre frère, Monsieur, il avait accompagné le roi (Arch. nat., KK 274).
2 Un acte d'échange, convenu à la fin de 1559 (Cf. Chevalier, Bisl. de Chenonceau, p. 305), avait mis Catherine en possession de Chenonceau dès le commencement de 1560. — On trouvera, sous le n° I, des Pièces justificatives, un document sur les principaux agrandissements faits à ce domaine par Diane de Poitiers, duciiesse de Valenlinois.
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s'étaient portés sur les jardins. Diane lui laissait un parterre, façonné à grands frais selon le goût italien, qui prévalait plus que jamais, création artificielle, où la mode du siècle devait s'étaler partout au détriment de la nature, où les compartiments étaient aussi compliqués que réguliers, où l'eau ne coulait que comprimée dans des fontaines, où les fleurs encore peu nombreuses dessinaient des arabesques, où les branches des arbustes étaient découpées en formes invraisemblables. D'après les ordres cle Catherine, on avait entrepris de plantera côté un jardin vert avec des alignements de pins, à construire des pavillons rustiques et une vaste volière destinée à se peupler d'oiseaux rares de tous les plumages. Les arbres à fruits, les mûriers blancs qui donnent la soie, n'étaient pas oubliés dans ces plantations et en les variant y mêlaient une pensée d'utilité. Ces travaux, oeuvre commune des jardiniers et des maçons, étaient commencés dès 1560 i : des fragments de comptes prouvent qu'ils étaient continués en novembre 1561 et en mars 1562 2. La guerre, tout en, les épargnant, les avait interrompus. Catherine, qui avait dû les abandonner à la surveillance du gouver1
gouver1 23 mars 1560, l'ambassadeur espagnol Chantonay écrivait d'Amboise à la duchesse de Parme : «... le Roy très chrétien va tous les jours à la chasse, et délibère s'en aller mardi [26 mars] en une petite maison d'un trésorier, à trois lieues d'icy, dite Schenonceaux, laquelle la reine mère du roy a acquis de Mme la duchesse de Valentinois, pour y accommoder des jardins et autres choses do plaisir... ». (Pièce citée, d'après les arch. de Bruxelles, par M. Paillard, Addit. criliq. à l'hist. de la conjurât. d'Amboise, p. 71.)
2 Voir la Pièce justificative, n° III. — Parlant de Chenonceau, dans sa dép. du 20 avril 1563, Barbara dit que la reine «v'ha qualche deletlalione de' giardini, clie vi fa fare. » — Les travaux du parc étaient vraisemblablement très avancés lorsque Bernard Palissy a publié son « Dessin d'un jardin délectable. » L'influence de cet artiste sur les jardins de Chenonceau paraît avoir été exagérée par l'abbé Chevalier (Voir le chap. XXII de son Mit., qui a été remanié depuis dans une plaquette intitulée « Les jardins de Catherine de Médicis à Chenonceau, 1563-1565 »).
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neur du château, Lambert de Baionville, avait à coeur de remplacer le coup d'oeil de l'intendant par celui du maître. Ce désir s'était annoncé lorsqu'elle dut-quitter Paris pour se rapprocher de l'armée 1, et, au milieu de février, pendant le séjour de Blois, il l'avait entraînée à dérober aux affaires une soirée passée à Chenonceau. Maintenant le moment était enfin venu d'inaugurer les nouveaux jardins, que la sève du printemps couvrait d'une riante verdure, et, comme Charles IX devait pour la première fois y paraître en roi, l'occasion s'offrait aussi d'y donner des fêtes.
Depuis deux ans que la reine était en possession de cette maison de plaisance, c'était déjà la seconde réception solennelle qu'elle était dans le cas d'y apprêter. La première avait été disposée, le 31 mars 1560, pour son fils aîné, François II, mort l'automne suivant, et pour sa jeune épouse, .Marie Stuart, qui depuis avait quitté la France à regret et sans retour. Cette entrée avait naturellement frappé les imaginations : aujourd'hui elle se représentait avec vivacité à la mémoire de tous ceux, jeunes seigneurs, dames et demoiselles, qui chevauchaient vers Chenonceau, et défrayait leurs propos moins à cause des nouveautés, des surprises, des « triomphes » qui l'avaient signalée, qu'en raison de rapprochements évidents avec l'heure présente.
1 L'ambassadeur vénitien Barbaro, resté à Paris, écrivait le 26 janvier 1563, en annonçant que la reine quittait Chartres pour Chàteaudun : «... Alcuni aggiungano che la Résina si sia rilirata a quella parte per andare, due giornate più in là, fin a Ambuosa, per vedere sua lîgliuola et il figliuolo minore, clic sono stati quest' eslate in quel castello, et anco per vedere un luoco suo particolare vicino [Chenonceau], onde poi abbia a ritornarsenc (Ital. 1722, f° 671. —
Les dép. de Barbaro et do Suriano ont été publiées récemment en Angleterre par M. Layard pour la « Huguenot Society »).
2 Partie de Blois le samedi 13 février, elle alla dîner à Amboise et coucher à Chenonceau. — Il est probable que le roi y a dîné les 10 et 19 mars; car Monsieur, dont il était accompagné depuis quelque temps, s'est rendu à Chenonceau dans ces deux journées.
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Comment ne pas remarquer qu'au renouvellement de la même saison, après deux années révolues, le hasard faisait parcourir la même route dans des circonstances semblables ? En 1560, la cour, désertant Amboise, empesté par la sanglante répression d'un complot qui avait remué tout le royaume, était venue respirer un air plus sain dans un lieu où elle pût oublier ses alarmes, au milieu de la galanterie et des divertissements. Maintenant elle cheminait au lendemain d'une crise encore plus forte, et c'était des excès de la guerre civile qu'elle cherchait sans retard à se distraire.
Ceux qui étaient le plus accoutumés à la suivre observaient que, malgré l'attente de réjouissances, elle était restée assez peu nombreuse. Parmi les personnages qui venaient d'aider Catherine de leur épée ou de leurs conseils, beaucoup s'étaient éloignés depuis que la rébellion était apaisée. Quelques-uns l'avaient fait par ordre, comme Sipierre laissé à Orléans l, le maréchal de Brissac envoyé en Normandie 2, le sieur d'Oysel parti en mission pour Madrid 3. Dans l'armée royale, déjà licenciée en partie, les gentilshommes qui, à la différence des capitaines de profession, faisaient de la guerre une occupation momentanée et non un métier, regagnaient successivement leurs provinces, las pour
1 Philibert de Marcilly, sieur de Sipierre, qui avait suivi la reine sous Orléans, avait, été nommé, le 15 janvier 1563, gouverneur et lieutenant général de l'Orléanais et du Berry, en remplacement du prince de La Roche-sur-Yon, pourvu du gouvernement du Dauphiné (B. de Lacombe, Cather. de Médicis entre Guise etCondé,p. 338).
2 Le maréchal de Cossé Brissac, appelé sous Orléans après l'assassinat du duc de Guise, craignit un moment d'être supplanté par le duc de Montpensier dans le gouvernement de la Normandie, qui venait de lui- être attribué (Lettre de Brissac, du 18 mars, dans Vc Colbert, t. 24, f° 126). Il était néanmoins retourné à son poste (abbé Marchand; Charles /" de Cassé, p. 513.)
3 H. Clutin sieur d'Oysel était un de ceux que la reine avait employés dans la négociation de la paix II était parti en mission pour Madrid, où il arriva le 22 avril.
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la plupart d'une campagne qui avait trop duré *. Il paraît que même le gouverneur de la Touraine, le duc de Montpensier, après avoir combattu sans relâche, puis prêté son concours à la discussion et à l'enregistrement de la paix d'Amboise, avait préféré à des plaisirs fatigants la tranquillité de son château de Champigny 2. Quant aux grands seigneurs qui dirigeaient en dernier lieu les forces protestantes, les principaux, l'amiral de Coligny et d'Andelot, son frère, murmuraient contre un traité dont ils ne voulaient voir que les désavantages, et soupçonnés d'ailleurs de n'être pas étrangers à l'assassinat récent du duc de Guise 3, ils portaient au loin leur mécontentement, sous la garde de leurs escortes. Nul n'était surpris de leur absence: on commentait au contraire celle du connétable de Montmorency, le commandant malheureux des troupes catholiques, qui tombé blessé aux mains des huguenots venait de négocier la paix avec Condé leur chef, prisonnier comme lui. Le connétable avait réclamé la grande maîtrise, emploi considérable que le meurtre du duc de Guise rendait vacant. Froissé d'un refus *, le héros vieilli et diminué s'était retiré sous sa tente.
A défaut de tous ces absents, dont quelques-uns inspiraient des craintes par leur attitude, deux des
1 «... Si vede che tutti quesli signori cattolici si ritirano ; et anco questi altri signori di Guisa par che siano ritirali » (dép. de Barbaro, du 5 avril 1563).— « Quasi tutti gli altri principi d'essa corle si sono ritirali aile loro case, siccome ha fatlo anco l'amiraglio o l'Andelot ». (dép. du même, du 20 avril).
2 Après une campagne en Poitou et en Guyenne de septembre à novembre 1362, le duc s'était arrêté quelques jours à Champigny. De là, il avait rejoint l'armée royale sur le champ de bataille de Dreux et, depuis, iï avait suivi la cour.
3 Voir de Rub\e~L'assassinat de François de-Lorraine. <
4 Lettres de Catherine, t. II, p. 36 ; Cf. Décrue, Anne duc de Montmorency, p.362..
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personnages les plus en vue s'étaient joints au cortège de la reine. L'un était le cardinal de Ferrare, issu de la noble maison d'Esté. Le Pape l'avait envoyé comme légat pour redresser ou contrarier les tendances de Catherine, qui, non contente de maintenir les traditions gallicanes d'indépendance envers le SaintSiège, prétendait suppléer au concile de Trente qu'elle contestait, et, depuis le nouveau règne, inclinait visiblement vers les Réformés. Le prélat avait paru pendant le colloque de Poissy ; mais la violence des controverses dogmatiques, en divisant de plus en plus des docteurs convoqués pour s'accorder, l'avait dispensé d'intervenir en personne. Plus inquiétants que les disputes toujours stériles des théologiens étaient les édits royaux, parce que, sous cette forme, la monarchie pouvait faire à l'hérésie des concessions, justifiées à ses yeux par des nécessités de tranquillité publique. Aussi quand l'édit du 17 janvier 1562, eut soumis à des conditions peu restrictives l'exercice du nouveau culte, le cardinal dut faire entendre des représentations, et les continuer jusqu'à ce que la guerre eût déchiré ce règlement trop conciliant. Au mois de novembre dernier, l'autorisation du retour était arrivée de Rome 1. Le prélat toutefois, désireux de voir les événements se dénouer, avait allégué l'insécurité des routes d'Italie, et s'était borné à rejoindre la reine sous Orléans. Là, ses lettres de rappela la main, il avait été témoin des derniers moments du duc de Guise, le champion le plus ambitieux mais aussi le plus énergique de la cause catholique; il avait assisté à la conclusion d'un traité où revivait l'esprit tolérant de ce qui avait été édicté au mois cle janvier de l'année précédente. La reine l'attirait à Chenonceau dans l'espoir d'atténuer
1 Dép.de Barbaro, des 22 et 25 novembre 1562 (Layard, p. lxxix cts.)
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en lui de fâcheuses impressions l, et le légat se laissait conduire pour voir s'il ne devait pas plutôt les accroître. La venue de l'autre invité était encore plus remarquée, et semblait un succès pour la politique cle Catherine. Il ne s'agissait de rien moins que du chef suprême de tous les factieux, de Louis de Bourbon, prince de Condé. Quel gage de l'efficacité de la paix nouvelle ! Pourtant Chenonceau, où le prince se rendait avec sa femme et son fils aîné, ne pouvait lui rappeler d'agréables souvenirs. N'était-ce pas dans une salle de ce château, que, peu de jours après l'entrée royale de 1560, il s'était redressé en face des Guises, ses ennemis, et là, devant le roi, avait protesté hardiment contre les rumeurs qui lui attribuaient, peut-être avec raison, la direction cachée de la conjuration d'Amboise? Cette scène 2 où il s'était montré hautain, faux, agressif, avait été la première dans tout un drame, déroulé depuis et rempli de ses mésaventures. Car forcé de s'esquiver, et bientôt de se livrer à des adversaires assez implacables pour en vouloir à sa vie, sauvé par l'avènement de Charles IX et rappelé à la cour sans y obtenir ce que rêvait son ambition, se laissant alors par dépit retomber sur son rôle de mécontent, poussant les huguenots à la révolte, vaincu et pris dans leurs rangs à la bataille de Dreux, il s'était vu traîner de
1 Barbaro rapporte un propos tenu à Chenonceau par le roi et qui paraissait destiné aux oreilles du légat. « La Maestà del Re, ' esserido, uno di quesli giorni, la slanza sua piena di molli signori et gentilhuomini, disse queste parole : Voi intenderete quelle che vi dira il principe delta Rocca sur loue, di mia commissiono et per deliberatione dolla Regina mia madré. — All'ora il principe soggionse, che la intcnlione di Sua Maestà Cristianissima era di vivere, con lutta la sua corte, cattolicamente et crislianamente, et sicome haveano fatlo Ii Re passali, conaltre parole in quesla sostanza. » Et Barbaro ajoute en chiffres : « ma con tulto. ciô non si resta già di predicar in corte la nuova religione, secoudo la quale pare anco che molli vivano. » (dép. du 24 avril, dans Layard, p. cxxj.).
» Voir la Pièce justificative n° II.
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t prison en prison jusqu'au moment où il s'était décidé
à convenir de la paix.
Au fond, il avait fallu la mort du duc de Guise pour le rendre traitable. Dès les premiers pourparlers, Catherine avait pénétré sans peine que désormais Condé prétendait se faire acheter, et que le prix était cette première place dans l'Etat que son frère Antoine de Bourbon, roi de Navarre, avait occupée pendant deux années, et Guise pendant quelques semaines. Or cette arrière-pensée se heurtait à une autre, toute contraire et mieux dissimulée : la reine ne voulait plus de lieutenant général du royaume. Elle se flattait de pouvoir enfin soustraire la monarchie à une tutelle, qui suscitait parmi les grands de si dangereuses compétitions ; et affranchie des Guises, des Châtillons, des Montmorencys, elle entendait bien ne pas se mettre dans la dépendance de Condé, ce maître impérieux, ce maître d'un caractère quinteux et violent, que d'ailleurs ses attaches avec le calvinisme rendaient suspect à une grande partie de la nation f. L'isoler de ses partisans, le fixer à ia cour en lui faisant goûter en espérance un pouvoir qui se déroberait sans cesse, tel était le jeu dont il fallait amuser la vanité de sa tête, aussi longtemps qu'elle s'y prêterait. Pour mieux le retenir, il semblait nécessaire d'amuser aussi les caprices de son coeur. Déjà avec Antoine de Bourbon, dont l'humeur faible et versatile offrait cependant tant d'autres prises, Catherine, en vraie disciple de Machiavel, s'était servie de ce ressort, devenu un expédient familier de son gouvernement. Elle le destinait maintenant à son hôte, qui, s'il différait de son frère par bien
1 On ne se flattait pas d'obtenir de Condé le changement de religion, auquel son frère Antoine s'était prêté par ambition et avec une indifférence trop notoire.
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des côtés, lui ressemblait par l'exubérance du tempérament et un souci très relâché de la fidélité conjugale. Le piège était prêt à Chenonceau, et, par la manière dont les fêtes y étaient ordonnées, il pouvait se rencontrer et se détendre sous chacun des pas du prince. Ces fêtes, en elïet, n'imitaient pas celles de 1560. Les « triomphes * » d'alors avaient consisté en arcs et en colonnes, en obélisques et en autels, qu'accompagnaient par endroits des statues allégoriques, modelées, disait-on, par les mains italiennes du Primatice. Dans ces ornements simulés, une part avait été ménagée à des feux de couleur. On apercevait partout des devises et des inscriptions en plusieurs langues, qui le lendemain devaientarrêter devantelles despromeneurs, dont les plus frivoles se piquaient alors de bel esprit et de réminiscences classiques. A l'arrivée, une foule de neuf cents paysans et ouvriers, bannières déployées, et, devant eux, leurs femmes rangées à terre, ajoutaient comme un tableau vivant de la seigneurie et rappelaient les travaux des jardins. Rien de semblable aujourd'hui. Outre le besoin de variété, qui n'est jamais plus exigeant que dans les plaisirs des yeux, on n'avait pas, comme en 1560, mis à profit plusieurs mois pour exécuter des dessins étudiés à loisir 2. Les fantaisies du plan actuel
1 Nous renvoyons à la pièce bien connue, les « Triomphes faictz à l'entrée de Françoys II et de Maryo Stuart au chasleau de Chenonceau ». — Le Plessis, qui l'a rédigée, paraît avoir composé, sinon toutes les inscriptions, du moins les principales. On remarquera à cet égard un passage où il dit : « Dans celle table nous avons fait escrire... » (Voir la réimpression faite par Je prince Galilzin, p. 10). On ignore encore quel est cet auteur; car il nous semble impossible d'y reconnaître Antoine Du Plessis, sr de Richelieu. Le caractère de ce rude capitaine y répugne, ainsi que l'orthographe de son nom : il signait, en effet : Du Plessis, et non Le Plessis (Pièces orig. 2302, quittances des 2 mai 1570 et 22 janvier 1571).
2 Au mois de janvier 1560, il était dans les projets du roi de quitter Blois très prochainement et de se promener dans les châteaux de la vallée de la Loire (dép. de Chantonay du 17 janvier, dans Pail-
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étaient improvisées : l'invention, les préparatifs ', tout avait dû s'achever après la signature de la paix et dans le temps assez restreint passé au château d'Amboise. Cette fois les agencements cle toiles peintes étaient remplacés par des costumes ; au lieu d'une architecture postiche, garnie de feuillages et de petits vers, on avait des acteurs et des figurantes. Sur ce théâtre en plein air et sans décors, la jeunesse de la cour devait payer de sa personne et remplir des rôles.
Elle était venue, le matin, à Chenonceau se parer et se mettre en scène. Dans l'après-dîner parut le cortège royal, et en tête la reine, cavalière infatigable, que la quarantaine avait un peu alourdie 2 sans altérer son élégance et son adresse à manier un cheval. A peine la cavalcade s'est-elle engagée dans la longue allée du parc, que soudain on entend résonner des voix de sirènes qui semblent sortir de canaux bordant ce chemin. Echappées d'un bois, des nymphes leur répondent. Leurs chants sont entendus par des satyres, qui courent et essayent de les enlever. Tandis qu'elles
lard, p. 6). II est à peu près certain que, dès ce moment, une entrée solennelle à Chenonceau fut décidée, Catherine ayant le désir bien naturel de montrer au plus tôt sa nouvelle acquisition. Pendant le séjour de la cour à Amboise, le roi et sa mère profitèrent d'un moment de répit, où les alarmes causées par la conjuration semblaient calmées, pour se rendre vers le 9 mars à Chenonceau et y observer le progrès des préparatifs de l'entrée (dép. de Chantonay, du 10 mars).
•i L'article suivant des comptes de Catherine, en 1558, montre que les fréquents séjours de la famille royale à Amboise avaient attiré dans cette ville un certain commerce d'étoffes de luxe. « A Yves Gardonneau, marchant demourant à Amboise, la somme de huicl vingtz livres tournois, sur et tant moins de la somme de in o xx Iz tz, à luy ordonnée pour son payement de sept aulnes de toiile de linoniple à (11 tiré, ouvrées de fil d'argent et lil d'espine, enriclues de gros boulons d'argent enlevez et entrelacez, à raison de quarante livres l'aune, qu'il a fournies et livrées pour le service de ladite Dame, que pour ses voyaigee et vaccations, et le port de ladite toillo dudict lieu d'Amboise à la suitte de ladite Dame » (fr. 10396, f° 51).
2 En septembre de celte même année 1563, la reine fit une chute de cheval assez grave (cf. Lettres de Catherine, t. II, p. 98 note).
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fuient, pourchassées par ces êtres grossiers, tout hérissés de poils d'or et de soie, des chevaliers errants, l'épée à la main, se précipitent au secours des fugitives. Ce sont six jeunes seigneurs ', choisis pour leur naissance et leur bonne mine, qui se sont revêtus de velours bleu, et d'étoffes rouges et argentées. Ils engagent un combat; mais si leurs coups de plat d'épée égayent les assistants, les yeux s'attachent encore plus volontiers sur les nymphes, où chacun a reconnu six des filles d'honneur de la reine. On avait l'habitude de les voir dans leur tenue de cour ou montées sur des haquenées de voyage. Sous une tunique aux couleurs chatoyantes, qui laisse flotter les cheveux et orne de pierreries un cou découvert et des bras nus, elles paraissent plus gracieuses et moins modestes que jamais. D'abord Mlle de Rouhet, qu'une aventure récente avec Antoine de Bourbon, favorisée par la reine, avait mise dans la plus fâcheuse évidence. On parlait tout bas d'une maternité furtive, et, plus bas encore, de visites faites au prince blessé devant Rouen, et qui auraient avancé la fin du malade en la rendant plus douce 2. Exercée dans l'art déplaire, elle était là, avec tous les attraits d'une beauté déjà sûre d'elle-même. Près d'elle, Mlles de Guyonnière, de Montai, de Tenye, à qui Brantôme, poète à ses heures, a dédié des compliments rimes, dont la licence n'est peut-être qu'une indiscrétion; puis Mlle de La Rocheposay qui, dans ce milieu corrupteur, passait pour sage sans cesser d'être aimable. Enfin plus séduisante que ces dernières, une parente de la reine, Isabelle de Limeuil, qui allait bientôt devenir l'émule de MUe de Rouhet sur la pente glissante de la coquet1
coquet1 notes concernant ces chevaliers, les nymphes, et en général les personnages cités dans l'entrée, sont reportées à la Pièce justificative n° IV.
2 Voir de Ruble, Antoine de Bourbon, t. IV, p. 369.
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terie. Vive, expansive, d'une malice souvent railleuse, elle joignait à la pénétration du regard cette fraîcheur de la jeunesse dont rien n'égale le charme.
Les satyres mis en déroute, leurs vainqueurs s'étaient rangés autour du roi pour le saluer, pendant que des canons placés sur les terrasses des jardins faisaient retentir le fracas de leurs décharges, et que des feux d'artifices partaient des galeries du château. Le soir, après un festin, nymphes et chevaliers, dépouillés d'attributs empruntés au roman et à la fable, reparurent sous des accoutrements de Poitevins. Le visage masqué, ces nobles devenus paysans se mirent à danser le « bransle » du Poitou, aux sons d'une cornemuse. Le bal était conduit par le roi et sa soeur. Des habillements semblables, où dominaient uniformément le bleu, l'argent et l'incarnat, faisaient distinguer les couples qui prenaient part au ballet.
Les plaisirs les plus variés se succédèrent dans la journée et la soirée du lendemain. En se levant, le roi fait dans les jardins la rencontre prévue d'un sanglier qu'ont assailli ses enfants d'honneur, et tout est disposé pour qu'il puisse sans danger lui donner le coup mortel. Une promenade sur l'eau occupe l'après-dîner : on voit des barques remplies de dames et de masques se croiser lentement sur le Cher. Après souper, c'est une sorte de pastorale en musique, où Charles IX, qui n'est pas encore majeur, se montre, entouré de plusieurs princes de son âge. Près de lui se tiennent le duc d'Orléans, son frère, et le marquis de Conty, fils aîné de Condé ; puis le prince de Navarre, celui qui portera plus tard le nom glorieux d'Henri IV, et le nouveau duc de Guise. L'un et l'autre viennent de perdre leur père dans l'acharnement des troubles civils ' ; mais les
i Le roi de Navarre, Antoine de Bourbon, blessé au siège de
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convenances de la politique, qui rapprochent ces jeunes têtes, n'ont pas permis les deuils prolongés. Vêtus de satin blanc, rehaussé par un tissu d'or et par des pierreries, tous figurent des bergers et font face à des bergères, aux robes blanches comme les leurs, que conduit en cadence la princesse Marguerite.
Le troisième jour, Catherine a voulu ménager un peu de repos à ses enfants, tenus la veille presque constamment en mouvement et en représentation. Par son ordre les « toiles » ont été tendues, et dans ces filets, qui faisaient alors partie du matériel de chasse, sont emprisonnés des sangliers, dont un de forte taille, qui seront tués à coups de javeline par des cavaliers travestis. C'est l'amusement imaginé pour ceux qui, ne pouvant avoir part à la distribution des rôles, sont restés simples assistants. La reine a placé ces hauts personnages aux premiers rangs sur une estrade, d'où elle n'exclut d'ailleurs point les jeunes acteurs qui reprennent haleine, et, de son siège, elle fait les honneurs d'un spectacle animé, émouvant et nouveau. A son côté elle a fait asseoir Eléonore de Roye, la compagne très digne et trop confiante du prince de Condé. Depuis le siège d'Orléans, où dans un entretien insinuant elle a su amener cette princesse à des idées de paix ', elle n'a point cessé de l'entourer de flatteries et de caresses; elle renouvelle ces prévenances, tout en tramant contre elle la plus sensible des perfidies. A-t-elle déjà observé sur Condé l'influence des yeux profonds de Mlle deLimeuil ? En tout cas elle attend, elle espère une intrigue, et
Rouen le 16 oclobre 1562, était mort le 17 novembre. Quant à François, duc de Guise, frappé traîtreusement, le 18 février dernier, par Poltrot de Méré, auprès d'Orléans, il avait succombé le 24 à cette blessure.
1 A la suite de cet entretien, qui eut lieu le 2 mars 1563, le prince de Condé fut amené d'Amboise sous escorte, et commença le 7 à conférer de la paix avec le connétable de Montmorency.
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dans ces lieux encore pleins du souvenir de Diane de Poitiers, semble goûter une sorte cle vengeance à voir bientôt une autre épouse ressentir une humiliation semblable à celle dont son orgueil, sinon son coeur, a longtemps souffert. Condé lui-même est présent à la chasse des sangliers, dans une compagnie très qualifiée, où l'on remarque le prince de la Roche-sur-Yon, qui vient d'échanger le gouvernement de l'Orléanais et du Berry contre celui du Dauphiné ', le gouverneur de Bretagne, le grand écuyer, le cardinal de Bourbon, employé récemment à négocier le traité d'Amboise, et maintenant à le faire accepter au légat, clans une de ces luttes de finesses et de sous-entendus, où.un prélat français a rarement l'avantage contre un prélat romain. Lorsque la nuit est venue, des pièces d'artifices éclatent sur le Cher et l'éclairent de mille feux. L'illumination est l'oeuvre cle Cornelio di Fiesco, un de ces italiens avisés qui ont émigré en France pour y chercher fortune. Devenu écuyer et capitaine des galères du roi, traité familièrement par la reine qui ne le trouve jamais à court d'une invention plaisante, il est aussi chargé, pour le jour suivant, de machiner une de ces joutes sur l'eau, auxquelles Chenonceau, assis sur une rivière, se prête mieux que tout autre site. Il réussit à rassembler plus de cinquante barques, peintes des couleurs les plus vives, le bleu, le blanc, l'incarnat, et enveloppées de festons et de guirlandes. Elles représentent des galiotes qui évoluent, se poursuivent et s'abordent. Ce simulacre de combat naval succède à la surprise d'une collation, disposée par la reine dans la matinée. Elle a conduit ses hôtes vers sa nouvelle volière, où l'on a pu admirer déjà des oiseaux exotiques,
1 En vertu de letlres royales, données à Chartres le 16 janvier 1563 {fr. 4682 M).
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et a fait offrir des fruits et des confitures par l'essaim entier de ses filles d'honneur et de celles de Madame Marguerite. Ce jour-là, ces servantes enjouées se prétendaient habillées en Picardes, si l'on peut donner ce nom champêtre à de riches cottes de velours et de satin cramoisi, avec des manches de laine argentée, des manteaux de pourpre, des pierreries mêlées a la gaze dans les cheveux.
Quatre journées se sont ainsi écoulées rapidement, au milieu cle plaisirs sans cesse renouvelés et sans cesse variés. Il ne reste plus d'apprêts que pour une seule fête, qui sera celle des adieux à Chenonceau. On est au samedi, et elle a été indiquée pour le lendemain, d'après un programme observé jusqu'ici, où l'on a fixé au lundi 19 avril 1 la fin d'un séjour si divertissant. Mais des nouvelles fâcheuses arrivent et font craindre que Fontainebleau, où la cour doit se rendre, ne soit pas à l'abri d'un coup de main des reîtres. Ces cavaliers allemands, appelés comme renfort par Condé et accourus en France pour y remplir leurs escarcelles, exigent en ce moment du roi la solde que les chefs huguenots ont promise sans pouvoir la payer, et pour mieux se garnir les mains, continuent en pleine paix à dévaster les contrées qu'ils traversent 2.
« Si j'avais, écrivait Catherine, autant de force en main pour les châtier que de bonne volonté, je vous
1 « Je m'estoys résolue de faire partir ce jourd'huy le Roy monsieur mon filz de ce lieu, pour l'acheminer et rendre à Fontainebleau lundy prochain..., mais ayant sceu ce que lesdietz Reistres font..., je ne suis pas délibérée de l'aprocher en Heu où ils nous puissent donner ung effroy et ung alarme, et habandonner ces quartiers qu'ilz ne soient si esloignez dudict Fontainebleau et si près de noz frontières, que nous n'ayons plus occasion de craindre leur retour..» (Catherine à M. de Gonnor ; de Chenonceau, le 19 avril 1563. —Voir une lettre au même, qui est du 17 et non du 27 avril, dans les Lettres de Cather., t. II, p. 16 et 26).
2 Après la bataille de Dreux, Coligny avait essayé de leur faire
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promets bien que je leur eusse déjà fait serrer de si près les talons, qu'ils ne seraient de cette heure à piller et saccager nos pauvres sujets, comme ils ont fait jusqu'ici ' ». Ce ferme langage, il faut le reconnaître, était inspiré moins par des inquiétudes, heureusement vaines, pour la sûreté de Fontainebleau, que par un désir patriotique de libérer la France. Le renvoi de mercenaires insubordonnés et rapaces, que l'aveuglement des discordes religieuses allait ramener plusieurs fois encore dans nos campagnes désolées, avait été pour la reine le plus impérieux des soucis. Il la suivait depuis Orléans, sans lui faire négliger d'ailleurs les autres affaires pressantes du royaume. Car si l'héritière des Médicis montrait trop de goût pour les expédients et trop peu pour la morale, elle avait du moins le mérite de l'activité et de l'application au travail. Jamais ses secrétaires n'étaient restés en arrière 2, et, malgré la dissipation des derniers jours, elle avait su trouver le temps de gouverner. Sa correspondance politique, qui ne s'était pas interrompue 3 , allait se multiplier pendant les heures ajoutées et imprévues où ses hôtes, laissés à eux-mêmes, n'avaient pour la plupart que la promenade, la médisance ou la galanterie pour tromprendre
tromprendre d'abord en leur livrant la Sologne à piller, puis en les entraînant en Normandie, à portée des subsides anglais. En ce moment, ils chevauchaient dans la direction du Rhin, mais avec la volonté de ne point le repasser tant qu'ils n'auraient pas reçu le copieux salaire qu'ils exigeaient.
1 Lettres de Cather., t. IL, p. 16.
5 Elle avait alors auprès d'elle les secrétaires Robertet et Bourdin. Outre des contreseings, on a conservé des lettres particulières de ces deux personnages, écrites de Chenonceau (Lettre de Robertet, du 14 avril, dans fr. 3635 f° 6 ; lettres de Bourdin, des 15 et 19 avril, dans fr. 3219 f°' 119 et 121). Robertet date, « de Chenonceau le crotté », faisant peut-être une allusion plaisante aux travaux de terrassement qui auraient défoncé le parc.
3 On trouvera dans le t. II des Lettres de Catherine, plusieurs lettres de la reine écrites pendant ce séjour à Chenonceau. Elles sont au
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per leur désoeuvrement. Ils étaient oisifs; mais elle ne l'était pas. Imposer l'édit de pacification à des provinces encore agitées par les remous de la guerre civile, le faire admettre par des parlements récalcitrants et au dehors par le Saint-Siège et l'Espagne qui s'en alarment, discuter avec l'Angleterre la remise du Havre l et prévoir déjà les moyens de reprendre cette place par la force, surveiller les rivalités des grands, inventer des ressources pour un trésor épuisé, tels sont les devoirs très nets qui, à Chenonceau comme ailleurs, fixent pendant quelque temps la mobilité de cet esprit sans principes, et entretiennent l'illusion que la reine a reçu comme un don de la nature, la clairvoyance alors si nécessaire d'un homme d'Etat.
Cependant le temps qu'on s'est ménagé pour apprendre où les reîtres en sont de leurs pillages, ne s'est pas trop prolongé. Soit que l'on se rassure, soit qu'on cède à la nécessité de retourner, à tout risque, auprès de Paris et du centre des affaires, le moment du départ a été décidé; et la veille, c'est-à-dire la soirée du mercredi, toute l'animation s'est réveillée. Chacun s'est mis en frais pour la dernière fête, qui doit être une brillante mascarade. Les salles du château se remplissent. Le ballet est formé par trois des demoinombre
demoinombre quinze, en y comprenant deux lettres à M. de Gonnor, des 15 et 17 avril, datées par inadvertance des 25 et 27 de ce mois. — On a aussi conservé au moins trois lettres du roi expédiées de Chenonceau : l'une du 17 avril (fr. 3I!)6 f° 1) et deux du 20 avril (fr. 3191 f° 47, et coll. du Parlementa la Bibl. nat.,t 84) —La journée du 20, qui était supplémentaire, paraît avoir été plus particulièrement consacrée aux affaires du royaume.
1 Dép. de Maitland à la reine Elisabeth, datée de Chenonceau, le 15 avril (Calendar 1563, p. 292). — Maitland était un des agents anglais qui entretenaient des relations avec les chefs du parti huguenot. Sa présence à Chenonceau surprend au premier abord, parce que les envoyés étrangers, même pourvus de titre officiel, ne paraissent pas y avoir été invités. Ainsi Chantonay est vraisemblablement resté à Amboise ; Barbaro n'a certainement pas quitté Paris.
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selles-de Catherine, charmantes dans des atours tous différents et ayant chacune à son côté une des dames d'honneur, dont la toilette rappelle celle de sa jeune compagne, mais avec une agréable diversité de détails. La reine a gardé cette fois MUe de Rouhet en réserve, et mis en avant Tenye, Montai, et surtout Isabelle de . Limeuil, dont le roman s'ébauche au gré de sa politique. Le prince de Condé l'a vue tour à tour transformée en nymphe, en Poitevine, en Picarde, et ce Samson du parti huguenot trouve Dalila encore plus captivante dans sa quatrième métamorphose. Sur sa tête si délicate, elle a ajusté une coiffe de fils d'argent, qui est couverte de perles et laisse pendre un voile; à sa taille, si légère, elle a attaché une cotte de toile turque frisée, drapée avec un crêpe blanc, descendant au genou. Celles qui l'entourent ne sont pas moins parées et rivalisent de richesse sur leurs personnes. Elles donnent la main aux six chevaliers errants du premier jour, qui portent chacun un costume varié, mais pareil à celui de la danseuse, dame ou demoiselle, dont ils dirigent les mouvements. Les travestissements au reste ne paraissent pas avoir provoqué la licence, et le bal s'est terminé dans les rires et la joie. Le temps n'était pas encore arrivé où le duc d'Orléans, devenu roi à la place de Charles IX, ne se contenterait plus de la gaieté française, où sa sensualité pervertie emprunterait à l'antiquité les raffinements des orgies païennes '. Le 22 avril, après le dîner, les hôtes de Chenonceau
1 Une de ces orgies fut préparée à Chenonceau le dimanche 12 mai 1577, pour célébrer le succès de François de Valois, qui le 30 avril s'était emparé de La Charité. Le roi et sa mère présidaient à ce festin, sur lequel P. do L'Estoile a consigné de honteux détails. Un envoyé anglais, n'en parlant du reste qu'à l'avance, se borne à dire: « The Queen molher intends to make a solemn and sumptuous feast on sunday, in lier, garden of Chenonceau, in honour of this viclory, •\vhere the banquet shall be served by ladies apparelled in white
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remontaient à cheval et sortaient de ce lieu renommé désormais comme le séjour de tous les plaisirs. Un voyage assez lent, dont Chambord fut l'une des étapes, amena le roi et sa mère le 26 à Orléans '. Le soir même Charles IX fit une entrée solennelle dans cette ville, qui ayant servi de quartier général aux calvinistes pendant la durée de la guerre, semblait une partie reconquise du royaume, et dès le lendemain, se remit en route, non vers Fontainebleau, mais vers Saint-Germain, où il s'établit le 1er mai. Les principaux invités s'étaient dispersés: le légat, pour regagner l'Italie, avec un train modeste, bien différent de l'appareil dont il avait fait étalage lors de son arrivée en France 2 ; le prince de Condé pour aller à Paris s'amollir dans une passion, trop facile à satisfaire 3, et qui devait bientôt conduire Isabelle de Limeuil par
satin..» (Paulet lo Walsingham,Blois 9 may, dans Calendar, p. 576) '— Henri III faisait à ce moment un long séjour à Chenonceau : ses lettres nous le montrent dans cette résidence depuis le 26 avril jusqu'au 12 juinl 577 (fr. 3333, 3334, 3337, 3340, 3383). Parmi les lettres, on en remarque une du 24 mai donnant vingt pieds d'arbres, à prendre dans les forêts d'Amboise et de Montrichard, pour aider les habitants de Francueil à rebâtir leur église, démolie durant les troubles (coll. du Parlement, t 101, f- 36).
1 Voici cet itinéraire : le 22 avril, dîner à Chenonceau, souper et gîte à l'abbaye de Pontlevoy. — Le 23, dîner à Cour-Cheverny ; souper et gîte à Chambord. — Lo 24, dîner à Chambord ; souper et gîte à la Fcrlé-aux-Oignons. — Le 25, dîner à Meusay ; souper et gîte à Cambray près SainlMesmin. — Le 56, dînera Cambray, souper et gîte à Orléans. — Le 27 dîner à Orléans, souper et gîle à Arlenay. (Arch. nnl., KK110). — Charles IX devait revenir à Chenonceau le 1" décembre 1565 et y demeurer trois jours; mais il ne parait pas que cotte visite, faite à la fin d'un long voyage et dans une saison très rigoureuse, ail été marquée par des fêtes.
2 Parti de Rome le 2 juillet 1561, il avait mis deuxmoisàse rendre à Paris, où il arriva le 18 septembre, escorté de trois cents cavaliers.
3 Condé « s'est mis lui aussi, à s'affoler des femmes » (dép. de Smith; dans Calendar 1563, p. 283). —D'Aubigné (édit. de Ruble, t. II, p. 183, cf. p. 196) se sert de cette expression pittoresque : « ce n'estoil que reproches conlre le prince, accusé d'avoir halené les filles do la roine, comme il parut depuis ».
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le désordre au scandale, et Éléonore de Roye par le chagrin et l'abandon à une fin prématurée '. Privé ainsi de la cour, le royal domaine de Chenonceau ne devint pas désert ; il se rouvrit bientôt aux bandes des ouvriers. Les nouveaux jardins avaient intéressé la reine assez vivement pour qu'elle voulût les achever 2. Elle avait beau manquer alors de ressources pour acheter l'éloignement des reîtres, pour solder les compagnies d'ordonnance, pour suffire aux nécessités journalières cle l'État : quand il s'agissait de ses fantaisies, elle n'était plus en peine de trouver les moyens. Rien ne la retenait dans ses dépenses personnelles; et son luxe, on le sait, n'a jamais reculé devant les dettes les plus notoires. Grâce à cette prodigalité, le parc de Chenonceau devait rester animé par le travail ; et les coups de pioche des terrassiers allaient, pour quelque temps encore, remplacer les échos bruyants de la cour fastueuse, dissolue et souvent obérée des Valois.
Clc BOULAY DE LA MEURTHE.
1 Le scandale éclata par une naissance à Dijon, au mois de mai 1564, et obligea la Reine à éloigner mademoiselle deLimeuil (voir de Thou, t. IV, p. 537 et6S6; et une brochure assez rare, publiée par le duc d'Aumale sous lo titre de « Information contre Isabelle de Limeuil, » in-8 de 106 p.) Plusieurs des lettres intimes qu'elle échangea avec Condé ont été conservées (voir l'Information, el collecl, Morrison, t. III, p. 168). — Quant à la princesse de Condé, elle mourut jeune le 23 juillet 1564 iDelabordo, Eléonore de P,oye).
2 Catherine, sans pouvoir venir à Chenonceau aussi souvent que son désir l'y portait, y a fait néanmoins plusieurs séjours. L'énumôration qu'en donne l'abbé Chevalier (Htst. p. 378) est incomplète.
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PIÈCES JUSTIFICATIVES
I
AGRANDISSEMENTS FAITS A CHENONCEAU PAR DIANE DE POITIERS
Henry, etc., nostre très chère et améecousine Dyane de Poictiers. duchesse de Valentinoys, nous a cy devant présenté requeste, contenant qu'elle auroit acquis la chastellenie et seigneurie de Chenonceau, tenue et mouvant de nous â cause de nostre baronnie d'Amboise, en laquelle elle a tout droiet.de justice et jurisdiction haulte, moyenne et basse, et officiers pour l'administration d'icelle, desquelz les appellations ont accoustumé ressortir par devant le bailly dudit Amboise ou son lieutenant; a pareillement acquis les flefz, terres et seigneuries de Chisseau, Bois de pont, la Chervyere, Moulin fort, Vrigny, les Défies, Thoré et Colomieres, contiguz et joignant ladite chastellenie de Chenonceau', qui sont tenuz, savoir est : ledit Thoré, de nous à cause de nostre dicte baronnie d'Amboise; lesdits Chisseau, Bois de pont, Vrigny, les DefEes et Colomieres, du seigneur de Montrésor ; ledit Moulin fort, de nous à cause de nostre chasteau de Tours ; et la Chervyere, du seigneur de Chissay ; lesquelz elle désiroit faire joindre et unir avec ladite chastellenie de Chenonceau ; et parce que les habitans desdits lieux sont contrainctz plaider en plusieurs et diverses jurisdietions, savoir est par devant les bailliz et officiers d'Amboise, Tours, Loches, et les juges de Bléréet Montrésor, nostredicte
1 Coulommiers, le Défiais, Thoré avaient été acquis par Bohier en 1506 et 1515. Ce sont les fiefs et terres de Chisseau (et Bois de pont), de la Chervière, du Moulin-fort, de Vrigny qui ont été achetés par Diane de Poitiers (Chevalier, Hist. chap. XIX ; Diane de Poitiers au conseil du roi, p. 243 ; Pièces historiques sur Chenonceau, p. 145 et 149). Il est à remarquer que Vrigny, acheté par la famille Bohier, puis revendu, était ainsi réuni pour la seconde fois au domaine de Chenonceau.
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cousine auroit composé avec les seigneurs ausquelz la justice et jurisdiction d'aucuns desdits lieux appartient, lesquelz luy ont accordé et consenty de leur part ladite union estre faiete ; et pour le regard de la justice et jurisdiction desdits lieux' de Thoré et Moulin fort à nous appartenant à cause de nosd. baronnie d'Amboise et chasteau de Tours, nous a faict supplier et requérir très humblement la luy bailler et octroyer, en nous baillant récompense de ce qu'elle peult valoir chacun an selon l'évaluation qu'en sera faiete sur les dix dernières années ; Et neantmoings joindre et unir tous lesdits fiefz, terres et seigneuries à ladite terre et chastellenie de Chenonceau, pouriceulx tenir, savoir est: lesdits Chenonceau, Thoré et Moulin fort, de nous à une seulle foy et hoinmaige a cause de nostredite baronnie d'Amboise, etles autres des seigneurs dont elles sont mouvans, et ordonner que les subieetz et habitans desdits fiefz, terres et seigneuries seront en première instance traictez et convenuz par devant les officiers de ladite chastellenie de Chenonceau, et par appel par devant nostre bailly d'Amboise ou son lieutenant, et interdire ausdicts juges et officiers de Tours, Loches. Amboise, Bléré et Montrésor et tous autres, prendre .aucune court, jurisdiction ne congnoissance en première instance sur les manens et habitans desdits fiefs, terres et seigneuries, à peine de nullité de tout ce que par eulx seroict faict.
Laquelle requeste, avant pourvoir sur le contenu d'icelle, nous aurions renvoyé à noz amés et feaulx conseillers Me* Martin Fumée, s'des Roches ',maistre des requestes ordinaires de nostre hostel, et au sr de la Bordeziere 2, trésorier de France et général de noz finances en la charge et généralité de Tours, pour, appelle devant eulx nostre procureur et autres nos officiers es bailliages d'Amboise, Tours et Loches .et les seigneurs et autres prétendans droict en ladicte union, informer sur la commodité ou incommodité queseroit à nous et à la chose publique, mesmes aux habitans desdiets fiefs, terres et seigneuries, et reprins les estats faietz par nostredict trésorier aux receveurs ordinaires d'Amboise et de Tours, et l'extraict des comptes par lesdiets receveurs renduz des proffitz et émolumens provenuz par chacun an puis dix ans en cas de la justice et jurisdiction des fiefz, terres et seigneuries de Thoré et Moulin fort, procéder à l'éva1
l'éva1 des Roches Saint-Quentin, en Touraine.
2 On verra plus loin qu'il s'agit de Philibert Babou, sr de la Bourdaisière. Il lesta le 9 septembre 1557 (P. orig. 160, n° 95) et dut mourir peu de temps après.
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luation dudiet droict de justice, et desdictes dix années en faire une commune; Et, ladicte information faiete, icelle, ensemble le dire desdicts sieurs, leur advis et desdicts officiers, envoyer par devers nous en nostre privé Conseil, pour, le tout veu, estre pourveu sur le contenu en ladicte requeste, ainsi qu'il appartiendra par raison.
Lesquelz, à ces fins, auroient faict assigner pardevant eulx noz bailly, procureur, receveur et contrerolleur de nostre domaine d'Amboise et Loches, et pareillement les seigneurs de Chissé et de Bléré et autres pretendans droict ou interetz es choses mentionnées en ladicte requeste, pour les venir dire et alléguer. Ce qu'ilz auroient faict respectivement, et declairé savoir est : lesdiets officiers de Tours et Loches, qu'ils n'entendoient empescher nostredicte cousine au contenu de sadicte requeste, et que nous, ne la chose publicque, n'y avons aucun interest. Pareillement les bailly et lieutenant d'Amboise auroient fait semblable déclaration et consentement, en les récompensant toutesfois de l'interest qu'ilz y pourroient avoir. René de Baternay ', chevalier, seigneur de Boschage, de Montrésor et Chissé, ou procureur pour luy, suffisamment fondé de lectres de procuration quant à ce, auroit aussi consenty et accordé le contenu de ladicte requeste, pour le regard de la justice qu'il avait es diets fiefz du Defaiz, Colombieres, Chisseau, Bois de pont et Vrigny. Neantmoins Jacques Berard, sr de Bléré; le prevost, noz advocat et procureur dudiet Amboise ; Jacques Petit, enquesteur dudit lieu, et Jacques Violet, notaire royal, es lieux de Chissay, Chivray, Chisseau et Chenonceau, y auroient chacun de leur part contredict ; et après avoir respectivement baillé leur dire et oppositions par escript, auroient esté receuz à informer sur iceulx ; et pareillement nostredicte cousine sur le contenu de sadicte requeste, ce qu'elle auroit faict de sa part; comme aussi auroit faict ledict Violet ; et ledict sieur de Bléré en auroit este forciez, lequel, ne lesdiets Petit et juge de la prevosté, n'ont aucune chose produict.
Sur quoy lesdiets Fumée et la Bordeziere, commissaires, ont
1 On trouvera des détails sur ce personnage dans Mandrol, Ymberl de Batarnay (chap. XVIII). L'auteur ajoute (p. 289) : « René de Batarnay atteignit un âge assez avancé : selon toute apparence, il mourut vers la fin de 1580, peut-être même en 1587. » On peut affirmer qu'il était mort avant le mois de mai 1582, puisque, à cette date, son neveu, Henri de Joyeuse, avait déjà pris le nom de Henri de Batarnay, comte du Bouchage (fr. 26164, n° 1387).
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renvoyé lesdictes parties par devers nous et nostredict privé Conseil, où les choses dessusdictes ont esté bien et mourement entendues, et veuz les cession et transport, faictz par ledict de Baternay, de la justice qu'il avoit esdiets fiefz du Defaiz, Colombieres, Chisseau, Bois de pont et Vrigny, tenuz de luy à foy et hommaige, et Philibert Babou, seigneur de la Bordeziere, de la justice qu'il avoit en première instance sur les habitans de la Chervyere , les enquestes faictes â la requeste de ladicte de Poictiers et dudiet Violet; autre enqueste faiete d'office par lesdiets commissaires ; la déclaration du receveur de nostre domaine ; le roolle des amendes de plusieurs années ; enqueste faiete par lesdiets commissaires des condamnez esdictes amendes qui sont dudiet fief de Thoré ; réception desdictes enquestes ; productions tant de ladicte de Poictiers que dudiet Violet ; extraietz des estatz de nostredicte recepte ordinaire d'Amboise, de la valeur des exploietz et amendes données par les bailly et prevost dudiet Amboise puis dix années ; l'advis de noz advocatz et procureurs à Tours, Loches et Amboise, ensemble desdicts bailly et lieutenant d'Amboise, ausquelz le tout avoit esté communiqué; et pareillement desdicts Fumée et de la Bordeziere, commissaires, ensemble leur procès-verbal et autres procédures par eulx sur ce faictes ;
Savoir faisons que, en ensuyvant l'advis et délibération des gens de nostre dict privé Conseil, avons joinct et uny, joignons et unissons les justices desdicts fiefz de Thoré, Moulin fort, Chisseau, Bois de pont, la Chervyere, Vrigny, le Defaiz et Colombieres à la dicte chastellenie de Chenonceau, et ordonné et ordonnons que les subieetz, manens et habitans desdicts lieux respondront et ressortiront doresnavant en première instance devant les juges dudiet Chenonceau, sans que lesdiets habitans puissent estre tirez ne convenuz en première instance pardevant autres juges que dudiet Chenonceau, à peine de nullité des actes et procédures qui seront faictes au contraire, for es cas royaulx appartenans â nos juges seullement, assignant toutesfois par nostre dicte cousine â nostre recepte ordinaire dudiet Amboise la somme de vingt-cinq solz cinq deniers tournois de rente et revenu par chacun an, pour la diminution que nous pourrions avoir des greffiers et autre émolument de la justice audict Amboise ; demeurans ausdicts seigneurs de Montrésor et de Chissé les hommaiges et teneures feodalles d'iceulx lieux, savoir est : audict s' de Montrésor, les hommaiges et teneures féodales desdicts lieux de Chisseau, Bois de pont/ Vrigny et le Defaiz, et audict sieur de
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Chissé l'hommaige et teneure féodalle de la Chervyere. Et en oultre, avons uny et unissons lesdictz fiefz de Thoré et Moulin fort à ladicte chastellenie de Chenonceau, pour estre tenuz de nous, à cause de noz chasteau et baronnie d'Amboise, à une seulle ioy et hommaige soubz le filtre de ladicte chastellenie de Chenonceau ; et sauf ausdicts opposans de soy pourveoir pour leurs dictes oppositions où et pardevant que ilz verront estre à faire par raison.
Si donnons en mandement à noz amez et feaulx les gens de nostre court de Parlement et de noz Comptes à Paris, trésoriers de France en la charge de Languedoil estably à Tours, bailly d'Amboise ou son lieutenant, et à tous noz autres justiciers et officiers qu'il appartiendra, que nos presens union et contenu ey dessus ilz facent, respectivement chacun en droict soy, lire, publier et registrer; et nostredicte cousine, ses hoirs, successeurs et ayans cause joyr et user plainement, paisiblement et perpétuellement, sans permettre ne souffrir leur estre faict, mis, ou donné trouble ne empeschement quelconque par nostre procureur présent et advenir ne autre ; Car tel est nostre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à tousiours, nous avons faict mectre nostre scel à cesdictes présentes, sauf en autres choses nostre droict et l'autruy en toutes.
Donné a Sainct Germain en Laye, ou mois d'octobre l'an de grâce mil cinq cens cinquante sept, et de nostre règne l'unziesme. Ainsi signé sur le reply : Par le Roy en son Conseil, Fizes. Lecta, publicata et registrata, audito procuratore générale régis sub modifieationibus in registro curie contentis, Parisiis, in Parlamento, vicesima octava die aprilis, anno Domini millesimo quingentesimo quinquagentesimo octavo. Sic signatum : Dutillet.
Collation est faiete a loriginal : Dutillet.
(Arch. nat, Xm, 8621, f° 415 v°.)
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II
LETTRE DE CHANTONAY A LA DUCHESSE DE PARME
Amboise, 6 avril 1560.
Madame, étant achevées les exécutions des prisonniers qu'étoieut au château de ce lieu pour cause de rébellion et conspirations, dont j'ai escript ces jours passés à V. A., lo roy très chrestien s'en est allé à Chenonceaux, qu'est une maison que la reine mère a acquis de la duchesse de Valentinois, où elle fait bâtir ', comme jà V. A. l'a entendu.
... Combien que le roy très chrestien eut déjà été de ce carôme à Chenonceaux, toutesfois la reine mère, qui y est retournée quelquefois pour revoir ses ouvrages, lui a fait dresser, pour cette seconde allée, des arcs triompheaux, pyramides et aparats d'entrée avec quelques écrits à la louange de son fils, le louant d'une adolécence sage sur chacun [arc de triomphe], avec érection de trophées pour la cédation 2 des tumultes et restitution du service divin, comme si la religion n'étoit en si mauvais termes que toujours ; que sont trois points qu'ils ont été merveillieusement notés de ceux qui ont vu les écrits, raportant le tout à la saison présente avec les gloses que V. A pourra par son bon jugement asses penser, et même que ces louanges se font de môre à fils. Le tout était bien garni des armes et titre d'Angleterre et d'Ecosse, que donne tant plus d'occasion à la continuation du ressentiment des Anglois.
Audit Chenonceaux, le prince de Condé, un jour trouvant le roy très chrestien en lieu où il y avoit plusieurs chevaliers de l'ordre et autres gentilshommes et seigneurs de la cour, et en la présence des sieurs de la maison de Guise, s'approcha dudit sr roy et lui dit qu'il lui supplioit lui vouloir donner audience pour deux mots qu'il vouloit dire à Sa Majesté devant tous les assistans;
1 Cette expression, qu'on retrouvera dans les fragments de comptes publiés sous le n° III, s'applique aux travaux du parc. Dans le langage du temps, on parlait de « construire » ou de « bâtir » aussi bien un jardin qu'une maison.
2 « Cédation » ou plutôt « sédation » signifie apaisement.
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à quoi s'aecordant ledits'roi, ledit prince de Condé fit assembler tous ceux qui se retrou voient là, et faisant communication du lieu dont il étoit et de son extraction, des services de ses prédécesseurs et du peu de considération qu'on avoit à son endroit, donnant asses à connoitre que l'entremise aux affaires seroit aussi sûre en leurs mains qu'en celles 'de la maison de Guise, se plaignant davantage qu'il étoit venu à ses oreilles que l'on le chargeoit être chef des conspirations contre la personne du roy, son souverain seigneur, à quoi il n'avoit jamais pensé, mais pour satisfaction sienne voutoit bien déclarer, avec licence et supportation dudit. s' roy, que quiconque avoit tenu ces propos avoit méchamment et lâchement menti, et que, pour en faire preuve, il oiïroit à tous, excepté seulement la personne du roy et de ses frères, le maintenir à qui que ce fût, sans acception de personne grande ou petite, déposant de soy toutes qualités qui le pouvoit rendre déségalà qui voudroit soutenir le contraire.
Mr le cardinal ' étoit présent, qui demeura les yeux fichés en terre, sans faire autre semblant, sinon de montrer être bien fâché de cette proposition. M. de Guise prit la parole, déclarant qu'il ne pensoit [que] le roy eut telle opinion dudit. sr prince, et que l'on devoit être très aise de connoitre le témoignage et profession de sa bonne volonté.
Beaucoup de ceux qui étaient présens notèrent fort le propos et la réponse et contenance des assistans, ramennant le tout ensemble avec les bruits qu'ont couru ouvertement ces jours passés, lesquels à la vérité sortoient de la bouche de ceux de Guise, comme V. A. l'aura entendu, et le rjrennent aucuns pour justification, autres pour bravade...
Le seigneur roy très chrestien sera ce soir et passera toute la semaine suivante à Marmoutier, qu'est une abbaye de Mr le cardinal de Lorraine aux faubourgs de la ville de Tours, en laquelle il fera son entrée le lendemain de Pâques, et le mercredi ou jeudi après il sera de retour à Chenonceaux 2. L'on ne sait si de là il
1 Le cardinal de Lorraine. — Cette scène a été racontée par les ambassadeurs Michieli et Tornabuoni, par La Planche, par de Thou (t. III, p. 496), etc2
etc2 roi et sa mère partirent, en effet, de Chenonceau le 6 avril, et assistèrent aux prédications du cardinal de Lorraine, à Marmoutier, Ils y restèrent du 7 au 14, et peut-être jusqu'à l'entrée à Tours, qui eut lieu le jeudi 18. Le 20 avril ils étaient de retour à Chenonceau, où ils demeurèrent jusqu'au 3 ou 4 mai, sauf les journées des 24, 25 et 26 avril passées à Amboise.
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prendra le chemin de la Guienne. Quant à moi, je pense qu'il se retirera plus tôt contre Fontainebleau ou Saint-Germain.
(Archives de Bruxelles '.)
III
FRAGMENTS, DE COMPTES DE CATHERINE DE MÉDICIS
Aultre despence faiete audict Chenonceau, durant la seconde sepmaine dudit mois de novembre, commençant le lundy x°" jour d'icelluy 2.
Commissaire employé à appeller et mettre par escript, chascun jour durant ladicte sepmaine, les manoeuvres cy après declaireez, à v s. par jour.
A Jean Chasteau, pour vi journées audit pris . . . xxxs.
Maistres bessons emploiez aux fossez, que ledict sieur cappitaine faict faire audict Chenonceau. à v s. tz par jour.
A Pierre Cattart, pour vi journées xxx s. ; à Jehan Dagault, nu journées xxs., cy LVS.
Aultres bessons employez au faict que dessus, à mi s. tz. par jour,
1 Nous empruntons ce texte à M. Paillard, Addil. criliq. à l'hist. de la conjur. d'Amboise, p. 84. — Une dépêche semblable a été adressée par Chantonay à Philippe II, le 10 avril (Arch. nat., K 1493 n" 51). — Sur le séjour du roi à Chenonceau au mois d'avril 1560, nous citerons la quittance suivante : « Je Michel Cabarat, curé de Chenonssaulx, confesse avoir eu et receu comptant de MP-MichelRegnauld, trésorier des offrandes et aumosnes du Roy, la somme de huict livres, quinze sols tz, pour cinq offrandes, offertes par ledict Seigneur à ses messes ouyes au chasteau dudiet lieu de Chenonssaulx, durant les ung, deux, trois, quatre et cinquiesme jour d'avril, qui est à raison de xxxv s. tz pour chacune desdicles offrandes... En tesmoing de ce je signe la présente, ledict Ve avril, l'an mil cinq cens cinquante neuf avant Pasques [1560]. « (fr. 26140, n° 132). — Le compte de l'épargne de 1560 (Arch. nat., KK127) contient plusieurs mentions relatives à ce séjour: nous n'en détacherons que celle-ci : « A Charles de La Grange, baslellierdemourant au port Olivier près Chenonceau, la somme de cent solz tournois, dont icetluy Seigneur luy a faict don en considéracion de ce qu'il a passé et repassé plusieurs fois ledit Seigneur et toute sa suite audit port Olivier, allant et retournant plusieurs fois de rassemblée.. » (f° 2042. v.)'.
2 C'est dans l'année 1561 que le 10 novembre est un lundi.
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à Jehan Merideau, vi journées xxnn s. ; â Raymond Desbaldes, v journées xx s ; à Anthoine Déballer, vi journées xxmi s. , à François Boullin, semblahlement xxnn s. ; à Gilles Ronger, semblablement xxnn s.; à Mathurin Bourgon, vjournées xx s. ; à Mychau Clément, vi journées xxniis. ; à Denis Dode, vi journées xxnn s ; à Julles Dangé, vi journées xxmis. ; à Loys Herou, vi journées xxnn s. ; à François Cornuau, vi journées XIIII s XII 1. xvi s.
Aultres bessons et manoeuvres, employez au faict que dessus, à ni s. an d. par jour.
A Pierre Trepin, m journées xm s. un d. ; à François Louet, xvi s. vue d.; à Servais Foullon, semblablement xvi s. vin d. ; à Noël Lhermitte, vi journées xx s.; à Anthoine Charonau, vi journées xx s. ; à Yvonnet Dupont, vi journées xx s. ; à Jehan Tarre, vi journées xx s.
Roolle des parties et sommes de deniers paiées, baillées et délivrées comptant par M0 Pierre Depicquet, conseiller trésorier général de la maison de la Royne mère.du Roy, tant aux ouvriers et manoeuvres qui ont besongné esbastimens, réparations et édifices que la dicte Dame a voullu et ordonné estre faietz en son lieu, place et chasteau de Chenonceau, que â aultres personnes pour l'aehapt d'aucuns materiaulx nécessaires pour la construction desdietz bastimens et réparations, et ce, durant le moys de mars mil vc soixante et ung', par ordonnance et commandement du seigneur Lambert deBaionville 2, cappitaine et gouverneur dudit Chenonceau, et par ladicte Dame commys pour ordonner desdictes réparations et faire lesdietz achaptz et marchez, le tout selon et ainsi qu'il s'ensuit.
Premièrement
Despenee faiete à la journée audit Chenonceau, durant la première sepmaine de mars, commençant le lundy deuxiesme jour d'icelle, assavoir :
Commissaire employé durant ladicte sepmaine à appeller, mettre par escript et faire travailler en dilligence les bessons et
1 C'est-à-dire 1562.
2 « Le sieur Lambert, capitaine de la place » est mentionné dans l'entrée de 1560 (reimpr. des « Triomphes etc », p. 16). — En 1566, le capitaine do Chenonceau était un italien, le sieur Massa Bomperlo, (fr. 23946 f° 3).
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manoeuvres cy après declairez, au pris de vi sols tournoiz par jour.
A Jacques Le Conte, pour un journel par luy employé au faict que dessus; plus à Pierre Catart, commis et depputé pour planter et gouverner les mûriers blancs, que pour planter aultres arbres audict Chenonceau, pour sept journées par luy employées durant ladicte sepmaine au faict que dessus, au pris de vs. tz. par jour, xxxv s. pour ce cy LXXVII S .
Manoeuvres employez durant ladicte sepmaine à remuer les terres du parterre verd, plantes de ciprès dans icelluy, et â planter des petits mûriers dans une grant pièce déterre qui joinct à la garenne du glou, au pris de im s. tz. par jour.
A Garien Marideau, pour vi journées xxnn s. ; à Michel Clément, semblablement xxnn s. ; à François Boullin, semblablement xxnn s. ; à Mathurin Bourzon, semblablement xxnn s.; à Raymond Desbaldes semblablement xxnn s.; â Gilles Rougier, semblablement xxnn s. ; à Francoys Benard, une journée un s. ; revenant le tout à la somme de vu 1. vin s.
Aultres manoeuvres employez audict faict que dessus, au pris de ni s. un d. par jour.
A Jehan Mallet, pour vi journées xx s. ; à Florentin Dangé, vi journées xx s. ; à Mary Desnoues, semblablement xxs. ; â Mathurin Pinon, semblablement xx s.; à Collas Cabeneau semblablement xx s. ; à Jude Goby, semblablement xx s. ; à Jehan Clément semblablement xx s. ; à Jehan Jousset, semblablement xx s. ; à Jehan Delafons, semblablement xx s ; à Anthoyne Pineau, semblablement xx s. ; à Jehan Baptiez, semblablement xx s. ; à Pierre Grégoire, semblablement xx s. ; à Pierre Mollet, semblablement xx s. ; à Mathurin Fourrault, semblablement xx s. ; à Siphorien Xauve, vi journées xxnn s. ; à Pierre Jousset, pour mi journées xmi s. niid. ; à Jehan Huppeau, pour vi journées xx s. ; à Pierre Tapin, semblablement xxs. ; à Jehan Delagrange, semblablement xx s. ; revenant le tout à la somme de xvm 1. xvn s. un d.
Hotteux employez durant ladicte sepmaine à porter de la bonne terre au pied desdietz mûriers, au pris de n s. tz par jour.
Pour la voicture de deux cens de menu bourroy J xxx H.; pour la voicture de cinquante blotz de bourroy, xxn s. vi d. ; plus pour la voicture de trois cens de douelles, évalluées à deux pour ung menu bourro}', xxn s. vi d. ; ledict bourroy a esté charroyé durant
1 Sur la pierre de Bourré ou Bon Roy voir Chevalier, Comptes de Diane de Poitiers, p. 69 note.
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lediet rnoys, et lequel a esté fourny durant le mois de novembre dernier passé; pour ce cy ladicte somme de xxvn 1. xix s. ni d. Audit Moutonnier, la somme de xm 1. x s. tz., pour remboursement de pareille somme, qu'il a paiée ainsi quil s'ensuit, assavoir : pour trois pippes de cyment pour servir à cunduter les thuiaulx et roche des fontaines, à LX S. chacune pippe, ix 1.; pour ung millier de bricque pour servir à l'aire l'entretien des thuiaulx desdictes fontaines LX s. ; plus pour une douzaine de seilles. Pour
ce cy ladicte somme de xm 1. x s.
A Jehan Houssay chauflournier, la somme de xviu 1. tz., pour ses peynes, sallaires et vaccations, d'avoir, durant ledict mois, faict quatre fournées de chau, qu'il a faict cuyre au four nouvelment faict, près et joignant le chasteau; laquelle chau a esté employée pour les bastimens dudiet lieu ; de pris faict avecques ledit Houssay à la somme de nu 1. x s. jxrar cuisson de chascune
fournée : pour ce cy xvm 1.
A Abel Deschamps et Jacques Pasquier, la somme de douze livres tournoys pour avoir fourni, durant 'ledict moys, sur le port dudiet Chenonceau, près le four à chau nouvellement faict audit lieu, le nombre de cent quatre chartées de moison, lequel a esté employé à faire quatre fournées de chau, pour servir aux bastimens dudiet Chenonceau, qui est à raison de LX s. tz. pour fourniture de moison qu'il convient pour faire chascune fournée
de chau, cy ladicte somme de xn 1.
A Michel et Mathurin Les Fourneaulx la somme de soixante cinq livres tournoys pour cent quatre rottées de gros boj^s de chauffaige, qu'ils ont fournies durant ledict moys sur le port dudit Chenonceau, lequel boys a esté converty et employé à faire quatre fournées de chau, pour faire la maçonnerie de la basse cour, que aux murailles des fossez d'allentour les deux parterres de delà l'eau, qui est à raison de vingt six rottées pour fourniture de chacune fournée, de pris faict ausdit Fourneaulx par ledict sieur cappitaine, à xn s. vi d. la rottée, pour cecy ladicte somme de LV 1. Somme totale de la despence faiete audit Chenonceau durant ledit moys de mars mil vc soixante et ung; huict cens quatre vingts seize livres, deux deniers tournoys.
Nous Lambert de Baionville, gentilhomme ordinaire de la Royne mère du Roy, cappitaine du chasteau et seigneurie de Chenonceau, et par icelle Dame commis pour ordonner des bastimens et réparations dudiet lieu, certifiions à messieurs les gens des Comptes de ladicte Dame, et à tous aultres qu'il appartiendra, que Jehan Hardiller, commis de M* Pierre Depicquet, conseiller
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et trésorier général des finances de la dicte Dame, a, de nostre ordonnance, commandement et en notre présence, paie, baillé et délivré à l'instant aux personnes cy dessus nommez la somme do vm c. un**, xvi 1. :i d.tz., tant pour les journées desdits ouvriers et manoeuvres à accomplissement des marchez, que pour achapt desdictz materiaulx, lesquels matériaux ont estéreeeuz, convertis et
.... qui furent prins et fondus par le fontenier pour faire souldeure aux thuiaulx des fontaines, prischacun plat m 1. tz., à vi s. tz. la livre LIIII s.
Au preneur de loup, pour les testes de loup qu'il a apportées â Chenonceau, qui ont esté mises â la porte du logis du cappitaine dudit lieu, cy ■- xxvin s.
A Jehan Angevin, pour son remboursement de six seilles pour servir à la maçonnerie dudit Chenonceau, pour ce cy . xvin s.
Pour une rame de pappier, pour servir à escripre les journées des bessons, manoeuvres et chartiers qui ont besongné à la journée audict Chenonceau, pour ce cy xxx s.
AJacobGivery,vi journées xn s.; à Jehan Ribier.vi journées xn s , à Florentin Rivery, vi journées xn s ; à Gentian Dubier,vi journées xn s. ; à Jacques Lespaignol vi journées xu s.; cy. . xvi 1. un s.
Bouzilleurs qui ont carrelle de bouzille le petit pavillon du grant jardin, â nu s. et m s. par jour.
A Pierre Delataille, vi journées xxnn s. ; à Collas Godeau, vi journées â m s. par jour, xvm s. ey XLII S.
Chartiers à deux chevaulx,à xn s. tz. par jour, employez durant ladicte sepmaine à mener les cartiers, blotz, et demyz blotz de bourray et lie â l'astellier du maistre maçon.
A Pierre Broehart, v journées LX S. ; â Christofle Bonnet, semblablement LX s. ; à Jehan Mesnier, semblablement LX s. ; à Jacques Pasquier, semblablement LX s. ; à Jehan Pillon, trois journées et demye XLVII S. ; à Jehan Petit, vi journées, LXXH s. à Pierre Chambrière, vi journées LXXU S : à Pierre Thibault, vi journées LXXII s ; à Loys Besse, vi journées LXXU S. ; â André Bereau, vi journées LXXU S. ; à Silvaing Hurtault, quatre journées et demye uni s., cy xxxmi 1. xvi s.
Asnes employez à nu s. tz. par jour à mener du sable.
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A Simon Girault, un journées et demye xvm s. ; à Christofle Boucher, semblablement xvm s., cy xxxvi s.
(BM. nat., fr. 26143 f« 289 et s.)
IV L'ENTRÉE DU ROY A CHENONCEAULX '
L'entrée de Chenonceaulx, qui se fit par une longue allée, bordée de deux canaulx, d'où sortoyent des seraynes qui chantoyent ; ausquelles respondoient des nimphes qui sortoyent du bois ; au son desquelles vindrent des satyres qui, les ayant ouyes, les voulurent ra-vyr; au secours desquelles vindrent des chevaliers errans qui les deffendirent; et tous ensemble, après que se fut donné infiniz coups d'espée, vindrent trouver le Roy qui passoyt pour luy faire honneur; et là feut tiré et des galleryes et du chasteau infiniz coups d'artillerye et d'artifice de feu.
1 La date de ce récit peut être établie avec certitude, de la manière suivante : 1° Parmi les assistants, la comtesse de Charny mourut en février 1566, lo prince de La Roche-sur-Yon en octobre 1565, et Isabelle do Limeuil fut chassée de la cour, en mai 1564. L'entrée a donc eu lieu avant ces dates, ou plutôt avant la dernière. — 2° Le roi ne peut être François II, qui avait eu sa réception solennelle le 31 mars 1560. Il s'agit nécessairement de Charles IX, qui d'ailleurs est le seul des rois Valois qui ait fait une entrée à Chenonceau sans être marié ; or on remarquera que lo document parle de la Reine mère (Catherine), et non d'une reine. — 3° C'est en avril 1563 que Charles IX s'est rendu pour la première fois en roi à Chenonceau ; c'est donc à ce moment qu'if a réellement fait une entrée. Il y est revenu, à la vérité, au commencement de décembre ; mais alors son séjour a été seulement de trois journées, et dans une saison qui ne se prêtait pas à des divertissements en plein air.— 4° D'ailleurs, en décembre, il n'était plus accompagné do ceux qui sont nommés dans le récit, et dont plusieurs n'ont pu se trouver à Chenonceau qu'en avril 1563.
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Les nimphes estoyent six, qui estoyent Rouet 1 Lymeuil 8, Guionnière 3, Montai 4, Teigny 5 et La Roche Pouzay ° ; ces nimphes habillées de toille d'argent et de crespe d'argent varié d'incarnat et de bleu, accoustrô en ehiveulx, avec force pierreries autour du col en cinctures, et les braz lyés de pierreries en braeeletz. — Les chevaliers estoyent tous acoustrez de telle d'argent
1 « Loyse de la Beraudicre, damoiselle de Rouet, l'une des filles damoiselles en la maison de la Royne mère... » (quittance du 6 juin
1565, dans P. Orig. 294. n° 86). En 1559 et 1560 elle est citée parmi les filles demoiselles de Madame Marguerite (Arch. nat. KK 233). Après avoir donné à Antoine de Bourbon un fils, qui devint évoque de Comminges, elle épousa successivement les s" de Lesparre et de Combault (P. Orig. 294 n«' 87 à 90 ; Brantôme t. X p. 405, 428, 432, 478, etc ; Beauchet-Filleau, Dicl. des familles du Poitou, 2° édit., t. I, p. 450; de Ruble, Antoine de Bourbon, t. IV. p. 374 ; etc.).
2 « Ysabeau de la Tour, damoiselle de Lymeul, l'une des filles damoiselles de la Royne mère... », donne quittance, le 29 décembre 1364, pour les trois derniers quartiers de l'année, (fr. 23944, n° 99j. La date et le texte de cette pièce semblent prouver que M"' de Limeuil, bien qu'expulsée de la cour, avait été payée pour « son estai » au moins jusqu'à la fin de 1564. Elle fut remplacée dans cet « estât, » comme l'indiquent deux quittances semblables, données le 6 mars 1567 par « Renée de Rieulx, damoiselle de Chasteauneuf, l'une des filles damoiselles en la maison do la Royne mère, au lieu et place de M 11' de Limeuil » (fr. 23944, n° 78 ; et /Y. 26147, n° 1339 — Voir Brantôme, t. X, p. 457 et s., 472 et s.).
3 « Anne Cabrienne, damoiselle de Guyonnière, l'une des filles damoiselles en la maison de la Royne mère » (quittance du 16 janv.
1566, dans P. orig. 565). Elle avait eu le même « estât » dans la maison de la reine Marie Stuart en 1560 (Vc Colbert, t. VII. — Voir Brantôme, t. X, p. 408 et 488.)
' Ce serait Rose de Montai, d'après le Laboureur (addit. aux mém. de Caslelnau, t. I, p. 320). — On conserve dans les P. orig. 2005, une quittance du 15 mars 1573 de « Catherine de Montai la jeune, l'une des filles damoiselles de la Royne », qui n'est sans doute pas la même jeune fille. — Voir Brantôme, t.. X, p. 427.
5 « Claude Pierres, damoysello de Thenye, l'une des filles damoiselles en la maison de la Royne mère » (quittance du 16 janvier 1566 : Arch. nat., K 1723, n» 237. — Voir Brantôme, t. X, p. 472.) — Il ne faut pas la confondre avec des demoiselles Foucher de Tlienyos, qui avaient appartenu à la cour, mais qui auraient alors dépassé la cinquantaine.
6 « Jehanne Chasteigner, damoysello de la Rocfieposay, l'une des filles damoiselles de la Royne mère » (quittance du l«r avril 1568 : fr. 23944, n° 26). — Voir Duchesne, Hkl. généalogique de la maison des Chasteigners, p. 257).
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incarnatée et de velours bleu, avec force passemens d'argent, de incarnat et de bleu. Leurs noms estoyent nions' de Martigue 1, le conte de Charny -, mons' de Suze 3, monsr de Gramont 4, monsr d'Ivry 5 et le jeune Rohan 6 . — Les satyres estoyent ha billez d'or et de soye en forme de poilz.
Le soir se fist ung festin au Roy et tous les princes, seigneurs et dames de la cour. Et, après soupper, le Roy tint le bail avec Madame sa seur, et tint les dances où vindrent des masques, qui estoyent les six nimphes et chevaliers, habillez à la Poyetevine, aveeques une cormuse, danzant le bransle de Poictou. Les habillemens des dames estoient de laine d'argent, bleu et incarnat, la teste toute couverte de pierreries, et les hommes vestus de vellours et satin bleu, blanc et incarnat, 7 avec force passemens d'argent.
Le lendemain, des que le Roy fut levé, s'alla promener au jardin, où il trouva ses enfans d'honneur qui assailloient ung sanglier ; lequel ferui, il s'en alla disner ; et l'apres dinée s'alla promener sur l'eau avec les dames et force masques.
Et au soir, après le soupper, vint en musique le Roy, Monsieur
1 Sébastien de Luxembourg,vicomle de Martigues. Après avoir combattu à la bataille de Dreux, il était venu sous Orléans et y avait assisté à l'interrogatoire de Poltrot de Méré (de Thou, t.IV,p. 483 et 515.
2 Leonor Chabot, comte de Charny.
3 François de la Baume, comte de Suze.
4 « Anthoine de Gramont, seigneur dudit lieu, chevalier de l'ordre » (quittances des 12 oclobre 1564 el dern. avril 1565 : fr. 26145, n°' 734 et 813\
5 II s'agit, croyons-nous, d'un d'Estouleville, baron d'Ivry. — Philibert de l'Orme était alors désigné sous le nom de M. d'Ivry ; mais la reine aurait-elle associé un architecte à ces seigneurs de grande naissance ? — On pourrait lire « d'Ivoy » ; mais ce personnage (Jean d'Hangest, s' d'Ivoy), qui avait capitulé dans Bourges de manière à faire soupçonner son intégrité (septembre 1562), était tombé dans un tel mépris de tous les partis, que sa présence à Chenonceau serait invraisemblable (Cf. de Thou, t. IV, p. 259 et s.).
c II est ainsi désigné pour le distinguer de « Rohan l'aîné », qui figure sur une promotion do l'ordre de S. Michel faite en janvier 1563 (Mém. de Condé, t. I, p. 114). Il s'agit peut-être de Louis de Rohan, sr de Guemené, comte de Montbason, auquel Catherine avait écrit de Chartres le 8 janvier 1533, pour lui. confier une compagnie de trente lances (celle lettre est inédite : P. orig. 2529, nos 84 et 79).
7 On remarquera, dans la description des fêtes, une mention fréquente de ces trois couleurs; mais l'intention qui les a fait choisir nous échappe.
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et Madame sa seur, mous' le prince de Navarre ', lo marquis de Conty 2, mons' de Guyse V la petite Ozances '», Bordeille 5, Curtin 6 et Luze 7, habillez en bergers, tout de toille d'or et de satin blanc avec les pierreries.
Le jour d'après, le Roy alla aux toylles, où il fut tué à cheval en masques, à coups dezagaye, ung grant sanglier par le prince 8, et seigneurs qui y estoient ; et se fut un bel accoudz où il fut tué force bestes noyres, le Roy estant en ung eschafïault, où estoit la Royne sa mère, Monsieur et Madame, madame la princesse de Condé, monsr le grant 9, messeigneurs monsieur do Bourbon 10,
1 « Henri do Bourbon, prince de Navarre, chevalier de l'ordre du roy, cappitaine de cinquante lances » (quittance du 26 février 1564 : fr. 26145, n° 78-2). — Bien que sa mère eût été forcée de quitter la cour en mars 1562, le jeune prince, âgé alors de dix ans, était resté près du roi. Il venait notamment de donner sa signature à Blois, lo 24 janvier, sur une attestation destinée au landgrave de liesse (La Popelinière, édit. de 1581, l. I, p. 352; de Thou, t. IV, p, 490).
2 « Henry de Bourbon, marquis de Conly, cappitaine d'une compaignio de cinquante lances. » (quittance du 23 novembre 1564 : fr. 26145, n° 751). Ce jeune prince, qui était le fils aîné de Condé, avait alors onze ans.
3 » Henry de Lorraine, duc de Guyse, pair, grand maistre et grand chambelan de France » (quittance du 4 avril 1563 : fr. 26145, n° 672) Ce prince, âgé de treize ans, porta le nom de prince de Joinville jusqu'à la mort do son père, à laquelle il assista (De Thou, t. IV, p. 517). Pendant les premiers pourparlers pour la paix, il avait été question de l'envoyer â Orléans comme otage (dép. de Chantonay du 23 février, dans les Mém. de Condé, t. II, p. 135).
4 Probablement une fille de Jacques de Montbron, sr d'Auzances, et de Marie de Bouy— « Madame d'Auzances «figure parmi les dames
de la reine mère on 1569 (V Colborl, t. 7, 1°. 201). — Cf. Fontanieu, t. 591-92, p. 339).
5 II paraît y avoir eu à la cour au moins doux demoiselles de Bourdeilles, Madeleine et Jeanne (cf. Fontanieu, t. 591-92, p. 431 et s. — Brantôme, t. X, p. 472).
6 Nous pensons qu'il s'agit d'une fille de « dame Charlotte do Vienne, vefve de feu mons. le baron de Curton, gouvernante de Madame Marguerite, soeur du roy» {Arch. nat. KK127, f> 2210).— Voir aussi fr. 23946, f° 36, et P. orig. 2987, n» 98).
7 « Mademoiselle de Luze » est mentionnée parmi les filles demoiselles de la Reine, dans un état de 1571 (Vc Colhort, t. 7, f° 391).
8 Probablement le prince de Navarre.
9 On appelait ainsi le grand écuyer, qui élait alors Claude Goufier, marquis de Boisy. A la fin de mars, il se trouvait à Amboise auprès du roi (Lettres de Calher., t. I, p. 544).
10 Charles de Bourbon, de la branche des Bourbon-Vendôme.
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de Guyse, prince de la Roche sur Yon *, mons' d'Estampes 3 et infiniz d'autres.
Le soyr, après soupper, se feit sur la rivière force artifice de feu par le sr Cornelio de Fiesco 3.
Le lendemain, la Royne sa mère mena le Roy faire collation dans le.parc et sa cassine, où il y a force oyseaulx d'estranges pays, et furent serviz par toutes les filles de la Royne et de Madame, habillez en Picards, avec des cottes de velours et satin cramoisy, coiffez de couvre chiefz de linomple tycé, la teste de pierreries, les devanteaulx et les manches de leyne d'argent blanc, et les manteaux de pourpre, où il y eust une belle collation de confitures et de toutes sortes de fruictz.
L'apres souppée, fut faict ung combat naval par cinquante quatre galiottes, toutes inguillandetés, et le tout peint d'incarnat, blanc et bleu.
Le jour de devant que le Roy partit, il ne fit rien tout le jour, et le soyr se fit une fort belle mascarade des six je[n]tilzhommes premiers et de six dames, qui estoient Limeul, la contesse de Charny 4,
créé cardinal en décembre 1548, et plus lard roi de la Ligue sous le nom de Charles X. II avait été envoyé, avec le duc de Montpensier, devant le parlement do Paris, pour presser l'enregistrement de la paix d'Amboise. On a de lui une lettre datée de Chenonceau, le
19 avril 1563 [fr. 3635 f° 68).
1 Frère aîné du duc de Montpensier. A la différence de celui-ci, il montrait envers les calvinistes un esprit de conciliation, qui l'avait fait employer dans les premiers pourparlers avec Condé prisonnier. Il était disait-on, de ceux qui avaient à se plaindre des petites railleries de M"" de Limeuil.
2 Jean de Brosse duc d'Rtampes, gouverneur de Bretagne. Pendant l'automne 1562, il avait fait campagne en Normandie avec son neveu Martigues (voir Supra), auquel il venait de faire attribuer, le
20 mars 1563, la survivance du gouvernement de Bretagne. Il s'était trouvé auprès de la reine à Blois (Arch. nat. KK132 f° 930), et sous les murs d'Orléans (De Thou, t. IV, p. 515).
3 «... Cornelio Fiesco, gentilhomme delà chambre du roy et cappitaine de galleres... » (quittance du 16 janvier 1567 : />-. 26147 n° 1317. Voir aussi Arch. nat. KK 133 (bis) f» 77; Brantôme, t. IX, p. 407; Fontanieu, t. 591-92 f» 128). — Il y avait à la cour deux autres Fiesco, Scipion (fr. 26275), et Paul-Émile" (fr. 26150).
4 Claude Goufior, fille du grand écuyer, et épouse de Léonor Chabot, comte do Charny. Elle lesta le 4 février 1565, et mourut peu de temps après (Lettres de Calher., t. II, p. 349 ; fr. 20459 f» 179). La Reine la remplaça, comme dame d'honneur, par Alfonsina Strozzi, comtesse de Fiesque (fr. 23944 n» 93).
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Montai, mademoiselle de Froze ', Teigny, et Curtin 2. La première, vestue d'une cotte de toylle turque f rizée ; ung acoustrenient de crespe blanc en nimphe dessus qui venoit jusque au genoil, doublé de toille d'argent clinquant, et cela par neidz de perles ; la teste, une coiffe d'argent avec force perles et ung voille de royne. Ivry, qui la menoit, habillé de mesme. — La contesse de Charny avoit une cotte de velouz d'or et d'argent, avec un corps et des manches de telle d'argent, vollelet et cramoisy, avec ung petit mantil de telle d'argent incarnat ; la teste, où estoyt ung voille court et plissé, au rattachement des rubis et des perles. Monsr de Suze, les habits de mesme — Montai havoyt une cotte à manche, de satin cramoisy et goffré et tout eordonné d'argent, et une chaisnede crespe aux jambes, avec ung voille en la teste tout attaché de pierreries. Mons' de Martigue la menoyt, les habits de mesme — M"e de Froze avoit la cotte de satin jaulne, tout aeoustré de broderie d'argent, le corps et les manches de mesme, avec ung petit crespe commecellui de Limeul et coiffée à la teste comme Limeul ; et estait le comte de Charny de mesme. — Teigny vestu[e] d'une cotte blanche, couverte de broderie d'argent et de satin incarnat, aeoustré comme la contesse de Charny, avec passemens de grenatz — Curtin, vestue de telle d'argent blanc comme estait Montai, la teste de mesme 3.
(DM. nat., fr. 15881, f° 329, minute.)
' «... Catherine de Soubzmollins, damoiselle de Frozes, l'une des dames en la maison de la Royne mère... » (quittance du 25 octobre 1567: fr. 23944 n» 90. Voir fr. 26150 n° 1886 ; P. orig. 2718).
2 La symétrie du ballet, qui à côté de trois demoiselles d'honneur (Limeuil, Montai, Tenye) place trois dames, fait croire qu'il s'agit ici de M™ Curton, dont la fille a été mentionnée plus haut .
3 Les gentilshommes qui donnaient la main à Mme Curton et à M"° de Tenye ne sont pas nommés. C'étaient probablement Gramont et Rohan le jeune. Il semble du reste que le narrateur n'a pas pris le temps d'achever son récit, qui est resté à l'état de minute.
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LA SAINTE-CHAPELLE DE CHAMPIGNY
EN 1797
Le 10 brumaire an V, pour constater les dégradations causées par la Révolution, on dressa un état de la Sainte-Chapelle de Champigny, à la requête de M. de Quinson. Par contrat consenti par le département d'Indre-et-Loire pour la Nation, le 11 thermidor précédent, M. de Quinson avait acquis ladite chapelle, mais il n'avait pas voulu enprendre possession sans en faire constater l'état par un procès-verbal de visite relativement aux dégradations et dilapidations en tous genres, qui y ont été commises pendant le règne de la Terreur. Deux experts furent nommés et par M. de Quinson et par l'administration. Voici les détails constatés par la visite officielle.
Pour arriver dans la cour qui conduit à ladite chapelle, il y avait une galerie couverte d'ardoises avec un pont-levis : détruite. Là porte de la chapelle n'a pas été endommagée. A côté de la porte à droite en entrant, était un bénitier en marbre incrusté dans le mur : détruit. Il y avait un ancien jeu d'orgue au-dessus des grandes portes; détruit, comme les autres objets, en 1794. Autour de la chapelle il y avait treize statues en terre et en pierre à hauteur d'homme : cassées d'une manière irréparable. Un jubé ou tribune en bois de douze pieds de haut sur dix de large séparait le choeur d'avec la nef, avec un escalier pour y monter et deux autels adossés au pilier : emporté et vendu au profit de
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la République. Autour de la nef il y avait une garniture de tapisserie bien fine représentant l'histoire sainte : enlevée par les agents de la République. Autour du choeur, il y avait des stalles hautes et basses en bois de chêne : enlevées, ainsi que la tapisseries appuyées suricelles stalles, lesquelles étaient de la hauteur de trois pieds, représentant les guerres des Sarrazins.
Au milieu du choeur est un caveau qui a été violé. Il s'y trouvait six cercueils en plomb appuyés sur une grille de fer : cercueils et grille ont été enlevés. Le caveau est encore ouvert, et il n'y existe plus que des ossements. L'autel, qui était à la romaine, est renversé et détruit. Devant ledit autel étaient quatre colonnes de cuivre jaune, hautes de douze pieds, grosses de deux pieds de tour, au haut desquelles étaient quatre statues en cuivre hautes de deux pieds. Au-dessus de l'autel une autre statue en cuivre : le tout emporté. A l'entrée de la chapelle qui est à droite du choeur, était un superbe mausolée du ci-devant Montpensier, fondateur de ladite chapelle, lequel était composé de quatre colonnes de marbre noir de hauteur de six pieds, supportant une table de même marbre sur laquelle était la représentation du ci-devant Montpensier en marbre blanc; au-dessous de ladite table était une statue en bronze avec des attributs de guerre. Le mausolée est renversé, la statue Montpensier cassée, deux desdites colonnes cassées en plusieurs morceaux, les bronzes emportés ainsi que deux portes de ladite chapelle, qui étaient aussi en bronze. Les vitraux de la croisée de cette chapelle ont également été enlevés et emportés par les agents de la République. A l'autre chapelle à gauche, une balustrade en bois et un autel ont été renversés et cassés. Les vitres de la croisée ont été enlevées et emportées.
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Deux des vitraux de ladite chapelle ont un peu été endommagés dans des personnages soi-disant proscrits ; à sept des autres ont été levés et descendus, savoir à quatre, chacun douze panneaux de vitrages, et à trois, chacun neuf panneaux, lesquels ont été déposés et trouvés dans une des sacristies. Plusieurs des panneaux étaient cassés.
Dans la chapelle du Sépulcre, on a remarqué que les portes ont été • enlevées, les statues de pierre qui composaient le sépulcre, cassées et emportées, de sorte qu'il n'existe plus rien.
Au clocher, des trois cloches et une horloge qui s'y trouvaient, il ne subsiste plus rien. Le coq, la croix, les nappes de plomb qui couvraient les piliers du clocher, ont été emportés par les agents de la République. Sur les deux pignons de la chapelle, il y avait deux statues couvertes de nappe de plomb, représentant saint Louis et saint .Michel, à hauteur d'homme; descendues et emportées par les agents. Sur les pignons des petites chapelles il y avait de grosses boules et des fleurs de lis en plomb: emportées.
Les experts déclarent de plus qu'il est de notoriété publique que ladite chapelle et ses dépendances ont toujours été entretenues par et aux frais des propriétaires de la terre de Champigny, de même que tous les ornements, vases sacrés, linges, horloge. L'horloge et une des cloches n'ont point été emportées, et sont déposées à la maison commune de Champigny dans le dessein par les officiers municipaux de les faire monter.
Fait et passé à Champigny le jour et an que dessus, en présence des experts et des témoins.
[Archives du château de Champigny.)
X.
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LA FABRIQUE DE SOIERIES
DE TOURS
La Grèce, au ciel d'azur, aux montagnes d'éméraude et aux vallons harmonieux, berceau des arts gracieux et des mythes charmants, brille comme une aurore radieuse à l'origine de toutes les civilisations. Pallas-Athené, ou Minerve, en qui elle se personnifie d'une façon si excellente, nous apparaît, au sommet de l'Acropole, munie des objets dont la déesse fit tout à la fois le principe et le symbole du progrès des arts industriels. Grâce à ses leçons, l'homme apprit à tisser les étoffes qui lui servirent d'abord à couvrir, puis à parer son corps, aussi bien que les meubles et les intérieurs au milieu desquels s'écoule la vie privée ou publique.
La fille de Jupiter ne tarda pas à rencontrer une rivale. Dans la ville d'Hypoepa, en Lydie, vivait une jeune vierge, à l'esprit cultivé et aux doigts agiles ; elle était fille d'Idmon et passait ses journées à tisser de délicates étoffes, rehaussées d'histoires héroïques. Prise d'une secrète envie, elle ne craignit pas de défier Minerve par un ouvrage qui figurait les Amours des dieux. A la vue de ce travail achevé, la déesse ressentit un mouvement de dépit et frappa de sa navette son émule audacieuse. Celle-ci, saisie de désespoir, se pendit et fut changée en araignée, d'où son nom d'Arachné.
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Ces souvenirs de la mythologie antique ne sont pas sans trouver quelque application dans l'histoire de l'art de la soie pratiquée en notre France, cette noble héritière des traditions de l'Hellade. Minerve et Arachné, les deux rivales par l'habileté à tisser les brillantes étoffes, semblent avoir choisi pour séjour préféré les rives enchanteresses de la Loire et du Rhône, où elles enseignèrent les secrets de leur travail. De fait, Tours et Lyon donnèrent l'hospitalité à Minerve et à Arachné, non sans éprouver de vifs sentiments d'émulation qui se manifestèrent plus d'une fois par des luttes ardentes. Laquelle des deux cités a le droit de se réclamer de la fille de Jupiter ou de celle d'Idmon, nous le verrons au cours du récit. Toujours est-il que Tours et Lyon, avec des alternatives de prospérité et de revers, sont les villes de France dans lesquelles la soie a été travaillée le plus parfaitement depuis le xve siècle jusqu'à nos jours.
Le rapprochement de ces noms, chers l'un et l'autre à tout coeur français, n'indique à aucun degré, de notre part, l'intention de réaliser une étude comparée. La tâche que nous avons entreprise est plus modeste et consiste à grouper une série de documents de nature à nous éclairer par rapport aux origines et au développement du travail de la soie sur les bords de la Loire. Depuis longtemps ce sujet sollicitait notre attention. A plusieurs reprises, à l'occasion de diverses études historiques, des auteurs ont été conduits à toucher certains côtés de la question ; mais ce ne sont là que des considérations fragmentées ou sans lien d'ensemble *•
^ Mémoire, de M. Champoiseau sur la Fabrication de la soit d. Tours, luauCONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, 1847, t. I«r pp. 504-512. — Dr Giraudet, Histoire de Tours, t. I", p. 240. — L'abbé Chevalier, Tableau de la province de Touraine, 1762-1766, dans les ANNALES DE LA SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE, SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES D'INDRE-
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Aussi voulons-nous tenter de combler cette lacune à l'aide de pièces officielles. Sans prétendre épuiser le sujet, nous essaierons de donner une idée, aussi complète qu'il nous sera possible, de la marche, des progrès, des succès et des vicissitudes de l'importante manufacture. Nous terminerons l'exposé historique par un chapitre d'ensemble sur les usages, les moeurs, le rôle et l'influence de la corporation dés ouvriers en soie, dans la Touraine.
ET-LOIRE, Tours, 1862. — Ch. de Grandmaison, tome XX des Mémoires delà Société archéologique, 1870. —A. Chauvigné, Histoire des corporations d'art et de métiers, 1800. — L. Bosseboeuf, DixansàTours sous Louis XI d'après les Registres Municipaux, 1890. — Durant l'année 1893, au cours des séances de la Société archéologique, nous avons analysé une nombreuse série de pièces relatives à la fabrique de soieries de Tours, extraites pour la plupart dss Archives d'Indreet-Loire. — F. Dumas, La généralité de Tours au xvnie siècle, Administration de l'intendant du Cluzel (1766—83), dans les MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOOIQUE DE TOURAINE, t. XXXIX (1894).
Les documents que nous publions ici sont tirés des archives et bibliothèques.publiques et privées qu'il nous a été donné d'explorer. Nous mentionnerons notamment les Archives d'Indre et-Loire, les Archives municipales et la Bibliothèque de Tours, qui constituent une mine inépuisable de renseignements. Comme île plus grand nombre de nos pièces viennent des Archives d'Indre-et-Loire, afin de ne pas mettre des références continuellement, nous nous bornerons à indiquer la série et la liasse des titres principaux. Nous devons à M. J. Girard, en son vivant sous-archiviste d'Indre-et-Loire, un spécial témoignage de gratitude pour le bon vouloir avec lequel il a mis à notre disposition ses précieuses notes. D'une façon générale,, nous adressons tous nos remerciements aux personnes qui ont bien voulu nous confier quelque document et nous fournir quelque indication.
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I
LA SOIE EN FRANGE AVANT LOUIS XI
La soie a joué un rôle important dans la marche de la civilisation en Asie et en Europe. Il serait intéressant de retracer les diverses étapes de cette évolution, mais ce n'est pas le lieu d'en raconter les origines et les développements. Nous devons nous contenter de fixer quelques points de repère, qui nous conduiront au seuil de la fabrique de Tours.
L'Orient, pays du ver à soie, fut le berceau de l'industrie séricole aussi bien que de la plupart des éléments de la civilisation, et ce berceau de tant de merveilles n'a pas manqué d'être entouré du voile mystérieux des légendes, familières aux anciens. Au rapport des annalistes du moyen âge, sous le règne de l'empereur Justinien, deux moines apportèrent de la Chine à Constantinople des graines de vers à soie ; ils eurent la précaution de les cacher dans des cannes de bambou pour les soustraire à la surveillance jalouse qui en prohibait l'exportation. Longtemps auparavant, la Grèce, fertile en récits poétiques, s'attribuait l'origine de cette industrie et, au dire de Pline, c'est une indigène de l'île de Cos, Pamphyle, fille de Lutaïn, qui inventa l'art de filer les cocons. De son côté, la Chine, qui a bien quelque droit de se faire entendre lorsqu'il s'agit des origines des principales découvertes, rapporte qu'elle reçut l'inspiration et le procédé de la préparation et de
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la confection de la soierie d'un fils de Japhet, nommé Tchin ou Sin.
Nous n'avons pas à rechercher ici ce qu'il peut y avoir de fondé ou d'imaginaire dans ces diverses légendes ; nous ferons seulement observer que, comme il arrive d'ordinaire, il est vraisemblable que les unes et les autres renferment, à l'instar d'un cocon mystérieusement enveloppé, le fil de quelque tradition véritable au début, mais altérée dans la suite. Avant Justinien, au témoignage cl'Aristote et de Pline, le bombyx était cultivé dans la Grèce, et Homère parlait de l'excellence de la soie comme l'avaient fait les poèmes Hindous. Mais le ver de l'Hellade, provenant du chêne, du térébinthe et du frêne, ne donnait que des étoffes communes et devait disparaître devant la supériorité du bombyx mori du pays des Sères en Chine, dont les tissus étaient destinés à faire le tour du monde en fixant définitivement le nom attribué à l'étoffe précieuse.
De la Chine et du Japon, l'industrie de la soie se propagea vers l'ouest, non sans s'implanter puissamment dans la Perse et l'Asie-Mineure. La Grèce, et plus spécialement la Morée, porta dans ce tissage le goût achevé qui caractérise tous les produits de la j)éninsule hellénique. L'Inde et la Chine n'en continuèrent pas moins à alimenter le monde de leurs tissus, que des caravanes amenaient par les passages de la Scythie et du golfe Persique. Les Juifs et les Vénitiens se chargeaient ensuite d'introduire les marchandises sur. les marchés de l'Europe occidentale.
Entre les villes qui jouèrent un rôle prépondérant dans la pratique de cette industrie, brillent en première ligne Constantinople et, plus tard, Palerme fa belle ; on sait qu'au moyen âge celle-ci fut comme l'héritière de Byzance : la Conque d'or prit quelque temps la place de la Corne d'or, l'Assunta succéda a
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Sainte-Sophie et Roger II donna la réplique à Justinien. Sous le règne de ce dernier, la cour de Byzance, devenue l'asile des arts aussi bien que des lettres et des sciences sur les confins de l'Orient et de l'Occident, se montrait toute fière de l'éclat de ses tissus, tantôt de pure soie avec ou sans chaîne de laine, et tantôt rehaussés de fines broderies d'or ou d'argent. Dans les églises et les palais, les étoffes mariaient agréablement la vivacité de, leurs tons aux reflets des mosaïques. Tandis que l'Orient nous envoyait ses produits par Constantinople, une autre voie de pénétration dans l'Europe occidentale s'effectuait par l'Espagne, où les Arabes introduisirent la soie au xe siècle.
Pour les soieries, ainsi que pour les autres branches du commerce, les Croisades furent le point de départ d'un mouvement considérable d'importation. La Grèce, l'Italie et en particulier la Sicile, où le roi normand Roger II s'entourait de toute la pompe des arts les plus perfectionnés, devinrent des entrepôts dans lesquels le reste de l'Europe s'empressa de s'approvisionner. Tout d'abord on fit servir la soie aux ornements religieux et aux vêtements des princes, des princesses, des prélats et des grandes dames. De la cour et des cathédrales, l'usage de cette étoffe passa progressivement aux châteaux, aux églises collégiales, conventuelles et paroissiales.
On a prétendu que l'introduction de l'industrie de la soie en France se fit au xrve siècle, à l'occasion du transfert du Saint-Siège à Avignon par l'organe du pape Clément V; c'est une équivoque qu'il convient de dissiper. Le pape fit planter des mûriers aux abords de la ville en vue d'élever les vers à soie, et l'élevage se répandit à Nîmes et à Lyon ; mais le travail aussi bien que l'usage de la soie en France remontent à une époque plus reculée.
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Les relations commerciales de la France avec la Sicile, l'Italie et Constantinople, les pèlerinages en Palestine, les rapports fréquents avec le Levant et enfin les Croisades avaient doté notre pays d'une certaine quantité d'étoffes précieuses. Celles-ci devinrent d'autant plus aisément l'objet de l'admiration et même de la vénération populaire qu'elles servaient à parer l'autel et à envelopper les reliques des saints, d'où le nom de cappa ou chappe qu'on leur donne parfois. De leur côté, les prélats et les souverains les faisaient concourir à rehausser l'éclat de leur demeure ou les distribuaient par manière de libéralités diplomatiques. Le roi Egfried échangea avec saint Benoît-Biscop, abbé d'un monastère anglais, deux pièces de soie contre des domaines, et Charlemagne plaça des soieries au nombre des présents destinés à accompagner une lettre à un roi de Murcie.
Par malheur, les ravages du temps et des hommes sont cause que nous ne possédons plus que de rares fragments de ces soieries anciennes. Parmi les tissus dont l'origine se rattache à la période comprise entre le ve et le xne siècle, on peut citer le suaire de saint Germain d'Auxerre, et celui de sainte Colombe, à Sens, la chasuble de saint Regnobert à Bayeux, et celle de saint Rambert-sur-Loire. On doit mettre ensuite la chasuble de saint Thomas de Biville, en soie avec fils d'or, ainsi qu'un tissu trouvé dans le tombeau de Raoul de Beaumont, évéque d'Angers au xme siècle, sur lequel les fleurs de lis se marient avec les léopards et les griffons. C'est à cette époque que l'on à droit de placer le curieux tissu dit « Étole de saint Pol de Léon », conservé dans l'église de l'île de Batz (Finistère), au sujet duquel nous avons communiqué une étude et des photographies au Congrès des sociétés savantes de 1897. En ce temps-là, on
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ne l'ignore pas, les étoffes orientales étaient d'ordinaire bordées de galons à dessins bien caractéristiques, que les sculpteurs ont reproduit dans l'ornementation des statues et des édifices. A cette catégorie appartiennent les bandes de soie connues sous le nom de ceintures de la Vierge, telles qu'on les voit au PuyNotre-Dame, en Anjou, et à Saint-Ours de Loches, en Touraine. Avec cette dernière localité, nous touchons au territoire de la province qui fait tout spécialement l'objet de cet essai.
De bonne heure on connut la soie sur les bords de la Loire, qui fut, à tous les âges, l'une des grandes artères des transactions commerciales. A Tours notamment, dès la période mérovingienne, on l'employa à parer les autels et les châsses. Saint Grégoire de Tours, dont le goût pour les arts n'avait d'égal que> son zèle pour la religion et la culture de son esprit sagace et original, a pris soin de nous renseigner à cet égard comme sous tant d'autres rapports. A plusieurs reprises, il mentionne les voiles de soie, pallia serica, dont on entourait les tombeaux vénérés des fidèles, les autels ou les offrandes ; ils étaient parfois de soie pure (holoserica) et rehaussés d'or et de pierreries ; en une circonstance, l'historien donne au voile des oblations le nom de sarmaticum et, dans un autre, il rappelle que la nappe ou le voile de l'autel provenait d'un riche vêtement de femme 1.
Durant le moyen âge la Touraine s'enrichit de soieries, et à cette époque se rattache le curieux tissu dit Ceinture de la Vierge, que possède l'église principale de Loches, jadis Notre-Dame-du-Château et actuelle1
actuelle1 miraculis sancti Ma*lini I, c. 11 ; Miracul. lib. I, 72, 92 ; Vitoe Patrum, 11 { Historia Franc, VII, 22 ; X, 16, etc.
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ment Saint-Ours; la traditionrapportequ'ellefut donnée àla collégiale par Geoffroy Grisegonelle, père de Foulques Nerra. L'ancienne collégiale Saint-Mexme deChinon conservait précieusement un voile de grande dimension, qui est présentement à l'église de Saint-Etienne ; les symboles mythologiques de la Perse, arbustes et léopards enchaînés deux à deux, aussi "bien que le voeu tissé en langue arabe : « Dieu répande ses biens sur le possesseur », en indiquent nettement la provenance ; il a dû servir à envelopper les reliques et à recouvrir le tombeau du pieux ermite ; ce tissu a été trop souvent décrit et étudié pour que nous ne nous bornions pas à le mentionner. A leur tour, les documents nous apportent quelque trait de lumière et nous apprennent que « 53 saintures de soie avaient été rapportées de Jérusalem par feu Monsieur Gui à Marmoutier » ; au surplus, l'inventaire du couvent pour l'année 1505 constate qu'à cette date il ne restait plus que quarante-sept ceintures dans le trésor. On n'a pas oublié que les croisés de noble ligné erapportèrent de Terre-Sainte des étoffes dont ils firent des présents pour les églises, des parures pour leurs vêtements et les atours de leur « mie ».
Ce n'est pas à dire que, dès le moyen âge, la France fût en possession de métiers à tisser. L'auteur de Berthe aux grans pies nous représente, il est vrai, la mère de Charlemagne comme fort habile à travailler la soie, si bien que « n'avoit meillor ouvrière de Tours jusqu'à Cambrai ». Mais ce n'est ici que fiction de romancier et licence de poète, et ce n'est pas à la cour du roi de France, mais bien à celle du roi de Sicile qu'on pouvait alors jouir d'un pareil spectacle. Roger II - avait installé à Palerme des ateliers ; son palais était tendu de courtines de soie, dont quelquesunes brochées d'or, et, les jours de fête, les grandes
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dames se paraient de vêtements si somptueux que les chroniqueurs n'hésitent pas à les comparer aux « arabes païennes ». De la Sicile, l'industrie séricole passa le détroit et l'on ne tarda pas à voir des fabriques fonctionner à Lucques, à Florence, à Milan, à Bologne et à Gènes.
Les relations politiques et commerciales entre l'Italie et la France étaient trop intimes pour que notre pays ne sentît pas le besoin de cesser d'être tributaire de l'étranger en organisant le travail de la soie. L'in stallation de la cour pontificale à Avignon, au xive siècle, ne contribua pas peu à accélérer ce mouvement industriel et artistique. Du midi, le bon exemple s'étendit au nord, et des ordonnances nous montrent des tisseurs à Paris, à Rouen et à Reims, dans les premières années du règne de Philippe le Bel. Mais ce n'est guère qu'au xve siècle que l'industrie prit une extension sérieuse en deçà des Alpes, et qu'après les « dorlotiers ou rubaniers, crespiniers, faiseurs de couvrechiefs, de doucettes » et de tissus faciles, on vit apparaître les faiseurs de brocarts, velours et autres riches étoffes. A cette époque, la soie était fort prisée pour les ornements d'église. Dans le serment que l'évêque d'Angers faisait à son métropolitain l'archevêque de Tours, on voit que le sufïragant s'engageait à offrir à l'église cathédrale de l'archidiocèse « un voile ou pallium de soie, ou un autre ornement d'une valeur d'au moins cent livres » *.
Il était réservé à Louis XI de donner une impulsion considérable au tissage de la soie en France et d'installer cette industrie sur les bords de la Loire. Ce n'est pas qu'avant son avènement le commerce fût chose
1 Biblioth. de Tours, me. 202, fol. 161 v°.
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ignorée à Tours. Les marchands tenaient les différentes espèces d'étoffes et on les voit vendre tantôt « le taffetas noir et bleu » pour un étendard au capitaine des francs-archers, tantôt la soie « blanche, rouge, bleu de Florence » et autres, à « deux escus l'aulne ». Le cas échéant, on l'employait à confectionner le « pesle » ou dais pour l'entrée solennelle des rois et reines, ainsi que nous l'apprennent les registres des comptes de la ville. En outre, on vendait la soie écrue pour les divers usages et, en particulier, des ouvriers et ouvrières en faisaient des ouvrages de passementeries, notamment des franges. En 1455, la municipalité acheta « 4 onces de soye bleu pour faire la frange d'un estandard, » et 20 sols furent payés « à la femme Mathelin Gohier pour la façon de la frange de l'étendard ». Pour le dais qui servit à l'entrée de Louis XI on acheta à Jean Quetier, au prix de 6 livres la livre, de la « soye vermeille et blanche de quoy on a fait les franges des gouttières du pesle », et l'ouvrier toucha 27 s. 6 d. pour « sa peine et salaire d'avoir faict les franges my blanche et rouge quy sont cousues aud pesle ». C'était là comme le prodrome de la création de premier ordre dont le roi se disposait à doter la capitale de la Touraine.
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II INSTALLATION DE LA FABRIQUE PAR LOUIS XI
Louis XI se dresse sur le seuil des temps modernes comme l'un des hommes d'Etat, des souverains dont l'action a été la plus décisive et la plus féconde. Si le passé se reflète sur un côté de sa physionomie avec ses moeurs et ses préjugés, ses naïvetés et ses rigueurs, l'autre aspect de cette grande figure s'illumine des rayons d'un avenir plein de promesses. Esprit lucide et perspicace autant que volonté résolue et énergique, Louis XI a contribué pour une part considérable au progrès de la civilisation, à l'heure solennelle que fut le xv° siècle à son déclin. Il a su jeter les bases de l'unité nationale dans l'ordre des faits et des idées, en recourant tour à tour aux habiletés d'une diplomatie raffinée et aux sévérités d'une répression sans merci.
Louis XI était doué « d'un sens naturel parfaitement bon, lequel précède toutes autres sciences » ; il « estoit tardif à entreprendre, mais ce qu'il entreprenoit, il y pourvoyoit si bien qu'à grand peine eut-il sceu faillir à estre le plus fort, et que la maistrise ne lui en fust demourée, » selon les expressions du fidèle témoin de sa vie, l'historien Commines (Mémoires, IIe livre). Ses soins de chaque jour tendaient à assurer l'hygiène dans les villes, à multiplier les voies de communication à travers les campagnes, à rapprocher les cités et les provinces par l'unification des lois et des coutumes, en attendant celle des poids et mesures qu'il rêvait.
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Les lettres, les sciences, les arts, l'industrie et le commerce trouvèrent en lui un protecteur éclairé et puissant, qui permit rarement aux difficultés d'entraver sa royale volonté. Il n'est pas jusqu'à l'idée des expositions, qui semblent le monopole de l'ère contemporaine, à propos desquelles, ici encore, Louis XI ne se montrât un véritable précurseur. En l'année 1470, il résolut de faire franchir la Manche aux produits nationaux, et il organisa à Londres une exposition de ce que nos ateliers exécutaient de plus parfait. Les riverains de la Tamise, sans cette fois s'éloigner de leur cité, furent ainsi à même de constater le degré de perfection atteint par l'industrie française. Grâce à son auguste souverain, — c'est le mot du contemporain Florio, — notre patrie se plaçait dès lors à la tête du grand mouvement international, appelé à recevoir son couronnement dans la merveilleuse Exposition Universelle, qui forme comme le soir resplendissant du xixe siècle et l'aube rayonnante du xxe siècle.
Le règne de Louis XI et l'installation du roi au château des Montils, ou du Plessis, fut le point de départ de la fortune de Tours, aussi bien que d'une renaissance complète des arts, de l'industrie et du commerce. La prospérité de la France eu général et de la cité tourangelle en particulier fut, dès le début, l'objectif vers lequel le souverain tendit les efforts de son gouvernement. Dès l'année 1461, on fit un voyage à travers la Bretagne et l'Anjou pour engager des ouvriers drapiers à venir s'installer à Tours, à la faveur des privilèges octroyés à ceux qui y résideraient. De fait on ne tarda pas à voir des ouvriers d'Angers, voire même de Normandie, jouir de la franchise qui leur était accordée. A quelque temps de là (1464), le receveur municipal payait au « drapier » Lucas Robert, le prix du drap pour trois robes, « à
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la devise de la ville », destinées « aux trois clercs d'icèlle », ainsi qu'en témoignent la facture du « cousturier » et celle du « brodeur », qui avait « faict la
devise ' ».
En administrateur judicieux, Louis XI avait commencé par doter sa bonne ville de l'étoffe utile entre toutes; c'était maintenant le tour des tissus de luxe, de la soie. A cet égard, la volonté du souverain allait une fois de plus avoir raison de la résistance des préjugés, et mériter qu'on lui appliquât l'éloge que le poète classique attribue aux travaux intellectuels :
Omne tulit punctum qui miseuit utile dulci.
Dès qu'il fut fixé au Plessis d'une façon définitive, Louis XI se mit en mesure de réaliser son rêve industriel. Macé Picot, trésorier royal à Nîmes, fut son principal collaborateur dans cette entreprise. Ce dernier se mit en rapport avec la ville de Lyon, dans laquelle le travail de la soie était prospère, grâce à l'habileté des ouvriers venus pour la plupart d'Italie et au sérieux concours des habitants. Convaincu « du vouloir et affection » des gens pour « faire service et plaisir » au roi, Louis XI adressa aux magistrats de Lyon une lettre, datée d'Amboise le 12 mars 1470. « Nous désirons fort, écrit-il, que le mestier des draps de soye soit faict et continué en notre ville de Tours, envoyons présentement par delà notre d. trésorier pour faire conduire et admener en nostre d. ville de Tours les ouvriers dud. mestier avec les molins, mestiers, chaudières et autres choses nécessaires. » Le trésorier devra faire payer les dettes des
1 Archives de l'hôtel de ville de Tours, Registres des comptes des années 1462, 1464. i '
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ouvriers et les frais des ustensiles. A cet,effet, le roi exprime l'espoir que les habitants fourniront le nécessaire pour a le defroy des d. ouvriers et damanager des choses dessus dictes et aussi pour les acquiter de ce qu'ils doyvent ». Il compte pour les décider sur « l'affection » qu'il a toujours montrée à la ville de Lyon, ainsi que sur « certaines choses » que le trésorier est chargé de leur dire et sur le désir qu'ils doivent avoir de lui « servir et complaire ».La lettre se ferme sur ces derniers mots. A bon entendeur, salut *.
Un désir du souverain était un ordre. Tout fut réglé par l'organe de Picot et une colonie d'ouvriers prit la route de Tours ; ils apportaient avec eux les ustensiles nécessaires pour filer, teindre et tisser la soie, en un mot pour monter la nouvelle fabrique qui devait inaugurer une ère de prospérité au coeur de la Touraine. Les ouvriers, choisis parmi les plus habiles, étaient au nombre d'environ dix-sept et comprenaient, entre autres, un filateur, un teinturier et un appareilleur de soie. Deux reçoivent la qualité de « maistres » et touchent un salaire plus élevé, ce qui indique leur rôle dans la direction des métiers.
On n'est pas absolument d'accord sur le nom de tous et quelques-uns ont été victimes d'altération; nous essayerons de les rétablir le plus exactement possible en commençant par ceux pour lesquels les listes concordent assez bien. Ce sont Me Hilario de Facio ou Fassio, Baptiste de Terri 8, Marco de Mecote, Andréa Stella, Rafaello de Pereto ou Pareto, Francesco
i La lettre de Louis XI a été publiée notamment dans le t. XX des Mémoires de la Société Archéologique, p. 267. La liste des ouvriers envoyés à Tours a été imprimée dans le Congrès scientifique de Frunce, 1847, t. I, p. 506, dans les Grandes usines, t. IX, p. 205, et dans l'Histoire de Tours, t. I, p. 239.
* Peut-être Torri près de Crémone, ou encore non loin de Brescia.
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Guerri Baldi ou Garribaldi, Stefano ou Bastiano de Lanigi, Maufrais ou Maufrin de Carmignola, filateur, Balthasar ou Baldesac de Solario, ou de Soulart, Antonio ou Malatesta de Bologna (ailleurs Malatesta de Antonio), et Guichard ou Jaconnet deBonjean, appareilleur. Pour ce qui est des autres noms, les listes ne s'accordent pas. On voit, d'une part, Me Antoine de la Mante, Antoine de Borello, Guillaume de Bourgogne et Guillaume du Châtel, Perrin Veillon et Nicolas Risse ; et, d'autre part, Marc de la Canave, teinturier, Marquet de Venise, Genès Riose (peut-être le même que Risse), Jean de Carmogi, Baldesac de Seigne, et enfin l'on rencontre une femme, nommée Peruche dé Bonjean *.
Louis XI installa la petite colonie, à l'hôtel de la Clarté-Dieu, rue Monfumier, présentement au n° 19 de la rue du Président-Merville ; il fit savoir à la municipalité son désir de la voir couvrir les premiers frais d'installation et constituer une association en vue de la création et du fonctionnement de la fabrique. Mais l'affaire n'alla pas aussi facilement qu'on pourrait le penser. Les ouvriers, auxquels l'introduction de cet art présageait une concurrence redoutable, ne dissimulèrent pas leurs sentiments hostiles pour les nouveaux arrivants. Ce mauvais vouloir fut, jusqu'à un certain point, partagé par le clergé et la bourgeoisie, quine devinèrent pas la source féconde de richesse que ce travail devait apporter à Tours et à la France. Aussi les échevins décidèrent, le 1er juin, de « remonstrer au roy les charges de la ville et de lui supplier qu'il soit contant que ladite ville ne délivre aucunes ustensiles aux dits ouvriers ». Le roi, avec son sens pratique et
1 Archives de l'hôtel de ville, Reg. des délib., t. XII; Reg. des comptes, t. XXXIX. — Biblioth. de Tours, fonds Salmon, ms 1254.
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son intuition de l'avenir, fit savoir à l'échevinage qu' « il veut que la ville fournisse d'ustensiles les ouvriers en draps de soye qu'il a fait venir en ladite ville pour y faire monstrer l'art et mestier es dits draps de soye ». En outre, il entend que la ville s'impose de 12,000 écus pour « fournir au logis et ustensiles ». Louis XI n'était pas homme à s'arrêter à mi-chemin ; le 12 juin, par l'entremise de Pierre d'Oriole, capitaine de cent lances, il ordonna à la municipalité de faire « association pour fournir 6,000 écus d'or à 30 sols 2 deniers, pour acheter des soyes, car le roi veult que ainsi se face ». Afin de triompher des répugnances et des préjugés, il écrivit à la ville que « le profit sera pour elle et la perte pour lui ». Sur le champ on nomma une commission de 17 membres, « par lesquels fut fait ung rolle » comprenant environ 200 personnes qui formeraient ladite association; on devait imposer « chacun d'eulx à la somme de deniers qui montera ensemble à la somme de 4,000 escus ».
En présence des récriminations persistantes de la population ouvrière aussi bien que des charges de la ville, les échevins adressèrent une requête au souverain ; mais on apprit bientôt que d'office « il avoit fait ung rolle par lequel il avoit couché les habitants en 2,000 escus ». Quand les délégués se présentèrent au château d'Amboise où se trouvait Louis XI, un officier invita ces derniers à « ne pas insister pour qu'on présentât la lettre au roi, de peur qu'il n'eût la dite ville en indignation ». Une fois de plus les échevins durent se soumettre et fixer la quote-part de chacun des contribuables. Cette décision ne fit guère qu'augmenter la mauvaise humeur des ouvriers indigènes et, à plus d'une reprise, il s'éleva des querelles entre ceux-ci et les étrangers. Pourtant, avec le patronage d'un roi tel que Louis XI, le résultat ne pouvait
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être douteux. Comme le corps de ville tramait l'affaire en longueur, Louis XI lui signifia sa résolution qu'il « parachève le logis des ouvriers en draps de soye », ajoutant qu'il voulait « que l'on trouve promptement la somme de 1,000 écus pour faire ouvrer les ditz ouvriers ».
Cependant il importait de donner aux nouveaux venus de quoi faire face aux premiers besoins de l'existence. Grâce à la somme de 1,200 livres votée par les édiles, les ouvriers en soie reçurent une rétribution proportionnée à leur qualité, les 14 et 28 juin 1470, en vertu de mandats signés Briçonnet, maire, de Montbazon et Picot. Chacun d'eux toucha 30 livres à l'exception de Antoine de Borello et Maufrais de Carmignola, qui reçurent 20 livres ; de Me Hilario de Facio, qui toucha 40 livres ; de M° Antoine de la Mante et Guichard de Bonjean, qui reçurent 50 livres. Pour ce qui est de la séance municipale tenue le 25 juillet, il n'y vint presque personne. L'envoyé de Louis XI, après avoir communiqué la volonté de son maître par rapport à la somme de 1,000 écus, ajouta que les « habitants fesoient plusieurs opprobes aux dits ouvriers dont le roi n'etoit content et à ceste cause avoit donné mandement au prévost des maréchaux pour faire loger lesdits ouvriers et puynir ceuls qui les injurieroient ».
L'échevinage continua de manifester son peu de sympathie pour le nouvel art et adressa un mémoire en 9 articles au roi, qui était aux Ponts-de-Cé près de Saumur. En réponse à l'exposé des « faicts et charges de la ville », Louis XI dit que « son plaisir estoit que lesdits ouvriers fussent mis en besoigne et que l'on trouve les mil escus pour mectre en la compaignie de 6,000 escus en oultre des 2,000 qui estoient baillés ». Pour cette fois, il était impossible de se faire illusion sur la résolution bien arrêtée par le roi; le 3 août, on décida
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qu'il « seroit prins de Jehan de Beaune des soyes pour 3,000 escus », et que les comptes de l'association seraient tenus par Galocheau, Martin d'Argouges et Etienne Castillon, qui « délivreront les soyes aux ouvriers et les recevront d'eulx pour les faire ouvrer », On acheta 100livres de soie au prix de 4 1. 7 s. 6 d. la livre. En vain des privilégiés, tels que « les monnoyeurs et aulcuns officiers de l'église Saint-Martin » cherchèrent à s'exempter de la taille ; le 7 août, les collecteurs reçurent l'ordre de passer outre.
Enfin les ouvriers sont à l'oeuvre et le travail avance avec d'autant plus d'activité qu'il a été retardé davantage. Un certain nombre d'apprentis et d'élèves se présentèrent pour apprendre le métier i. Bientôt il y eut en magasin un stock important de marchandises. Le roi, toujours attentif aux intérêts de la fabrique, voulut savoir où en était la gestion et ordonna que « l'on comecte gens à veoir les comptes et aussi vendre ces draps pour paier ce que on doibt, lesquels draps se gastent ». Les comptes furent arrêtés,le dernier jour de novembre 1473, par les commissaires déjà nommés, auxquels on adjoignit le receveur et le « patron » Jean Briçonnet. On avait dépensé 729 livres 8 sols 7 deniers pour « appareiller, desvuider, cuire et taindre, blanchir et rougir 100 livres de soyes crues et certain autre nombre de -soye noire ». Le montant de la fabrication s'élevait à 13 pièces d'étoffe, 8 pièces « de velours et 1 pièce de satin figuré ». 148 aunes furent vendues 75 sols 7 deniers l'aune ; une pièce de damas
1 Ces apprentis et élèves étaient Alain François, Jean Habert, Jean Vierre, Lancelot le Basque, Pierre Duly'on, Guillaume Monnet, Guillaume et Laurent Mondevis, Etienne Chapelier, Etienne de Bourgogne, Antoine de Remigle, Antoine de Montbrison,- Jean Culard, Jean Scloson, Mathieu Vincent, Baptiste de Bargeon, Jacques de Pavie, etc.. Df Giraudet, Histoire de Tours, 1.1™, p. 239.
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et trois pièces de « satyn plain » furent vendues 50 sols l'aune ; en y ajoutant la vente d'une certaine quantité de soies noires, on arriva à un total de 728 livres 15 sols, 10 deniers !.
Assurément ces premiers résultats n'étaient pas très rémunérateurs et ne suffisaient pas à couvrir les frais d'achat de matière première, d'installation et de main à'oeuvre, ni à rembourser les fonds avancés ; du moins, le succès obtenu permettait d'espérer et d'avoir pleine confiance. L'arbre avait pris racines et sa première floraison, ou mieux fructification, venait de montrer ce qu'on était en droit d'attendre ; de fait, il n'allait pas tarder à produire les fruits les plus superbes et les plus séduisants. Dès lors, l'aristocratie et la bourgeoisie de la Touraine et d'une partie de la France cessèrent d'être tributaires de l'étranger quant à l'acquisition des vêtements et des tentures pour les appartements et les fêtes ; de son côté, le clergé eut toute facilité de se procurer de beaux ornements d'église. Le marchand, après avoir vendu le drap confectionné par les ouvriers de Tours, écoulait maintenant les étoffes de soie fabriquées dans nos murs.
Lorsqu'en 1476, le gracieux souverain de Portugal fit son entrée dans la capitale de la Touraine, Guin des Bordes fournit en soie tourangelle « troys aulnes et demye et cing seziesme de taffetas bleu », au prix d'un écu et demi l'aune, « pour faire le pesle à porter sur le roy ». Il en fut de même, sans doute, des six aunes de velours que la ville offrit en présent à « la femme de Mre Jehan Blanchefort, connestable de Bordeaux et autrefois maréchal des logis du roy pour plusieurs
1 Ce document, puisé dans les Registres des Comptes de Tours et d'ailleurs transcrit par Salmon, a été publié dans le t. XX des MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TOURAINE.
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services plaisirs et civilitez que le d. Blanchefort a faict à la d. ville en faict de son office, et faict chascun jour ».La délibération porte les noms de « sire Jehan Briçonnet, naguères recepveur général des finances du roy, sire Jehan Ruzé, sire Jehan Briçonnet, patron, sire Jehan Gallocheau » et autres ; le mandat de paiement, qui monte à 28 écus et demi d'or, ou 45 1. 14 s. 3 d., est daté du 11 août 1477. En 1480, le « maistre d'ostel du sieur de Brésuire » reçut « sept quartiers satin de venise, du prix de 5 écus et quart ' ».
Les soieries de Tours devaient briller dans une circonstance plus solennelle. On préparait, à Amboise, les fiançailles du Dauphin avec Marguerite d'Autriche,qui furent célébrées au mois de mai 1483. Le chef de la municipalité tourangelle dut se rendre à la cérémonie en compagnie de plusieurs notables. Par délibération du corps de ville, il fut décidé que les vêtements du maire seraient payés avec « les deniers communaux ». L'article des comptes reflète trop bien les moeurs de l'époque pour que nous ne transcrivions pas le passage principal. C'est « Jacques de Beaune, marchand de drap, demeurant en ladite ville de Tours », qui fournit à cet effet deux aulnes et demye d'escarlate, deux aulnes de gris, cinq quartiers de satin et onze aulnes de taffetas, le tout emploie à faire deux robes pour le d. maire «.Suivant la décision prise,il s'agissait «d'aller aux noces de mons. le Dauphin qui se faisaient lors à Amboise, ou furent avecques le maire aucuns des habitants de lad. ville pour accompagner le d. maire et pour plus honnestement et à l'onneur de la d. ville aller aux nopces, ainsy que le roy nostre sire l'avoit commandé ». Le marchand toucha le prix de
1 Archives de l'hôtel de ville, Reg. des comptes, finissant le 31 oct. 1477. — Bibl. de Tours, fonds Salmon, ms. 1241, 1254.
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vente d'après un mandement du 20 août 1483. Une curieuse note ajoutée en marge est ainsi conçue : « Est apparence par délibéracion de la ville que le d. maire pour aller et estre honnestement auxnopces demonseigr. le Daulphin auroit une robe d'escarlate avec la doublure d'icelle et non plus, pour la valleur de laquelle a esté cy alloué au recepveur XXX 1., et le surplus de la somme rayée * ». Nous ajouterons que, le 20 avril 1845, à l'occasion de l'entrée du roi,le marchand Julien Cochet vendit du velours destiné à faire « des liens et bandes» pour les pages du duc d'Orléans 2. Le succès de la fabrique était dû à l'habileté des ouvriers, au goût inné qui caractérise le naturel tourangeau, et à l'empressement que l'on mettait à acheter les remarquables produits qui sortaient des ateliers. Mais ce résultat provenait également de la bonne organisation dont Louis XI avait su doter la manufacture dès le principe. Le roi, jaloux de la prospérité de son oeuvre, l'entourait de soins vigilants et lui prodiguait ses encouragements. Au mois d'octobre 1480, par lettres patentes, il permit aux ouvriers de « faire un établissement avec des privilèges ». Charles VIII suivit les traces de son père et tout ce qui avait été octroyé à la manufacture, il le confirma pleinement par lettres des mois d'avril et de mai 1497. L'année suivante, Louis XII montra le même empressement à soutenir les ateliers des bords de la Loire.
Nous venons de parler d'organisation. Avant de poursuivre notre récit, nous devons exposer le régime qui présidait à la marche de la fabrique. Dès l'origine, les ouvriers en soie, suivant l'impulsion et les ten1
ten1 des comptes finissant au 31 oct. 1483. — MÉMOIRES DE LA SOC. ARCHÉOL. DE TOURAINE, t. XX, p. 283.
2 Collect. Joursanvault, n. 191.
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dances de l'époque, se constituèrent en corporation; ils y trouvèrent à la fois la force qui provient de l'union, la solidarité qui résulte de l'esprit de corps, l'appui contre les retours offensifs de la concurrence et du chômage, et enfin la protection matérielle, civile et religieuse que le travailleur est heureux de recevoir en tout temps. La corporation avait ses statuts, approuvés par le roi, qui réglaient tout ce qui a rapport au « commerce, art et fabrique des draps d'or, d'argent et de soye et autres étoffes meslangees, qui se manufacturent dans la ville et fauxbourgs de Tours ». Dans la suite, notamment en 1667, ces' statuts furent complétés, mais on garda la substance des premiers règlements. Nous indiquerons ici les points principaux, qui nous donneront une idée exacte de la forme des corporations sous l'ancien régime, en particulier de la « Communauté des marchands, maistres ouvriers en draps d'or, d'argent et de soye, » de la ville de Tours. Les maîtres ouvriers s'abstiendront, sous quelque prétexte que ce soit, de travailler ou faire travailler, les dimanches et fêtes d'obligation, c'est-à-dire les fêtes annuelles ainsi que celles de la Vierge et des Apôtres. Ils ne pourront non plus mettre en vente leurs marchandises ces mêmes jours, sous peine de confiscation et de 500 livres d'amende. La fête de la corporation est la solennité de saint Sébastien, qui sera célébrée d'une façon obligatoire pour tous dans l'église conventuelle des Augustins ; cette église s'élevait à l'angle nord, formé par les rues dites actuellement des Halles et Marceau. A l'enterrement des anciens maîtres, le corps sera accompagné par six maîtres et gardes-jurés en charge. La direction de la communauté, ainsi- que l'application des statuts, est confiée à quatre maîtres et gardes-jurés, — plus tard le nombre s'éleva à six, — qui seront « personnes de
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probité, d'expérience et les plus notables du dit corps », et cela pendant trois années, de façon que les anciens puissent instruire les nouveaux ; en outre, on choisissait tous les ans deux conseillers anciens « pour visiter et marquer les manufactures des maîtres gardes-jurés en charge, tant en leurs maisons qu'en celles des autres maistres qui travaillent à façon pour eux ».
Indépendamment des inspections facultatives, les élus devaient faire chaque année six visites générales chez tous les marchands et maîtres ouvriers, et y établir un rôle, contenant les noms des maîtres, fils et filles de maîtres, compagnons et apprentis de la ville et des faubourgs, ainsi que le chiffre des métiers; ce rôle devait être transmis à leurs successeurs un mois après la sortie de charge. L'élection de ces inspecteurs se faisait le 23 janvier, en présence du lieutenant-général, au scrutin à deux degrés ; cinquante maîtres n'ayant pas encore passé par les charges nommaient les nouveaux gardes-jurés, qui faisaient le serment de veiller à l'observation des statuts et à la conservation de tous les droits de la corporation. Pour prévenir les abus, les jurés recevaient à leur entrée en charge « des mesures de fer ou métail qui seront marquées à proportion des largeurs, et auront aux deux extrémités les armes-du roy et de la ville » ; ils les remettront à leurs successeurs ainsi que les livres, titres et rôles de la communauté ; quant au receveur, il rendra compte du maniement des deniers, quinze jours après sa sortie de fonction. Les marchands et maîtres-ouvriers ont le devoir d'ouvrir aux visiteurs « leurs maisons, boutiques, magasins, armoires, ouvroirs, et autres lieux soupçonnés d'avoir des étoffes et marchandises », et cela sous peine de,25 livres d'amende et.de confiscation des marchandises et ustensiles.
Un conseil de prud'hommes était chargé de régler
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les différends de la corporation ; il était composé des maîtres, gardes et anciens qui s'assemblaient deux fois la semaine pour entendre les plaintes de tous les ouvriers et arranger l'affaire; la partie qui ne se présentait pas était tenue de payer 3 livres au profit de la communauté. Afin que personne n'osât élever un métier sans en avoir le droit, les visiteurs obligeaient les ouvriers à produire leurs titres ; au besoin ils pouvaient les contraindre « par corps à faire voir la dite vérification en cas qu'ils travaillent à fasson, et s'ils travaillent pour eux, ils seront contraints par saisie des marchandises, métiers et ustensiles à faire icelles vérifications ». Quant aux compagnons, « tant de la ville que forains qui travailleront aux manufactures », ils sont obligés de donner leurs noms avec la quittance d'apprentissage et, les fils de maîtres, leurs certificats [art. 1-15).
Les maîtres ne devaient avoir qu'un apprenti pour une durée de 5 ans, et le brevet d'apprentissage était passé par devant notaire. L'apprenti demeurait en la maison du maître et ne pouvait s'absenter sans cause légitime, sinon le patron pouvait le faire réintégrer ou bien « f orclore du livre de Testât ». En retour, le maître n'avait pas le droit de congédier l'apprenti sans cause légitime, non plus que de prendre chez lui l'apprenti d'un autre sous peine d'une amende de 60 livres. Si le maître n'a pas de travail ou s'il s'absente pour un mois, il est tenu de remettre son apprenti aux gardesjurés, qui le pourvoieront d'une maison et qui pour leurs démarches et services recevront six livres, versées par le maître en même temps qu'il fait inscrire l'apprenti sur le registre de la Corporation. Le temps achevé, le maître donne à l'apprenti une quittance « en bonne forme »,et huit jours après la fin du contrat il est tenu, sous peine de 24 livres d'amende et « de
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ne pouvoir obliger d'autre aprenty », à faire exécuter au sien « le drap d'aprentissage ». Ce travail, destiné à prouver l'aptitude du sujet à être reçu compagnon, consistait « en une aulne d'un des quatre principaux draps qui sont le velours plain, le satin plain, le damas et le brocart d'or ou d'argent » ; les soies et « ustancilles nécessaires » sont fournis par la Communauté à laquelle le maître verse 10 livres. L'apprenti reconnu capable est enregistré « au livre des compagnons » {art. 21-27).
C'est surtout pour arriver au grade de maître qu'il était nécessaire de remplir de sérieuses conditions. « Nul ne pourra estre receu maistre qu'il n'ait sa quittance de cinq années et qu'il n'ait travaillé cinq autres années pour compagnon, qu'il n'ait fait chef-d'oeuvre sur l'un des quatre draps : sçavoir le satin plain, le velours plain, le damas ou le brocart d'or ou d'argent au bureau de la Communauté et qu'il ne soit trouvé de bonne vie et moeurs et de la Religion catholique, apostolique et romaine, et mesme à l'égard des fils de maîstres, ils ne pourront estre receus s'ils ne sont de la dite Religion ». Le chef-d'oeuvre est fait en présence des gardes-jurés et de huit anciens, et est visité par les gardes en charge, le receveur, seize maîtres dont huit anciens et huit nouveaux. S'il est trouvé apte, le compagnon paie les droits ordinaires «sans aucuns frais de festin » et prête le serment devant le lieutenantgénéral du roi.
Les maîtres forains ou étrangers à la France sont reçus à la maîtrise après un travail de cinq ans chez un maître. Ils en peuvent être dispensés par une assemblée de vingt maîtres choisis par le lieutenant-général et par les anciens gardes-jurés, « en cas qu'ils apportent le secret de quelque estofe nouvelle ». La réception équivaut à leur naturalisation. Ces « estrangers seront
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déclarez naturels et regnicoles et dispensés du droict d'aubaine, et sans que pour ce ils soient tenus de prendre d'autres lettres de naturalité ni pour ce payer aucune finance ». Ils « jouiront eux, leurs successeurs ayant cause, des biens et acquisitions qu'ils auront faites et feront, en travaillant actuellement ou faisant travailler auxdites manufactures ; et, en cas qu'ils quitent le royaume pour aller demeurer en païs estranger, tous leurs biens appartiendront à Sa Majesté ». L'exemption des cinq années de préparation existait également au profit du compagnon forain, maître ou fils de maître forain, qui après s'être fait inscrire sur le livre de la Communauté épousait une veuve ou une fille de maître. Il est défendu aux maîtres, sous peine d'amende de 60 livres, de prendre un compagnon forain qui dans l'espace d'un mois n'a pas remis aux gardesjurés un certificat suffisant, signé des gardes-jurés du lieu où celui-ci a travaillé (art. 28-43).
Le titre de maître conférait le monopole absolu du travail. Suivant les lettres patentes de l'année 1557, il était défendu à tout individu non passé maître de travailler ou faire travailler dans la ville et les faubourgs, sous peine de 200 livres d'amende et de confiscation des marchandises. Il y a obligation pour les maîtres de retirer un certificat du maître chez lequel le compagnon a déjà travaillé, ainsi que des parents, et de ne pas « débaucher les ouvriers de chez un autre », d'avertir le compagnon un mois à l'avance quand on veut le congédier, à moins que ce ne soit pour raison d'insuffisance ; l'ouvrier est tenu au même congé par écrit et, en outre.il doit, sous peine d'amende de vingt livres, achever la pièce montée ou commencée quelque temps qu'elle dure. Si le congé est donné par le maître, il peut réclamer au nouveau maître la huitième partie du travail de l'ouvrier ; si c'est par l'ouvrier,
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le maître nouveau est tenu, avant de le prendre, de payer à l'ancien ce que l'ouvrier doit. Les veuves de maîtres ont le droit de continuer le négoce du défunt et de garder l'apprenti jusqu'à la fin de son temps, mais elles ne peuvent en prendre un autre sous peine de nullité et de 60 livres d'amende (art. 44-47).
Afin de prévenir le désordre et de garantir la qualité du travail, il fut décidé, dans la suite, que les maîtres et ouvriers ne pourraient se réunir sans une autorisation écrite du lieutenant-général, que l'on ne tiendrait plus aucun compte du privilège des lettres de maîtrise qui dispensaient de l'exécution du chefd'oeuvre, que chaque maître aurait un exemplaire des statuts, dont il afficherait dans l'atelier la partie afférente à chaque ouvrier. Outre les conseils de police et assemblées hebdomadaires, dites de prud'hommes, pour régler les différends de maître à ouvrier, il y avait chaque mois, au bureau ou siège social, un conseil de police auquel assistaient le lieutenant-général, les gardes-jurés et conseillers en charge, ainsi que le receveur et ceux qui avaient passé par les charges et quatre maîtres qui dirigent un atelier. Dans ces assemblées chacun donnait son avis « pour perfectionner les manufactures et empêcher les abus » ; les maîtresjurés rendaient compte de leur gestion et de leurs visites. Plus tard, sous Colbert, ce rapport fut envoyé au ministre qui remplissait la fonction d'Intendant des bâtiments du roi, arts et manufactures de France. Enfin, le produit des amendes, provenant des confiscations et contraventions, était attribué par tiers à l'hospice général de la ville, à la caisse de la corporation et aux gardes-jurés en charge (art. 48-64).
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III
LA FABRIQUE DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIe SIÈCLE
La fabrique de Tours possédait deux éléments d'une prospérité durable, d'excellents ouvriers et les garanties d'une corporation solidement organisée sous le haut patronage de la royauté, dont la Touraine était alors le pays de prédilection. Les expéditions d'au delà des Alpes au cours desquelles se ferme le xv 6 siècle et s'ouvre le xvie ne firent, à l'instar des croisades, qu'accroître parmi les gentilshommes le goût pour les tissus aux riches couleurs chatoyantes. Louis XII s'empressa de confirmer les privilèges et statuts de la communauté, par lettres des mois de juillet et septembre 1498. En vertu de cette dernière ordonnance, on devait, tous les trois ans, élire quatre maîtres-jurés pour surveiller la fabrication. Un règlement, porté en 1503, se résume tout entier dans cet article fondamental : « Nul ne pourra besoigner ny avoir profict de manufacture, s'il n'est passé maistre ».
Il ne faut pas se représenter le travail de la soierie tel qu'il se pratiquait alors, d'après l'état présent de cette industrie. Aujourd'hui, de fait, le monopole est aux mains de quelques riches manufacturiers qui ont trouvé les ressources nécessaires pour installer de vastes ateliers ; ils y occupent un nombre plus ou moins considérable d'ouvriers libres et égaux entre eux, placés sous la surveillance d'un ou de plusieurs contre-maî-
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très. Une maison plus modeste tente-t-elle de s'élever à côté? Les difficultés de la lutte et l'âpre té de la concurrence la contraignent bientôt à fermer ses portes : il n'y a pas de place pour la petite industrie, non plus que pour le petit commerce. Jadis c'était tout le contraire, grâce au régime social et corporatif sous lequel se pratiquait le travail. Au lieu de quelques manufactures de soie, contenant chacune quelques centaines de métiers groupés dans un espace restreint, c'était comme une cité dans la ville et comme un monde de métiers, dont le bruissement animait du matin au soir les quartiers urbains et suburbains. Le chiffre des métiers montait à plusieurs mille, installés chez les particuliers et auxquels besoignait la famille entière, le père, la mère et les enfants. Au décès du chef, ceux-ci recueillaient et continuaient la maitrise et le métier ; de là des générations successives occupées pendant des siècles au même travail. Nous n'avons pas à discuter ici les inconvénients et les avantages de ce système, chez lequel le régime de la stabilité à outrance trouve une compensation dans la bonne qualité et les excellents procédés du travail, qui n'est pas livré aux hasards d'une liberté illimitée et d'une concurrence sans bornes, plus propres à favoriser la quantité des produits que leur qualité. De ce groupement il résultait que les métiers similaires étaient installés en général dans les mêmes quartiers : d'où les noms professionnels conservés par certaines rues et que l'on a le devoir de respecter comme le meilleur souvenir démocratique du labeur loyal et persévérant des ancêtres.
Nous connaissons les principaux maîtres ouvriers qui installèrent et dirigèrent les métiers de drap d'or et de soie. Les apprentis qu'ils formèrent eurent à coeur de développer cet art, enfin parvenu au droit de cité. Grâce à l'habileté des ouvriers, aussi bien qu'à la pro-
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tection royale et à l'appui de personnages considérables qui réussirent à triompher des préjugés et des obstacles, la fabrique de Tours prit une rapide et brillante extension. Elle disputait aux principales villes d'Italie l'avantage de fournir des étoffes recherchées pour la finesse et la beauté autant que pour la solidité. Les artistes, réunis à la cour, ne contribuèrent pas peu, par la nouveauté et l'élégance de leurs dessins, à donner à notre ville la réputation de bon goût, en particulier pour les brochés, dont elle a joui depuis le xvr 3 siècle. Aussi bien les grands seigneurs, à l'instar des princes et princesses, achetaient l'étoffe de leurs habits chez les marchands des rives de la Loire. Encore un peu et ceux-ci vont devenir d'opulents financiers en mesure de doter la Touraine de ses plus jolis châteaux et de jouer le rôle de banquiers des souverains : est-il besoin de rappeler les noms des Beaune, des Briçonnet, des Berthelot, des Poncher, des Morin, des Gardette, des Robin, des Quantin et autres? Dès la fin du xve siècle, on voit parmi les négociants, qui rentrent dans notre cadre, André Parisot, marchand de soieries (1491), Jean Duhamel, marchand de rubans de soie (1491), Guillaume Mesnager, marchand de velours (1497), sans parler deMichelet Pelé, qui tient le taffetas de Florence (1500) 1.
Les fêtes publiques, en distrayant les habitants de toutes les classes, avaient l'avantage de réjouir tout-spécialement les fabricants de soie dont elles faisaient valoir les brillantes étoffes : il était impossible d'imaginer une meilleure réclame, dirait-on en langage du jour. L'entrée à Tours de Charles VIII, revenant de l'expédition d'Italie, fut l'occasion de réjouissances populaires dont les registres des comptes de l'année 1497 ont gardé
(1) Biblioth. de Tours, ms. 1200.
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. l'écho. Michelet Pelé et Michel Poisson, marchands, par l'organe de Macé Papillon et de Jean Perrigault, receveurs commis pour « ordonner les mystères » joués « au Grand-Marché », touchèrent 841. 7 s. 6 d. comme prix de 45 aunes de soie, fournie pour « faire les abillemens aux Verîus et aultres Mystères qui ont esté jouez en la nouvelle entrée et venue du roy de son retour de son royaulme de Napples». Quatre aunes et demie de taffetas jaune, blanc et rouge servirent à « faire ung étendart et ung guidon au mistère ; » deux aunes de taffetas bleu furent employées pour une cotte d'armes ; quatre aunes et demie de taffetas blanc, « pour la robbe à la royne qui a joué au mystère», avec une aune de taffetas rouge pour les manches et de taffetas bleu pour les poignets de la robe, ainsi que quatre aunes de taffetas noir pour « faire une faille à une nonnain du mistère ». En outre, pour confectionner « les abillemens des Vertus et à un ange au mystère, joué à la venue du d. seigneur en la Grant Rue devant la maison de Jehan Aubert », on acheta « 29 aunes de taffetas en pièce, de plusieurs couleurs, assavoir blanc, vert, rouge, gris, violet et de pourpre », et ce « non comprins certains aultres vieils habillemens de taffetas appartenant à la ville ».
L'entrée solennelle d'Anne de Bretagne et de Louis XII à Tours, en 1501, contribua également à faire valoir la beauté des étoffes de notre fabrique, en particulier par la décoration du « poésie ». Les marchands Jean Gallocheau le jeune, Jean Quartier l'aîné, Guillaume Mesnager et Michelet Pelé fournirent du drap d'or ras cramoisi, du satin blanc et pers Bruges, du velours noir. Suivant l'usage du temps, on représenta des mystères en plein air aux carrefours, et nos marchands fournirent notamment « 18 aunes un tiers de taffetas large de plusieurs couleurs », à 37 s. 6 d. l'aune,
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pour « servir à faire, les robes aux filles qui ont joué », ainsi que « 11 aunes trois quartiers et demye d'autre taffetas gris, bleuet rouge de Florence » du même prix et pour le même usage. D'autre part, lorsqu'il s'agissait de faire un présent à un hôte considérable, les édiles ne manquaient pas de faire appel à l'habileté des tisseurs. A l'occasion de l'entrée du roi François Ier et de la reine Claude, le 21 août 1516, la municipalité leur offrit 18 aunes de drap d'or aux armoiries du roi et de la ville, et l'étoffe fut payée 1440 1.
La fabrique de Tours jouissait d'une telle réputation au début du xvie siècle qu'elle soutenait la rivalité avec les meilleures manufactures d'Italie. Le cardinal Georges d'Amboise, qui se proposait de faire de son château de Gaillon le rendez-vous de tous les arts, représentés par les Colombe, les Juste, les Valence, les Paganino, les Solario et d'autres, fit bien quelques commandes à Paris, à Milan et à Florence, mais il s'adressa de préférence aux ateliers tourangeaux. D'après les comptes, témoins véridiques entre tous, « pour fairele douceret » de la chambre principale, le cardinal fit venir « XXXIII aulnes et demye de velours vert achepté à Tours de Jehan Testu, à 6 1. 2 s. 6 d. l'aulne ». Il acheta en outre « dix aulnes ung XVIe drap d'or rez cramoisi, à XIII écus d'or soleil l'aulne», ou 2371. ls. lOd. ; «trois aulnes et demie toille d'argent », au même prix ou 921. 9s. 4d. ;« une aulne de toille d'or, pour 231. Ils. 3d.» ; « une aulne ung tiers satin cramoisi à 4 escus sols l'aulne ; » et enfin « neuf marcs fil d'or de Fleurence achepté à Tours à VIII escus et demi soleil le marc ». De plus, Jean Testu vendit pour l'ameublement de Gaillon douze aunes et demi-quart de toile d'argent au prix de 254 1.12 s. 5 d, ; vingt-neuf aunes un quart et demi de taffetas blanc étroit, à 35 s. l'aune; 28 aunes et demie de taffetas cramoisi, à 52 s. 6 d. l'aune; 19 aunes
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de taffetas jaune, à 31 s. 3 d. l'aune. Le « prouffit » du marchand étant coté à deux sols par livre, Testu reçut, de ce chef, 41 livres.
De tels succès étaient de nature à stimuler les efforts des fabricants. Tout d'abord, on l'a vu, les premiers travaux se firent sous le patronage de la ville et avec le concours d'une association formée entre les notables. Puis, les maîtres ouvriers reprirent leur liberté et travaillèrent pour leur propre compte sous la surveillance de l'État et de la Cité. Plus d'une crise, il est vrai, menaça le développement et parfois l'existence même des ateliers. Les guerres fréquentes qui épuisèrent le trésor de l'Etat et des villes, ainsi qu'une série de calamités publiques, telles que la famine, les inondations et la peste, furent de douloureuses épreuves pour la fabrique. Elle rencontra également une pierre d'achoppement dans la concurrence soit de l'Italie, soit de la ville de Lyon, qui, nous le verrons dans la suite, se trouva plus d'une fois en lutte avec notre cité.
Au milieu de ces difficultés, la fabrique des rives de la Loire trouva un tout-puissant appui auprès de François Ior, passionné pour les arts, et de sa mère Louise de Savoie, qui ne le cédait en rien au souverain et faisait à Tours la plupart de ses commandes. Le roi et la reine mère furent intelligemment secondés par leur familier Philibert Babou, dont on sait les attaches avec la Touraine, en particulier avec la Bourdaisière. Babou, conseiller du roi et contrôleur des finances de Louise de Savoie, avait été commis par le roi « au payement des gaiges et entretenement des ouvriers de drap d'or, d'argent et de soye, teinturiers, aussi des tappi1
tappi1 Comptes de dépenses de la construction de Gaillon (1850), in-4, p. 341, 342, 344.
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ciers, peintres, tailleurs, graveurs de pierre et orfèvres ». Parmi les ouvriers, ceux qui se distinguaient davantage parla perfection de leur art recevaient, à titre de maîtres, une subvention du souverain, etleurs«gaiges» étaient en rapport avec leur capacité. Ainsi François Racault et Antoine Chevière, « ouvriers en drap de soie », percevaient par an 34 livres ; Jean Danyau, autre ouvrier en soie, recevait 40 livres, et Guillaume Maingot était gratifié de 601. En l'année 1521, on voit ces ouvriers toucher « trois quartiers de leurs gayges » 1. A la même époque, on rencontre encore Macé Deschamps (1522), Julien Besner et Jean Laboureau, tous deux marchands « maîtres-ouvriers et procureurs-fabriciers de l'église Saint-Vincent» (1532). En l'année 1541, moururent Martin Papillon, teinturier en soie, et Esteron, tourneur de moulin à soie. Dans la suite on trouve les maîtres ouvriers Julien du Moulin, possesseur d'une maison et jardin où il y a un jeu de billes au coin de la rue Chaude ; Jean Tallier et Jean Barlay, tous deux trésoriers de l'église Saint-Etienne (1561) ; « noble homme » Pierre Taschereau (.1567) et Jean Beaugendre (1570); Gatien Boureau (1577), de la paroisse Saint-Pierre-le-Puellier ; Jacques Tonnereau et Emmanuel Rougeon (1590), de la paroisse la Riche. Mais une des familles, qui entre toutes se signala par son attachement à la manufacture, est celle de Beaune. Dès le règne de Louis XI, on l'a vu, Jean de Beaune était chargé de fournir les soies ; les autres membres favorisèrent également l'industrie. En 1534, on trouva chez Jacques de Beaune, marchand de soie, maintes belles pièces de drap d'or et de soie, qui furent données à l'église Saint-Saturnin; elles servirent à faire des
1 Bibl. de Tours, ms. 1240. — Mémoires de la Soc. archéologique Touraine, t. XX.
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ornements, qui étaient encore à l'usage du culte au xvme siècle. Dans la période qui nous occupe les fabricants de soie payaient, à Noël, à la fabrique de SaintSaturnin une redevance de 160 livres '.
Le règne de François Ier fut pour la manufacture tourangelle la période de l'apogée. Les ateliers confectionnaient des étoffes ravissantes de beauté et les magasins étaient visités par maints clients. Suivons le courant de la foule et franchissons le seuil d'un marchand de soieries : nous aurons une idée des marchandises que renfermait alors une boutique de ce genre. Nous sommes sur la paroisse de Saint-Pierre-du-Boile, qui possède un bon nombre de marchands, et nous entrons chez Pierre Danyau qui vient de prendre, en 1539, la succession de son beau-père Gabriel Feret, retiré des affaires. Il y a là sur les rayons une quantité de fins velours, de brillants satins, de taffetas de toutes les nuances, du vert et du bleu le plus vif au saugeant et au gris le plus adouci. Le marchand va nous faire lui-même les honneurs de son magasin, en nous indiquant les prix de vente de chaque pièce, sans d'ailleurs nous imposer l'obligation d'acheter a.
•Registres d'état civil. — Archives d'Indre-et-Loire, G, 216, 230, 1021, 10i6.
2L'en-tête de l'inventaire, rédigé parle notaire Jaloignes, est ainsi conçu : « 1539. — Le VIe jour de septembre l'an mil cinq cens trenteneuf en la court du roy notre Sire, A Tours personnellement establys et deument soubzmis honnestes personnes Pierre Danyau d'une part, et Gabriel Feret, marchants en drap de soye demeurant en la dicte ville de Tours en la paroisse de Sainct-Pierre-du-Boille, d'autre part, lesquelz ont congneu et confessé en la dicte court avoir faict et font entre eulx .les marchés, promesses, accords et convenances qui s'ensuyvenl, c'est assavoir que le dict Pierre Danyau a confessé avoir eu et receu du dict Gabriel Feret son beau-père, la marchandise cyaprès déclarée savoir est..» (Bibl. de Tours, jonds Lambron, ms. 152, p. 620.
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«Une pièce de veloux noyr fin à poiletdemy contenant dix-neuf aulnes et demye du pris de sept 1. dix s. l'aulne. — Une autre pièce de veloux noyr fin à poil et demy de XIX aulnes trois quart du pris de VII1. l'aulne. — Une pièce de veloux noyr fin de XX aulnes du pris de VII1. l'aulne. — Une pièce de veloux noyr fin de XVIII aulnes du prix de VI 1. XV s. l'aulne. — Une autre pièce de veloux noyr fin de XVIII aulnesdu pris de VIII. XII s. VI d. l'aulne. —Demye aulne veloux noyr du pris de VII 1. l'aulne. — Une pièce de veloux noyr d'une aulne et demye du pris de VII1. l'aulne. — Une pièce de veloux noyr fin d'une aulne troys quars du pris de VII1. l'aulne. — Une pièce satin noyr de sept aulnes et demye du pris de IX s. l'aulne. —Unepièce de taffetas rayé d'or jaunie orange de VIII aulnes ung tiers du pris de XX s. l'aulne. — Une pièce de tappis de veloux noyr du pris de XII1. la pièce. — Une pièce de taffetas noyr en quatre fils de X aulnes du pris de XXX s. l'aulne. — Une pièce de taffetas noyr fort batu de quatre aulnes et demye au pris de XXVIIIs. l'aulne. — Unepièce de taffetas noyr en deux fils de X aulnes et demye du pris de XVIII s. l'aulne. —Unepièce de taffetas blanc du d. pris de douze aulnes et ung tiers. — Une pièce de taffetas du pris de six aulnes et ung quart. — Une pièce de taffetas noyr en deux fils au d. pris de quinze aulnes. — Une pièce de taffetas saugeant du d. pris de neuf aulnes. « Plus une pièce de taffetas gris du d. pris de VIII aulnes. — Une pièce de taffetas noyr du d. pris, de VII aulnes et ung quart. ■— Une pièce de taffetas incarnat du d. pris de XIX aulnes et un quart. — Plus demye aulne de taffetas bleu du d. pris. — Troys quarts de taffetas blanc du d. pris. — Demys tiers de taffetas gris du d. pris. — Deux tiers de taffetas gris du d. pris. — Une pièce de taffetas viollet de VIÏÏI
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aulnes troys quart. ■—Une pièce de taffetas incarnat du d. pris de cinq aulnes deux tiers. — Une aulne et demye taffetas vert du d. pris. — Une pièce de taffetas rouge en quatre fils du pris de XXX s. l'aulne. — Quarante aulnes de soye tannée du pris de VIII s. l'aulne. — XXII aulnes de soye blanc du pris de V s. l'aulne. — XXXVI aulnes soye viollet du d. pris, — XXVI aulnes soye viollet du d. pris. — IX aulnes un quart de soye ondée du d. pris. — Une aulne ung quart soie tanaée ondée de VIII s. l'aulne. •— Seize aulnes soye incarnat du pris de V s. l'aulne. — XV aulnes soye noyr ondéedupris de V s. l'aulne. —L aulnes de ruban noyr à bonnet du pris de XII s. l'aulne. — Une pièce entière desarged'Arras fine du pris de XVI 1. la pièce. — Une autre pièce desarge d'Arras entière du prix de XII1. la d. pièce. — Une autre pièce sarge entière fine du pris de XII1. la d. pièce. — Une pièce de demye ostade noyrefine du prix de VI Lia d. pièce. •— Une autre pièce demye ostade noyre. »
La prospérité des ateliers se maintenait par le labeur persévérant des ouvriers et aussi par l'appui qu'ils trouvaient ordinairement auprès de l'administration. En décembre 1540, François Ior ordonna de marquer les étoffes de soie fabriquées à Tours : la marque sera apposée sans frais par un des jurés, en présence de deux notables délégués par le corps de ville. Au mois de juin 1542, le roi confirma les statuts de la Corporation, et nous ajouterons qu'en décembre il porta les statuts, ordonnances et édit de fondation des passementiers, rubanniers et boutonniers d'or et d'argent et de soie, de la ville et faubourgs de Tours et de Luynes. Un écrivain bien connu, Thibault le Pleigney, témoin de cette prospérité, écrivait en 1541 : « Il n'y a ville pour le jourdhui en crestienté ou il se fait tant de draps de soye que en la ville et faubourgs de Tours, pareil-
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lement se faict grande quantité de fustaine, serges, demye ous-tades, tapisserie, rubans, coustes, broderies, et tant d'autres choses qu'il n'est possible d'en écrire la moitié ». De son côté, MarinoCavalli, ambassadeur vénitien, tout en constatant la présence d'ouvriers de Venise, de Gênes etdeLucques, avoue que les ouvriers français de Tours travaillent fort bien les soyes apportées d'Italie et d'Espagne, que la fabrique prend un vaste développement et qu'on y compte 8,000 métiers '. Les arts se donnaient la main et concouraient dans une harmonie féconde à faire de la ville de Tours la seconde métropole du Beau en France. Les tapissiers exécutaient des tentures remarquables, dont nous possédons des spécimens dans la suite de la Vie de saint Pierre conservée à Saumur ; l'un d'eux, Jean Duval, fournit notamment une pièce de « menue verdure » de haute lisse « par luy faict » pour « mectre sur la table en l'ostel » de ville. Mais les édiles n'avaient garde de négliger de faire appel à l'habileté des ouvriers en soie toutes les fois qu'une fête se présentait. A l'occasion de l'entrée du gouverneur de Tours, on fit un « pesle » de damas rouge à une fleur de satin bleu et rouge, qui fût fourni par le marchand Nicolas Houtouan, auquel le receveur paya 52 1. 4 s. 2 d., en 1545.
Cependant, nous l'avons déjà fait remarquer, la'concurrence donnait, pour ainsi dire, du fil à retordre aux ateliers tourangeaux. De bonne heure, la ville de Lyon avait obtenu un privilège par lequel les soies que les marchands de Tours achetaient en Italie devaient payer un droit en passant dans leur ville. Cet état de choses constituait une sorte de vassalité qui ne pouvait qu'hu1
qu'hu1 décoration du pays et duché o}e Touraine. — Les grandes usines, 1870, t. IX, p. 200, 280.
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milier la capitale de la Touraine, en même temps que lui causer un sérieux préjudice. En 1544, la souffrance se faisait assez gravement sentir ; l'édilité s'émut et fit une démarche auprès des pouvoirs publics. Les délibérations de l'hôtel de ville nous ont conservé l'écho de ces préoccupations. « A la requête, y lisons-nous, de syre Bernard Forcia, Jehan Auchez, Jehan Hubaille, Philippe Quartier et autres, donnèrent avis que des marchands étrangers de Lyon vouloient suprimer la manufacture de Tours ; sur ce on convint d'envoyer maistre Charles Porte, advocat au siège royal de Tours, à la cour pour remontrer au conseil du Roy l'interest que souffriroit la d. ville si le privillège donné par le d. seigneur à certains personnages privés pour la distribution pour les soyes crues avoit lieu : a esté ordonné que le d. Porte iroit vers le conseil et recevroit pour cela vingts escus soleil ».
Par suite de la requête, faite « par les ouvriers et marchands de soye de ceste d. ville », en raison d' « aulcuns advertissemens quilz dient avoir eu de Lyon que les marchands estrangers de la d. ville de Lyon veuilloient suprimer la manufacture de draps de soye en ceste ville de Tours », et en vertu de la délibération municipale, le mandataire tourangeau se rendit « diligemment à la Court ». La cause était trop juste pour ne pas rencontrer un accueil favorable auprès du souverain, d'ailleurs si parfaitement disposé envers la Touraine. Par lettres patentes de 1545, François Ier, considérant que la fabrique a pris une telle importance que « le demeurant du royaume s'en trouve grandement fourni et pourveu », ordonna l'établissement à Tours de deux foires franches, chacune de quinze jours ouvrables, l'une le 8 mai, et l'autre le 15 septembre '.
^ Registres des comptes, t. LXXHI.
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Ces foires confirmées par Henri II en 1547, par François II en 1560 et par Charles IX en 1571, furent en vigueur jusqu'en l'année 1607. Une peste terrible survenue en ce temps éloigna si bien les étrangers qu'elles ne furent rétablies qu'en 1782, pour se poursuivre jusqu'à nos jours.
Nous avons constaté plus hautle rôle des maîtresjurés dans le fonctionnement de la corporation. C'est à cette époque que nous trouvons, pour la première fois, les noms de six de ces dignitaires. Ce sont Guillaume Charbonneau, Jehan Potier et Claude Nobileau pour l'année 1544, Guillaume Arnault, Guillaume Regnault et Guillaume Berthelot pour l'année 1545.
Les ateliers connurent un regain d'activité par suite de la liberté d'acquisition des soies et de la facilité de vente, résultant de la création des deux foires qui ont laissé leur nom à la place située entre la Loire et la rue Colbert. Les provinces de l'ouest continuèrent à s'approvisionner dans nos murs. Au mois de février 1549, La Vieuville faisait acheter à Tours les draps d'or, d'argent et de soie pour les vêtements de sa fille Marguerite, qui épousait M. de Segré,filsdeM. deLespinay,
La« très haulte princesse la royne d'Ecosse », la touchante Marie Stuart, fit son entrée à Tours, le 1er octobre 1548, en compagnie de « Mmo la duchesse de Guyse sa grant mère ». En cette circonstance, la ville commanda un dais « de damas cramoisi à bandes d'or » pour lequel le marchand Hector Drouin fournit 9 aunes et demie et toucha 481. 10 s. La corporation des ouvriers en soie tint à honneur de figurer dans le cortège de la charmante reine. Le receveur dépensa 68 écus d'or au soleil (153 1.), payés « par ordonnance de la d. ville aux compaignons filleurs de soye et brodeurs de ceste d. ville pour eulx ayder a eulx acoustrer à l'entrée faiete par la royne d'Escosse ». Un peu plus tard (1551), la ville
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acheta de « sire Drouiii » — c'est le terme du compte — une importante fourniture qui se montait à 200 1. 12 s. 6 d. et comprenait 19 aunes de velours vert « figuré », et 8 aunes de taffetas noir à gros grain.
Il est toujours intéressant d'interroger les témoins que leur situation et leurs qualités mettent mieux à même d'être bien renseignés. Si nous voulons savoir quelle opinion l'on avait alors du travail des ateliers des bords de la Loire, nous n'avons qu'à consulter le savant jurisconsulte Jehan Brèche, de Tours. Il nous répondra que « l'habileté des nombreux ouvriers en drap de soie et d'or l'emportait sur les ouvrages d'Asie, d'Attale à Babylone * ».
Ce n'est pas que tout fût rose et or dans la profession de fabricant et de marchand. En plus d'une occurrence il arriva que la fraude porta préjudice aux uns et aux autres. Mais alors les intéressés faisaient entendre leurs doléances, comme on disait alors, et l'administration s'empressait d'ordinaire de porter remède au mal. Ainsi des lettres royales de 1557 défendent à qui que ce soit, « fors aux maistres du d. état, de prendre proufict des éléments préparatifs d'ouvrages ». En outre, « afin d'obvier aux larcins des soyes qui se font par les devidandières, fillandières et aultres personnes, qui besognent soubz et par le concours des d. maistres, par le moyen desquels la ruine et la destruction de plusieurs sont arrivés », le roi confirma expressément le 30e article des statuts. Par là il interdisait à qui que ce soit de « porter vendre dans la d. ville etbanlieu soyes préparées, moulinées, de n'en acheter et vendre de la qualité susd. par revente secrette, à toutes personnes sinon qu'elles ache■
ache■ Verborum et rerum significatione, Lugduni, 1555.
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. tassent les d. soyes, en la ville et banlieue de Tours, des maistres et maistresses du d. art ou leurs commis et depputez, sur peine de confiscation et de 10 1. d'amende pour la première fois, et pour les autres, d'amendes et de pugnition ».
Du moins il y avait pour les maîtres des journées heureuses et, plus que tout autre, Marie St.uart, de douce et mélancolique mémoire, porta bonheur aux marchands de Tours. La jeune princesse avait épousé, au mois d'avril 1558, le dauphin François, qui ne devait pas tarder à ceindre la couronne. En 1560, le roi et la reine firent leur entrée solennelle dans la capitale de la Touraine. Le dais royal fut fait de 8 aunes de damas violet cramoisi, à 110 s. l'aune, et celui de la reine fut de damas rouge, à 4 1. 10 s. 6 d. l'aune. En même temps, la municipalité remit un riche cadeau à Marie Stuart et à François II. Le présent comprenait douze aunes de taffetas violet cramoisi en 12 fils, à 14 1. 10 s. ; 24 aunes 1/2 de taffetas noir en 12 fils, à 9 1. l'aune; et 12 aunes de taffetas rouge cramoisi en 12 fils, à 13 1.10 s. l'aune. La joie des hôtes, on le comprend, fut largement partagée par les fabricants de soie.
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IV
LA FABRIQUE ET LES GUERRES INTESTINES
Les ateliers de Tours nous sont apparus en pleine activité. Mais, hélas ! cette prospérité allait être gravement atteinte et sérieusement compromise pa*r les luttes politico-religieuses qui,pendant trente ans, jetèrent les arts et le commerce dans un marasme bien près de leur être fatal. On sait comment la Touraine eut à souffrir tout particulièrement de ces guerres fratricides, dont la religion n'était que trop souvent le prétexte et qui d'ordinaire masquaient des rivalités, des ambitions, des intrigues et des haines domestiques ou politiques. Quoiqu'il en soit, l'inquiétude, le malaise, la gêne et le chômage, résultat inévitable de ce duel de la nation contre elle-même, portèrent un coup terrible à l'industrie de la soie sur les rives de la Loire. Les inondations, les disettes et les maladies contagieuses, cortège douleureux des grandes calamités, accrurent encore les souffrances publiques.
En 1562, sous la conduite du prince de Condé et de ses gentilshommes, les églises et les couvents furent pillés par une soldatesque en furie, quimutilalesstatues, les bas-reliefs et les tableaux du plus grand prix, sans même respecter les tombeaux, et qui jeta dans le creuset les trésors inappréciables d'orfèvrerie merveilleuse, réalisés par les artistes delà contrée,en particulier par ceux des xive et xve siècles. Pour avoir une idée de l'étendue de ce crime 4e Jèse-majpsté artistique, pour
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ne parler que de ce côté de la question, il suffit de parcourir l'inventaire du Trésor de la collégiale de Saint-Martin, avant le pillage par les Huguenots, donné dans l'ouvrage de Gervaise, et aussi celui de SaintGatien, publié dans les Mémoires de la société archéologique (t. XX, p. 326-334).
L'industrie ressentit d'autant plus cruellement le contre-coup de ces luttes et de ces ruines que la guerre entraîne toujours avec elle des réquisitions et des impôts extraordinaires ; l'effet est encore plus sensible quand il s'agit d'une industrie de luxe comme celle de la soie. Nous n'avons pas à raconter ici la série des représailles lamentables qui s'exercèrent dans un sens ou dans l'autre. Une des premières victimes, à la suite d'une outrage public au cours d'une procession dans le quartier des Carmes, fut un ouvrier en soie du nom de Pierre Victor (1564) ; puis, à l'occasion de l'assassinat de deux catholiques sur le pont de Tours,la foule pilla dans la rue du Cygne la maison d'un rubanier sur laquelle elle fit main basse (1565). La présence de Charles IX, à l'hiver de cette année, apporta comme un accalmie de trop courte durée dans ce milieu troublé. Le commerce de la soie y trouva son compte et, malgré la gêne des finances, les édiles commandèrent un riche dais de velours cramoisi, doublé de toile d'or et d'argent, semé de fleurs de lis d'or et rehaussé des armoiries du roi. En outre, on fit cadeau au souverain de 11 aunes trois quarts de taffetas cramoisi en douze fils à 10 1. l'aune, de 12 aunes trois quarts de taffetas bleu à 81.5 s., de 12 aunes de taffetas blanc à 81.5 s., de 6 aunes de taffetas incarnat et de taffetas vert à 30 s. « pour envelop« per les d. pièces ». Le fournisseur était sire Claude Proust, « marchant me ouvrier en soye à Tours 1 ».
l D' Giraudet. Histoire de Tours, t. II, p. 28-29.
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Aussi bien Charles IX avait donné à l'industrie et au commerce une preuve de son bon vouloir par la création de la juridiction consulaire à Tours, en 1564 (n. s.). Ce tribunal, qui avait son siège à l'hôtel des marchands, si magnifiquement reconstruit en 1757-1759 tel qu'on le voit auj ourd'hui, connaissait souverainement des affaires entre marchands, jusqu'à la somme de 500 livres et sous la réserve de l'appel au présidial. Il se composait d'un grand juge, de deux consuls, élus le premier vendredi non férié de chaque année. Les consuls étaient nommés pour deux ans et l'on choisissait parmi les anciens consuls le juge nommé pour une année : il y avait en outre douze conseillers à la nomination des consuls. Cette institutionjudiciaire a survécu aux changements politiques, sous le nom de tribunal de commerce.
D'ailleurs, en dépit de la détresse de la caisse du receveur, la ville de Tours continuait à mériter son renom de libéralité vis-à-vis de ceux dont elle souhaitait reconnaître les bons offices. N'était-ce pas en effet le meilleur moyen de faire connaître en tous lieux les produits de la manufacture et de témoigner de l'intérêt aux ouvriers et aux marchands ? A la demande des édiles, le marchand André Quantin livra, vers l'automne del567, une aune trois quarts de taffetas noir pour « l'advocat qui plaidoya la cause de la ville aux grands-jours à Poictiers contre les habitants de SaintPierre du Boille ». Il fournit en outre, la même année, 8 aunes un quart de taffetas blanc, « dont fust faict présent à plusieurs gentilzhommes, comme secrétaire, varlet de chambre, maistred'hostel, maréchal des logis et autres de la maison de Mgr de Monterud, gouverneur aud. Tours » ; il s'agit du lieutenant-général Innocent Tripier sous le gouvernement de Louis II de BourbonMontpensier. Au printemps de l'année suivante, le même André Quantin, de concert avec Benjamin Ga-
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rance, sieur du Pavillon, famille dont le castel, paroisse de Saint-Genoulph, garde encore les armes parlantes, vendit du taffetas noir, gris, vert, jaune, et du velours noir, pour la somme de 141 livres ; le présent était destiné à « Mgr Rivière Pintaille, chevalier de l'ordre du roy, qui auroit commandé en la ville en l'absence de Mgr le prince Daulphin », et aussi à deux officiers du d. seigneur.A son tour, au mois d'octobre suivant, le duc d'Anjou, frère du roi et lieutenantgénéral pour le souverain, recevait un riche cadeau, et la soie blanche pour le dais venait de chez Jean Poitevin.
L'entrée, à la fin de l'hiver de 1570, du « maréchal de Cossé gouverneur et lieutenant général pour le roy », fut l'occasion d'une dépense de 254 1. 4 s. en soie noire et jaune, fournie pour « le poésie » par les marchands Claude Robin et Pierre Denys. De son côté, Jean Beaugendre, « marchant me ouvrier en soye », vendit, tant pour le dais que comme cadeau à faire au maréchal, une fourniture de 3 aunes 1/2 de taffetas jaune et noir « velouxté » à 100 s. l'aune, et de 12 aunes 1/2 de velours rouge cramoisi « figuré à poil couppé et non couppé », à 7 1. 10 s. l'aune, ce qui formait un total de 116 1. 5 s.
La ville n'avait pas épuisé ses largesses en étoffes sorties des ateliers tourangeaux. On la voit faire un don de soie « velloux noyr » au secrétaire de M. de la Chastre, par les soins du marchand René Phelippes, sieur du Petit-Boys ; de satin noir et gris aux officiers de la maison du maréchal de Cossé par Nicolas Drouin (1571) ; de taffetas noir gros grain,offert au secrétairedu maréchal par l'organe de Jean Poitevin ; de velours rouge cramoisi figuré et satin blanc à Mgr de Prie, lieutenant général en Touraine, BlésoisetLoudunois, velours fourni par Michel Renard et André Quantin (1572).
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L'âge d'or de la Touraine touchait à sa fin et ses derniers rayons s'éteignaient progressivement à mesure que la cour s'éloignait du jardin de la France. Cet éloignement porta un grave préjudice à la cause des arts en général et tout particulièrement à l'industrie de la soie. Lorsque Louis XII et François Ier quittèrent définitivement les rives de la Loire pour se rapprocher de Paris, les commandes royales de soieries, aussi bien que d'orfèvrerie et d'armurerie, furent adressées aux ouvriers de la capitale. Tout d'abord on tint à garder les premiers fournisseurs, ^quelque temps du moins, et les achats se partagèrent entre les maisons de Tours et celles de Paris ; puis on ne connut plus guère que les marchands établis sur les bords de la Seine. La conduite de Catherine de Médicis nous montre bien l'orientation des tendances de la cour au milieu du xvie siècle. On prétend que la reine songea à installer à Orléans une fabrique de soieries et de tapisseries. Quoi qu'il en soit, en qualité sans doute de dame de Chaumont et de Chenonceau, elle fit encore certaines acquisitions dans les magasins de Tours, en particulier chez le me brodeur Albert Gommart; mais les Comptes de la souveraine nous montrent que les commandes devinrent de plus en plus fréquentes au profit des fournisseurs delà capitale.
Encore un peu et le dualisme de la nation arrive à l'état exaspéré. Avec ses alternatives douloureuses de succès et de revers pour chacun des camps, avec ses trop rapides éclaircies de trêves suivies d'une recrudescence de haines et de violences, lalutte entra dans une phase plus aiguë sous les règnes de Charles IX. et de Henri III.. Chaque bataille était comme une brèche béante ouverte dans la fortune publique et dont l'industrie tourangelle recevait l'amer contre-coup. En vain pour encourager le travail et favoriser le crédit
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essaya-t-on d'enrayer la concurrence étrangère, toujours prête à bénéficier des angoisses de la patrie. Le protectionisme ne pouvait suffire à rétablir l'équilibre économique rompu et l'édit du chancelier Birague, portant des prohibitions relatives à la sortie des matières premières et à l'entrée des matières ouvrées, fut un remède sans efficacité (1572).
La réunion des états du royaume à Blois, le 6 décembre 1576, parut tout d'abord de nature à produire une détente et à calmer les anxiétés. Le tiers état de Touraine délégua Jean Mesnager en le chargeant de transmettre tout spécialement les doléances de la fabrique. C'est avec une vive préoccupation que l'on voyait la manufacture décroître au profit de celle de Lyon, et cette inquiétude se fait jour dans les doléances de nos compatriotes. On ne saurait trop déplorer la conduite de certains marchands tourangeaux, qui s'entendaient avec ceux de Lyon pour accaparer les soies ; ils les payaient neuf livres et les revendaient onze (le marc d'argent valant 12 1. 15 s.), ce qui était cause que les fabricants des rives de la Loire ne pouvaient soutenir la concurrence avec ceux des bords du Rhône, la culture du ver à soie n'étant pas encore pratiquée en Touraine.
Mais, hélas! la gravité des événements politiques, les vexations causées par le passage et par le séjour des gens de guerre, dont on retrouve l'écho dans plusieurs ordonnances sorties des presses de l'imprimeur Jean Siffléau (1577), ne devaient pas suspendre leurs funestes effets devant les velléités impuissantes d'une assemblée livrée aux dissensions intestines. D'autre part, la peste vint ajouter à ces souffrances son terrible contingent de désastres et aussi les affres d'une panique, pire que la maladie elle-même. L'importation des soies se ressentit, en première ligne, des atteintes
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du fléau, et une délibération du corps de ville, au mois de mai 1577, se rapporte aux mesures qu'il convient de prendre au sujet de (f l'entrée des marchandises de soye en ceste ville pour éviter la contagion ». Cependant il faut rendre à la municipalité cette justice qu'elle ne négligeait aucune occasion de soutenir le courage des ouvriers et la résolution des marchands, en particulier par les présenté de soieries qu'elle continuait à faire aux personnages de marque. Tantôt, le marchand Jean Beauchaire fournit 6 aunes 1/4 de taffetas blanc à quatre fils et 4 aunes de taffetas orange, au prix de 35 s. l'aune, « deppartiz à huict hommes portans hallebardes ordonnez près la personne du sieur général Le Blanc pour l'assister à l'entrée de Mgr frère du roy en ceste ville» (1577). Tantôt, Claude Robin et son gendre Thomas Bourreau vendent une pièce de taffetas au prix de 41 écus 3 s. 9 d. à titre de « présent à aulcuns de messieurs du conseil du roy » (1579). Tantôt, Jacques Chesneau, sieur de la Rabière et élu de la ville, livre 7 aunes de taffetas noir pour un premier cadeau et, d'autre part, 5 aunes du même taffetas destiné à M. de Cangé « pour le récompenser d'aulcuns plaisirs par luy faictz à la d. ville lorsque Mgr estoit au chasteau du Plessis » (1580).
Le prolongement des mêmes douleurs produit la continuation des mêmes plaintes. Le monde du travail profita de la réunion des états généraux à Blois, en 1588, pour adresser ses doléances à qui de droit. Le tiers état, « la larme à l'oeil » suivant ses expressions, rappela les souffrances du peuple, causées spécialement par « les continuelles guerres, famynes et malladyes contagieuses », ainsi que par « les tailles et taxes » croissantes qui en sont la conséquence, si bien « qu'il n'y a paroisse qui ne soit taxée et cottisée dix ou douze
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foys plus que lors du règne du roy Loys douziesme ' ». A leur tour, les prolétaires et les ouvriers du commun se plaignent amèrement contre les privilèges, en vertu desquels les nobles et gens de la suite des grands seigneurs sont exempts de certaines charges et impôts ; ils réclament également contre les privilèges des « officiers, ouvriers et monnoyers de la monnoye », qui se font affranchir « des huictiesme et imposition du vin en gros de leurs cruz ». Enfin ils protestent vivement 'contre ce fait que « les ouvriers en draps de soye ont tel et semblable privilleige que les ditz ouvriers et monnoyers de la d. monnoye, ce qui est cause que les levées de deniers viennent à plus de double charge aux d. habitans, car bien que ces d. prétenduz privilleigiez ne soient tous en nombre que les autres, sy sont-ils plus que la moitié de la d. ville en forces et facultez, comme estant les plus riches etoppulents, » comme on peut « voyre par le roolle ».
Le chapitre des remontrances, relatives à la police, renferme une série d'articles qui touchent la manufacture de soieries et que nous transcrivons : « Qu'il plaise au roy que toutes marchandises de soyes, fabriquées en la ville de Tours, puissent estre librement vendues parles marchands du d. Tours, ou leurs facteurs, en la ville de Paris et autres villes de ceroyaulme, soyt en temps de foire ou hors foires, ainssy qu'il avoyt accoustumé à faire par le passé, pourveu que les pièces àyent esté visittées et marquées par les maistres jurés ouvriers en soyes du d. Tours.
« Que défiances soyentfaictes aux marchands de draps de soye de la d. ville de Tours de faire bancques, bourses et associations pour achapter soyes écrues en
i Ce Cahier a été publié par M. CH. DE GRANDMAISON, Bulletin tlelaSnc. arch., I. V.II, p. 28, etc.
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la ville de Lyon par eulx ou par personnes interposées, pour par un monopole faire tomber en leurs mains toutte la plus grande partye des d. soyes écrues qui sont mises en ventes au d. Lyon, affin que les autres marchans et ouvriers en draps de soye soyent contraincts de les prendre achapter à tel prix que bon leur semble et enchérir par ce moyen les d. soyes a Tours. Défiance estre faicte d'achapter et vendre de main en main au d. Lyon les dites soyes achaptées par les dits marchans du d. Tours pour les regrater et les enchérir aux d. ouvriers, le tout sur peyne de confiscation des d. soyes et d'amande arbitraire.
« Que doresnavant les marchans qui baillent les d. soye écrues aux d. ouvriers pour ouvrer, reprendront les d. ouvrages procédans dicelles soyes à mesme poix livre et once quil les auront baillez aux d. ouvriers. Que les ouvriers des d. draps de soye demourans au d. pays de Touraine et qui se sont esloignez de la d. ville pour ouvrer à leur liberté, altérer la marchandise et esviter la Visitation dicelle affin quil ne fussent reprins, seront tenus apporter leur d. marchandise en la ville de Tours pour estre vue et visittée par les maistres jurez du d. estât et marquez, si faire se doibt, auparavant que de la pouvoir exposer en vente, pour esviter aux frauldes et abus qui si commettent au grand préjudice du publicq, sur peyne de confiscation des d. marchandises, de pugnition corporelle et d'amende arbitraire, et seront subjectz à la Visitation par les d. maistres jurez, encore quils soyent demourans hors la d. ville et banlieue.
« Plus que soyent faictes défiance a tous marchans de trafficquer et faire venir en ce royaume aucuns draps de soye de la fabrication de Genesve sur pareille peyne de confiscation des dites marchandises et d'amande arbitraire, affin de ne fortiffier les hereticques et ennemiz du royaume par le moyen de l'achapt
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des d. marchandises, et que le proffict de la fabrication des d. soyes demeure en ce d. royaume ».
La mort tragique de Henri III n'était pas de nature à favoriser l'initiative industrielle et les transactions commerciales. Le transfert du parlement à Tours et la présence de la cour sur les rives de la Loire, en compagnie d'une colonie de magistrats, de fonctionnaires, d'artistes et d'artisans, parut rendre quelque activité à la manufacture. Afin de gagner le nouveau roi à la cause de l'industrie tourangelle, lors de son entrée en ville le 21 novembre 1589, la municipalité lui offrit en cadeau quatre belles pièces de soie. Mais ce n'était guère là qu'une sorte de trompe-l'oeil : les angoisses, l'épuisement, les souffrances de toutes sortes, dont on saisit le dolent écho dans les cahiers de la nation et dans les mémoires du temps, ne permirent pas aux efforts des ouvriers d'aboutir à un succès solide et durable.
Une fois de plus, il fallut recourir aux mesures de protection pour défendre l'industrie nationale contre l'étranger. En 1590, le conseil royal admit en principe l'interdiction des marchandises venant du dehors. L'année suivante, sur la réclamation des fabricants de Tours, appuyée par quelques Lyonnais, on promulgua l'édit de prohibition. Ses résultats furent éphémères comme sa durée et il est avéré qu'en l'an 1600 les marchandises étrangères franchissaient librement notre frontière. D'autre part, on sait comment le ministre de Henri IV portait toutes ses préférences du côté de l'agriculture. L'édit somptuaire, que le roi rendit en janvier 1593, sur les conseils de Sully, ne pouvait que causer préjudice aux ateliers de Tours en interdisant de porter des passementeries, galons et broderies d'or et d'argent sur les vêtements. Cette ordonnance, qui avait pour but d'empêcher' que l'on détournât une grande
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quantité de métal précieux, nécessaire à la fabrication de la monnaie, indisposa la classe riche, et pour faire exécuter la mesure, au moins pendant quelque temps, on jugea à propos d'édicter une exception en faveur des femmes de mauvaise vie.
A ne considérer que la beauté des étoffes et l'empressement que l'on mettait à les rechercher, Tours avait toujours lieu de s'enorgueillir de sa manufacture. Un des habitants les plus illustres, François Bouguereau, le célèbre imprimeur du premier Atlas national, écrivait dans Le Théâtre Françoys (1594) : « Le trafic de la soie y abonde et sy faict d'autant beaux draps d'or et d'argent, velours, satins, taffetas et camelots en aussi grand nombre qu'en ville du monde ».
Néanmoins, à la fin du xvie siècle, l'état de la manufacture inspirait des craintes sérieuses pour l'avenir. La réunion des états à Rouen, en 1596, fut pour « la communauté de la ville » une nouvelle occasion d'exprimer l'inquiétude générale que l'on ressentait et qui était encore accentuée par le projet de levée de subsides. Nous lisons dans les doléances de la cité, arrêtées le 30 octobre : « Quant l'on projecte au corps de ville la levée des sommes, il s'y présente tant de difficultéz pour la pauvreté du peuple que ces choses sont comme rendues impossibles, car comme auparavant ce quirestoitdeplus de moiens en lad. villeproceddoit de l'affluance des habitans dicelle, du trafficq de la marchandise, spécialement du corps des ouvriers en soye, des sergetiers, rubanniers, passementiers, et autres mestiers qui estoient en grand nombre, au contraire, par la deffluance dud. nombre de peuple, lad. ville s'est entièrement apauvrie.
« De faict il seroit aysé a viriffier par esart qu'au corps des d. ouvriers en soye, auparavant les dictz troubles, il' y avoit plus de huict cens maistres ouvriers,
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et plus de six mil compagnons ouvrant sur les métiers, • car il y avoit tel des susdicts maistres qui avoit soubz lui 40 mestiers et plus, soubz le trafficq du quel à dévider et préparer les soyes estoient entretenues plus de trois cens personnes, et peut-on dire avecques vérité que du trafficq des d. corps d'ouvriers en soye et manefacture de la soye étoient nourriz plus de quarente mil âmes tant en la ville fauxbourg que environ, aiant esgard que chacun des d. maistres, des compagnons et autres de lad. ville fesoient aultant de famille. « Or maintenant au contraire, il ne reste pas plus de deux cens maistres et plus aulcuns compagnons ne apprentis, la plus part desquelz maistres sont sy pauvres qu'ilz n'ont pas le moien de lever mestier et travailler pour les autres maistres comme fesoient les compagnons et à dévider, en sorte que au lieu que la manefacture des draps aporte de trafficq en la d. ville plus de deux millions d'or par chascun an aiant esgard qu'il semployait en chascune année plus de mil balles de soye escrue, chacune balle de la valleur de llm livres et plus, revenant seullement au tier de la valleur du drap manufacturé, oultre les soyes façonnées et draps estrangers dont le trafficq estoit aussy fort grand par les autres marchans bourgeois de la d. ville. Maintenant se ne semploye pas la quantité de cent balles de soye. Et encore le malheur est que tel par l'intelligence et monopolle d'aulcuns particuliers estrangers que les soyes sont plus vendues aulx ouvriers qu'ils ne peuvent tirer de leurs draps estant façonnez, ne pouvant avoir moien de recouvrir des soyes à Lyon à l'occasion que les d. estrangers et leurs associez les arrestent à la dessente ».
Le texte des « plainctes et doléances » ajoute que « le semblable se pourroit discourir des autres mestiers mesme des sergetiers, desquelz le nombre estoit tel et
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le trafficq sy grand que leur ouvrage s'étendoit par toute la France, et il ne reste pas en nombre trente feux pauvres ».
Le tableau officiel qu'on vient de lire parle bien haut. La guerre intestine, aveclecortègedeplaiesqu'elle traîne toujours après elle, avait éprouvé douloureusement la manufacture. Nombre d'ouvriers quittèrent la ville et les ateliers ne tardèrent pas à chômer. Avant les troubles on comptait, à Tours, plus de 800 maîtres ouvriers en soie, de 6000 compagnons ouvrant sur le métier, et de 300 personnes occupées à dévider, tandis qu'une foule d'autres travaillaient à teindre et apprêter la soie. On a évalué à près de 40,000 le chiffre des personnes qui, tant dans la ville que dans les faubourgs et les environs, vivaient de cette industrie. Or, d'après l'état de 1596, remis à l'assemblée des notables de Rouen, il ne restait plus que 200 maîtres et « plus aulcun compaignon ni apprenti » ; encore la détresse de ces maîtres était si grande qu'ils étaient réduits à besogner pour les autres. Naguères la manufacture produisait, chaque année, plus de deux millions de livres et employait au moins mille balles de soie écrue, valant chacune 2,500 livres ; à cette époque, on employait à peine cent balles. Les difficultés étaient telles que les fabricants pouvaient à peine vendre leurs produits, sans compter qu'il leur était •presque impossible de recevoir des soies, les étrangers en arrêtant le transit sur le cours de la Loire (Arch. Municip., AA, liasse 5).
Les états de Rouen entendirent les réclamations» mais ils ne prirent pas de mesures pour remédier au mal, et les industries continuèrent de végéter de plus en plus. Pourtant comment se résigner à voir sombrer une manufacture qui faisait jadis la gloire et la fortune de la cité ? On dit tant de bien de l'activité d'esprit, de la
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bonté de coeur et de la sagesse de gouvernement du nouveau roi, l'aimable et généreux Béarnais ! Pourquoi jie pas tenter une suprême démarche auprès du souverain, qui doit vouloir la poule au pot pour l'ouvrier des villes aussi bien que pour le travailleur des campagnes ? En 1598, l'année même de la promulgation pacifique de l'édit de Nantes, le maire adressa au roi une supplique, qui renfermait la peinture de la misère extrême des habitants.
« La pauvreté, dit-il, est causée par le défaut et entre tenement des ouvrages et manufactures de soyes, estant le d. estât et art tellement demouré anéanty, que grand nombre de maistres ouvriers qui y étoient auparavant les troubles de huit cents et de plus de quatre a cinq mille métiers et de trois a quatre mille compagnons, avec infini nombre de personnes de tous âges, et jusqu'aux petits enfants de quatre a cinq ans et autres invalides ne pouvant en autres vacations gagner leur vie, tous les quels néanmoins trouvoient secours suffisant du d. art pour leur nourriture; maintenant que fort peu de maistres et de compagnons sont de reste, ayant été contraincts de quitter la ville, et en outre de mandier leur vie. N'étant possible de remettre, et rétablir le d. état en sa splendeur, et que par la même que la d. ville ne se peut remettre et rétablir en l'état qu'elle était sinon que la d. manufacture de draps et passements, et autres ouvrages d'or, d'argent et de soie étrangers fut défendu en ce royaume, sous le bon plaisir de sa Majesté, nous auroit sa d. Majesté ordonné et commandé, comme encore depuis, passant par cette ville, après s'être informé du" fait cy dessus, de députer vers elle personnages capables, en sa ville de Paris, lorsqu'elle y seroit arrivée, afin d'être pourvu par elle-même en conséquence. »
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V HENRI IV, RICHELIEU ET GOLBERT
La ville de Tours, en plaidant sa propre cause, soutenait les intérêts de l'industrie nationale, et Henri IV, aux vues élevées, sages et véritablement patriotiques, ne pouvait manquer de faire droit à une aussi juste requête. La diplomatie féminine joua-t-elle, elle aussi, un rôle dans l'affaire? On serait tenté de le croire en constatant l'intervention de la belle Henriette de Balzac d'Entraigues. Ce qu'il y à de certain, c'est que par l'entremise de la puissante favorite, on obtint du roi le maintien d'une taxe d'octroi de 3 s. 9 d., imposée sur le sel. En reconnaissance de ce service, par délibération du 8 mars 1600, le maire fit décider que l'on offrirait à Mme d'Entraigues une pièce de drap de soie, or et argent. On s'adressa, à cet effet, à l'un des maîtres les plus habiles, le sieur de Faine, qui fut chargé de fournir 25 aunes de drap d'or à raison de 2 écus l'aune; le trésorier de la ville lui avança80 écus comptant (Reg. délib. XXVII).
La situation de la fabrique, avons-nous dit, était dans un marasme voisin de la ruine. Quel remède apporter au mal? Avant tout, il importait d'entretenir l'établissement en alimentant la source elle-même par l'élevage des vers à soie et par la plantation de mûriers. Un édit royaldu 21 juillet 1602 ordonna de planter des mûriers auprès des villes de Paris, de Tours et d'Orléans'. La municipalité tourangelle acheta en
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Languedoc trente livres de graine à 40 s. la livre, et vingt mille jeunes plants à 33 1. 7 s. 6 d. le mille; on fit comme une pépinière dans les bastions du rempart que caressaient les rayons du soleil du midi. Les arbres se développèrent vigoureusement dans le sol des fossés, et il n'y a pas longtemps l'on voyait encore des rejetons de cette superbe végétation. Le roi encouragea ce mouvement et, par brevet du 23 février 1607, autorisa Fontaine, capitaine du château du Piessis, à planter des mûriers blancs dans une terre auprès des murailles du parc ; la surveillance en fut confiée au sieur Taschereau des Pictières. Il y a plusieurs années on observait encore quelques mûriers entre la levée du Ruau Sainte-Anne et le clos dû Plessis, et actuellement, auprès de la porte du palais royal délaissé, on remarque un dernier survivant de cette plantation.
Henri IV prit en outre des mesures pour favoriser le développement du travail de la soie. Tout naturellement les règlements édictés par le roi devaient rencontrer de l'opposition de la part des marchands, qui vendaient des étoffes importées de l'étranger. Sur l'invitation du lieutenant-général du gouverneur, on assembla le corps de ville, en juillet 1604. La délibération, prise en cette circonstance, indique bien tout à la fois l'état de la fabrique et la volonté du souverain de soutenir résolument l'industrie tourangelle.
« Aujourd'hui 23 juillet 1604, a esté par nous maire rapporté à la compaignie pour ce assemblée, que naguères il aurait esté mis en nos mains de l'ordonnance de M. le lieutenant-général, du 28e jour de juing dernier, certaines lettres patentes du roy en forme de déclaration, du dixième jour dud. mois de juing, signées par le roi en son conseil, et scellées du grand sceau avecque le procès-verbal par lui faict sur la présentation et exécution desdites lettres par lesquelles
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Sa Majesté, de l'advis de son conseil, dict, déclare, veut, ordonne et lui plaît suivant son édit du mois de janvier 1599, vérifié en sa cour du parlement,
« Que les maîtres-ouvriers en draps d'or, d'argent et de soye de ceste ville de Tours qui voudront faire les draps de soye des façons de Milan, Gênes, Gènesve, Luques, Florence, Venise, Naple, Boulogne, Reggio, Modène, Chambéry, Avignon, Espagne, et autres villes et provinces estrangères font, et leur permet de faire la fabrication telle et semblable et de la mesme nature, qualité et estoffes qu'elle se faict es lieux et villes ci-dessus déclaré, sans innover, altérer ni changer, ny que iceulx ouvriers puissent être empêchés en la manufacture par les jurés et autres personnes que ce soient, pour par nous en estre faictrapport en l'assemblée de laditte ville, et sur ce donner advis, pour icelluy veu par ledit sieur lieutenant-général et rapport estre ordonné ce qu'il appartiendrait par raison, et apprès avoir faict faire lecture desdictes lettres de déclarations, ensemble dudit procès-verbal faict par ledict sieur lieutenant-général contenant les divers advis donnés tant par les maistres jurés dudict estât que grand nombre de maistres particuliers en icellui, sur la commodité ou incommodité de l'establissement et introduction en ceste ville et faulxbourgs, ensemble par les marchands bourgeois pour ce premier officier par ledict sieur lieutenant-général.
« Et sur le tout ayant été par nous communiqué et conféré tant avecq lesdits maîstre jurés que maistres, particuliers requérant l'exécution desdictes lettres, pour le mander sur la commodité et incommodité qu'apporterait en ceste ville ladite nouvelle fabrication, tous lesquels auraient respectivement persistes chacun en leur advis porté par le procès-verbal et soutenu par lesdits maistres ; particuliers icelle fabrication estre
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bonne, loyalle et marchande, voire même de plus beau et meilleur usage que celle qui se feroit de soye cuite et non crue, pour les raisons portées sur leurs advis et que par la conférence mesme des ouvrages des ungs aux aultres, que nous avons à cette fin fait faire sur plusieurs pièces représentées en ladite assemblée, les unes fabriquées en ceste ville de soie cuite, tant en la trame qu'en la chaisne, et d'autres pièces façonnées à Milan etaustres villes estrangères, où il y a de la soye crue par le moyen de laquelle ils nous ont fait voir que le poil en est plus plein ou serré que celui desdites pièces de soye cuite, qui faict quelesdictes pièces estrangères se trouvent plus belles et plus fermes que les autres, es quelles il convient par nécessité mettre de l'eau gommée qui apporteroit plus de diminution de bonté aux manufactures que ne peut faire ladicte soye écrue, qui s'y doibt mettre pour être vénale.
« Ce qu'ayant été considéré et que le seul et unique moyen pour retenir l'or -et l'argent qui se transporte hors du royaulme et mesme de cette ville pour l'achapt des dictes marchandises étrangères, est d'en introduire et admettre la manufacture et fabrication en cette vile ; par le moyen de laquelle grand nombre d'ouvriers n'ayant les moyens de faire de grands draps, travailleront incessamment et retiendront à eux le grand profit que soulloit faire l'estranger et en outre. y employèrent grand nombre de pauvres enfants mandiants pour tirer aulx métiers les étoffes.
« Sommes d'advis pour le bien public et augmentation duditartdela soye que l'introduction et establissement des manufactures doit estre fait en cette ville et faulbourg de la fabrique es façon estrangère suivant et conformément à l'entretient de sa Majesté portée par ses lettres patentes sans s'arrester, ny avoir esgard aux advis contraires d'aucuns ouvriers et marchands qui font
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et débitent plus de taffetas que d'autres ouvrages, et qui seuls font les achats des marchandises étrangères et distributions d'icelles où ils font un grand profit, ce que ne peuvent faire les mêmes marchands et artisans qui, par le moyen des dits établissements, pourroient en fabriquer de la mêmeestofîe et qualité que les dictes étrangères.
« Lesquelles estoff es et ouvrages sont subjets à Visitation par les maîtres jurés pour juger et congnoître s'ils sont de qualité requise, telle et semblable que les dites façons et marchandises estrangères. Et seront tenus en outre les ouvriers de mettre des marques aux pièces de leur fabrication pour respondre de la bonté d'icelles, à la charge toutefois que les d. ouvriers ne pourront mectre des d. soies crues aux bons velours doubles à poils et duny tant noire que de couleur, satins, damas, menus ouvrages et de tous bons taffetas, tous lesquels soient faicts et façonnés selon et en suivant les statuts du d. estât sur peine de confiscation, de pugnition corporelle, qui sera en ce faisant apporter grande utilité et commodité aux subjectz de sa Majesté, tant de ceste ville que des aultres de son royaulme. »
En même temps que le calme et la paix ramenaient l'espérance au fond des coeurs et au foyer des villes, ces sages dispositions contribuèrent au relèvement de la fabrique de Tours. Il est vrai que d'autres villes en profitèrent pour tenter d'installer des métiers. D'autre part, vers cette époque, J.-B. Letellier, marchand de Tours, publia un ouvrage sur l'art de fabriquer la soie ; c'était le premier traité technique qui paraissait sur ce sujet *. A T'assemblée des trois états du baillage à Tours, au mois de juin 1614, on émit le voeu qu'il plaise
' Chalmel. Histoire de Touràine, t. II, p. 441-42.
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au roi de faire observer les ordonnances sur la différence des habits,.de régler comment chaque état devra être vêtu, de ne permettre l'usage de l'étoffe de soie étrangère qu'aux princes, princesses et seigneurs de qualité, et que les autres personnes ne puissent porter aucun « passement » d'or et d'argent, mais seulement des draps fabriqués en France 1. Quoi qu'il en soit, le mouvement était donné et la manufacture devait y trouver son compte.
D'ailleurs, la Touraine allait avoir un protecteur dans la personne de l'un de ses fils les plus glorieux. Le cardinal de Richelieu, jaloux de donner une impulsion nouvelle à' l'industrie aussi bien qu'aux arts, aux lettres et aux sciences, porta toute son attention sur la manufacture de Tours. Le puissant ministre, « voulant, selon ses expressions, faire voir à Louis XIII que la France pouvait se passer des meilleures manufactures de ses voisins », accorda son appui à celle des bords de la Loire. Les palais de Richelieu, de Paris et de Rueil attendaient de somptueuses tentures ; il fit aux ateliers tourangeaux les commandes nécessaires pour l'ameublement de ces riches demeures.
L'action du cardinal exerça la plus féconde influence. Sous son ministère, on comptait à Tours 20,000 ouvriers en soie occupés à 8,000 métiers, et 700 moulins à dévider ; en outre, la rubannerie occupait 3,000 métiers, et la draperie comptait plus de 250 métiers et environ 120 maîtres. La prospérité de la fabrique, malgré les disettes et les épidémies, atteignit un si haut degré que nous lisons dans le testament politique du cardinal: « On fait à Tours des pannes si belles qu'on les envoie en Espagne et autres pays étrangers. Les taffetas unis (gros de Tours) qu'on y fabrique ont
i Archives de l'Hôtel de Ville, Cahier des Remontrances.
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un si grand débit par toute la France, qu'il n'est pas besoin d'en chercher ailleurs. Les velours rouges, violets et tannés y sont plus beaux qu'à Gênes ; c'est aussi le seul endroit où il se fait des serges de soie; la moire s'y fait plus belle qu'en Angleterre, les meilleures toiles d'or plus belles et à meilleur marché qu'en Italie. » Cette prospérité est constatée par un voyageur allemand, qui écrivait alors : « Tours est habité par beaucoup de gens riches, tant à cause de la fertilité du pays qu'à cause de son important commerce,, mais surtout parce qu'on y fabrique diverses étoffes de soie aussi bien qu'en Italie, et qu'on en fait un trafic considérable '. »
De temps à autre, il faut le reconnaître, quelque traverse faisait obstacle au parfait fonctionnement des divers rouages de l'organisme industriel. L'édit somptuaire de 1633 dut contrarier quelque peu les fabricants et les marchands, aussi bien que les dames et les gentilshommes. Abraham Bosse, le fin et habile graveur tourangeau, a laissé plusieurs estampes dans lesquelles il représente le chagrin des belles dames du temps de Louis XIII. L'une d'elles, montrant du doigt une caisse où elle va remettre ses riches vêtements, s'écrie :
Il faut serrer ces belles jupes
Qui brillent de clinquant divers :
On a pris les dames pour dupes
Leurs habits n'en sont plus cou vers.
Il est vrai qu'elle ajoute aussitôt non sans quelque hauteur et en déguisant son dépit :
Pour moy la soye et l'estamine Me touchent indifféramment Et j'auray tousjours bonne mine Pourveu que je sois proprement.
i P. Eisemberg. Itinéraire de France et d'Angleterre en 1614.
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Les fabricants ne prirent peut-être pas aussi facilement leur parti ; mais la mode releva bientôt la tète et, avec elle, on vit la bonne humeur réintégrer la maison des marchands et des ouvriers de Tours.
Le voyageur L. Godefroy, qui traversa la Touraine en 1638, nous a transmis le tableau de la visite qu'il fit aux ateliers. « Tant dedans que dehors la ville, on voit travailler à force en soye, sçavoir est la filer, la teindre et mettre en diverses oeuvres comme velours, satin, damas, tabis et taffetas; de décrire tous ces ouvrages, il serait grandement curieux, mais extrêmement difficile. Je m'efforcerai néantmoins de vous représenter de quelle façon se fait le tabis. Figurezvous une longue, large et épaisse table, icelle fort unie et eslevée de terre, et estant affermie sur des grosses pièces de bois, et sur icelle une autre table fort unie et séparée de la première, composée de plusieurs grosses poultres joinctes et serrées fort estroitement, supportant en plusieurs pièces de fonte ou pierre la pesanteur de 100,000 quintaux. Aux extrémités de cette dernière sont les chables tenant le tout en estât, lesquelles viennent aboutir à une fort grande roue que un cheval ou, à faulte d'iceluy, 8 ou 10 hommes font tourner et en même tems, selon divers aspects, advancer et reculer cet immense fardeau.
« Or, entre les deux susd. tables on met des rouleaux de cuivre couverts d'une toile, sur lesquels sont entortillez des pièces de taffetas (auparavant trempé dans certaine eau) couvertes d'une toile. Or iceux rouleaux étant ainsi pressés et remués, par cette machine prennent la figure des tabis, non à la vérité du premier coup qu'on les y met, mais bien à la dixième ou douzième. Après il y a les pressouers où sont mises telles pièces pour recevoir leur perfection. Les marques que je puis vous donner à ce que vous rencontriez commo17
commo17
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dément quelqu'un des lieux où cette sorte d'ouvrage se faict (on les appelle communément calendre) sera de vous enquester près l'église Saint-Pierre aux Pilliers (le Puellier) de la maison de M. Chaume et le prier de vous y en permettre la veue. Sa courtoisie satisfera comme je m'assure à votre curiosité, mais n'oubliez le vin des compagnons 1. »
La hiérarchie du travail, suivant les règlements et statuts du métier, comprenait trois degrés : l'apprentissage, qui durait cinq ans, le compagnonnage, qui comptait au moins trois années, et la maîtrise, qui permettait à l'artisan d'exercer pour son propre compte. L'entrée dans la maîtrise était soumise à plusieurs conditions, parmi lesquelles l'exécution du chef-d'oeuvre dont l'examen était soumis à l'appréciation des jurés. C'était tout à la fois une garantie de savoir et de probité professionnelle, en même temps qu'une barrière opposée au déclassement des candidats et à l'encombrement des situations sociales, qui sont les fruits de la liberté illimitée et sans contrôle.
Un procès-verbal va nous renseigner sur la' façon dont se passait l'examen dans la corporation des ouvriers en soie. Il s'agit de la réception de Pierre Chapuy, fils de maître. « Aujourdhuy treiziesme jour dapvril mil six cens trente neuf, nous Louis Martin, Pierre Séguin, Luc Charpentier, Jehan Brossier, xa"s jurés dès marchants et mes ouvriers en drap d'or, d'argent et de soye de cette ville et banlieue d'icelle, nous nous sommes transportez en la maison du sr Pierre Seguin, l'un des susd. jurez assistez du sieur René Besnard, procureur de la communauté, pour veoir et visiter une aulne de satin noir monté de 8 en 10, sui1
sui1 de la Société archéol., IV, p. 185.
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vant et au désir des statuts, par nous cy devant marqué Pierre Chapuy filz de me, et après avoir veùe et visitée lad. aulne de satin l'avons trouvée bien et deument faitte comme ilz apartient, avons mandez les maistres cy après nommez pour voir sy la jugeront capable d'estre reçue pour aulne de chef doeuvre, scavoir les sieurs Pierre Mahuet, Pierre Hardy, René Halouis, Thomas Brossier, Pierre Hallouis, Pierre Goussard, Jehan Delorme, Gatian Guiloche, Jehan Milsan, Charles Chauveau, Nicollas Chauveau, Barthélémy Barbie, Rauber Poulain, Simon Couturier, René Souviné, Charles Chapuy, Jehan Servois, Nicolas Ribault, Daniel Ribault, René Gripouilleau, et après que les maistres cy dessus nommez ont veue et visitée lad. aulne de satin, l'ont trouvée bien et duemant faitte comme il apartient, avons joing leurs avis aux nostres et avons fait ce présent procès-verbal pour servir ainsi que de raison » [Bibliothèque de Tours, ms.1259].
La bonne exécution du travail était garantie non seulement par les qualités reconnues de l'ouvrier, mais encore par le contrôle qui interdisait toute tentative d'innovation. Si nous jugeons les moeurs industrielles de cette époque avec nos modernes théories sur la liberté du travail et de la production, il nous paraît difficile de comprendre pourquoi l'initiative du fabricant était, pour ainsi dire, emprisonnée dans le cercle des statuts qui rendait l'industrie 'stationnaire, et il nous semble illogique, par exemple, de contraindre l'ouvrier à ne fabriquer que suivant telle laize, si telle autre luiestplus avantageuse. Mais il importe de ne pas oublier que ces règlements, gênants par certains côtés, étaient tout à la fois une protection pour le travail placé sous la sauvegarde des lois et une garantie pour l'acheteur, qui n'avait plus à redouter les fraudes, et que d'autre part
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« les anciens du corps » avaient la faculté d'en demander la modification auprès de qui de droit.
Plus d'une fois, les fabricants tentèrent de secouer le joug. A l'époque où nous sommes arrivés, quelquesuns essayèrent de modifier la laize ou largeur des étoffes, suivant leur bon gré. L'administration, préposée à l'application des règlements, fit saisir les étoffes, puis, après avoir donné main-levée et entendu les observations, on arrêta pour l'avenir les mesures jugées utiles. Nous exposerons l'affaire en empruntant le texte même de l'arrêté, fait au présidial de Tours à l'hiver de 1646.
« Nous disons en ce-qui touche lad. saizie, que la main levée faicte par provision ausd. Bardin, Despagne, Delaroche, Goussard, Pinon, Thierry, Griveau, Chiverd, Bidault, Maillasson, Boursier, Billon, Hubert et Besnard, des estofîes sur eux saisies demeure diffinitive, avecques deffence neantmoins aux dessus d. de faire fabriquer ne vendre a l'advenir aucunes estoffes, qui ne soyent des laizes portées par les statuts et reiglemens ; et pour ce qui concerne le reiglement général à faire, pour raison des d. laizes que lesd. jurés se pourvoiront par devers Nosseigneurs de la Cour pour en obtenir reiglementdif finitif, et cependant neantmoings, attendu que la libertéintroduicte dans lesd. fabriques pour lesd. laizes ne peut continuer plus longtemps qu'au préjudice du public et à la diminution du négoce et du commerce, nous avons ordonné par manière de provision, après avoir veu et examiné ce qui a esté rapporté par lesd. experts sur les différentes largeurs desd. estoffes, tant pour l'utilité del'employ dicelles suivant les divers usages à quoy elles peuvent servir, que par celle du trafficq et du négoce que les d. estoffes se feront les laizes et largeurs cy après :
« Les draps d'or, d'argent frisez, broquards d'or, d'ar-
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gent, seront faictz en demie aulne moins un trentedeuxième d'aulne. Les moires plaines d'argent se feront de sept huictiesme partie d'aulne, de cinq-six, decinqhuit-deuxiesme d'aulne. Les pannes en demie aulne moins un32me. Les satins en demie aulne, moins un 32mo. Les damas en demie aulne, moins un 32mo. Les velours de toute sorte en demie aulne, moins un 32me. Les gros de Naples en demie aulne, moins un 32me. Les serges de soye en demie aulne moins un 32me. Les grisses de soye en demie aulne, moins un 32me. Les damassez à poil, damassez à trames et de toutes sortes, se feront en sept-saize. Les rayez en long et travers en sept-seize. Les pouz de soye en cinq-huit. Les tabis plains, en septhuictet cinq-huict, cinq-six et deux tiers. Les tabis façonnés, en sept-huict, cinq-huict et cinq-six. Les brodés en cinq-huict. Les douze fils, huict fils hault contez noirs et couleurs se feront en deux tiers. Les armoisins en cinq-huict. Les taffetas raz de toutes sortes en cinq-huit et demie aulne. Les taffetas à coiffe en demie aulne, moins un 32me et sept-seize. Les taffetas pour jartières et ceintures se feront d'un tier. Les moires de soye doubles se feront de sept-huict, cinqdouze, cinq-huict et cinq-six. Les moires de fleuret et de poil de chameau, en cinq-douze. Les moires de laine, coton et fil en trois-huict, sans quelles se puissent faire en plus grandes laizes.
« Et dautant que la fabrique desd* moires de laine cotton ou fil est contrevenante aux statuts dud. état, laquelle neantmoins se seroit rendue si commune et le grand débit qui se fait depuis quelques temps des d* moires que l'on ne pouroit l'interdire à présent qu'avecques grande perte des ouvriers de cette d' ville, nous avons permis de continuer la fabrique des dites moires pour un an seullement moyennant qu'à l'advenir les ouvriers seront tenus de mettre une dent de
à
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soye noire dans la laize desd' moires pour les discerner des autres. Et pour éviter semblables abus à l'advenir deffences et inhibitions sont faictes de plus introduire aucunes nouveautés contre les anciens statuts et reiglemens dud 1 état sauf, au cas que l'utilité du négoce et du commerce le poura requérir, à se pourvoir par devers nous pour, les anciens dud' corps et marchands ouys, en estre ordonné ce que de raison.
« Et qu'outre toutes les laizes et largeur cy-dessus spécifiées, celles portées par les statuts ou reiglements seront gardées et observées et deffences faictes à tous marchands et ouvriers de cette ville de plus a l'advenir fabriquer, faire fabriquer, vendre ny débiter aucunes estoffes qui ne soient dans les laizes cy-dessus réglées, sur les mesmes peines portées par les statuts pour la contrevention des laizes.
« Et seront les fraiz des saizies, procès-verbaux, visitations et grosses des présentes portés le tiers par les saizies et les deux autres tiers par le corps desd 4 ouvriers en soyes, et sera la présente ordonnance leue tant en la première assemblée du corps desd. ouvriers en soye et publiée à son de trompe et cry publicq par les carrefours de cette ville et fauxbourg, à ce qu'aucun n'en prétende cause d'ignorance. Mandons au premier sergent royal sur ce requis faire pour l'exécution des présentes tous exploicts nécessaires, de ce faire luy donnons j)ouvoir. Donné en la chambre du conseil du siège présidial de Tours, le 19e jour de novembre 1646. — (signé) Huet, Coullon commis 1. »
Les luttes politiques, surtout lorsqu'elles dégé1
dégé1 de Tours, n° 1259. Registre de la corporation des ouvriers en soyt.
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nèrent en guerres intestines, entraînent après elles de véritables désastres économiques. La Fronde, quoique futile dans ses causes, causa de sérieux dommages au commerce, et la ville de Tours eut à en souffrir par plus d'un côté. Les troupes des princes s'emparèrent notamment de deux charrettes chargées de soies entre Paris etEtampes. A cette nouvelle, grand émoi dans la capitale tourangelle ; les marchands déclarèrent au marquis de Launay-Razilly, représentant de Mazarin, que si l'on ne les dédommageait pas, ils licencieraient « quatre mille ouvriers en soye ».
L'envoyé les assura des bonnes dispositions de la cour et les informa que le roi avait fait une déclaration « pour la liberté du commerce avec Paris », avec défense aux troupes d'interrompre la circulation. Quand ils auraient à faire un envoi, par exemple de qujzaine en quinzaine, on obtiendrait du roi une escorte sûre. Pour ce qui est des princes, les fabricants avaient à se précautionner aussi de ce côté et à leur réclamer la restitution des marchandises ainsi que la sûreté du transit pour l'avenir. Du reste quand les chefs d'ateliers « voudraient se bien entendre et faire corps d'une liaison telle qu'ils peuvent et doivbent pour leur liberté et conservation de leur bien, ils donneroient la loi dans Paris ». Le marquis de Razilly s'engagea à les seconder pour arriver à ces divers résultats, et ils continuèrent « l'employ des ouvriers ». Le représentant de Mazarin en informa le ministre par lettre datée de Tours le 3 août 1652 l . Grâce aux mesures prises par le cardinal-ministre, le transport des marchandises dans la capitale se fit dès lors avec plus de sécurité.
A mesure que les années succédaient- aux années et
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que les relations s'étendaient entre les provinces et les états, les exemptions concédées à l'origine aux associations industrielles étaient de plus en plus menacées par la marche des événements et par l'évolution des idées. Les ouvriers en soie de Tours avaient trop à coeur la conservation de leurs privilèges pour ne pas en demander le maintien. C'est ce qu'ils firent à l'occasion des États-généraux, tenus à Tours en 1651. Nous lisons dans le cahier des remontrances du tiers état : « Art. 121. Laquelle (Majesté) sera aussy suppliée très humblement de considérer que la manufacture des ouvrages de soye en France est de grande importance pour ce quelle descharge ses subjetz d'en envoyer chercher chez les estrangers, et quelle, donne moyen de subsister à un grand nombre de peuple et que pour ceste cause, le roi Louis'XI et Charles VIII ont accordé de beaux et grands privillèges à ceux qui s'employent en l'art et mestier de la d. soye en ceste ville de Tours, qui ont esté confirméez par les roys et particullierement par sa Majesté à présent régnant, vériffiés en sa cour de parlement, affin quil luy plaise encore d'habondant les conffirmer pour ceste d. ville de Tours et fauxbourgs, sans que cy après ils puissent estre altérez ny retranchez pour quelque cause que ce soitJ. »
Plus encore que de protection, l'industrie a besoin de matières premières, Vers le milieu du xvne siècle, les Indes apparaissaient à la France comme le marché sur lequel il importait de tourner les regards en organisant une vaste association commerciale. En conséquence, en 1663, de concert avec ceux de quelques autres villes, les industriels de Tours demandèrent au
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roi de créer une compagnie des Indes Orientales. Dans la pétition, il est dit que « plusieurs notables marchands de Tours, Nantes, la Rochelle et d'autres lieux, de tout temps ont fait un grand commerce à la mer dans toutes les costes du monde ». Quant aux soieries qui viennent du Levant, les intéressés ajoutent: « Nous nous en pourrions fort bien passer en France et notamment à Tours où la fabrique est le plus considérable ». Cependant la fraude, qui trop souvent suit les transactions comme les talonnières accompagnent Mercure le dieu du commerce, se glissait parfois dans le travail, et les chefs d'ateliers avaient à se défendre du vol de marchandises sans que la répression fût suffisante, par suite de la diversité des juridictions. « Ils se plaignirent au roi des vols faits aux maistres de la communauté de leurs soies et marchandises, mesme de celles quils donnent à fabriquer et que par le moyen des divers degrés de juridiction et de leurs fuites ils évitent la punition de leurs crimes ». En conséquence le souverain donna des lettres, datées de Saint-Germain-en-Laye le 6 juillet 1665. Louis XIV fit défense aux juges ordinaires, prévôt des maréchaux et lieutenant de robe et substitut du procureur général « de prendre aucunes conclusions » à cet égard ; il interdit « à tous procureurs postulans, leurs clercs et commis de signer ni présenter une requeste à peine dinterdiction de leur charge, et 200 1. d'amende applicable à la Charité de lad. ville de Tours, despens, dommages et interest des parties civiles, la connaissance, au surplus, des contraventions faictes aux statuts et règlements du d. art, demeurant toujours au lieutenant général dud. siège conformément aux edits des roys nos prédécesseurs d'octobre 1480, mai 1497 et juillet 1498 ». La lettre royale fut lue à son de trompe dans les
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paroisses et enregistrée au greffe du présidial, et le lieutenant général Charles Mathé, conseiller du roi, porta une ordonnance s'y référant. Ce dernier informa officiellement les « gardes-jurez des corps et communauté des mes ouvriers en drap d'or, d'argent et de soye » de la mesure prise. Il rappela que le roi a « fait expédier des lettres patentes portant attribution aux officiers de ce siège de faire le procès aux coupables des d. larcins, malversations et voleries, leurs complices et adhérants jusqu'à sentence définitive de fleur de lys ou fouet, applicable au carcan ou toute autre condamnation, à l'exception de celle des galleres et de la mort, et à cet effet on aurait attribué toute cour et juridiction au sr lieutenant criminel et autres officiers du siège ».
Le grand siècle, si merveilleusement fécond au point de vue des lettres, des sciences et des arts, ne devait pas faillir à ses obligations à l'endroit de l'industrie. Tandis que le génie de Vauban assurait la défense nationale, Colbert, le glorieux précurseur des temps modernes, s'attachait àreformer les finances, àorganiser l'artillerie, à relever la marine, à constituer les écoles supérieures, à favoriser les Académies et les arts, et à accorder à l'industrie, sous toutes ses formes, la protection la plus rationnelle et la jslus efficace. Le fils du modeste marchand de drap de Reims, sous le plus aristocrate des souverains, montra ce que peuvent le génie, l'honneur, le 'désintéressement, l'incorruptibilité, le travail sans trêve et une volonté d'acier au service d'un amour profond pour la patrie. Assurément ce n'est pas à lui que songeait son contemporain La Fontaine, quand ce charmeur incomparable, le plus fidèle peut-être de tous les historiens, écrivait un jour, à propos d'un buste :
Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre.
(Fables, IV, 14.) .
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Avec Colbert, l'industrie et le commerce allaient entrer dans une phase d'expansion et de prospérité. Le plus grand ministre qu'ait eu la France après le cardinal de Richelieu s'attacha à favoriser les manufactures et en particulier celles de la soie. En qualité d'intendant des bâtiments royaux, des arts et manufactures de France, il se tint au courant des progrès et des difficultés, etfitréviser les statuts de la corporation. Le dernier article portait qu'on adresserait le rapport des gardesjurés et conseillers de la communauté au ministre d'État. En 1667, en effet, les maîtres-ouvriers en soie de Tours furent invités à dresser le corps de leurs statuts avec les modifications opportunes et à les remettre aux mains de J.-B. Voisin de la Noiraye, conseiller et intendant du roi en Touraine. Ils les déposèrent le 3 mars ; Colbert les examina, donna un avis favorable et, le 23 du même mois, par lettres données à Saint-Germain-enLaye, Louis XIV, « voulant favorablement traiter le commerce, la perfection et l'establissement des manufactures », approuva et confirma les « règlements et statuts concernant l'art et la fabrique des draps d'or, d'argent et de soye et autres étoffes meslangées qui se manufacturent en la ville etfauxbourgs de Tours ». Le chancelier Séguier scella'les lettres du grand sceau en cire verte avec lacs de soie rouge et verte; enfin le présidial de Tours les enregistra le 6 mai, en ordonna la publication à son de trompe, et les remit aux mains de François le Roux, procureur de la communauté des marchands maîtres-ouvriers en soie, et de Michel Soudain, Michel Carron, Louis le Duc et Sébastien Loppin, gardes-jurés de la corporation.
Une vive émotion fut produite dans les ateliers, par l'article du nouveau règlement qui ordonnait d'élargir les laizes de l'étoffe. Les maîtres s'assemblèrent et remontrèrent à l'intendant que si l'article était appliqué
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immédiatement, c'était un coup terrible porté à la manufacture. Pour l'exécuter, dirent-ils, il faut abattre « génerallement tous les mestiers qui sont montés dans les laizes anciennes, la plupart des pièces étant imparfaites et qui ne peuvent estre achevées, de deux à huit mois, etaprès la perfection desquels draps, il conviendra dresser et disposer les mestiers, peignes, harnois, figures et équipages, ce qui ne se peut faire qu'avec beaucoup de temps, grand travail et despense ». De fait, il n'y a à Tours que cinq facteurs de peignes auxquels il faut au moins deux ans pour fournir tous les ateliers, « n'y ayant point d'autres ouvriers dans le royaume qui en envoyent en cette ville, les maîtres de Paris se fournissant mesme en cette ville desd. peignes ». Il va donc falloir congédier les ouvriers ((pendant un longtemps qui les réduirait et leurs familles nombreuses à la dernière nécessité, à la charge de la ville et de la campagne, ce qui pourrait causer des désordres semblables à ceux qu'on a veus en pareilles nécessités et cessation de la fabrique, laquelle notoirement fait subsister les deux tiers des habitans de cette ville, et de la campagne à cinq et six leuës à la ronde ». En conséquence, les intéressés demandèrent un délai d'un an « pour parachever les pièces commencées, se fournir de peignes, dresser et disposer leurs mestiers, figures et équipages conformément aux nouvelles laizes ordonnés ». La requête, outre les noms des gardes déjà cités, était signée des commissaires désignés pour sa rédaction, Supligeau, R. Gautier, J. Salmon, F. Froidure, P. Loppin, Chaloineau, Le Tort, Roland, Piron et Pillet.
L'intendant ne fit que partiellement droit à la supplique, et accorda comme délai jusqu'au 15 février 1668, en vertu d'une ordonnance publiée à son de trompe, le 31 décembre, par le sergent royal Pierre le Mercier assisté du trompette ordinaire, de Jean Sansonneau
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et Pierre Guy et, clercs de la communauté des marchands maîtres-ouvriers en draps d'or, d'argent et de soie. Le 10 janvier suivant, le corps entier des statuts fut également publié et affiché. Les statuts furent confiés aux presses de Pierre Gripon, rue de la Scellerie, et dès le printemps un exemplaire était remis gratuitement à chacun des maîtres. Nous avons sous les yeux un des exemplaires portant les armes de la communauté, le blason de Tours et au-dessus un L couronné et accompagné de trois fleurs de lis, le tout encadré de deux branches de laurier.
Encouragés par le ministre d'Etat, les maîtres-ouvriers se mirent à l'oeuvre et transformèrent progressivement leur outillage. Si nous pénétrons, vers 1670, dans un des ateliers les, mieux installés, nos regards sont frappés par la beauté des étoffes. Ce sont les velours forts à quatre et trois poils (les premiers à huit et les seconds à six fils par dent de peigne) ; les étoffes de chaîne et trame à poil cramoisi distinguées des couleurs communes par un fil d'or ou d'argent dans la lisière ; les velours de moyen et bas prix à deux et un poil et demi, ou à un poil. Même ces derniers tissus ont la chaine d'organcin, fille et tordu au moulin, et la trame de bonne soie cuite « et non crue comme autrefois » ; la largeur est de ll/24e entre les deux lisières. Les métiers fabriquent toutes sortes de velours raz, figurés, coupés et tirés ; des pannes « de pures et fines soyes et de bonne et pure teinture non chargée de moullé, limaille d'acier, noix de galles et autres mauvais ingrediens dont on s'est abusivement servi par le passé » ; il y avait alors une peine de 300 livres d'amende contre le fabricant et de 500 livres contre le teinturier. Des ateliers sortent tous les genres de draps d'or et d'argent fin, comme « brocarts, satins, damas, tabis à fleurs, velours, toiles
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d'or et d'argent tant pleins que figurés, et toutes les étoffes dont la chaîne est d'organcin filé et tordu au moulin et tramé d'or et d'argent fin, et les trames de soie doublée sans y mêler fleurets, gàlletes et autres bourres de soie, d'une largeur d'une demi-aune moins l/24« ».
Les étoffes façonnées comprennent « toutes sortes de satins, damas, vénitienne, damassin, luquoize, valoize et générallement toutes autres estoffes figurées et à fonds de toutes manières à la tire, sous quelque nom qu'elles soyent, où il n'y a ni or ni argent», d'une largeur de 14/24 d'aune. Cet article était l'objet d'une sanction spéciale ; la contravention était punie non seulement de 60 livres d'amende et delà confiscation comme pour les autres étoffes, mais la seconde contravention comportait 500 livres d'amende et la fermeture de la boutique pendant un an. Les taffetas ou draps non lustrés sont fabriqués sur une grande échelle ; on y rencontre les taffetas et tabis pleins à deux ou trois fils par dent de peigne, les taffetas noirs lustrés et de couleurs variées de quatre fils et au-dessus par dent de peigne, les taffetas figurés, à la marche, rayés en long et travers, mouchetés et nuancés, les tabis figurés et autres draps analogues, quelles qu'en soient la manière et la couleur. Il faut y joindre les fillatrices, papelines et étoffes analogues plaines ou figurées, les moires lisses ou unies, les ferrandines, camelots et étoffes mêlées de poil de chèvre, laine, fil ou coton qui ont une lisière de couleur différente pour être distinguées des étoffes de pure soie, excepté les ferrandines noires qui ne reçoivent pas de lisière spéciale ; des toiles de soie, gaze., étamine, crapaudaille, prisonnières et autres étoffes en chaîne et trame de bonne et pure soie ; les taffetas à jarretières également de fine soie, et enfin les crêpes. Les statuts de 1667 permettaient la fabrication « de toutes
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sortes de gros crespes crespés et lissés en même fasson et qualité que ceux qui viennent de Bologne, après "toutes fois le temps expiré du privilège accordé au sieur Bourgey lyonnais, en cas qu'il satisfasse au dit privilège, sinon jouiront dès à présent du dit article ».
Les mesures les plus précises et les plus rigoureuses furent prises pour évider la fraude. On vient de voir les amendes et confiscations prononcées contre les fabricants ; ajoutons quelques autres détails. Chaque marchand et maître avait un livre sur lequel l'on inscrivait la quantité et qualité de soie, d'or ou d'argent remise aux ouvriers et, de son côté, le fabricant avait un registre analogue. A toute réquisition des marchands et maîtres, les teinturiers, maîtres-ouvriers, mouliniers et dévideuses doivent montrer leur soie et les rendre en l'état convenable sans les « charger, humecter, huiler ou engraisser, à la grande perte du marchand et de la réputation de la fabrique de Tours ». Ceux qui travaillent à façon sont garants des soies et étoffes qui leur sont confiées, sans qu'ils puissent se rejeter sur la dévideresse. Sous peine de 100 livres d'amende, de confiscation et même de prison, il est défendu à quelque personne que ce soit d'acheter, troquer ni prendre en gage ou dépôt aucune soie crue ou teinte ou étoffe des ouvriers, teinturiers, apprentis et autres personnes interposées ; elles ne peuvent être colportées par les rues ni dans les hôtelleries, mais seulement vendues dans la maison des marchands ; les courtiers eux-mêmes seront accompagnés delà femme, de l'enfant ou d'un domestique du maître. Aucune étoffe ne sera mise en vente sans être marquée du plomb de la marque de l'ouvrier et du plomb de la communauté portant, d'un côté, les armes de la ville et, de l'autre, celles de la corporation ; pour cette opé-
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ration les gardes-jurés ont droit, par chaque pièce d'étoffe, à douze deniers tournois, dont la moitié pour eux et le reste pour la caisse commune ; toute contravention est punie de la confiscation, de 60 livres d'amende et la récidive, de 500 livres. La même amende de 60 livres est portée contre ceux qui prêteraient leur nom pour tenir boutique ou faire travailler. Enfin la confiscation des marchandises et ourdissoirs est prononcée contre les marchands qui feraient, en dehors de chez soi ou de chez leurs maîtres, « ourdir aucunes chaisnes pour manufacturer les étoffes ». Grâce à ces mesures de protection, la fabrique de Tours fut à même de lutter contre la concurrence et traversa une nouvelle période de prospérité. L'éclat des étoffes exposées à la devanture des magasins émerveillait les regards des passants. Au milieu du xvii 8 siècle, le P. Martin Marteau écrivait dans son Paradis délicieux de Touraine : « Il y fait beau voir les grandes boutiques des riches marchands, remplies de toutes sortes de belles et précieuses marchandises, surtout de toile d'argent et de drap d'or, de soie et de laine, comme aussi quantité de passements de même étoffe, pour contenter la vue et le désir des curieux ». La réputation des soieries de Tours n'était guère moindre à l'étranger qu'en France. Aussi les habitants de cette ville, lorsqu'ils avaient quelques cadeaux à faire, s'empressaient-ils d'envoyer de leurs jolies étoffes. Les religieuses, toujours portées à échanger des douceurs et de petits présents, n'y manquaient pas, et il n'est pas jusqu'aux soeurs capucines, dont le couvent demeure en partie rue de l'Arsenal, qui n'aient pratiqué cette coutume. En 1672, la supérieure, Marie des Anges, envoyait des étrennes de ce genre à une amie de Paris; et, quelques jours après, celle-ci, soeur Jeanne-Françoise de Jésus, lui expédiait un paquet
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pour le remercier de ses « belles soyes ». Dans la suite cette dernière fut envoyée à Lisbonne ; la distance ne fit pas oublier les étrennes. Dans une lettre du 30 décembre 1675, elle remercia son amie « des belles soyes et estoffes » ; en outre, pour ne pas rester en retard, elle expédia des produits de son nouveau pays. L'envoi consistait en « un paquet d'écorces de citron et oranges et aultres petites douceurs avec deux petits pots de conficture excellente, l'une toute pure et l'autre meslangée avec quantité de bonnes conserves, très bonnes et fortificatives pour l'estomac '- ».
La corporation avait ses immeubles et tout naturellement les relations de fief lui apportaient les ennuis inséparables du droit de propriété. Au cours de l'année 1683, la communauté se trouva en différend avec les chanoines du voisinage. Le 18 novembre, ces derniers obtinrent contre la communauté des fabricants une sentence contradictoire qui la condamne à passer, au profit du chapitre, déclaration des bâtiments, par elle acquis dans l'étendue du fief et seigneurie des d. chanoines, et à employer dans cette déclaration une rente suffisante pour l'indemnité due à cause de l'acquisition. En vertu de cette sentence, il paraît que les jurés en charge, ou passés, ont fait la déclaration dont il s'agit, et ont reconnu que la communauté possédait, à titre d'acquisition nouvelle, deux corps de logis, se joignant l'un l'autre, situés près le presbytère de l'Escrignole, dans la censive du chapitre et chargés envers lui du cens coutumier ; l'indemnité due pour cette acquisition fut fixée à 25 1. par an, savoir 5 1. pour l'un des corps de logis, et 20 1. pour l'autre.
1 Lettres découvertes dans l'ancien couvent et gracieusement communiquées par la famille Tessier.
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VI APRÈS LA GUERRE DE HOLLANDE
La manufacture était à la veille de recevoir le contrecoup des graves événements qui se préparaient en Europe. Une triple alliance, composée de la Hollande, de l'Angleterre et de la Suède, s'était formée contre la France, si ce n'est contre les entreprises belliqueuses du monarque. En 1672, Louis XIV voulut frapper la ligue au coeur et jeta dans les Pays-Bas cent mille hommes placés sous ses ordres et commandés par les Condé, les Turenne et les Vauban. Son plan consistait à détruire la prépondérance maritime et commerciale de la Hollande, qui possédait 16,000 navires marchands tandis que les autres nations d'Europe réunies ne comptaient que 4,000 navires. On sait les péripéties de cette longue guerre, dans les détails de laquelle nous n'avons pas à entrer ici.
Combien funeste cette campagne d'un tiers de siècle fut pour notre commerce national ! C'est vers cette époque que Colbert rendit l'ordonnance sur la législation commerciale qui demeure l'un de ses titres de gloire, mais cela n'empêcha pas l'industrie de la soie, en particulier, de se ressentir cruellement de la guerre dirigée contre les Pays-Bas. Par elle, en effet, les marchands de Tours voyaient se fermer la contrée vers laquelle ils écoulaient une bonne partie de leurs marchandises, sans qu'il leur fût possible de trouver ailleurs un marché aussi important et aussi abordable ;
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'grâce à ses nombreux navires, la Hollande sillonnait sans cesse les mers, au travers desquelles elle portait aux extrémités du globe le travail des ateliers de Touraine. Les guerres, qui suivirent, ne firent qu'assombrir la situation que devait encore aggraver le trouble apporté par la révocation de l'édit de Nantes en 1685.
Parmi les documents de nature à nous renseigner exactement sur l'état de la fabrique à ses diverses époques, il en est un qui est, pour ainsi dire, le baromètre indiquant les bons et les mauvais jours de la manufacture; je veux parler du registre de réception des compagnons ouvriers en soie, conservé aux archives d'Indre-et-Loire. Si nous prenons les années antérieures à la guerre de Hollande, nous y relevons, pour 1669, l'admission de 259 compagnons ; pour 1670, celle de 283, et pour 1671 la réception de 183, ce qui donne une moyenne de 241 compagnons par an. Passons maintenant à la période des guerres de 1673 à 1685; les admissions varient entre 58 et 157 et nous n'arrivons plus qu'à une moyenne de 100 réceptions par année [E. 468].
A l'époque où nous sommes, commence pour la fabrique tourangelle une série de crises dont elle ne sortira jamais complètement, en dépit des efforts tentés par le courage et l'intelligence des ouvriers et du zèle de la municipalité. Indépendamment des guerres désastreuses du règne de Louis XIV, la concurrence ardente de la ville de Lyon, l'invasion des toiles de l'Inde et le départ d'un certain nombre d'ouvriers, notamment de protestants, portèrent un coup terrible aux ateliers de soieries. A la fin du xvne siècle, la manufacture ne comptait que 1,200 métiers, 70 moulins, occupant au plus 4,000 personnes, tandis que la fabrique de rubans de 3,000 métiers était tombée à 60. A cet égard, au lieu de nous égarer en réflexions
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plus ou moins vagues, nous préférons citer textuellement l'état officiel, dressé par l'intendant de Tours. « La diminution de cette manufacture, qui rejaillit sur tous les habitants de la ville de Tours et sur toute la province, provient de plusieurs causes : la première de la cessation du commerce avec les étrangers qui faisoient un trafique de plus de dix millions par an avec les marchands de Tours ; la seconde vient de la misère des peuples, qui a obligé plusieurs ouvriers d'aller s'établir ailleurs, particulièrement les religionnaires qui se sont habitués en Angleterre et en Hollande où ils ont porté la manufacture ; la troisième de ce que les marchands de Tours n'ont plus la liberté d'achepter les soyes et qu'on les oblige de les faire venir de Lyon, et comme les fabricans de cette ville ont toujours été jaloux de ceux de Tours, ils font ce qu'ils peuvent pour les gesner et pour anéantir leurs fabriques en leur vendant les soyes à tel prix qu'ils veulent et ne leur fournissant pas les espèces de soye, ny la quantité dont ils ont besoin ; de sorte que les fabricans de Tours sont obligés de renvoyer souvent une partie de leurs ouvriers, qui sont autant de gueux à la charge de la ville ; et d'autre part on peut adjouter encore que ceux de Lyon ne vendent jamais de soyes comme elles leur viennent d'Italie, du Levant, du Languedoc et autres lieux, mais ils font les balles en meslant d'autres espèces de soyes de moindre valeur, les liant avec quantité de fils qui augmente beaucoup le poids ; enfin, la quatrième cause de la diminution vient des toilles peintes et de plusieurs autres étoffes des Indes. Il serait à désirer, qu'on fit une sérieuse attention au négoce des étoffes des Indes, qui se fait argent comptant et non pas par échange des marchandises de France. On convient qu'on ne peut se passer de beaucoup de denrées qu'on tire du Levant,
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comme sont les soyes, les cottons, les espiceries et plusieurs drogues qu'on achète argent comptant ; mais on peut se passer de leurs marchandises fabriquées, parce qu'elles sont de peu de durée et d'un très mauvais uzé ; ainsi le trafique qu'on en fait ne sert qu'à altérer le commerce et les richesses de la France et à enrichir un grand nombre d'infidèles, pendant que plusieurs chrétiens périssent par la misère, manque de travail. »
Certains écrivains ont attribué principalement, pour ne pas dire uniquement, la décadence de la fabrique de Tours à la Révocation de l'édit de Nantes. A les entendre, « plus de 3,000 familles protestantes furent obligées de s'expatrier ; et ces hommes laborieux, occupés presque exclusivement du commerce et plus particulièrement livrés aux travaux de la soierie et de l'orfèvrerie, allèrent porter leur industrie et leurs immenses capitaux en Hollande, en Prusse, en Angleterre et généralement dans tous les pays de l'Allemagne où leur religion était protégée... La population de la ville de Tours, qui s'élevait précédemment à 80,000 âmes, se trouva réduite en 1698 à 33,000 seulement *. » Cette assertion a été reprise, de nos jours, par des publicistes avec quelques adoucissements, mais toujours avec des exagérations peu en rapport avec les documents, ainsi que nous allons nous en convaincre.
Il n'entre pas dans notre pensée d'excuser et encore moins de justifier les représailles douloureuses qui marquèrent les différentes étapes des luttes politicoreligieuses et que nous mentionnons à cause de l'influence qu'elles exercèrent sur l'industrie. Nous n'avons
1 Chalmel, Histoire de Touraine, in-8, Tours, t. II, p. 480-81.
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pas davantage à apprécier au point de vue politique la mesure d'ostracisme prise par Louis XIV, préoccupé des exigences de l'unité nationale. Pour un certain nombre de protestants c'était la désolation et la ruine, pour tous les douleurs de l'exil, et cet exil ne mit pas toujours les réfugiés à l'abri des poursuites du pouvoir. Tel d'entre eux, Joseph Cartel, qui fut gardejuré en 1679-87, s'étant retiré à Manheim, fut enlevé de cette ville et conduit à la Bastille, où il mourut après une détention de trente ans : peut-être ce dernier étaitil de la même famille que Michel Cartel, que nous voyons en 1632 comme teinturier en soie et trésorier de l'église de Saint-Etienne. Néanmoins, tout en nous faisant un devoir de nous associer aux souffrances des affligés, l'histoire nous commande d'écarter les exagérations fantaisistes que la passion ou l'ignorance ont mises en circulation et que l'on colporte sans discrétion. C'est pourquoi à l'aide de documents avérés, nous essayerons, en ce qui regarde la Touraine, de faire la lumière sur ce point jusqu'ici trop enveloppé d'incertitudes.
Et d'abord, on ne saurait admettre le chiffre de 100,000 habitants, non plus que de 80,000 pour la population de Tours au xvne siècle. En prenant pour base les chiffres de la natalité et de la mortalité, aussi bien que des mariages et des communions, et en se conformant aux lois que la statistique la plus rigoureuse s'est imposée, le dépouillement le plus consciencieux des registres anciens démontre que de 1675 à 1685 les catholiques dépassaient à peine le nombre de 50,000, chiffre qui, de 1685 à 1690, se trouva réduit à 49,500 environ. Pour ce qui est des protestants, nous avons compulsé les années 1600 et 1684. La première année nous donne 35 naissances, 39 sépultures et 6 mariages ; la seconde fournit 31 naissances, 21 décès
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et 9 mariages. Or, d'après les principes de la statistique, nous arrivons ainsi à une colonie de 1,200 protestants résidant à Tours et dans les faubourgs. En outre, nous ferons remarquer, d'une part, qu'un groupe d'environ 500 huguenots renonça à s'expatrier et, d'autre part, que sur les 35 naissances de l'année 1680, il y avait 11 enfants d'ouvriers en soie, et sur les 31 de l'année 1684, 6 naissances d'ouvriers en soie.Il s'en suit que la proportion des huguenots dans la fabrique était inférieure à un tiers de la quotité de leur population.
La conclusion découle d'elle-même du simple exposé des documents. Le départ d'une minorité, si laborieuse fût-elle, noyée dans la grande masse des ouvriers en soie, généralement soucieux de leurs intérêts, n'a pu amener la ruine de la manufacture de soieries.
Ce n'est pas qu'il faille s'en rapporter absolument aux bulletins officiels, ainsi qu'on l'a fait jadis pour répondre aux assertions que nous examinons ici. De ce côté également il y a une exagération qu'il importe de signaler. Les intendants avaient trop à coeur de ne rien écrire qui pût froisser l'amour-propre du roi et de ses ministres pour mentionner nettement les résultats de la Révocation au point de vue économique. On doit accepter ce qu'ils disent des causes actuelles générales de la décadence, mais il importe de se tenir en garde sur leurs observations relatives aux suites du bannissement des huguenots. A'cet égard, on est en droit de souligner, comme un modèle de style diplomatique, la mention de la seconde cause d'affaiblissement, laquelle provient « de la misère des peuples qui a obligé plusieurs ouvriers d'aller s'établir ailleurs, . particulièrement les religionnaires » ; par « plusieurs » il faut entendre plusieurs centaines, ainsi que l'établit,
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à sa manière, le registre des réceptions dont nous avons déjà parlé.
C'est le 22 octobre 1685 que fut porté l'acte de Révocation de l'édit de Nantes. Or, à dater de cette époque on constate une diminution notable* dans le nombre des compagnons. Tandis que de 1672 à 1685 la moyenne annuelle est de 100, ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut, à partir de 1685, en prenant par exemple jusqu'à 1700, on obtient une moyenne de 52 réceptions. L'écart paraît encore plus sensible si l'on serre la question de plus près. On sait en effet que les apprentis ne passaient compagnons qu'après un stage de cinq années. Or l'échéance des cinq années après la Révocation nous amène à 1690. Eh bien ! tandis que pour les cinq années précédentes nous obtenons une moyenne de 105 compagnons, pour les cinq années suivantes nous n'arrivons plus qu'à une moyenne de 28 admissions ; et, de fait, pour les années topiques 1689 et 1690, le registre constate 18 et 22 réceptions. Ces chiffres, dans leur impartialité souveraine, nous permettent de donner au terme officiel de « plusieurs » le sens exact qui lui convient 4 .
Après avoir tenté de ramener les choses au point, comme on dit, en vue d'arriver le plus près possible de la vérité historique, seul objectif digne du travailleur, nous ajouterons une considération destinée à préciser plusencore. Les registres des huguenots nous ont révélé, . pour l'année 1684, 6 naissances d'enfants de maîtresouvriers en soie sur 31 naissances. C'est donc environ un cinquième des protestants qui étaient employés comme maîtres-ouvriers au travail de la soie, l'année qui précéda la Révocation ; ce chiffre doit être un peu augmenté d'ailleurs par la quotité des ouvriers, qui
1 Cf. le tableau des réceptions, aux Pièces annexes.
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n'avaient pas d'enfants parce qu'ils étaient célibataires, veufs, ou pour toute autre cause. D'autre part, il importe de se souvenir qu'une ordonnance de 1664 déclarait nulles les lettres de maîtrise où ne sera pas insérée la mention que le candidat professe la religion catholique et que seul le maître, muni du brevet,, avait droit d'avoir des compagnons et des apprentis. Il y avait bien quelques lettres de maîtrise obtenues quand même par des moyens détournés, mais ce n'était là qu'une infime minorité, ainsi que les registres d'état civil nous ont permis de le constater.
Du rapprochement des documents il ressort que les protestants qui travaillaient à la soie étaient au nombre de quelques centaines et que la plupart étaient apprentis ou compagnons ; de ce chef, moindre fut le mal qui résulta du bannissement. Le premier émoi passé, on combla les vides à l'aide des catholiques et aussi des protestants qui demeurèrent à Tours. En prenant les réceptions des années 1693 à 1700, on atteint une moyenne de 38 admissions. Hélas! les causes de décadence qui pesaient sur la fabrique ne devaient pas permettre de revoir non seulement l'âge d'or de la manufacture, mais même ce qu'on peut appeler son âge d'argent.
Telles sont les raisons multiples qui amenèrent l'appauvrissement de la manufacture de Tours. Elles nous sont révélées, d'une part, par les rapports des intendants Louis de Béchameil et Hue de Miromesnil et, d'autre part, par les documents puisés aux archives locales. Outre le fait accidentel de l'expatriation d'ouvriers, elles se rattachent, d'une façon plus générale, à la concurrence redoutable soit de Lyon, soit de l'étranger, à la vogue que rencontraient les toiles peintes et surtout aux troubles etàla gêne apportés parles guerres incessantes et par les impôts qui en étaient la conséquence. Déjà la Fronde, avons-nous dit, avait entravé
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la libre circulation des soies, et Mazarin dut intervenir pour calmer les patrons qui menaçaient de congédier immédiatement 4,000 ouvriers. La guerre de Hollande (1672) mit le feu aux poudres en fermant les débouchés les plus considérables, situation qu'aggravèrent encore la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1686-1697) et celle de la Succession d'Espagne (1701-1713). Autant de coups répétés, qui sapèrent par la base le bel établissement auquel Tours devait une grande partie de sa prospérité et de son renom dans le monde entier.
En présence d'une pareille situation, que faire? L'intendant de Miromesnil proposa le remède qu'il croyait propre à enrayer le mal croissant. « Il y a deux moyens, dit-il, pour bien rétablir la manufacture de la soyerie. Le premier est de rendre à ceux de Tours la liberté du commerce des soyes- en leur permettant de les faire venir par les ports de mer qui leur seront le plus convenables sans passer par Lyon en payant les droicts accoutumez au Roy, ce qui leur épargneroit de grands frais de voiture ; et qu'ils auroient le choix de prendre les soyes qui leur sont les plus propres à leur fabrique ; qu'ils en achèteraient le nombre selon qu'ils le trouveraient à propos et qu'ils en pourroient faire leurs provisions pour s'en servir dans les occasions sans dépendre des marchands de Lyon. Ce moyen est fondé sur la liberté publique, sur les privilèges accordez aux ouvriers de Tours par le roi Louis XIe et sur les lettres patentes de Charles VIII donnés à Saint-Just les Lyon au mois de may de l'an 1497, qui permet aux ouvriers de Tours d'achepter ou faire achepter hors le royaulme les soyes crues pour employer aux ouvrages de draperie de soyes. — Le second moyen est de défendre tout à fait le commerce des étoffes des Indes et à toutes personnes d'en porter de même qu'on a fait des toilles peintes, par
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l'exemple des désordres qu'ils causent dans les manufactures de soyes et de laine, étant à craindre qu'ils ne deviennent encore plus grands dans la suite, si on n'y apporte un prompt remède. »
La routine l'emporta sur la logique. On ne suivit pas les conseils de l'intendant, et la manufacture continua de descendre progressivement sur la pente de la décadence. Ce n'est pas que les fabricants et les ouvriers ne soutinssent la lutte pour la vie avec tout le courage et toute l'habileté dont ils étaient capables. La question de la largeur des étoffes, telle qu'elle avait été réglée par Colbert, causait des préjudices à la manufacture. Les maîtres en firent, en 1675, l'objet d'une réclamation et, celle-ci n'ayant pas produit d'effet, ils la renouvelèrent en 1685. Cette fois on eut égard à la supplique, et voici le texte de la réponse du Conseil d'État l :
« Sur la requête présentée au roy étant en son conseil par les gardes-jurés marchands ouvriers en soye de la ville de Tours, contenant qu'avant l'année 1667 la laize ou largeur des étoffes de soye .de la fabrique dud. Tours était de onze douzième partie d'une demie aune, qui s'appelle vulgairement la laize de cinq douze ; mais qu'en l'année 1667, Sa Majesté ayant ordonné par les nouveaux statuts une nouvelle laize de demie aune moins un vingt-quatrième, avec prohibition de la faire moins large, ce nouvel établissement aurait été exécuté et observé, quoiqu'il ne soit d'aucune utilité pour le public, car bien que l'étoffe soit de la nouvelle laize, il n'en faut pas moins de laize pour faire les habits, particulièrement ceux des femmes, de manière que cette augmentation n'a servi qu'à augmenter le prix des étoffes de 8 ou 10 pour cent; ce qui a beau1
beau1 des registres du Conseil d'État, Archives d'Indre-et-Loire, C. 104.
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coup contribué à ruiner lad. fabrique, et obligé les marchands étrangers qui avaient accoutumé de tirer desd. étoffes de Tours, de s'en fournir à Gennes, Lucques, Florence, en Angleterre, Hollande et autres pays étrangers où l'on continue de se servir de l'ancienne laize, tellement que de près de 7,000 métiers qui étaient à Tours en 1666 et 1667, il n'y en a pas à présent plus de 1,000 bien travaillant, dont la plupart sont même réduits à la dernière misère ;
« Qu'en outre il est porté par les mêmes statuts que la fabrique des étoffes se doit faire en un certain nombre de portées, ce qui n'a pu néanmoins s'exécuter à cause de l'inégalité des soyes, et qu'enfin il est aussi porté par les statuts que les étoffes de laine, de fil, de coton et de chameau n'auraient qu'une lizière, ce qui les a rendu si difformes et de si mauvaise vente, que ceux qui ont entrepris la fabrique s'y sont ruinés, et encore contribué à décrediter lad. fabrique, bien que dans tous les autres lieux de France et dans les pays étrangers ces sortes d'étoffes mêlées s'y fabriquent avec deux lizières ;
« Que de tout ce que dessus lesd. supliants en auraient dès l'année 1675 fait leur remontrance à Sa Majesté par une requête qu'ils lui auraient présentée, afin qu'il plût d'y pourvoir, laquelle requête elle aurait renvoyée au sieur Tubeuf, son intendant en Touraine, pour en donner son avis, ce qu'il aurait fait conformément à leur demande ; mais que cet avis n'a été suivi d'aucun arrêt, à cause du décès du feu sieur Colbert, surintendant des arts et manufactures de France ; à ces causes requéraient lesd. supliants qu'il plut à Sa Majesté vouloir ordonner le rétablissement de l'ancienne laize, appelée le 5 1/2, de leur permettre de mettre double lizière aux étoffes mêlées, et de se servir de tel nombre de portées qu'ils trouveront nécessaires ;
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« Veu ladite requête avec l'avis sur icelle du sieur Nointel, intendant en Touraine, auquel Sa Majesté l'aurait renvoyée ; à cet effet, ouï le rapport du sieur marquis de Louvois, secrétaire d'Etat et des commandements de Sa Majesté et surintendant général de ses bâtiments, arts et manufactures de France, et tout considéré, Sa Majesté estant en son Conseil, a permis et permet aux suppliants la laize des cinq douze entre les deux lizières pour les étoffes de soie façonnées et marquées par les articles XIX-XX et XXIII des statuts de 1667, leur laissant néanmoins la faculté de travailler, si bon leur semble, en la laize d'onze-vingtquatrième, suivant lesd. statuts de 1667, avec deffenses de faire lesd. étoffes d'autre largeur, à peine de 60 livres d'amende ; comme aussi Sa Majesté leur a accordé et accorde la liberté de faire des étoffes mêlées, et mentionnées es articles XXIVet XXV desd. statuts à deux lizières, à la charge néanmoins que lesd. deux lizières seront de seule et même couleur; veut au surplus, Sa Majesté, que les articles XV, XVI, XXI desd. statuts concernant les portées des étoffes soient exécutez selon leur forme et teneur sur les peines y contenues ; enjoint Sa Majesté aux maires et échevins de lad. ville de Tours, juges des manufactures en icelle, de tenir la main comme il appartiendra à l'exécution dudit arrêt. Fait au Conseil d'Etat du Roy, Sa Majesté y étant, tenu à Fontainebleau le 10 de novembre 1685. (Signé) : Phelypeaux. »
La corporation des maîtres ouvriers en soie de Tours avait hâte de voir l'exécution de l'arrêt. Elle s'adressa à cet effet aux autorités locales, qui rendirent l'ordonnance suivante :
« A Messieurs les maire et échevins de cette ville de Tours, juges de police des manufactures, suplient humblement Etienne Lepeletier, Philipe Besnard,
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Jean Roze, Olivier Défais, Michel Hardy, Simon Chaussé et François Briffaut, tous gardes-jurés du corps et communauté des marchands maîtres-ouvriers en draps d'or, d'argent et de soye de cette ville de Tours ; vu la requête ci-dessus, ensemble l'arrêt du Conseil dudit jour 10 novembre dernier et la matière mise en délibération, a été conclu que l'arrêt sera exécuté selon sa forme et teneur et à cette fin registre es registres de ce corps pour y avoir recours quand besoin sera, lu, publié à son de trompe et affiché dans tous les lieux et endroits accoutumés de cette ville et faubourgs, à ce qu'aucun n'en ignore, et ce à la diligence desd. procureurs et gardes-jurés. Fait et arrêté en l'assemblée ordinaire en l'hôtel commun d'icelle le 28 décembre 1685. (Signé) : Gaillard, Lamenandière, maire. Publié l'arrêt du Conseil d'Etat et l'ordonnance ci-dessus à haute voix, son de trompe et cry public, et affiché par tous les carefours de cette ville et faubourgs de Tours le 19 janvier 1686. »
Grâce à l'amour du travail et à l'esprit d'économie, aussi bien qu'à l'habileté dans la fabrication et à la qualité des étoffes, les ouvriers des bords de la Loire soutenaient tant bien que mal la concurrence du dedans et du dehors. A l'occasion d'une visite faite à Tours en 1687, Duverdier, historiographe du roi, écrivait : « Les manufactures de soye et le lanifice ont grand lieu en cette ville ci, ce qui lui cause un bon négoce de draps de toutes sortes ; les soies y sont teintes par excellence ». Au témoignage du Mémoire sur la généralité à la fin du xvii 6 siècle, les ouvriers « se sont tellement perfectionnez qu'ils excellent dans la beauté de leurs fabriques, mais surtout dans la nouveauté des étoffes et dans les nuances des couleurs que les ouvriers de Lyon et d'Italie ne peuvent imiter ». A cette occasion,
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nous ferons remarquer que l'on porta, en ce temps, une ordonnance ou règlement pour l'affinage des matières d'or et d'argent; la valeur de celles-ci augmentait en proportion du luxe, au grand détriment des fabricants d'étoffes de soie, d'or et d'argent [B, 67].
Pour l'histoire de la fin du xvne siècle, nous puiserons nombre de renseignements dans le « Livre des délibérations et autres actes de la communauté des marchands et maîtres-ouvriers en soye de la ville de . Tours, depuis le 12 avril 1688 jusque au 27 septembre 1703 » ; le manuscrit, conservé dans l'étude de Me Langlois, notaire, nous a été gracieusement prêté par notre aimable et érudit confrère.
D'ordinaire les actes se rapportent à des questions contentieuses, et nous ne les mentionnerons qu'autant qu'ils apportent quelque lumière sur la marche de la corporation et de la manufacture. En 1688, les procureurs et gardes-jurés étaient François Froidure l'aîné, Pierre Chesneau, Claude Bouvais, Nicolas Preuilly, Toussaint Moussard, Guion Pinon et Jean Bouvais ; le notaire de la corporation est Gaultier ; ils se réunissent « au bureau du corps et communauté des marchands et maîtres-ouvriers en draps d'or, d'argent et de soie ». Parfois il s'agit de l'observance ou de la modification de quelque article des statuts. Ainsi, une ordonnance du 30 mars, « rendue en l'hostel commun de la ville » et approuvée par la réunion, est relative à l'article. 24 et porte que a ceux qui se prétendent fils et filles de maistres en fourniront, dans les visites, des certificats qui leur seront délivrés gratuitement sur le livre de matriculle » (12 avril). L'assistance aux réunions laissait à désirer, et les jurés durent présenter une requête au lieutenant particulier pour obliger les anciens à venir aux assemblées, « à peine de telle amande qu'il luy plaira ordonner » (11 août).
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Le corps des statuts, pareil à une enceinte à la fois protectrice et gênante, était de temps à autre entamé par des brèches résultant soit du fait d'esprits indisciplinés, soit de l'action du temps et de la transformation du travail et des moeurs. Les compagnons, dit-on, « négligent de se faire recevoir maîtres et entreprennent de travailler comme s'ils estoient mes dans leurs maisons particullières, cherchant et mendiant l'aveu de veuves de mea qui leur sont extrêmement à charge, qui peuvent divulguer les desseings des ouvrages, qui exigent leurs logemens, partie de leur nourriture et il y a à craindre que cela ne facilite le vol et resel des soyes ». Tout au moins cela diminue d'autant les recettes de la caisse chargée de dettes. Pour tout concilier, on décida qu'il « sera donné liberté à tous les compagnons de travailler en leurs maisons particullières en payant l'arrêt du congé qui leur en sera donné par les jurés », moyennant 10 livres par an. (16 août 1688).
La réunion du 16 juin 1689 nous renvoie l'écho de l'inquiétude commune. « Plusieurs personnes de qualité de ceste province, meues de pitié et de compassion de l'extrême misère et pauvreté dans laquelle tous les ouvriers façonneurs sont tombez depuis quelques années faute de travail et docupacion, ont cherché les moyens de procurer auxd. ouvriers l'occasion de travailler ; et elles n'en ont point trouvé de plus avantageux que de demander au roy la liberté de faire venir en ceste ville des soies longues par le port de Nantes dont la venue estant plus commode et moins coûteuse, l'on pourroit restablir et étendre le moulinage dans ceste ville et donner de l'employ aux ouvriers ; quoy faisant l'entrée des soies dapareil estranger seroit deffendue en ceste ville ». Une requête avait été adressée au roi dans ce sens et le souverain n'avait pas
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jugé à propos d'autoriser l'arrivage par Nantes et s'était contenté de demander « si la prohibition des soies dapareil estranger pouroit estre de quelque utilité au commerce ».
Consultée sur ce point, la corporation n'eut qu'une seule manière de voir. «La seule prohibition des soies dapareil estranger diminueroit encore la fabrique qui est presque anéantie, et il serait à craindre qu'elle ne fust perdue entièrement, parce qu'il y a quelques apareils estrangers qui servent à la fabrique de certaines estoffes qui en font la plus forte partie et qui sont à meilleur prix que ceux de lapareil de ceste ville dont cette manufacture se trouveroit privée ; d'ailleurs les soies augmenteraient de prix et les étoffes ne sen vendant pas mieux cela causeroit la ruine des fabriquans, ce qui ne seroit pas s'il estoit permis de faire venir des soies par le port de Nantes, d'autant que la facilité des voitures rendroit infailliblement les soies et à meilleur marché et en abondance ». Aussi l'assemblée fut d'avis « qu'il ne doit estre rien innové pour les soies dapareil estranger jusqu'à ce que l'entrée des soies longues ayt esté permise par le port de Nantes ».
Quelque sept ans plus tard, les maîtres revinrent à la charge. Une supplique fut présentée à la municipalité par des ouvriers, « les mes façonniers et ouvriers compagnons sans employ depuis quelque temps, à cause de l'extrême cherté des soyes quy oblige les marchands d'abatre partye de leurs métiers et de congédier leurs ouvriers ». Il fut « ordonné que les d. marchands et mes ouvriers en soye se voient tenus de congédier leurs ouvriers forains et étrangers et de céder leur travail aud. mes et compagnons façonniers habitans de cette ville, que ceux qui font travailler leurs femmes et enfans ou a pièce faicte sur le métier
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seroient pareillement tenus d'abandonner leur travail aud. mos et compagnons façonniers chefs de famille, afin qu'ils puissent faire subsister leurs femmes et enfans réduits à une extrême misère faute d'emploi ».
Le 13 août 1696, on réunit l'assemblée afin d'aviser à prendre « les moyens les plus convenables pour le bien publicq de la manufacture ». On fut d'accord sur les points suivants : « les soyes sont à un prix si exorbitant qu'il est absolument impossible aux marchands mes dud. état de continuer la fabrique », en sorte qu'il devient « indispensable de congédier une grande partie des ouvriers façonniers et de n'en retenir qu'autant qu'il est nécessaire pour continuer la manufacture » ; il est impossible de rappeler les congédiés et il ne saurait leur être interdit de congédier les ouvriers « à la fin des pièces qu'ils fabriquent actuellement, en sorte qu'il n'en restera presqu'aux chefs de famille ». Pour ce qui est des étrangers, on ne connaît point « d'ouvriers qui soient étrangers du royaume ; il se peut bien qu'il y ait quelques Parisiens et Lionnois, mais cela ne va pas à dix ou douze, au lieu qu'il y a plus de sept à huit cens ouvriers de cette ville à Paris et à Lion ». D'ailleurs ces deux villes useraient de représailles « en renvoyant ici des ouvriers qui ne trouveraient pas de travail ».
Les membres de l'assemblée ne virent pas d'autre remède que celui de réclamer du roi « la permission de faire venir des soies par tous les ports du royaume », et non par Lyon où elles viennent par Marseille, « parce que les Italiens et surtout les Gennois qui ont leurs soyes de Sicille font un monopole extrême sur la vente qu'ils font faire des soyes à Lyon par cinq ou six marchands Lionnois » ; ils « feignent une mauvaise récolte et d'autres prétextes », parce qu'on ne peut acheter ailleurs ; la fabrique ne pourra marcher six
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mois dans ces conditions qui obligent « les bons ouvriers à penser à leur retraite pour former des établissemens ailleurs », si l'on ne fait entrer les soies « par tous les havres du royaume ».
Au printemps de 1697, les marchands merciers s'entendirent avec certains marchands de soie pour introduire à Tours « des marchandises de soye et écorces d'arbres de la fabrique des Indes, pris en guerre par les armateurs de St-Mallo sur les Anglais ». Or cette introduction, s'ajoutant à la vente de ces étoffes déjà faite à Nantes, accablera la fabrique de Tours et les autres du royaume. Le 9 mars, on décida d'envoyer à Paris le maître Fredureau, afin de présenter au roi et au conseil une supplique à l'encontre de la vente de ces étoffes. Le délégué fut aussi chargé de demander au souverain de protéger le « dessein du sieur Taschereau pour l'établissement des meuriers blancs nécessaires à la noriture des vers à soye » ; ce sera d'un bon exemple pour tous, « les soyes qui en viennent estant parfaitement belles, d'un bon.employ, de peu de déchet et d'aussi bonne qualité que les meilleures, la température de cette province y estant fort propre ». Le 14 décembre 1697, on chargea le procureur Briffault « de paier au sieur Barolles, commissaire des manufactures, 3001. pour récompense de ses peines au sujet de l'obtention du passage des soies de Languedoc par les portes de Genape et Vichy ».
Au commencement de 1699, les maîtres de Tours furent informés que « des députez de Holande demandaient au Conseil la permission de faire entrer en France les estoffes de leurs fabricques moiennantun droit d'entrée fort modique qu'ils offrent de payer ». Ils s'empressèrent de dénoncer le péril des fabriques du royaume et de celles de Tours ; « les holandois feraient entrer toutes les étoffes de soie qu'ils tirent de la Chine et des Indes, qu'ils
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adopteraient pour leur fabricqué, lesquelles ils donneraient à meilleur marché, ne payant que vingt pour cent de la valeur des soyes par droit d'entrée chez eux », tandis qu'en France on suit l'édit de 1669. On sait, « qu'ils ont des quantités prodigieuses desd. étoffes des Indes, » qui nous ruineraient; d'autre part, la fabrique de Tours « n'est pas encore rétablie des pertes souffertes par la vente de semblables étoffes des prises de M. de Nemours des Moulouines, et les négociens sont encore chargez de la plus grande partie de leurs étoffes, qui sont sans débit parla vente de celles des Indes ». Par contre « il serait très avantageux que les holandois qui ont lesd. soyes graises à bon marché eussent la liberté d'en faire entrer en France ». Dans l'assemblée du 2 mars, on décida d'adresser une supplique dans ce sens au Conseil.
Le nombre des ouvriers sans travail allait grossissant. Au mois de mai 1699, un grand nombre « travaillant à façon » prièrent l'intendant de leur faire payer « les quatrièmes qui avoient été rabatùes par les maisons pour lesquelles ils avaient travaillé depuis un an ». La corporation décida de verser « les huitiesmes en tant que rabatùes et non payées », et pour aider ceux qui ont encore de l'emploi, on ne leur retiendra « aucunes huitiesmes jusqu'à la fin de l'année ». Le mois suivant, on vota 200 1. à répartir sur les particuliers indigents de la communauté ».
A l'été de 1699, un cri d'alarme fut poussé par les marchands. « Depuis plus d'une année il ne s'est vendu aucune marchandise de la fabricqué de Tours », d'où une pléthore énorme dans les magasins. « Cependant les soyes se portent toujours à un prix exhorbitant, tellement que pour continuer il faudrait se charger de très grans fonds qui doivent infailliblement diminuer de plus de moitié dans trois mois » ; continuer à fabri-
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quer ce serait « activer la ruine de la manufacture ». L'intendant accueillit les doléances des marchands et chargea le corps d'aviser. Dans la réunion du 5 août, l'avis général fut de suspendre la fabrication durant les mois d'octobre, novembre et décembre en se bornant à « finir les pièces montées », sous peine de confiscation et de 300 1. d'amende à distribuer aux ouvriers sans emploi ; afin de conserver les moyens de continuer la fabrique, « les maîtres feront subsister les ouvriers pendant lesusd. temps de la manière qu'il sera avisé ».
Les statuts étaient comme le code intangible de la communauté. Tous devaient s'y soumettre sans discussion. Si l'on faisait, bien rarement, quelque exception à l'application des règlements, c'est quand l'intérêt du corps le demandait. En 1689, on reçut gratuitement parmi les maîtres François Sansonneau « en considération des services rendus journellementàla communauté » par son père, marchand et maître-ouvrier. Sur l'invitation du marquis deRazilly, lieutenant de Touraine, le bureau accorda une autorisation spéciale à Marie Hardion,veuvedeJeanVergnon, jadis marchand, demeurant paroisse Saint-Saturnin. Elle pourra « faire aprester et mouliner des soyes et les vendre et débiter ainsy et comme elle advisera pendant sa vie, » mais non pour ses enfants ; en retour'elle versa 100 livres au receveur (28 mai 1693). Le « calendreur » Villiers demandait à être reçu maître ouvrier en soie, bien qu'il eût encore six mois à faire pour achever ses cinq années d'apprentissage ; on l'accepta en considération de ce qu'il avait « un secret particulier pour le fond des calendres et pour préparer les eaux que l'on donne aux étoffes, et le service qu'il peut rendre à tous les maîtres dud. état » (27 sept. 1697).
Les gardes-jurés, chargés de l'application des statuts,
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remplissaient leur fonction avec un zèle qui ne se démentait jamais. En mai 1693, ils saisirent chez l'ouvrier Gilles Rodier une pièce de plusieurs aunes d'étamines par lui fabriquée ; comme il était réduit à une extrême pauvreté, on leva la saisie sur une promesse de se conformer aux statuts. De leur côté, les ouvriers passementiers se plaignirent de ce que l'on permettait aux compagnons ouvriers en soie de travailler en boutiques particulières, attendu que « le droit demoulinage leur appartient en toute son étendue ». La corporation des fabricants de soie maintint les autorisations accordées et obligea les passementiers à donner main levée des soies saisies. Comme certains maîtres exerçaient la double profession, on décida « qu'ils seront condamnez d'opter ».
En février 1696, on saisit chez la femme d'Albout des « soies peignez, trop ourdyes lesquelles il n'est pas permis aux femmes qui font des aiguillettes, lassetz, dans leurs petites bouticques, d'acheter, ni aux maîtres qui travaillent à façon et pour leur compte de vendre, parce que cela donne occasion aux ouvriers qui travaillent pour lesd. maîtres de retenir à la perte des maîtres ». L'affaire n'en resta pas là et l'inculpée en appela au présidial de Tours. Une transaction intervint) le 19 avril.1696, entre la communauté et la personne en cause, qui n'était autre que Anne de Villar, veuve de Guillaume Dalbout, avec elle, François Dalbout, son fils, « tissuteurrubannierestablypar sa Majesté en ceste ville de Tours et directeur des manufactures royales à MeauxenBrye y demeurant ordinairement », et sa fille Jeanne. La corporation redoutait la longueur du procès qui résulterait du « conflit de juridiction ». Les soies furent rendues à la veuve et l'affaire fut éteinte.
Aussi, en février, les visiteurs saisirent une pièce de satin rouge « tremé de fil », et une délibération du corps décida que « les étoffes tremées de fil doivent être
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défendues pour le maintien de la fabrique et conformément aux statuts ». Suivant ce même règlement on décida, le 4 juin, « qu'il ne peut sous quelque nom et prétexte que ce puisse être fait aucune étoffe mélangée qu'avecq la chesne toute de soye et non de soye meslée de fil etautre matière tordue aumoullin ». A l'occasion d'une autre saisie faite sur un compagnon, on rappela que les d. ouvriers ne sont pas « en droit de mouliner ni pour eux ni à façon en boutiques particulières, seulement à journée » chez les maîtres, parce que « le moulinage est d'une extrême importance » et « de là vient que l'aprêt des soyes de cette ville est considéré dans les autres villes d'une bonté inimitable » (16 novembre 1696).
Le délit revêtait parfois un caractère dramatique. Le 19 juin 1702, les gardes-jurés faisaient leur visite ordinaire dans « le quartier Saint-Eloy ». Informés que la vve Leguay « faisait un commerce mauvais », ils se présentèrent chez elle. Comme ils avaient trouvé « sur unguindre une bobine pleine de soye noire nouée », elle leur dit qu'elle lui avait été donnée à façonner par sa voisine Charlotte Lccreux. En outre, dans un petit coffre ils virent « des pesnes et démises de soye de plusieurs couleurs ». Soudain la veuve s'approcha du coffre et « elle y prist un autre pacquet qu'elle mit sous ses hardes entre ses jambes et se jetta par terre feignant qu'elle se mourait et demanda un confesseur ». Les gardes la firent relever ; « le pacquet tomba et fut reconnu que c'estoit des pesnes et démises de soyes de plusieurs couleurs ». La délinquante interrogée sur la provenance, fit « diverses réponces qui marquoiènt de la fraude », et le tout fut saisi.
La situation des finances de la communauté à la fin du xvue siècle nous apparaît nettement dans le registre
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des délibérations. Tantôt (10 mai), on écoute l'exposé des gardes au sujet du « désordre arrivé dans la manufacture par la faillite de ceux qui tenoient le' premier rang », et on rédige une délibération. Il y est déclaré que « la ruine procède principalement et presque uniquement de la pratique de l'esconte, ce qui a été si bien connu de Mgr l'intendant que sur son oeuvre et au rapport de Mgr le mis de Louvoys il y a eu arrest portant réduction de l'esconte, qui n'a néanmoins point esté exécuté depuis prés de deux ans, parce qu'il n'y a aucun juge nommé par icelluy pour tenir la main à l'exécution ». En conséquence on fera appel à « la bonté et la justice de Mgr de Louvoys et de Mgr l'intendant », en les avisant « des moyens les plus convenables pour empescher la ruine de la manufacture. » Les fonctions de receveur étaient peu désirées et il fallut insister vivement auprès des sieurs Froidure l'aîné et Plomelle pour leur faire accepter cette charge (21 juin). Les comptes de cette époque, qui vont de « la St-Sébastien à la St-Sébastien » au mois de février, accusent une créance de 2,930 1. au profit de Joseph Cartel, « ci devant procureur de la communauté ».
La corporation avait une dette annuelle de 3,853 1. 3 s. 5 d. « procédant de la somme de 37,968 1. 17 s. 6 d. empruntée pour mestre, de l'ordre du roy, dans la campagne des Indes es années 1665 et 1667 ; de 13,2001. aussi empruntée et fournie au roy en 1675 pour le. soutien de la guerre contre toute l'Europe ; de 22,9301. 6 s. 8 d. pour l'acquisition de la maison servant de bureau rue du Petit-Soleil, » ainsi nommée par suite d'une hôtellerie, portant cette enseigne. Pour aider à couvrir cette dette, on a parfois proposé des moyens « contraires au commerce». Commele montant des droits perçus dans la corporation, même après augmentation, « sera encore moins que ce que l'on paie dans le corps
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des marchands merciers, drapiers et mesme dans les arts et métiers comme chirurgiens, apoticquaires, boulangers et autres », on décréta une surélévation. A l'avenir on versera : « pour l'enregistrement des brevets d'apprentissage 20 1. 40 s. ; pour les petites lettres de compagnon et drap d'aprentissage 30 1. ; pour les droits de maistres 250 1. » (27 octobre 1688). Cet arrêt sera porté au lieutenant général de Touraine pour en « demander l'enregistrement ». La corporation paie 6611. 4 s. « pour les droits de francs-fiefs et nouveaux acquêts », et se libère de la somme de 12,0001. à laquelle elle avait été taxée, en 1675, en « exécution de l'édit 'concernant les arts et métiers » (1er déc. 1688).
Grevée par les intérêts et les charges diverses qui lui incombaient, la communauté décida d'adresser une requête à l'intendant pour qu'il obtienne du conseil un arrêt autorisant la corporation à « faire des taxes sur tous les principaux membres qui la composent, jusqu'à telle somme et pour le temps qu'il sera avisé » (4 fév. 1690). On autorisa un « regallement » ou prélèvement de 6,000 1. par an durant 3 années et l'on nomma plusieurs commissaires chargés de procéder à cette opération (6 juillet 1690) ; ce sont Jacques Rabasche, Olivier de Faye, Simon Chausse, Toussaint Moussard, « qui ont passé par les charges degardes-jurez », Louis Lasneau, Julien Souche, François Hou et Jacques Chotard, « aussi marchands mes ouvriers » ; mais plusieurs refusèrent la mission qui leur était confiée. Et pourtant ce n'était pas tout. A quelque temps de là, la communauté fut avertie que sa part proportionnelle dans la taxe générale de 200,000 livres sur les corporations de la généralité s'élevait à 15,000 1. (mars 1692); la somme fut prêtée par des membres de la bourgeoisie et du clergé, parmi lesquels figurent les sieurs Cottereau, Roze, Petit, Compain et Menard. — L'assemblée
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générale du 20 octobre 1694 autorisa les gardes-jurés à emprunter 4,000 1. pour payer la taxe d'auditeur des comptes des communautés. A cet effet, on fera un rôle de la taxe par tête et la corporation demandera au Conseil de lui octroyer un terme de 2 ou 3 ans pour payer les intérêts dus par elle.
Par délibération du 12 juin 1697, on arrêta ainsi les honoraires dus aux jurés pour la réception des compagnons : par les compagnons sans droit, 241. ; par les gendres et fils de pies, 15 1. ; aux clercs par les compagnons sans droits, 9 1. ; par les gendres et fils de mes, 6 1. A la suite d'une affaire, on voit verser : au lieutenant-général, 25 1. ; au secrétaire, 9 1. ; au pro-l cureur du roi, 15 1. ; à un autre, 6 1. ; au greffier, 7 1. ; commissions, 15 1. ; au procureur pour son assistance, 15 1. Les dépenses à l'occasion des fêtes religieuses comportent : pour la tenture devant les maisons, le dimanche du Saint-Sacrement, 5 1. ; pour « les bâtons de huit torches » que l'on remplaça par des cierges », 8 1, ; pour les armoiries, 131. ; pour un pain bénit de 12 boisseaux, « payé au prix du blé » ; à celui qui coupe le pain bénit, 11. ; pour le service aux Augustins, 40 1., suivant le règlement arrêté en 1692. Enfin, pour la dépense de bois, chandelle, cire d'Espagne, plumes, encre, papier, elle ne devra pas dépasser 75 1.
A la fin du xvne siècle, la corporation des ouvriers en soie se trouvait dans un état précaire. De grosses dettes provenant d'emprunts ralentissaient la marche des affaires et les créanciers ne paraissaient pas disposés. à pratiquer la patience ; le créancier syndic était Jacques Fredureau, sieur du Chillou, cer' au présidial. Les intéressés réclamèrent, et l'affaire fut portée devant le Conseil d'État, qui rendit un arrêt en la forme suivante:
« Veu au Conseil du roy l'arrest rendu iceluy le
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trente juillet 1697, par lequel Sa Majesté faisant droit sur les requêtes y énoncées respectivement présentées par le nommez Javelle et consorts, maîtres-particuliers de la communauté des marchands maîtres ouvriers en soye de la ville de Tours d'une part, et par M. Jacque Fredureau, sieur du Chai Hou, conseiller au présidial de Tours, créancier et syndic des autres créanciers de lad. communauté, d'autre part, aurait entre autres choses ordonné que les créanciers de lad. communauté des marchands maîtres ouvriers en soye seront tenus, dans un mois du jour de la signification du présent arrêt de représenter par devant le sieur de Miromenil, conseiller du roy en les conseils, commissaire départy pour l'exécution des ordres de sa Majesté en la généralité de Tours, les titres et pièces justificatives de leur créance pour, après qu'ils auront été communiquez, tant aux gardes jurez et procureur en charge desd. marchands maîtres ouvriers en soye, qu'au susd. Javelle et consorts, être par led. sieur de Miromenil dressé procès-verbal des dires et contestations des parties, et iceluy rapporté à Sa Majesté ordonné ce que de raison, le procès-verbal dressé par led. sieur de Miromenil en exécution dud. arrest, commencé le 16 décembre de lad. année 1697, et fini le 10 décembre 1698, de la représentation faite pardevantluy par les led. créanciers des titres de leurs créances, led. procès-verbal contenant une énonciation de tous lesd. titres, et les débats qui ont été fournis par lesd. Javelle et consorts contre chacune desd. créances, ensemble les dires, raisons et contestations, tant desd. Javelle et consorts que desd. créanciers et des procureurs et gardes jurez de lad. communauté au sujet des débats d'icelle, l'avis dud. sieur de Miromenil sur le contenu aud. procès-verbal et plusieurs pièces et mémoires fournis par lesd. parties depuis que led. avis a été envoyé à Sa Majesté.
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« Le tout veu et considéré, ouy le rapport du sieur Phelipeaux de Pontchartrain, conseiller ordinaire au Conseil royal, controlleur général des finances, le Roy en son Conseil faisant droit sur led. procès-verbal dud. sieur de Miromenil, a déclaré et déclare les sommes dues aux cy-après nommez, être dettes de la communauté desd. marchands maîtres ouvriers en soye de la ville de Tours, scavon: aud. sieur Fredureau du Chaillou huit mille livres d'une part et deux mille livres d'autre ; au sieur Samuel Levasseur, sieur de la Bouchardière, six mille livres, et au sieur Ferrand, maître particulier des eaux et forêts d'Amboise, sept mille livres à cause des empruns faits par lad. communauté, pour les fonds mis dans la compagnie des Indes orientales ; aud. sieur Fredureau du Chaillou, cinq mille quatre cens livres ; aux sieurs Collin frères, quatre mille livres, et aux religieuses du Calvaire de lad. ville de Tours, trois mille huit cens livres à cause des empruns faits par lad. communauté, pour payer sa part de la taxe imposée en l'année 1673 sur les communautés des arts et mestiers ; au sieur Joseph Milon des Essarts huit mille livres ; ausd. sieurs Collin frères mille livres ; aud. sieur Fredureau du Chaillou mille livres, et aud. sieur Ferrand neuf cens livres à cause des empruns faits en l'année 1653 pour acquiter les anciennes dettes de lad. communauté ; ausd. sieurs Collin frères trois mille livres ; à Françoise Lehoux, vre de Gabriel Compain, trois mille livres, et aud. sieur Fredureau du Chaillou quatre mille livres d'une part, et quatre mille livres d'autre, à cause des empruns faits depuis l'année 1676, pour être employez aux frais et dépences faites pour différentes affaires de lad. communauté ; ausd. sieurs Collin frères seize mil livres, et à Me François Godefroy, prêtre chanoine de l'église Saint-Pierre-Puillier de lad. ville de Tours, et Barthélémy Petit deux mil livres à cause des empruns
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faits pour l'acquisition au profit de lad. communauté des maisons servant de Bureau ; au sieur Jacques Royer six cens soixante dix huit livres onze sols huit deniers, restant de l'emprunt fait par lad. communauté pour payer les droits d'amortissemens dûs à Sa Majesté, pour lesd. maisons servant de Bureau, et à M° BertrandCottereau, chanoine cellerier de l'église Saint-Martin de Tours, huit mille cinq cens livres réstans de l'emprunt fait par lad. communauté, pour l'acquisition et réunion à lad. communauté des charges de gardes-jurés créez en titre d'offices par édit du mois de mars 1691, revenans lesd. sommes principalles à celle de 88,278 1. 11 s. 8d.
« Et sa Majesté voulant pourvoir à la libération de lad. Communauté a ordonné et ordonne qu'à commencer en la présente année et jusqu'à l'entier acquittement desd. dettes de la communauté en la matière qu'il sera jugée convenable par délibération, qui sera prise à cet effet dans huitaine après la signification du présent arrest aux gardes-jurez, la somme de 2,600 livres suivant l'état ou rôlle qui en sera dressé et authorisé ensuite par le sieur commissaire départy pour l'exécution des ordres de sa Majesté en la généralité de Tours ; laquelle somme de 2,600 livres avec les droits qui se percevront au profit de la dite communauté provenans des réceptions des maîtres, compagnons, aprentifs et autres causes à la déduction de la somme de 900 livres seulement, qui demeurera es mains des gardes-jurez par chacune année pour les charges ordinaires de lad. communanté, sera employée pendant les années 1699,1700 et 1701 aw payement des arrérages échus au dernier jour du mois de décembre de l'année 1698, et de ceux qui coureront pendant lesd. trois années des rentes constituées pour lesd. sommes principales, et le surplus si aucun y a, à l'acquittement desd.
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principaux et après lesd. 3 années expirées seront les arrérages courant desd. rentes pris par chacune année sur les deniers provenans tant de lad. imposition de 2,600 livres par., an, que des droits qui seront perçus au profit de lad. communauté, déduction faite desd. 9001ivres; cequiresteradesd. deniersseraemployé à acquitter aussi annuellement partie desd. sommes principales sans que les fonds destinez au payement desd. dettes puissent être divertis ny employez à aucun autre usage pour quelque Cause que ce soit; et à cet effet il sera fait tous les ans un compte particulier de l'employ tant de lad. somme de 2,600 livres provenant de lad. imposition, que de celle à laquelle auront monté les droits perçus au profit de lad. communauté à la déduction de lad. somme de 900 livres, lequel sera arrêté en la manière ordinaire et représenté ensuite aud. sieur commissaire départy, auquel sa Majesté enjoint de tenir la main à l'exécution du présent arrest, et ce qui sera par luy ordonné pour raison de ce sera exécuté nonobstant oppositions ou appellations quelconques, dont si aucunes y intervenant Sa Majesté s'est réservé la connaissance. Fait au Conseil d'État du roy, tenu à Versailles le 12may 1699, (signé) ~Dujar dm)) [C. 110].
Le même jour, Louis XIV manda à l'intendant de Miromenil d'avoir à exécuter cet arrêt « nonobstant oppositions ou appellations quelconques ». De son côté « Thomas-Hue, chevalier, marquis de Miromenil, cer du roy en tous ses conseils, me desrequestes ordinaires de son hostel, président en son grand conseil, intendant de justice, police et finances en la généralité de Tours», ordonna, le 8 juin, que led. arrêt sera exécuté en sa forme et teneur et, « à cet effet, sera lu, publié, signifié et affiché où et à qui il appartiendra ». [ C. 110. ]
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VII
LA FABRIQUE DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIII» SIÈCLE
Le xvme siècle nous a légué des documents nombreux qui nous renseignent fort exactement sur les divers aspects de la fabrique. Par eux, nous sommes fixés tout d'abord sur le côté financier et sur le fonctionnement de la corporation.
La question du monopole des soies revenait à flot de temps à autre. Au mois de juin 1700, les gardes-jurés dépistèrent « un des entrepos dont cinq ou six gros marchands de Lyon liez d'intherest avec les Génois se servent pour favoriser le monopole des soyes » ; ils saisirent 30 ou 40 balles de soie cachées chez Gobin avec une cassette pleine de factures, de lettres et de registres des intéressés. On y apprit notamment que « le sieur abbé Goulard estoit un espèce d'inspecteur ou mieux d'espion des marchans de Lyon pour découvrir tout ce qui se passe dans la fabrique, afin de se servir des occasions pour augmenter le prix des soyes ou les entretenir au prix exorbitant où ils les ont portés, par leur monopole, se prévalant de ce qu'on ne peut en tirer d'ailleurs et de ce que les Génois se sont rendus les maistres absolus du commerce des soyes d'Itallie ». En conséquence, la communauté s'adressa d'une part au lieutenant-général de police pour saisir ces balles et, d'autre part, au contrôleur pour demander l'abolition de ce monopole désastreux et la faculté de
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« faire entrer des soyes par tous les ports de la Méditerranée et de l'Océan, en paiant les mesmes droits que paient celles de Sicille et d'Itallie que les d. marchands de Lyon font entrer pour les Génois ». Enfin on résolut de a poursuivre ce monopole partout où besoin sera » et, à cet effet, on députa à Paris le sieur Fredureau.
Au mois d'août 1701, « les maistres de la communauté des tinturiers » baillèrent au lieutenant-général de police une requête « à l'effet d'augmenter les prix de leurs tintures, atendu que les drogues qui servent et le bois sont beaucoup enchéris ». Le lieutenant demanda l'avis de la corporation des ouvriers en soie. Celle-ci accepta l'augmentation et fut d'avis « de porter toutes les couleurs communes à 10 s. la livre, les vers d'émeraude, viollets, acarats, bleu turcq et rouge cramoisy à façon et les noirs à 16 s., et les ponceaux à 30 s., le tout uniformément entre tous les marchands maistres ouvriers en soye, nonobstant toutes conventions, aux charges que lesd. tinturiers sont tenus de garantir la bonté des tintures ».
Au commencement de cette année, les gardes-jurés songèrent à créer une association avec un capital en vue d'assurer l'approvisionnement des matières premières. « Il seroit avantageux à la manufacture, pensaient-ils, de faire un fond suffisant entre les principaux marchands mes dud. estât, pour faire les provisions des soyes qui leur sont nécessaires pour leurs - fabriques et les répartir entre eux ». L'assemblée du 14 avril arrêta en principe la création de ce fond ; « à cette fin il sera dressé des articles d'une société en comendite dans laquelle tous les marchands mos dud. estât pourront entrer, en fournissant pour chacune action la somme de 5,000 1. » avec la faculté de «pren-
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dre tels nombres d'actions qu'ils désireront, pour les soyes en provenans être réparties entre tous les intéressés de la compagnie ». « Les articles, clauses et conditions » de la société devront être soumis à la première assemblée.
Une pensée hantait sans cesse les mes ouvriers et marchands, celle de « rétablir la fabrique, si extrêmement affaiblie par le malheur des temps, où il se fait très peu de consommation et chaque fabricant est beaucoup chargé de marchandises à cause des étoffes des Indes qui empeschent le débit ». Au commencement de l'année 1703, on tenta de trouver une solution dans la fixation du nombre des métiers. Après mûre délibération, le 16 février, « il a esté conclu qu'aucun des marchans fabricans ne pourra avoir plus de quarante métiers, sauf à payer 40 1. pour chaque métier en plus ». Afin de prévenir tout désordre, les dignitaires adoptèrent huit classes comprenant 40, 35, 30, 25, 20, 15, 10 et 5 métiers. Pour les trois dernières classes on paiera pour chaque métier en plus du chiffre normal, 20 1. ; pour les trois autres, 30 1. ; et pour les deux premières, 40 1. Le produit sera consacré « à l'acquittement des charges de la communauté ». La déclaration est obligatoire à partir du 1er mai. « Si la présente réformation fait qu'aucun des mes travaillant à façon manquent de besongnes, il sera pourveu à leur noriture. »
En 1713, le procureur-receveur de la communauté des maîtres fabricants et ouvriers en soie était Louis Audebert. Si nous ouvrons ses comptes, nous y voyons la réception de 3 compagnons à la maîtrise « sans droits », c'est-à-dire n'étant ni fils ni gendres de maîtres ; de ces derniers 22 furent reçus en la dite année. Pour chacun des trois nouveaux maîtres, il toucha 260 1. 5 s., mais une partie de l'encaisse allait
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à d'autres personnalités. A l'occasion de la réception d'un maître, il était dû 16 1. aux officiers de justice, 39 1. aux gardes-jurés et 14 1. 12 s. aux clercs ; de la sorte la communauté touchait 571 1. 19 s.; on doit ajouter 21 draps d'apprentissage à 8 1. chacun. Pour la réception d'un maître avec privilège, on versait 6 1. au lieutenant de police, 41. au procureur, 4 1. au greffier, 17 1.12 s. aux clercs, 12 1. à la Charité ou Hospice, plus 3 1. de petit scel et 98 1. pour le bureau de la maîtrise, qui faisait un total de 145 livres.
Au mois de février 1713, le receveur paya à Roulleau, procureur du présidial et de la communauté des fabricants de soie, pour la vacation du lieutenant général 25 1., et de son secrétaire 13 1. 10 s.; pour celle du procureur du roi 15 1., et de son secrétaire 9 1. ; pour les assistances du d. procureur aux assemblées durant l'année écoulée 45 1., et pour ses commissions et copies 22 1. Au mois de mars, l'intendant rendit une ordonnance relative au rôle de l'impôt touchant le service des eaux. En conséquence, le 22 avril, Joseph Chottard et Pierre Gersant, « commis à la réception de l'imposition faite pour le rétablissement des fontaines », firent commandement à Audebert de verser en leurs mains 2,300 1. pour la part due par la communauté ; le porteur était Denis Malitourne, « sergent ordinaire de l'hostel commune de la ville. » [E. 462].
En 1714, la charge de receveur fut remplie par Soûlas, lequel, en janvier 1715, versa au procureur 501. qui lui étaient duesau cours de l'année précédente pour ses « sallaires du procès criminel instruit et jugé contre Poisson et sa femme, sur lesquels des soyes saisies avaient été confisquées au profit de la communauté » ; ainsi que pour ses honoraires du mémoire présenté à l'intendant et aux conseillers et de tout ce qu'il a pu faire. A la même époque, le receveur donnait
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au procureur 725 1. « pour les droits de réception de 45 maîtres, à raison de 16 1., compris les lettres de maîtrise, pour l'année 1714; » et baillait 510 1. 12 s. au receveur de l'hospice général « pour la provenance la boiste du Bureau de la communauté au profit des pauvres »; il s'agit du produit des amendes. Pour ce qui est des apprentis (ainsi est libellé le reçu imprimé que nous avons sous les yeux), le « procureur du corps et communauté des marchands-fabricants et entrepreneurs de la manufacture des étoffes d'or, d'argent et de soie » touchait « 6 livres pour le droit d'apprentissage, par obligation passée devant notaire ». Les apprentis devaient le service gratuit jusqu'à ce qu'ils aient acquis le degré d'habileté nécessaire pour passer compagnon et rempli leurs engagements. [ E. 462.]
Le rôle des intérêts de la communauté, arrêté pour l'année 1714, montait à 4,315 1. ; on avait taxé les métiers à 30 s., les moulins chez les fabricants à 51. ; ceux à façon à 3 1., et ceux des mouliniers travaillant pour leur compte à 10 1. On remarque que le sr Soûlas, procureur de la corporation, possédait 31 métiers et 3 moulins.
Les fabricants étaient de temps à autre victimes de larcins qui nécessitaient des poursuites. En ce cas, les curés recevaient des monitoires ou avertissements, qu'ils devaient publier dans leurs paroisses respectives afin d'éveiller l'attention sur les voleurs. Au mois d'octobre 1714, le receveur payait : « à MM. les curés pour les riengraves des monitoires qui ont esté publié , à la requeste de la communauté, 90 1.; plus 8 journées de cheval pour porter les riengraves, et la nourriture à 6 1. par jour, ou 48 1. ».
Parfois les affaires réclamaient un voyage à la
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capitale. A l'automne, M. d'Aigremont se rendit à Paris pour soutenir les intérêts de la corporation. Nous donnerons ici le « Compte de la dépense que M. d'Aigremont a fait à Paris pour la communauté:
« Nourriture du 1er septembre au9, 33 1.; uncarosse pour aller chez M 1' de Baudry avec Mr Aubert, 31 ; pour le desjeuné avec ledit 2 1. 05 s. ; diner à Mr Chauffé 2 1. 15 s. ; pour avoir fait faire des copies 3 1. 15 s. ; port de lettres et paquets divers 10 1. ; payé au secrétaire du procureur gal 11. 2 s. 6 d. ; caffé et liqueurs à Mr le Procureur et à M 1' Chauffé au retour 2 1. 15 s. ; payé pour un cheval pour Fontainebleau 10 1. ; pour la couchée et diner à Essonne 4 1. 15 s. ; ma première couchée et diner à Fontainebleau 6 1. 10 s. ; au laquais de Mr Couturier 2 1. 2 s. 6 d. ; 2 autres couchées 2 1. ; 4 repas 81.; menues dépenses 31.; retour à Paris 81.; port de lettres 3 1.15 s. ; barbe et blanchissage, etc. 1 1. 15 s. ; 7 repas à Paris 10 1. 10 s. ; la chambre 101. ; port de lettres 11.10 s.; un caresse pour aller chez Mr de Baudry avec l'avocat 31.; blanchissage 2 1. ; port d'argent 21. ;pour le2me voyagea Fontainebleau 131.10s. ; la chambre 3 1. 10 s. ; 5 repas 10 1. ; au laquais de Mr de Baudry 2 1. 2 s. 6 d. ; retour à Paris 8 1. ; blanchissage à Fontainebleau et Paris 7 1. 10 s. ; au clerc de l'avocat 41. 05 s. ; au porteur de lettres 21. 2 s. 6 d.; au barbier 31. 10 s. ; pour la chambre 8 1. ; pour nourriture 111.; port de papiers et caisse, 71. ; pour le retour 301. — Total 255 livres, arrêté à Tours le 1er novembre 1714 ». [E. 462.]
Nous ne quitterons pas la présente année sans indiquer quel était pour celle-ci « le rolle » arrêté, le 13 décembre, par le bureau et que chaque fabricant devait verser au receveur « pour payer les interests des sommes dues par la d. communauté et charges qu'on a accoutumé de payer ». Les gardes-procureurs, compo-
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sant le bureau, étaient alors Soûlas, R. Bourgeot, Vincent Pétard, J. Douet, H. Roux, Billault, Deschamps, Daigremont, Audebert et R. Sicart. La répartition était de « 30 sols par mestier, pour les moulins chez les fabricants de 5 livres, ceux à façon 3 livres et ceux des mouliniers faisant pour leur compte, 10 livres ». Le nombre des fabricants du rôle s'élève à 136 ; en tête figurent le procureur Soûlas,qui paie911.10 s. pour 51 métiers et 3 moulins, et Adrien Girollet, taxé à 1151.10 s. pour 67 métiers et 3 moulins. Les cotisations les plus élevées sont celles de Noël Girollet, 127 1. 10 s. et la ve Orceau 123 1. 10 s.; un grand nombre sont inférieures à 10 1. et plusieurs ne dépassent pas 1 1.10 s.
Parfois les nécessités de la guerre, beaucoup plus rarement, il est vrai, que de nos jours, arrachaient l'ouvrier à son métier; ce n'était que justice qu'il fût exonéré de certaines taxes. En cas d'oubli, l'intéressé en était quitte pour formuler une réclamation. Au mois de février 1716, Joseph Guillais et Pierre Fournier, ouvriers en soie, remontrèrent à qui de droit que « en retour de campagne au service du roy, dont ils ont eu leur congé absolu, ils ont esté imposés à 4 1. chacun pour la taxe des bleds et capitation, laquelle taxe ils ne doivent point veu qu'ils estaient pour lors au service du roy » ; ils demandèrent à l'intendant que par sa « bonté charitable il ordonne que la d. taxe leur sera rendue, estant de pauvres ouvriers qui ont beaucoup de peine à subsister »..
Un peu plus tard, Louis XIV rendit un édit portant « rétablissement du passage des soyes par la ville de Lyon conformément aux anciens édits et ordonnances, et suppression du droit de 20 s. par quintal de soye étrangère », et ordonnant qu'à « partir du 1er février 1722 il sera levé à perpétuité 14 s. par livre de soye étrangère et 3 s. 6 d. par livre de soye originaire ». Rétablir
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le passage des soies par Lyon c'était prendre une mesure gênante pour les fabricants de Tours, qui ne manquèrent pas de s'en plaindre, le cas échéant. [C. 103.]
De tout temps, des contestations surgirent entre les patrons et les ouvriers. Il est vrai de dire que grâce à la précision minutieuse des règlements, aussi bien que par suite de l'esprit soutenu de corps et de confraternité, ces différends étaient assez rares à l'époque qui nous occupe. Ils étaient alors portés en premier ressort devant les maîtres-jurés et autres, composant le bureau de la communauté ; si l'on ne parvenait pas à s'entendre, l'affaire allait devant le lieutenant-général de police. Le Livre des consilliations de la corporation nous renseigne sur le caractère et la solution de ces contestations.
Ici (sept. 1731), G. Desnoux, demandeur contre Segnier père, réclame qu'il soit « nommé des arbitres pour régler son compte », et il est fait droit à sa requête ; Roze Girollet contre Gendron demande aussi des experts « pour arbitrer un coupon de damas noir glacé lilas qui est tout taché », et il obtient gain de cause : dans le premier cas, les arbitres étaient Deschamps l'aîné et Jean Chossé; dans le second cas, Barthelemi Dugas et Tourtoy. Là, René Maupoil actionne Millard Lyon pour qu'il « ayt à lui payer la moytier du restant de sa façon et l'autre moytier en rendant le premier coupon », alors que le défendeur « n'entend point lui donner d'argent qu'il n'ayt rendu le premier coupon, ayant reçu 511. et toute la façon ne se montant qu'à 76 1., le huitiesme rabatu » ; le bureau renvoya le demandeur des fins de sa requête.
Ailleurs, François Millet demande à Hou et Cordier qu'on lui « donne de la trame pour finir sa pièce, n'ayant point travaillé depuis 4 jours, faulte de trame » ;
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le défendeur est condamné à fournir de la trame le lendemain, et « faulte de le faire, jusqu'à ce qu'il luy en est donné, luy sera payé 30 s. par jour ». Une autre fois (oct.), il s'agit de l'apprenti Jean Beauté, qui se plaint d'être renvoyé par le maître René Gillet; le premier exige que celui-ci « ayt à tenir l'obligation qu'il a faicte avec luy depuis six semaines, et qu'il ayt aie traitter de douceur et luy montrer son mestier avec patience » ; de son côté, le patron répond « qu'il ne luy fait pas faire de bonne ouvrage ». La décision porte que le maître « reprendra led. apprentif et luy montrera son mestier avec patience et le traittera humainement, et que à la diligence de la communauté il sera poursuivi pour estre condamnéen l'amende de 30 1. suivant l'article 36 des statuts pour n'avoir pas fait enregistrer led. apprentif ». Les faibles, on le voit, trouvaient auprès des gardes-jurés la protection réclamée par l'équité et par l'humanité, que des esprits prévenus considèrentnaïvement comme le monopole de notre siècle, d'ailleurs si secourable aux travailleurs. A l'hiver de 1731, d'autres affaires amènent des plaideurs en « consilliation ». En décembre, Pierre Baugendre demande à Claude Couhé de- « parachever la chose de son obligation, savoir de luy donner un habit complet de droguet d'Amboise croizé vert, et cullot, chapeau, bas, souliers, deux chemises et deux cravates, ayant rempli toutes les choses » de son obligation ; le patron réclame à l'apprentif « encore deux ans de son temps et que après il sofre à satisfaire ». Le bureau fut d'avis que le maître « remplisse les choses de son obligation expliquées cy-dessus dans 15 jours ». Au mois de janvier suivant, « la fille Marie Bonneau de Saint-Avertin » poursuit Moreau Thoineau, « comparant par son espouse », afin qu'il lui paie « la façon de 6 livres 8 onces de soye qu'elle a dévidée » ; on
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objecte que l'ouvrière a « fait trois onces et demie de déché, pendant que les autres devideresses n'en font presque pas ». On décida que le maître paiera « la facondes 6 1. 8 on. de soye à 10 s. la livre comme aux autres devideresses, sauf à ne point luy en donner ». En d'autres circonstances (février 1737), il s'agit d'un différend à propos duquel un ouvrier demande que des « pièces de soye blanche soient marquées du marc de la communauté et arrêtées jusqu'à ce que l'ouvrage du demandeur soit faite » ; et, en avril, le patron Soulas contre François Bonnardveut que « les tares sur la pièce croisé noir fabriquée par celui-ci soient réglées par les gardes-jurés » et qu'on lui rende sa pièce, « offrant de donner un billet à la huitaine, sans douze livres, attendu l'infidélité ». Le défendeur « ne consent point que les tares soient réglées par les gardes, attendu qu'elles viennent de la dévideuse ; il a eu le tort de ne pas vérifier le poid quand elle l'a rendue, et consent que la pièce soit enlevée aux charges que le demandeur lui donnera un billet à la huitaine et 4 écus pour son congé ». Le bureau décida que l'affaire serait réglée par des arbitres. (E. 472.)
Nous avons parlé delà marque des étoffes. Un arrêt du Conseil d'Etat du 30 juin 1733 fixa la manière dont les draps et autres étoffes de laine ou mêlées de laine, soie, poil, fil, coton et autre matière devaient être marquées et plombées. Le 30 janvier 1734, un autre arrêt précisa et interpréta la façon dont le précédent devait être appliqué. En voici le texte :
« Art. 1. —Les entrepreneurs des manufactures et maîtres fabriquants des draps et autres étoffes de laine, ou mêlées de laine, soye, poil, fil, coton et autres matières, pourront mettre par abréviation leur nom de baptême au chef et à la queue de chaque pièce desdites
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étoffes qui ne seront pas assez larges pour le contenir en entier, à la charge néanmoins que leur surnom et le nom du lieu de leur demeure seront mis en toutes lettres, et sans abréviation, conformément à l'article 1er de l'arrêt du 30 juin 1733 et sous les peines y portées.
« II. — Veut sa Majesté, que lesd. entrepreneurs de manufactures et maîtres fabriquants, qui sont dans l'usage de tisser sur le métier leur nom et surnom, et le nom du lieu de leur demeure sur les étoffes de leurs fabriques, continuent à les marquer de la même manière, à la têteet à la queue de chaque pièce ; permettant néanmoins Sa Majesté à ceux desd. fabriquans, qui ne sont pas dans le même usage, de mettre à la tête et à la queue de chaque pièce de leurs étoffes, leurs noms et surnoms, le nom du lieu de leur demeure à l'aiguille avec un fil de chanvre, de lin ou de coton, d'une couleur différente de la couleur de la pièce, au sortir du métier tant sur celles des d. étoffes qui passent au foulon, que sur celles qui reçoivent des apprêts suffisans pour que les d, marques s'incorporent dans l'étoffe, de façon qu'elles ne puissent en être enlevées sans qu'il en reste quelque vestige ; le tout conformément à ce qui est prescrit par l'article II du d. arrêt du 30 juin 1733 et sous les peines y portées.
« III. — Permet Sa Majesté ausd. entrepreneurs de manufactures et maîtres fabriquants de couper par la moitié les pièces entières des draps, et autres desd. étoffes qu'ils auront fabriquées, lorsqu'elles leur seront ainsi demandées par les marchands, à la charge par eux de faire marquer du plomb de fabrique chacune des demi-pièces à l'endroit où elle aura été coupée, pour y être ensuite le plomb de contrôle appliqué, pourvu que les d. étoffes soient trouvées fabriquées conformément aux règlements ; ce outre les plombs de fa-
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brique et de contrôle qui, suivant l'article IV dud. arrêt du 30 juin 1733, devront être opposés à l'autre bout de chacune desd. demi-pièces, sur lesquelles le nom et le surnom du fabriquant et le nom du lieu de sa demeure seront marqués, le tout porté par led. article.
« IV. — Permet pareillement Sa Majesté ausd. entrepreneurs de manufactures et maîtres fabriquans de continuer l'usage dans lequel ils sont de fabriquer à la queue des draps, et autres desd. étoffes, après que les pièces sont achevées, des coupons ou passes, pour employer les restes des chaînes montées sur leurs métiers ; à la charge par lesd. entrepreneurs et maîtres fabriquans de tisser sur leurs métiers, ou de mettre à l'aiguille avec un fil de couleur, sur celles desd. étoffes qui doivent passer au foulon, leurs nom et surnom, et le nom du lieu de leur demeure, à la queue desdits coupons ou passes, et de les faire marquer à la tête, après qu'ils auront été séparés de la pièce, du plomb de fabrique, pour y être ensuite le plomb de contrôle appliqué, si les d. coupons ou passes se trouvent fabriqués conformément aux règlements, à peine contre les d. entrepreneurs de manufactures, maîtres-ouvriers fabriquans chez lesquels il serait trouvé, ou qui auraient vendus desd. coupons en passes sans les marques et le plomb de fabrique ordonnée ci-dessus, de trois cens livres d'amende, et de confiscation desd. coupons ou passes, la d. amende applicable moitier au profit de Sa Majesté, et l'autre moitier au profit des pauvres de l'hôpital le plus prochain du lieu où les jugements auront été rendus.
« V. — Veut pareillement Sa Majesté que, dans les cas où les fabriquans et les marchands seront obligés de couper sur une pièce entière de draps ou autre étoffe de laine, ou mêlée de laine, soie, poil, fil, coton et autre matière, des morceaux tachés ou autrement
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endommagés, soit par le foulon, ou par les autres apprêts, ils soient tenus de les lever sur la pièce entière par coupons dont ils déchireront les lisières ; sans que sous quelque prétexte que ce soit, ils puissent garder dans leurs boutiques ou magasin, exposer en vente, ni débiter avec leurs lisières, lesdits coupons ainsi tarés ou endommagés à peine de confiscation desd. coupons, et de cens livres d'amende pour chaque contravention.
« VI. — Veut aussi Sa Majesté, que les marchands détailleurs des petites villes, bourgs et villages, qui auront acheté pour leur assortiment des coupons de draps et autres étoffes, qui n'auront à aucuns des bouts ni les marques ni les plombs ordonnés par led. arrêt du 30 juin 1733, soient tenus, avant que de pouvoir les enlever, de les porter au bureau, soit de fabrique ou de contrôle établi dans le lieu où ils auront fait leurs achats, pour y être lesd. coupons marqués aux deux bouts des plombs de l'un desd. bureaux, si ils sont trouvés fabriqués conformément aux règlements ; et à l'égard desd. coupons, la qualité de l'étoffe, le nom du fabriquant qui l'aura fabriquée et celui du lieu de sa demeure ; au moyen desquels plombs ou certificats, lesd. coupons pourront être vendus et exposés en vente, ainsi et de la même manière que s'ils avaient à l'un des bouts, les marques et plombs ordonnés par led. arrêt, à peine, en cas de contravention, de confiscation desd. coupons, et de cens livres d'amende, tant contre lesd. marchands des petites villes, bourg et villages, que contre les marchands qui les auraient vendus, ou envoyés sans le certificat ordonné ci-dessus, ou sans avoir aux deux bouts les plombs des bureaux de fabrique ou de contrôle, pour les villes et lieux où il y en a d'établis.
a Ordonne Sa Majesté, que led. arrêt du Conseil
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du 30 juin 1733, sera au surplus exécuté selon sa forme et teneur, en ce qui n'y est pas dérogé par le présent arrêt ' . »
Un autre arrêt du conseil d'Etat de la même année, ordonne qu'à partir du mois de décembre 1734, il sera procédé tous les ans, du 1er au 10 de ce mois, à l'élection des nouveaux gardes-jurés, partout où il y a des bureaux de fabrique et de contrôle, de manière à entrer en exercice le 2 janvier suivant. En outre, à partirdu 2 janvier 1735, la date del'année de l'exercice des gardes-jurés sera gravée sur les plombs de fabrique et de contrôle à appliquer sur les étoffes qu'ils auront visitées ; chacun d'eux aura son coin ou marque particulière, sur laquelle la première lettre de son nom et son surnom en entier seront gravés, au-dessous de la date de l'année d'exercice. [E. 112.]
Les fabricants, gênés par cette ordonnance, évitèrent plus d'une fois de s'y soumettre. L'administration se montra tolérante et, lorsqu'elle fut contrainte de saisir les pièces d'étoffes non marquées, elle les rendit. Le sieur de Theis, inspecteur ambulant des manufactures, fit une saisie chez quelques marchands de Tours, d'Angers et de Saumur, au cours du mois d'avril et au début de mai 1737. A Tours, il saisit sur un marchand « deux pièces de cadix d'Apt, l'une de couleur lie de vin contenant 37 aunes, l'autre blanche, contenant 39 aunes», l'une sans plomb de fabrique et de contrôle, l'autre sans nom de fabricant. On se montra généreux et l'on décida que « ces deux pièces peuvent être rendues sans amende par grâce et sans tirer conséquence en ordonl
ordonl villes de la généralité de Tours où l'on fabriquait des draps, en 1750, étaient: Tours, Amboise, Chinon, Loches, Richelieu, Montricliard, Loudun, Angers. Saumur, Beaugé, Châleau-Gonlier, le Mans, Laval, la Flèche cl Château-du-Loir.
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nant qu'elles soient marquées auxdeuxbouts du cachet du subdélégué de M. l'intendant à Tours, pour leur tenir lieu de marquesetdeplomb ». On sentit néanmoins le besoin de tenir la main à l'exécution du règlement. Le 10 août 1737, M. Orry, contrôleur général des manufactures, rappela aux fabricants le caractère obligatoire de l'arrêt, en ajoutant qu'à l'avenir les pièces saisies ne seront plus rendues. A cette date, l'inspecteur des manufactures de la généralité était Denis-Louis Aubry, qui demeurait « rue de la Galère, passage SaintSaturnin » ; le « bureau des marchands était rue des Jésuites », dite actuellement de Saint-Françoisde-Paule.
L'administration des manufactures, sans faillir à sa tâche, s'attachait à réprimer les abus dans le travail ou le commerce des soieries. Le 18 juillet 1740, M. Orry écrivit à l'intendant : « Le sieur Perrot m'observe qu'à Luynes il se fait un usage de différentes qualités de soies volées dans la fabrique de Tours par les passementiers, et que la manière de procéder extraordinairement contre ces délits est trop dispendieuse pour que les fabricants volés en continuent la poursuite, de sorte que par l'impunité du crime ces vols se trouvent fréquents ; comme il est important de les faire cesser, je vous prie d'examiner ce fait et donner votre avis sur ce qu'il convient de faire pour les réprimer ».
Les ouvriers et les fabricants avaient coutume de livrer les soies surl'ensuple ou rouleau, au lieu de les plier, d'où résultait un inconvénient pour le commerce. Par une ordonnance du 20 août 1740, l'intendant s'appliqua à détruire cette habitude, en même temps qu'il ordonnait aux fabricants d'arrêter le compte des ouvriers et de les payer dans la huitaine.
« Etant informé, dit-il, que par un usage abusif, les
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ouvriers en soye de cette ville rendent aux marchandsfabricants les pièces d'étoffes roulées sur l'ensuple ou rouleau, sur lequel elles ont été fabriquées, et lesdits marchands-fabricants de leur côté gardent en magasin lesdites étoffes ainsi roulées, jusqu'à ce qu'ils les ayent vendues, auquel temps seulement ils les visitent, aunent et plient quarrément pour les livrer ; et comme en attendant que par Sa Majesté il ait été pourvu à tout ce qui conserne la fabrication des étoffes de soye par un règlement nouveau, il est nécessaire d'empêcher un abus, duquel il résulte des inconvénients qui sont également préjudiciables au bien du commerce, aux marchands-fabricants et à l'ouvrier même ;
« Vu les ordres du Conseil à nous adressés, Nous intendant faisons deffense à compter du premier novembre prochain, à tous ouvriers en soyes, tant de la ville de Tours que des environs, de remettre aux marchands fabricants aucunes pièces d'étoffes roulées sur l'ensuple, et auxd. marchands-fabricants d'en recevoir roulées de cette façon, ni d'en garder dans leur magasin ou dans les maisons desd. ouvriers, qui ne soient pliées de la façon dont lesd. fabricants les plient pour les délivrer aux marchands qui les ont achetées, à peine contre lesd. marchands-fabricants de confiscation des étoffes qui seront trouvées roulées sur des ensuples après leur avoir été rendues par l'ouvrier, et de 50 1. d'amende aplicable à l'hôpital de cette ville, et contre les ouvriers qui, passé ledit jour premier novembre prochain, rendront les étoffes par eux fabriquées, roulées sur des ensuples, de 20 1. d'amende aplicable aux pauvres de la paroisse de leur domicile, et d'être déchus de leur maîtrise en cas de récidive. Ordonnons que les marchants-fabriquants seront tenus d'arrêter le compté de leurs ouvriers dans huitaine au plus tard après en avoir reçu l'ouvrage, à peine de
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20 1. d'amende, et de les payer dans le même temps de ce qui se trouvera leur être dû. » [C. 103.]
L'intendant ne voulut pas que l'ordonnance restât lettre-morte. Le 14 décembre 1740, un arrêté de M. de Lesseville condamnait le sieur Beré, ouvrier du sieur Jahan, à 20 livres d'amende au profit du prieurcuré de Saint-Vincent, sa paroisse, pour avoir rendu une pièce roulée sur une ensuple; cette pièce, en ras de Sicile vert et blanc, avait été saisie par le sieur Denis-Louis Aubry, qui en avait dressé procès-verbal. Dans ce même mois, une pièce d'étoffe croisée soie blanche de 51 aunes et demie ayant été saisie sur la veuve Hyérome Grange, fabricante à Tours, pour défaut de largeur dans tous les plis, un jugement condamna la délinquante à la confiscation de l'étoffe au profit des gardes-jurés de la communauté, ainsi qu'aux dépens. Mais la plupart des ouvriers se mettaient en règle ; le 2 octobre 1741, le sr Leroux, fabricant, demanda la faculté d'exécuter une pièce d'étoffe de persienne, en faisant usage de soie écrue avec de la soie cuite, et il obtint l'autorisation.
Malgré les mesures prises par l'administration, les marchands et fabricants continuaient à être victimes de vols de soie. Ils s'en plaignirent de nouveau au contrôleur général, en demandant le droit de visite. M. Orry, le 25 mars 1743, en écrivit à l'intendant de la façon suivante : « Le roy ne voulant pas que les vols de soye qui se commettent par les ouvriers de la manufacture de Tours demeurent plus longtemps impunis, Sa Majesté a jugé à propos de rendre l'arrêt ci-joint qui vous en attribue la connaissance en dernier ressort avec le nombre de juges ou gradués requis par l'ordonnance ; vous aurez agréable de m'envoyer des copies de chaque jugement que vous rendrez sur cette matière, et en même temps un état des frais qui
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auront été faits à cette occasion, lesquels devront être suportés de la manière que vous trouverez le plus convenable, par la communauté des fabricants, lorsque la procédure sera faite à leur requête. Quant aux visittes que l'on demande qu'il soit permis aux gardesjurés des fabricants de Tours de faire chez les passementiers de la ville de Luynes, le roy veut bien les y authoriser, à condition toutefois que ces visites ne seront pas fréquentes, qu'ils ne pourront les faire qu'après en avoir obtenu votre permission par écrit, et qu'ils se feront assister d'un officier de police de lad. ville de Luynes ». Le 8 mai, les intéressés remercièrent vivement le ministre de l'arrêt par une délibération signée des gardes et marchants, qui sont J. Le Roux, Roze-Billaut, Beyretl'aîné, Cartier-Guérin, Letort-Robin et Girollet. [C. 104.]
Cette légitime satisfaction accordée aux fabricants n'eut pas pour effet de relâcher en rien la surveillance, à l'égard clés ateliers de Tours. Par arrêt du 18 juin 1743, le Conseil d'Etat ordonna que les mouchoirs ou fichus de soie seront marqués à la tête et à la queue de chaque pièce d'un plomb, en la manière prescrite et sous les peines de 20 1. d'amende et de la confiscation ; la marque portait d'un côté les armes de la ville et, de l'autre, le nom des fabricants. D'ailleurs lorsqu'on accédait à leurs désirs, ce n'était pas toujours sans y mêler l'amertume des reproches. Les fabricants avaient adressé un Mémoire en vue d'obtenir l'exemption des droits pour la sortie des étoffes hors du royaume. On rendit un arrêt en vertu duquel les étoffes ne paieront plus de droits à la sortie à partir de novembre 1743. En notifiant cette mesure, le contrôleur général ajoutait que « le prétexte des maîtres de Tours va tomber, mais qu'ils en imagineront bientôt d'autres, tandis que
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la décadence dont ils se plaignent ne provient que de leur nonchalance et de leur peu d'application ».
La question de l'époque et du mode de paiement touche de trop près à l'exposé du fonctionnement de la fabrique pour que nous n'en parlions pas ici. Nous nous appuyerons sur un document officiel, émané de l'administration de Tours, à la date où nous nous trouvons. « Avant 1720, l'on vendait la soye pour trois ans, trais mois de terme ; le marchand augmentait de 32 1/2 pour cent sur le prix et l'acheteur avait la faculté d'escompter suivant ses aizements, c'est-à-dire que.s'il payait comptant il levait 32 1/2 pour cent d'escompte, s'il payait six mois après la vente, ce n'était plus qu'à 27 1/2, et ainsi des autres payements à la déduction de 2 1/2 par trois mois. Ce commerce était onéreux tant au vendeur qu'à l'acheteur, parce queceluy qui avait vendu pour plus de trois ans, lorsqu'on ne l'escomptait pas, était obligé d'attendre toutes les échéances, ce qui le mettait dans l'impossibilité de travailler, puisque ses fonds étaient retenus par l'acheteur en qui l'on avait de la confiance ; quant il était imprudent ou ambitieux, cela luy donnait occasion d'augmenter son commerce, et lorsquil luy arrivait quelques pertes soit en faillitte, diminution sur la soye ou marchandise fabriquée, il était obligé de demander de grosses remises à celuy qui avait attendu la rentrée de ses fonds plus de trois ans, comme il arriva en 1714 et 1715.
« En 1720, le commerce ne se fit plus que comptant, jusqu'en 1723 ; alors l'argent étant rare, on commença à demander 6 mois, puis un an et enfin 15 mois, ou 12 1/2 descompte à celuy qui était en état d'en profiter, ce qui a continué de cette façon jusqu'en 1735 ou 1736. Vers ce temps, nombre des meilleurs maisons
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de la fabrique manquèrent et les marchands de soye ne sachant à qui confier leurs biens résolurent entr'eux de ne vendre que comptant, ce qui se pratique encore présentement ; il n'y a que quelques maisons qu'on connaît être bonnes, à qui l'on donne 6 ou 9 mois de terme sans escompte ; d'autres se réservent la liberté d'escompter sur le pied de six pour cent par an ; en ce cas on leur vend plus cher à proportion de l'escompte. A l'égard des étoffes fabriquées, comme les petits fabricants sont obligés d'acheter la soye comptant, ils vendent de même, et l'acheteur s'en prévault par ce qu'il sait qu'il ne peut rien faire sans argent ; pour ceux qui ont plus de crédit ou qui sont plus aizés, ils vendent pour cinq payemens ». [C. 111.]
Nous devons maintenant exposer les prix que les ouvriers touchaient pour la confection des étoffes. Nous les extrayons de la « Délibérati on des marchandsfabricants, du 16 novembre 1742, concernant le prix des façons aux ouvriers ».
« Nous procureurs-gardes-jurés, commissaires anciens et particuliers convoqués en assemblée extraordinaire pour régler le prix des ouvrages qui se travaillent, le prix des journaliers et des remises, suivant les qualités des ouvrages, conformément au règlement de police en date du 12 janvier 1729, nous avons estimé que lesdits prix seront payés aux ouvriers par les marchands-fabricants, à commencer au 1er décembre 1742, savoir :
« Façonné. — Les damas en 100 portées laize et façon de Gênes 1 1. 2 s. ; en 80 portées à meuble, laize de Lyon 11. ; étroits en 5/12, 18 s. ; 3 lats et demy, 11. 12 s. ; 4 nuées 1 1.14 s. — Les ras de Sicile un lat en 400 cordes, 19 s. ; un lat en 200 cordes et au dessous, 18 s. ; un lat nuées en 400 cordes 11, ; un lat
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nuées en 200 cordes et au-dessous 19 s. ; un lat et fond travaillé 11. 1 s. ; 2 lats nuées en 400 cordes 11. 6 s.
— Les damassées en cinq douze, 50 portées 11 s. ; les czariennes deux lats courantes 11. 10 s. ; deux lats et demy nuées 1 1. 13 s. ; trois lats nuées 1 1. 16 s.
— Les canelles deux lats nuées sur 8 en 10 11. 6 s. ; deux lats nuées sur 8 en 12 11. 8 s. ; deux lats courant de 8 en 10 11. 4 s. — Les gros de Tours brochés sur de 8 en 12 pour le fond 10 s. ; fonds travaillés deux navettes pour le fond 15 s. — Toutes les étoffes brochées à proportion du broché, à raison de 3 sols par espoulins sur 8 en 10, et 3 sols 6 deniers sur de 8 en 12.
nPlain. — Les croisés 6 s. — Ras Saint-Maur 6 s. 6 d. — Ras de Saint-Maur double, 7 s. — Gros de Tours en 5/12, 6 s. 6 d. ; double en demi aune, 7 s. 6 d. — Les ras cinq huit 7 s. — Les gros de Tours canettes à deux navettes 10 s. — Velours à la reine 15 s.
— Ras Saint-Cyr en cinq douze 6 s. 6 d. ; en sept seize 7 s. — Les pannes à lizières de taffetas 11. 4 s. ; à lizières de velours 11. 8 s. —Les pluches à lizières de velours 11. 6 s. ; à lizières de taffetas 1 1. 2 s.
(.(Pour les journaliers.— A tirer des damas à grands dessins par jour 11 s. ; les ras de Sicile à grands dessins 9 s. ; les ras de Sicile deux lats grands dessins 8 s. ; les gros de Tours brochés grand dessins 8 s. ; les czariennes 10 s.
« Pour les remises. — Les damas en 70 portées 11.10 s. ; en 80 portées 11. 16 s. ; en 100 portées 2 1. 5 s. — Les czariennes 108 portées 21. 10 s. — Les ras de Sicile, 1 1. 4 s. — Les canelles étroites en 5/12 11. 4 s. ; les canelles larges 2 1. —Les doubles et gros de Tours doubles 15 s. — Les croisés serge et ras de StMaur simple 12 s.
« Tous les prix ci-dessus doivent être payés par les
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marchands fabricants aux ouvriers ; devra être . lad. délibération inscrite dans notre bureau pour s'y conformer et empêcher le dérangement et abus que causent les différents prix payés aux ouvriers, pour n'en scavoir pas le cours. — Fait en notre bureau le 16 novembre 1742 et ont signés : Michel Gasnier, André Serizier, François Baron, Michel Roze, André Cartier, Louis Bellas, Adrien Girollet, Daigremont, Toussaint, Lambron, Preuilly-Roze, Viot l'aîné, Roze le jeune, Simon l'aîné, Petard-Serizier, Sorbière, Viot et Moizy. »
Cependant les événements politiques continuaient, hélas ! à détourner les capitaux des oeuvres pacifiques pour les porter vers les entreprises militaires. La guerre de la succession de Pologne, qui d'ailleurs nous assura la Lorraine, était à peine close que s'ouvrait la guerre de la succession d'Autriche qui devait aboutir au traité d'Aix-la-Chapelle (1748), c'est-à-dire à l'agrandissement de la Prusse et à la consécration de la supériorité maritime de l'Angleterre. Il ne sera pas sans intérêt de connaître quelle était alors la situation de la fabrique de soieries. A cet effet, nous nous en rapporterons aux Observations sur les manufactures et les principaux objets de commerce de Tours, rédigées au mois d'avril 1744, non sans quelque sévérité.
« Les manufactures d'étoffes de soie. — Le nombre des métiers battant en ce moment est d'environl,600 ; du nombre de ces métiers font du croizé, environ 300 ; en ras de Sicile, 250 ; en damas pleins, 200 ; en gros de Tours brochés, 100; en czariennes, 80; en ras de Saint-Maur, 275 ; en damas • de 80 portées, 60 ; et le surp us en gros de Tours pour hommes, serges brochées, damas de Lucques et autres sortes d'étoffes, 335.
« La manufacture est diminuée depuis 1738 d'envi-
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ron un cinquième, on y comptait 2,000 métiers battant ; on attribue cet état de chose au manque de récolte des dernières années ; les fabricants y ajoutent la prohibition des étoffes. Les fabricants emploient des soies inférieures, et ne mettent.pas le compte des portées; ainsi, il y a des fabricants qui ne mettent que 26 portées dans la chaîne d'une serge croisée, dont la plus basse qualité devrait avoir pour le moins 36 portées ; ils ne mettent que 40 portées pour la chaîne d'un petit damassé, qui ne peut avoir quelque bonté audessous de 50 portées, et ils n'employent pareillement qu'environ 60 portées dans la chaîne d'un damas plein, qui ne devrait jamais avoir moins de 70 portées. Il en est ainsi de quelques autres étoffes, dont la mauvaise qualité discrédite la manufacture ; il serait facile de remédier à ce désordre et d'écarter l'employ des soyes trop inférieures qui se maintiennent.
« Le moulinage et les aprêts de la soie ne valent rien à Tours, on ne se donne pas la peine de netoyer les soies ; les fabricants, zellés pour la perfection, ne veulent plus employer que des soies qu'ils font venir toutes aprestées. Comme l'usage de ce canton a toujours été de dévider la soie teinte qu'à une broche, les fabricants sont obligés de confier ce travail hors de chez eux, ce qui les expose à des longueurs considérables, d'avoir leurs soies graissées et dessuyer des vols. On leur a insinué qu'ils devraient se servir de pareils dévidoirs qu'à Lyon, qu'une personne met en mouvement avec le pied, et fait tourner quatre guindres, sur lesquelles elle dévide en même temps autant de brins de soye, en sorte qu'elle peut faire seule plus d'ouvrage que 4 devideuses ordinaires et qu'il se peut faire sous les yeux du maître; ces dévidoirs ne reviennent qu'à 50 1. chacuns.
« Les'fabricants se plaignent que les teinturiers ne
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mettent point la quantité de savon nécessaire pour la cuite de leurs soyes et qu'ils se servent souvent de drogues inférieurs pour teindre. Les teinturiers disent que les reproches sont mal fondés, mais que les fabricants les exposent à cela en ne les payant pas le prix convenable ». [C. 103].
Vers ce temps, par contrat du 18 septembre 1744, la communauté acquit une maison rue des Prés ; le 7 juin 1746, elle passa, au profit des chapitres de SaintMartin et de Saint-Venant, une déclaration par laquelle elle reconnut « tenir la maison en censive desd. chapitres, chacun pour moitier,et chargée envers eux du cens coutumier » ; cette déclaration contient fixation d'une indemnité à la somme de 66 1. 10 s. par an. Au cours du même mois de septembre, un avis de M. Pétard nous apprend que les gardes-fabricants de soies de Tours ont acheté la Grande-Savonnerie; il s'agit du même immeuble. On y établit la calandre, qui s'y voyait encore il y a quelque cinquante ans.
L'année suivante, les fabricants demandèrent au ministre que les frais résultant des poursuites pour vols de soies, dont la décision était remise à l'intendant, fussent pris sur le domaine et non sur la communauté ou sur le particulier qui a été l'objet du vol ; la pratique actuelle empêche de dénoncer les larcins par suite de l'importance des frais qui résultent de la poursuite. Au mois de février 1745, un édit du roi créa des postes d'inspecteurs et contrôleurs des maîtres et gardes dans le corps des marchands, et d'inspecteurs et contrôleurs des jurés dans les communautés d'arts et métiers de France. Tours devint le siège d'un contrôleur des manufactures. Par malheur, les charges retombèrent sur les fabricants qui durent verser une annuité, par chaque marchand et artisan ; les drapiers payaient 10 1., les épiciers et apothicaires 4 1., les
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orfèvres 4L, les fabricants de soie 2 1., les merciers 2 1. et les passementiers 14 s.
En dépit des ordonnances réitérées, les fabricants et marchands de soies ne se soumettaient pas toujours à l'application delà marque de plomb. Le nouvel intendant Jacques Pineau, baron de Lucé et seigneur de Saint-Paterne, les rappela à l'exécution des règlements par une circulaire du 24 septembre. «Sur ce qui nous aurait été représenté, que quoique par l'article LV des statuts des marchands et maîtres ouvriers en soie de cette ville, du mois de mars 1667, il soit défendu à tous marchands-maîtres dud. état de vendre ni exposer en vente aucuns draps d'or, d'argent et soye et autres étoffes mélangées de poil de chèvres, fleurets, galettes, fils, laine et coton, qu'elles ne soient marquées d'un plomb de la marque de l'ouvrier, et qu'elles n'ayent encore été vues, visitées et marquées par les maîtres et jurés en charge au bureau de la communauté d'un petit plomb, où doivent être d'un côté les armes de la ville de Tours et de l'autre celles de la communauté ; cependant il arrive souvent que lesdits marchandsmaîtres ouvriers en soyes vendent leurs étoffes sans les deux plombs, et contreviennent par conséqueiu tant aud. article LV de leurs statuts qu'à l'arrêt du Conseil du 29 avril 1731 concernant la marque des étoffes d'or, d'argent et de .soie, ou mêlées d'autres matières qui se fabriquent dans le royaume ; ce qui provient de ce qu'ils sont dans l'usage, contre la disposition de tous les reglemens, de garder lesd. étoffes dans leurs boutiques ou magasins sans être marquées, et de ne les envoyer à la marque que lorsqu'elles sont vendues, ou qu'ils sont prêts d'en faire des envoys à Paris, ou dans d'autres villes où ils pensent qu'elles pourraient être examinées ;
« Nous intendant voulant remédier à ces abus, or don-
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nons qu'à l'avenir et à commencer du jour de la publication de la présente ordonnance, tous les fabricants en étoffes de soye de cette ville seront tenus démettre leurs plombs de fabrique à toutes leurs étoffes, dès qu'ils les auront reçues des mains de leurs ouvriers, et qu'ils les auront pliées et empointées, et de les envoyer ensuite au bureau de leur communauté, pour que le plomb de contrôle y soit apposé ; faisons défenses auxd. marchands de garder lesdites étoffes pliées et empointées dans leurs magasins, sans qu'elles soient revêtues desd. plombs, à peine de confiscation des étoffes non marquées, et de vingt livres d'amende contre le fabricant, chez lequel elles seraient trouvées ainsi ; enjoignons à l'inspecteur des manufactures et aux gardesjurés desd. fabricants de tenir la main dans leurs visites à l'exécution de la présente ordonnance qui sera enregistrée sur le registre de la communauté, lue, publiée et affichée partout où besoin sera. » [C. 103.]
Le gouvernement n'était pas sans inquiétude en voyant décroître la fabrique de Tours. Il s'enquit des remèdes qui seraient de nature à enrayer le mouvement de décadence. On lui indiqua quatre moyens de rétablir le commerce de la manufacture à Tours : « 1° Défendre à la Compagnie des Indes d'apporter des étoffes fabriquées en soye, ce qui est très préjudiciable pour les manufactures, et tenir la main aux déffenses sur les étoffes prohibées ; 2° l'établissement de foires franches ; 3° la suppression des 14 sols pour livre de soye qui passe par Lyon à destination de cette manufacture ; 4° que les frais des affaires pour vols de soye dont l'arrêté est attribué aux intendants soient pris sur le domaine. » [C. 103.] Mais, hélas! ces desiderata, qui ne s'accordaient guère avec l'extension de
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plus en plus grande du commerce et avec les théories sur la liberté des échanges, vinrent frapper des oreilles closes, et tout demeura dans le statu quo.
Ce n'est pas à dire que l'administration demeurât les bras croisés. En face des nécessités nouvelles aussi bien que des nouveautés en fait d'étoffes, elle éprouva le besoin de modifier certains articles de l'ancien règlement. On fit une enquête en Touraine sur ce qu'il convenait de faire. La réponse est consignée dans un intéressant Mémoire de l'inspecteur des fabriques.
« La manufacture d'étoffes de soie, établie dans la ville de Tours, est après celle de Lyon la plus considérable du royaume ; elle est composée actuellement de 1,400 métiers et ce nombre va quelquefois presque à 1,500 qui occupent 17 à 18 mille ouvriers de tout sexe ; on y fabrique de toutes sortes d'étoffes, dont la majeure partie est de nouvelle invention, car il ne se fait presque plus de celles qui sont statuées par le règlement du 27 mars 1667, et depuis cette époque il n'a point été donné d'autre règlement, quoique le fond de la manufacture soit pour ainsi dire entièrement renouvelle. Il est aisé de concevoir que n'ayant point de règlement pour toutes les nouvelles étoffes qui forment à présent le principal objet de cette importante manufacture, les fabricants ont travaillé à leur gré et que conséquemment les étoffes unies qu'on nomme pleines, ont été faites en différent nombre de portées et avec des disproportions immenses qui en ont occasionné la mauvaise fabrication et ensuite le discrédit.
«M. de Lucé, ci-devant intendant à Tours, touché des observations qui sans doute lui ont été faites à ce sujet, avait projeté d'engager le Conseil à rendre un nouveau règlement par lequel les largeurs des étoffes seraient fixées, et qui contiendrait d'ailleurs le nombre des portées et celui des fils pour toutes celles qui sont
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susceptibles de cette dernière fixation, telles que sont les étoffes pleines qui sont un des objets principaux de cette manufacture, car pour celles qui sont brochées et façonnées, il n'est pas praticable de déterminer le nombre des portées, parce que les dessins plus ou moins variés obligent pour les exécuter -comme ils doivent être à mettre plus ou moins de portées et de chaîne. En conséquence de cette idée et peut être même des ordres du Conseil, M. de Lucé nomma huit commissaires, choisis parmi les fabricants pour travailler, avec les jurés-gardes et en présence de l'inspecteur du département de Tours, à un nouveau projet de règlement ; ces commissaires ont en effet dressé un projet contenant cent cinq articles.
« Suivant l'examen fait par le sr de Bonneval, inspecteur général, il a été reconnu que les personnes qui ont travaillé à ce règlement ont été plus occupées des articles de police, et des droits ou intérêts de la communauté des fabricans, que du fond de la fabrique, de laquelle elles ont néanmoins traité dans 18 ou 20 articles, tous les autres sont de police, comme il vient d'être dit; les trois quarts méritent d'être retranchés ou réformés, et même la plus part de ceux de la fabrique doivent être retouchés, ainsi qu'il est aisé d'en juger en prenant lecture de ce nouveau projet, lequel ayant été présenté à M. de Lucé, il le remit en communication aux marchands de la ville de Tours, ayant pensé, comme il était naturel de le croire, qu'après l'examen des marchands et leur réponse, il serait mieux en état de juger des dispositions qu'il contient et de fournir son avis au Conseil ; mais les marchands ont gardé cette communication sans y répondre, et M. de Lucé étant passé à une autre intendance, le règlement est resté jusqu'à présent comme non avenu.
« Les marchands ont différé à donner leur réponse
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parce qu'ils prétendent que nombre d'articles de police sont en faveur de la communauté des fabricants et contre les intérêts de celle des marchands; quoique l'inspecteur qui parle se soit mis au fait de la plus part des prétentions des uns et des autres, il croit qu'il est inutile d'en faire le détail dans le mémoire, qui n'a pour le présent d'autre but que celui de faire connaître combien il est important de continuer le travail commencé sous M. de Lucé, affin de remédier aux abus qui subsistent dans cette manufacture et d'éteindre, s'il est possible, toute source de discutions et procès entre la communauté des marchands et celle des fabricants. Pour donner une idée de la nécessité de l'un et l'autre, on se contente de dire, d'une part, qu'il est fabriqué des damas ordinaires qui pour être bons devraient avoir au moins 70 portées de 80 fils chacune, qui souvent n'ont que 56 à 58 ou 60 portées ; que les serges croisées pour doublures d'habits d'hommes, qui devraient avoir au moins 44 portées en demiaune de largeur, et au moins 40 portées en 11/24, sont très souvent fabriquées en 36 portées, même au-dessous ; et ainsi des autres étoffes pleines, dont la fabrication est presque généralement altérée tant par le nombre de portées que par la qualité et la préparation des soies ; et, de l'autre, le nombre des procès qui ont été et qui subsistent encore entre les deux communautés, lesquelles discutions sont en partie la source de près de deux cent cinquante mille livres qu'elles doivent.
« Les choses étant en cet état, le sr de Bonneval pense qu'il serait à propos de marquer à M. l'intendant d'envoyer à M. le controlleur général le projet d'un règlement, tel qu'il a été précédemment dressé, les observations des marchands qu'il faudrait forcer à les donner, avec celles de l'inspecteur de manufactures du
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département avec son avis sur le tout ; par l'examen qui serait fait à Paris, le Conseil se déterminerait ; peut-être encore serait-il jugé à propos d'envoyer l'un des inspecteurs généraux dans la manufacture, soit pour tâcher de régler les contestations entre les marchands et les fabricants, ou convenir avec eux des articles de police et de fabrique qui sont susceptibles d'explication, ou enfin accepter le nouveau règlement tel qu'il aurait été projeté définitivement. (Signé) : A Melle, le 19 novembre 1746. — BONNEVAL. » [C. 103.]
Louis XV avait réuni entre les mains de la même personne les fonctions d'inspecteur et de contrôleur, et requis, à cet effet, une somme importante de la part du corps des marchands-fabricants. Tout d'abord les anciens gardes-jurés parurent accepter ; mais, le 21 février 1747, les gardes en exercice présentèrent à l'intendant, M. de Magneville, une requête d'un sens différent, do nt voici la teneur : « Supplient très humblement les marchands-fabricants de cette ville et remontrent à Votre Grandeur que pour la réunion des charges d'inspecteur et controlleur, Sa Majesté fait demander, savoir, en principal 22,8001., pour les 2 sols pour livres 2,880 1., pour le droit de quittance 31., total 25,683 1. Somme considérable que la communauté des marchands-fabriquants n'est pas aujourd'hui en état de payer, par ce qu'elle est obérée et surchargée depuis longtemps. Ce considéré, Monseigneur, il plaise à Votre Grandeur permettre auxdits marchands-fabriquants de faire un emprunt en vertu de l'édit du mois de février 1745, pour le remboursement duquel emprunt la communauté ferait un rôle de répartition pendant 10 ans à proportion de la capitation, jusqu'à parfait payement de la somme qu'on sera obligé d'emprunter à cet effet ; on a recours à cet expédient comme
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étant la voie la plus douce. (Signé) : Gasnier-Legier, Sorbière-Viot, Pradeau le jeune, Macicault-Métivier. » En conséquence, M. Savalette rendit une ordonnance portant : « Nous ordonnons que conformément à icelle déclaration la somme empruntée pour satisfaire au tiers de la finance, à laquelle la communauté a été employée au rôle du Conseil, sera remboursée en 10 années tant en principal qu'en intérêts, à l'effet de quoi il sera tous les ans arrêté un rôle de répartition sur tous ceux des maîtres qui composent actuellement la communauté ».
Le tableau de la manufacture durant la première moitié du XVIII 8 siècle nous a montré tout à la fois les efforts tentés et les obstacles rencontrés par les ouvriers. Nonobstant les multiples difficultés provenant du dehors ou inhérentes à l'organisation du travail, on continuait à confectionner des tissus de qualité remarquable. Avant de poursuivre plus loin notre récit, nous exposerons dans un chapitre spécial l'installation et les résultats de la fabrique des belles étoffes de velours et de damas.
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VIII LA MANUFACTURE DE VELOURS ET DE DAMAS
Le règne de Louis XV se poursuivait au milieu d'une série de guerres qui n'étaient pas faites pour relever l'industrie, profondément atteinte dans ses sources vives. La paix de Vienne (1738), il est vrai, venait de couronner les victoires de la France sur le continent et d'affirmer sa prépondérance, mais bientôt allait s'engager, sur mer, entre notre pays et nos voisins d'Outre-Manche un duel sans trêve ni merci. On sait comment cette lutte commerciale aboutit au désastreux traité de Paris (1763), qui consacra la ruine de nos colonies et notre défaite économique. ,
En attendant, la France faisait courageusement tête à l'orage et ne diminuait rien de sa magnanimité vis-àvis de l'étranger. Gênes la superbe, impuissante à réprimer la révolte de la Corse, fit appel à l'appui de la France dont les troupes amenèrent la soumission de l'île (1739). Comme pour payer ce service politique, les Génois envoyèrent à Tours un groupe d'habiles ouvriers en soie qui perfectionnèrent dans nos murs la fabrication du velours et du damas façon d'Italie. L'idée de cette installation était venue dans l'esprit de fabricants intelligents et actifs, désireux de renouveler les procédés de la manufacture et de la rajeunir comme en lui infusant un sang nouveau. Une supplique, adressée au roi en 1739,va nous renseigner à cet égard ;
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elle contient tout ensemble l'état de la fabrique à cette époque et l'exposé du projet en question.
La manufacture de velours et damas façon de Gennes (1739-1743). « La manufacture de Tours a eu autrefois 6,000 métiers travaillant à l'étoffe de soie, et dans le temps elle trouvait le débouché de la marchandise chez l'étranger ; depuis environ 60 ans, il s'est élevé des manufactures de soieries en Angleterre, en Hollande et partie d'Allemagne, qui non seulement ont fait de la marchandise pour leur consommation, mais encore suffisamment pour en fournir les autres endroits ou cette manufacture trouvoit à consommer la sienne, et pour en introduire mesme dans le royaume. L'établissement de ces manufactures étrangères l'a réduite il y a déjà plus de 30 ans au point de n'avoir que 2,000 métiers, encore a-t-elle esté obligée bien des fois depuis ce temps d'en retrancher un quart ou un tiers, suivant les disgrâces des années dans le royaume, ce qui est le seul endroit ou elle ait pu et puisse écouler sa marchandise plus ou moins, et l'étranger y a introduit de la sienne.
« La situation présente de cette manufacture est dans 1,800 mestiers travaillant, distribués en deux genres de marchandise façonné et plein : les trois quarts sont en façonné et les étoffes qu'ils fabriquent sont du damas, czariennes, puces, brochés, gros de Tours brochés, damas à meubles, brocatelles, damassin, et quelques autres petites étoffes de peu de conséquence. L'autre quart est occupé en pleine fabrique des étoffes que l'on nomme ras Saint Maure, gros de Tours pour habits d'hommes et de femmes, taffetas 15/16 pour meuble, serge de soie et croises pour doublure d'habits d'hommes, pannes ou petit velours de toutes couleurs. Elle est actuellement dans la souffrance par le manque de débit de ses marchandises depuis 6 mois,
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qu'elle attribue au port des étoffes prohibées dans le royaume et qui trouve un écoulement à Paris, qui est le principal foyer de consomation, et celle d'Angleterre et de Hollande y est fort commune.La fabrique de Tours a encore une autre disgrâce qui est la rareté de la soie, pourquoi elle est extrêmement chère, ce qui laisse aux fabricants une perte évidente, ne pouvant s'indemniser de la cherté de la soie sur le prix de leur marchandise, parce qu'elle n'est pas recherchée et qu'ils sont obligés de donner le peu qu'on leur demande ;au mesme prix qu'elle était avant la rareté et l'augmentation des soies. Cette rareté de soie est fondée sur la médiocre récolte dans tous les pays où on en récolte, et encore sur ce que le roy d'Espagne a deffendu la sortie de ses Etats.
« Cette manufacture est composée de fabricants assez entendus dans leur métier et d'ouvriers qui travaillent, puisqu'on prétend que la main-d'oeuvre y est meilleur marché qu'à Lyon. Cette dernière a pour deffaut d'employer de la matière inférieure comme soie des Indes qu'on appelé tané, et des plus grosses soies d'Italie et d'Espagne ; elle pèche encore en travaillant une mesme étoffe dans un nombre inégal de portées, ce qui y donne une différente qualité, et par conséquent différence de prix, et fait tort au général de la manufacture, l'acheteur se guidant toujours sur le plus bas prix pour faire ses emplettes et voulant avoir le bon au mesme prix de l'inférieur. Quoique cette manufacture attribue presque toute la difficulté qu'elle a à vendre sa marchandise au port des étoffes prohibées dans le royaume, ce qui à la vérité lui fait tort, on pense cependant que si elle employait de la soie plus fine et plus belle, qu'elle travaillât une mesme espèce d'étoffe dans un même nombre de portées, qu'elle aurait plus de facilités à vendre sa marchandise.
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« La police y est mauvaise, le fabricant n'estant pas maistre de l'ouvrier, puisqu'il est obligé de lui payer d'avance la façon de son étoffe; ce qui rend l'ouvrier débauché et féniant et l'occasionne souvent après avoir reçu une somme de 100 1. ou plus d'abandonner l'ouvrage des fabricants et déserte pour aller travailler à Lyon ou à Paris, où il est reçu trop légèrement, et contre toutes les règles, attendu qu'il n'est pas muni de certificat qui puisse autoriser de le recevoir et de le faire travailler.
« Si on établit la fabrique de velours et damas à meuble façon de Gennes dans cette manufacture, il n'en peut résulter pour elle qu'un très grand avantage, supposant toutefois qu'elle en eût le débit. Premièrement cela servira à l'accroître et embelir, d'où elle tirera de la réputation mesme chez l'étranger, par conséquent du proffit. Secondement ces deux genres d'étoffes sont solides et occasionnent moins de frais que celles qui sont sujettes à changement de mode. Troisièmement dans les temps de calamité du commerce, la manufacture sera toujours en état d'entretenir un bien plus grand nombre d'ouvriers qu'elle n'a pas pu faire depuis 30 ans qu'elle est déchue de ce qu'elle était autrefois.
a On observe que la rareté et cherté de la soie continuant telle qu'elle est aujourd'hui, et que la marchandise n'ayant pas un sort plus favorable d'ici à 3 mois ou 4 mois, cette manufacture sera obligée d'abattre plus de la moitier des 1,800 métiers qu'elle occupe, ce qui formera près de 3 à 4,000 personnes sans ouvrage, chaque métié en occupant quatre, du moins en façonné. On observe encore que l'infidélité règne beaucoup parmi les ouvriers de cette manufacture, à quoi ils sont portés par l'instigation de la plus part des passementiers, tant de Tours que de la ville de
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Luynes, qui recellent les soies qui se volent aux fabricants, et les vont vendre dans les villes circonvoisines, à vil prix, mesmes à Paris et à Rouen, suivant les avis que les gardes de la fabrique en ont eu, par plusieurs lettres anonimes qui leur ont été écrites d'Orléans, ce qui fait tort en général au commerce de cette ville, quoi que depuis un an on ait fait punir un voleur et un receleur, qui ont été condamnés aux galères par M. l'intendant, suivant les arrests d'attribution du Conseil. On n'en voit pas moins de vols, au contraire on découvre tous les jours plus qu'auparavant ; presque tous les receleurs sont passementiers, tous gens qui n'ont que le nom de passementiers et n'en exercent pas le métier ; ce nom leur sert pour avoir droit de se mesler du négoce de soie et d'en tenir chez eux, dont presque toute est volée et récelée, qu'ils ont grand soin de cacher dans les endroits les plus secrets de leur maison, où il n'est pas possible de la découvrir, quelques perquisitions que l'on fasce. » [E. 102.]
M. Orry, contrôleur général des manufactures, plus que personne avait à coeur le progrès de l'industrie française sérieusement menacée et, en particulier, le développement de la manufacture de Tours. Il s'occupa activement des moyens de renouveler celle-ci et, le 12 juillet 1639, il écrivait de Compiègne à l'intendant M. de Lesseville : « Comme il serait avantageux au commerce, que l'on pût imiter en France la fabrication des.damas et velours de Gennes, j'ai fait faire à Lyon plusieurs essais pour y parvenir ; j'ai pensé que l'on pourrait faire de pareils essais à Tours et que si les fabricants réussissaient, la province de Touraine en retirerait beaucoup d'utilité ; en conséquence j'ai chargé le sr Perrot, inspecteur des manufactures, de choisir deux fabricants et de leur remettre
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les dessins et les soies que je lui ai adressé à cet effet ».
Le contrôleur général des manufactures choisit un homme très expérimenté dans le travail des tissus' pour suivre avec soin les essais que l'on allait faire à Tours ; il s'agit de M. Baron, qui s'occupa de mettre en train tout ce qui était nécessaire. En même temps M. Orry recommandait que l'on apportât tout le soin possible à la confection de ce damas façon de Gênes et défendait que personne ne pût monter de métier sans lui en demander expressément l'autorisation. On accueillit avec joie les avances du contrôleur général et on se mit à faire les essais. Tout d'abord les ouvriers, encore inexpérimentés, se plaignirent de ne pas gagner suffisamment. Comme les documents officiels ont l'avantage de nous renseigner d'une manière précise sur la situation de la manufacture au milieu du xvme siècle, nous transcrirons un rapport, qui nous fournira de nouveaux éclaircissements en nous indiquant les desiderata des fabricants, et en particulier les conditions qu'il convenait de réaliser pour assurer le bon fonctionnement de la fabrique de damas et velours.
« Mémoire pour servir au rétablissement de la manufacture de soyeries de la ville de Tours qui est aux abois depuis un temps considérable et qui fait languir les fabricants par une mévante affreuse, laquelle les oblige de donner leur marchandise à 50 pour 0/0 de perte, ce qui continuant va les mettre dans la dure nécessité d'abandonner et ruiner complètement cette malheureuse ville qui était autrefois si florissante.
« 1° Il est nécessaire, pour y parvenir, de deffendre le port de toutes étoffes prohibées, comme étoffe des Indes, satins d'Hollande et étoffes façonnées d'Hollande et d'Angleterre, moire pleine et façonnée, et cela sous peine de la vie, les deffenses pécuniaires n'ayant produit que peu d'effets.
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« 2° Il est nécessaire pour établir la perfection des étoffes façonnées, en général, de rendre une ordonnance qui fasse deffense à tous fabricants de payer leurs ouvriers autrement qu'au dessin, quant aux étoffes façonnées, au lieu de les payer à l'année, parce qu'en les payant à l'année, il s'ensuit des inconvénients irrémédiables qui sont que les ouvriers étant les maîtres de travailler à leur fantesie et à leur avantage ils ne serrent pas à demy, et par la font tomber la marchandise dans un discrédit effroyable ; au lieu qu'en les payant au dessin, ils sont obligés de serrer et de faire la marchandise parfaite, étant de leur intérêt de serrer et mettre une quantité de dessins dans l'aune pour y trouver leur proffit ; il n'y a que ce moyen de donner du lustre à la fabrique, et mettre une police entre les fabricants-maistres des ouvriers au point de les réduire à travailler à se rendre parfait.
« Pour ce qui regarde l'établissement et privilège exclusif que nos seigneurs Orry et Fagon veulent bien avoir la bonté de donner à cette ville, de faire des damas de Gennes en 100 portées et des velours, rien n'est plus utile et plus beau pour parvenir à remettre notre ville dans le lustre où elle était autrefois, et cela dans moins de deux ans, ne demandant que ce temps pour rendre l'établissement parfait et sûr. Pour y parvenir il est nécessaire d'engager l'ouvrier à se prêter à ce nouvel établissement ; on ne pourra en venir à bout qu'en luy donnant à gagner dans le commencement ; pour cela il faudra établir le prix du velours au moins à 4 francs l'aune de façon, n'étant pas naturel qu'un ouvrier qui gagne 40 et 45 solz à faire de la pluche, dont il peut faire une aulne et demye par jour sur le pied de 30 solz, aille se mettre à faire des velours dont il ne pourra faire qu'une demye aulne, quelque grand ouvrier qu'il soit, encore n'en
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pourait-il venir à bout qu'après un temps de 4 ou 6 mois, ainsi que l'expérience nous l'apprend par les essays qui en ont esté fait depuis 6 mois, lesquels n'ont servi qu'à rebuter l'ouvrier par le prix modique auquel on a voulu l'assugetir. (L'ouvrier, nommé Denyau, un des plus forts ouvriers de panne, a fait son possible pour fabriquer 3/4 de velours et n'a pas pu.)
« Il esten outre nécessaire d'accorder le privilège de la maîtrise gratis à tous ouvriers et apprentifs qui se formeront et perfectionneront à cette ouvrage, et ce certificat de leur maître fera connaître qu'ils méritent cette grâce, laquelle poura leur être ôtée sur les moindres pleintes de leur maître, qui poliraient être causée par négligence à leur ouvrage. Il est impossible de se servir d'ouvriers ayant fait d'autre ouvrage que du velours ; il faut donc absolument que l'ouvrier y soit formé de jeunesse, et il ni a que les fabricants de pannes et de pluches qui puissent former cet établissement. Il peut y avoir dans cette ville de Tours 50 à 60 ouvriers, et ces ouvriers pouraient dans quelques années former de 4 à 500 aprentis dans ce genre d'étoffe et qui le feront dans la perfection.
« Pour indemniser le fabricant de tous les frais pendant deux ans, comme de la perte de pièces mal faites et des essays qu'ils seront obligés de faire avec leurs ouvriers qui fesant très peu d'ouvrage pendant que dureront les essays, lesdits fabricants étant en outre obligés de payer leurs ouvriers pour vivre, il serait nécessaire d'établir le velours pendant ces deux années, à 20 fr. l'aulne, et le damas de Gennes, à 12 livres 10 sols comptant, ce qui se trouvera de velours fait pendant ces deux années n'étant pas un objet assez considérable pour que le public soit lésé, mettant en fait qu'il ne sera pas fabriqué pendant ce temps pour 50 ou 60 mille francs ; après lequel temps, il sera facile de ré-
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duire le prix de l'ouvrier et ensuite le prix du velours ; d'ailleurs la soie ne sera peut-être pas toujours de la chéreté horrible où elle est.
« Il est nécessaire de procurer le débouché de ces deux genres d'étoffes; pour ce il faudrait charger M. Marsollier ou autres détailleurs de prendre les damas de Gennes et velours, pourvu qu'ils soient parfaits, les velours à 20 1. et le damas à 12 ï. 10 s. comptant, à mesure que les fabricants en auront de fait, afin de ne point surcharger la fabrique qui n'est pas trop à son aise ny en état de garder ; sans lequel débouché l'établissement ne durerait pas; et au refus des détailleurs de suivre ce party seulement pendant les deux années, il serait nécessaire d'établir à Paris un magasin général ad hoc. Il serait nécessaire de faire venir des soies propres à ce genre d'ouvrage et d'établir à Tours un magasin général de soie. Comme il se pourait que les fabricants de pluches et pannes ne voulussent pas se prêter à l'établissement en question, il serait nécessaire que nos seigneurs Orry et Fagon nommassent un fabricant ou plusieurs, qui seraient autorisés à prendre et employer les ouvriers des fabricants qui se seraient refusés de se prêter (j'entends ouvriers de pannes et pluches), et leur donnant ordre de les céder ipso facto, ou de monter du velours. Je mets en fait que l'établissement formé de cette façon au bout de deux ans en diminuant le prix de façon à l'ouvrier qui n'aura point d'autres ressources que de tenir à son ouvrage, le fabricant étant indemnisé de ses frays et la soie étant un peu diminuée, le prix du velours poura se fixer depuis 16 jusqua 17 1., auquel cas la différence qui se trouvera entre celuy de Gennes et celui de Tours fera l'effet qu'on se propose; il n'y a point d'autres partys a prendre. »
Une note complémentaire ajoute: « Il est réel que
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la soye revient toute teinte trame et organsin a 24 1. ; les faux frays, dévidage, entretien de l'équipage et du métier à 3 1., la soie pour la façon de deux aulnes de velours sur le pied de 4 1. l'aune à l'ouvrier en supposant que le velours ne pèse que de 8 onces l'aune, 81., total 35 1. ; et par conséquent le velours vient aufabricant à 17 1. 10 sols l'aune; il faut à ce prix là rentrer dans les frais immenses dans lesquels les fabricants qui se prêteront à cet établissement vont tomber, ce qui est considérable ». [E. 102.]
Le succès de la manufacture dépendait non seulement de l'intelligence et de l'activité des ouvriers, mais encore de l'appui des pouvoirs publics. Il importait de ne pas laisser n'importe qui entraver ces débuts laborieux par les tentatives d'une concurrence téméraire. A l'hiver de 1739, l'intendant rendit l'arrêté suivant :
« De par le roy, Charles Nicolas Le Clerc de Lesseville, chevalier comte de Charbonnière, baron d'Authon, seigneur du Grand-Bouchet, des Buy s et autres lieux, conseiller du Roy en ses Conseils, maître des requestes ordinaires de son hôtel, intendant de justice, de police, des finances en la généralité de Tours. Le Roy ayant donné des ordres pour la fabrication des damas en velours en cette ville semblables à ceux de Gennes, il a été expérimenté par les essays qui en ont été fait depuis quelques temps, que ces étoffes peuvent s'y fabriquer aussi belles et aussi parfaites que celles de la fabrication de Gennes.
« Mais comme il est.important que ces ouvrages qui exigent des connaissances et une capacité particulière, ne soient pas confiés indifféremment à tous ouvriers et vu les ordres à nous adressez, Nous faisons très expresses inhibition et deffenses à tous les fabricants
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de la ville de Tours de fabriquer, sans une permission expresse de notre part, aucune sorte de damas pour meuble à cent portées et de la largeur des damas de Gennes, ni aucune sorte de velours, à peine de confiscation des dites étoffes et de trois cents livres d'amende, enjoignons à l'inspecteur des manufactures de tenir la main à l'exécution de notre présente ordonnance qui sera registrée sur le registre de la communauté des dits fabricants, à la diligence des gardesjurez dont ils nous certifieront dans trois jours ; lue publiée et affichée par tout où besoin sera, afin qu'aucun n'en prétende cause d'ignorance. Fait à Tours, le 28 novembre 1739, signé : deLesseville '.
Les étoffes de damas de Tours présentaient à certains égards un caractère satisfaisant etvraiment artistique. Entre les divers ouvriers, le sr de la Roche se distingua par la beauté des étoffes sorties de ses mains. Un rapport du 5 décembre 1739 nous fournit des renseignements détaillés. « L'état des essays qu'on fait en cette ville par ordre de M. le contrôleur général pour la fabrication des damas et des velours semblables à ceux de Gennes est tel, en conséquence des jugements portés à Paris sur les coupons de damas envoyés en octobre dernier, qui est qu'on a réellement imité en perfection les damas étrangers ; mais qu'il faut absolument nourrir l'art et fabriquer des pièces de 130 à 150 aunes en une pièce, au lieu de 50 à 60 aunes qu'on a fabriqué jusqu'à présenten cette ville. On monte en ce moment chez le nommé de la Roche, le même ouvrier qui a fait les coupons approuvés, une pièce de 135 aunes, et l'on a ajouté à son métier une ensuple de devant, au moyen de laquelle on pourra désormais fabriquer des pièces de telles longueurs
1 Exemplaire tiré des presses de l'imprimerie de Vauquier, à Tours.
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qu'on souhaitera. Cette construction est à la perfection et l'ouvrier y travaille depuis 8 jours avec satisfaction. « Pour ce qui est du velours, on a envoyé à Paris un coupon de 2 aunes fait de la soie de Touraine, qui étant travaillé dans le style et selon les élemens de Gennes, serait tout aussi parfait que les velours étrangers, si l'on avait apresté parfaitement les soies, tout y est compassé, et si l'ouvrier n'avait négligé la façon. Cet ouvrier a été détourné ou par son caprice ou par séduction et a refusé les bienfaits du roy, qui luy avoient été offerts, s'il avait voulu faire la journée ordinaire d'un ouvrier de Lyon, qui est de 3/4 d'aune ; il a prétendu n'en pouvoir faire que demy aune par jour, et qu'une continuation de travail nepourait luy rien donner avances dans son ouvrage, à raison de quoy on a été obligé de le congédier, on a mis à sa place un ouvrier en velours de Lyon qui donne des espérances. On attend de Paris de la soie envoyée de Gennes toute prête pour une pièce de damas et une de velours; nous metterons d'autres ouvriers au courant ensuite pour employer une quantité considérable que M. le contrôleur a fait acheter en Italie pour ledit établissement ; outre ces deux opérations on a encore sur le métier une pièce de velours frisé dont le succès est complet.» [C. 102.]
Le contrôleur général des manufactures trouvait un auxiliaire excellent en la- personne de l'intendant ; aussi se plaisait-il à rendre justice à M. de Lesseville et à encourager ses efforts. Dans une lettre du 28 mars 1740, M. Orry constatait le soin avec lequel l'intendant visitait et soutenait la fabrique ; il l'informait que « pour le damas, le roy en prendra pour compte plusieurs milliers de mètres » ; quant au velours, il l'invite à attendre le succès complet pour se décider ; enfin d'une façon générale il l'engage à apporter tous
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ses soins à la fabrique, et quelques jours plus tard il priait M. deLesseville de lui faire parvenir des essais.
Les résultats étaient de nature à susciter des imitateurs. Bientôt les sieurs de Preuilly et Viot demandèrent la faculté de monter chacun un métier de velours; ce dernier reçut l'autorisation le 7 juin. A la fin du mois, M. Baron, inspecteur des manufactures à Tours, demanda pour le sr Gasnier la liberté de monter deux métiers de damas de Gênes. Le 4 juillet, M. Orry répondit en donnant satisfaction au sujet des damas et des velours et en accordant des gratifications aux fabricants. A propos du travail du protégé de M. Baron, nous lisons dans une lettre de M. Orry à M. de Lesseville, du 11 septembre : « Le sieur Gasnier a fabriqué 3 pièces de damas ; vérification faite, il fut reconnu qu'il y en avait deux de bien fabriquée, et une en soie cramoisie très défectueuse comme fabrication ; ces défectuosités proviennent de la négligence de l'ouvrier qui a laissé des fils cassés dans la chaîne ; cette chaîne n'était pas suffisamment chargée ; avertissez le sieur Gasnier que s'il en présente une autre dans ces conditions, elle sera confisquée».
L'inspecteur pour la Touraine tenait M. Orry au courant de la marche du travail. Dans une lettre du 18 octobre, il lui écrivait : a Monsieur, hier lundy le 3me métier de nos génois commença à faire du velours ; ainsi en voilà 3 qui sont à Tours, ni plus ni moins qu'ils seraient à Gennes ; nos trois ouvriers sont excellents et j'espère que vous aurez beaucoup de plaisir à les voir travailler. Vous avez reçu il y a eu samedy 8 jours, la lettre que les fabricants de cette ville ont écrite à M. le contrôleur général, j'en ai reçu copie, nous n'avons rien à vous communiquer sur la réponse à faire, parceque nous avions prévu le cours que cette lettre devait suivre. J'ai eu un ordre de faire faire 1,500 aunes
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de damas pour l'ameublement de Choisy et de faire en sorte que ce damas soit livré pour le mois de mars prochain. Je me suis d'abord adressé à M. Girolet qui avait d'abord projette de faire cette entreprise ; je luy ay remis un compte par lequel il y avait de 13 à 14 p. % à raison de 11 1. 10 s. l'aune ; il a gardé led. compte et me la rendu au bout de 2 jours, disant qu'il ne pouvait le faire à moins de 121. parceque le sr Roux l'avait ainsy assuré à son fils ; vous serez surpris que ce soit Mrs Soûlas qui ayent fait l'entreprise en question. Je vous prie en conséquence d'écrire pour leur donner une permission pour 8 métiers. Le lendemain de' mon marché fait, le sr le Roux vint me demander partie de l'entreprise à 111. 10 s., et quatre jours après le sr Girolet vint offrir de s'en charger; voilà donc, Monsieur, et les damas et leurs prix décidés. J'espère qu'il en sera bientôt de même du velours. J'attends incessamment l'inventeur qui doit remplacer M. Perrot, qui a été révoqué le 26 septembre, celuy cy se nomme Aubry ; c'est un jeune homme que je donnais, il y a 2 années, à M. Fagon ; nous n'avons en cette ville rien de nouveau qui intéresse votre seigneurie et votre curiosité. (Signé) Baron. »
Entre tous les fabricants de damas, le sr Gasnier et ses associés montrèrent une particulière habileté qui leur mérita les faveurs du roi. Par lettre datée de Fontainebleau, le 24 octobre, M. Orry écrivit à l'intendant : « Vous êtes instruit du zèle avec lequel le sieur Gasnier s'est porté à faire des velours façon de Gênes, et des dispositions dispendieuses qu'il a faites pour former un établissement considérable ; un fabricant qui se livre de cette manière à l'exécution d'un pareil projet mérite protection et encouragement et qu'on le mette à couvert des effets de l'envie qu'on peut luy porter; aussi le Roy, à qui j'ay eu l'honneur d'en ren-
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dre compte, trouve à propos que vous taxiez d'office le sr Gasnier, son fils et son gendre le sr Baron, qui sont ses associés, pour les impositions de la province auxquelles ils peuvent être sujets, et que sa maison de la rue Saint-Claude, où il se propose d'établir son travail, soitexemptée, et les ouvriers qui y travailleront, de logements de gens de guerre et de corvées ; ayez agréable de me marquer ce que vous aurez fait, en conséquence. » [C, 102.]
La manufacture de damas prenait une assez rapide extension. Le 30 octobre, les srs Girolet, père et fils, demandèrent à monter un métier, et le 15 décembre, le sr Poulet demanda à monter deux métiers. A cette époque une pièce modèle fut envoyée à Paris par le sr Deschamps, fabricant. Outreledamasde Gênes, onse mit à fabriquer le damas de Lucques, qui avait moins de valeur. Aussi, dans une lettre du 20 mars 1741, le contrôleur général se plaignit à l'intendant de ce qu'on fabrique à Tours clandestinement des damas façon de Gênes d'une qualité inférieure, et il ordonna de sévir contre les imitateurs ou contrefacteurs. Onze jours plus tard, M. de Lesseville répondit que l'on avait fait des perquisitions sans résultat, et il ajoutait des renseignements de nature à satisfaire M. Orry. On fabrique depuis un grand nombre d'années des damas de qualité inférieure et il est facile de les reconnaître : 1° les damas dits de Lucques ne sont que de 5/12 de largeur, de 70 à 27 portées, et il y a de 1 à 8 métiers qui font ce travail; 2° les damas de Gênes en 80 portées de 11/24, faits par 40 métiers, plus 40 métiers font les damas de Gênes de 100 portées. L'intendant joignait l'état des métiersJ.
1 Audebert a 16 métiers pour damas de Gênes de 80 portées et néant pour damas de Lucques. Girolet fils a 10 métiers pour damas
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Le fabricant Gasnier comptait au mombre de ses bons ouvriers le sr Maugenest. Il eut avec celui-ci une contestation au mois de mai 1741. Du mois d'août au mois de mai, Maugenest avait fait quatre pièces de damas de Gênes de 100 portées, qui variaient de 94 à 105 aunes et faisaient un total de 393 aunes pour 885 1. Le patron ne voulut les compter qu'à raison de 22 s. l'aune, en déclarant que le damas de 80 portées a été payé ce prix de 1736 à 1742, et qu'il n'est pas plus difficile à l'ouvrier de le faire à 100 portées de largeur qu'à 80 portées ; le premier damas se trame à deux ou trois bouts, et le second à quatre et cinq, en sorte qu'on avance davantage. Maugenest repondit que tous les damas de 100 portées sont payés 24 s. par les srs Soûlas et Fergeau, et lui-même les a soldés ce prix au mois d'août dernier ; en conséquence Maugenest réclame le reste des sommes quele fabricant lui retient. Un peu plus tard, le sr Gasnier se plaignait de ce qu'un ouvrier qu'il a formé pour le velours veut le quitter sous le prétexte qu'il entend toucher une partie de la façon avant de commencer le travail. D'après le compte fourni par le fabricant, les pièces de damas de 100 portées pèsent: rorgansinl81ivres6oncesâ441.7s.=:8041. 19 s. ; et la trame 36 1. 3 onces à 36 1. 3 s. = 1301 1. 8 s. Il y a en plus la façon à 22 s. =219 1. 9 s. ; l'ourdi ture 8 1., la remise 5 1., total 2,338 1. 16 s. ; à quoi il faut ajouter le temps de faire les pièces et les vendre à 6 mois, ou 54 l.,ce qui revient à2,3931. 16 s. [C. 102.]
Dans la pensée de Gasnier le débat avait une portée
de Gènes de 80 portées et 2 métiers pour damas de Lucques. Pradeau a 5 métiers pour damas de Gênes de 81) portées et 3 métiers pour damas de Lucques. Girolet père a 6 métiers pour damas de Gènes de 80 portées et 3 métiers pour damas de Lucques. Gasnier père a 1 métier pour damas de Gênes de 80 portées et pas de métier pour damas de Lucques. Poulet a 2 métiers pour damas de Gênes de 80 portées et pas de métier pour damas de Lucquea.
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plus étendue : il entendait prouver qu'il ne gagnait pas suffisamment à fabriquer le damas. A cet effet il donne les prix du coût, qui peut-être présentent quelque majoration. Il compte l'organsin 23 1. 1 s. 3 d. ; teint en cramoisi 40 1. 16 s. ; le dévidage de la soie à 15 s. ; l'ourditure à 2 1. 10 s. les 100 aunes; l'organsin de Piémont 241.; la trame d'Alais et d'Avignon à 191.10 s.; la cochenille 24 1. ; la façon à 24 s. l'aune ; la fourniture d'équipage à 3 s. l'aune, et les profits des fabricants à 10 pour 100. De la sorte 132 aunes de damas cramoisi de première qualité, pesant 4 onces 2 gros l'aune, revenaient à 12 1. 8 s. l'aune ou 1637 1. Gasnier ajoutait, par manière d'observation, que la trame fournie par le sr Hardion était bon marché, mais très sale et donnait beaucoup de déchet, de manière qu'on avait raison de payer plus cher, savoir 171. 12 s. 6 d., et celle teinte en cramoisi, 331. 14 s.
En réponse à une lettre de M. Orry, du mois de septembre, l'intendant adressa le projet d'un règlement pour fixer le poids que doivent peser les divers damas : 1° les damas de Gênes de 100 portées pèseront au moins 4 onces 1 gros par aune ; 2° le damas de 80 portées pèseront 3 onces 7 gros. Un article de ce projet demande que les damas de 2me et 3me qualité soient vendus ainsi que la lro à l'aune, au lieu du poids. Une lettre au contrôleur général, du 26 octobre, nous donne l'état des fabricants qui demandent l'autorisation de faire des velours et pas de damas ; ce sont les sieurs Lambron, Tabareau, Letort-Robin ; ceux qui font des damas en n'ayant qu'un métier, sont les sieurs Girolet, Deschamps et Poulet.
La fin de l'année 1741 nous fournit quelques indications sur l'intensité du travail dans la manufacture. Une lettre du 20 novembre ordonne au sr le Roux de
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monter 2 métiers de damas de Gênes à 100 portées et un métier de velours. De son côté, le sr Soûlas demandait à fabriquer des velours de soie. Les peignes à étoffes fixaient l'attention de l'inspecteur ; le 18 décembre, celui-ci fit remettre au sieur Gasnier 12 peignes à velours exécutés à Gênes et 14 faits à Paris chez la ve Dubois ; c'était en vue de les distribuer aux fabricants qui en auraient besoin. C'était moins qu'il n'en fallait et, la semaine suivante, le sr Gasnier écrivait au ministre qu'il n'avait reçu qu'une partie des peignes annoncés ; il ajoutait qu'il y avait à Tours deux fabricants de peignes d'acier, Deshogues père et fils. D'après un mémoire, nous voyons que ces derniers vendaient un peigne d'acier 36 1., et un peigne de velours 10 1.
Cependant le contrôleur général veillait à ce que le nombre des métiers ne s'élevât pas de façon à produire un résultat fâcheux. Le 8 décembre, il écrivait à son représentant à Tours qu'il n'entend pas accorder d'autres permissions pour monter les velours et qu'il faut attendre qu'il se forme d'autres ouvriers. Quant à présent, il ne faut accepter que 30 métiers travaillant au velours façonné, savoir 10 à Gasnier, 10 à Viot, 4 aux frères Soûlas, 1 à Fergeau, 1 à Poulet, 1 à la v" Le Roux et fils, et 3 à Deschamps. Après enquête à la fin de décembre, on fit savoir à M. Orry que Gasnier avait 12 métiers au lieu de 10, Lambron 3 sans autorisation, Deschamps 3 au lieu de 1, Viot 12, les frères Soûlas 4, Fergeau et Poulet chacun 1, enfin que la ve Le Roux et fils ainsi que Lambron ne sont plus dans l'intention de faire travailler le velours. Le correspondant termine en disant que l'on « pourrait peut être s'arranger pour ne rien changer à ce qui est fait ». Néanmoins, le 2 janvier 1742, il y eut en faveur du sr Gasnier une ordonnance permettant d'avoir 16 métiers, et pour
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le sr Lambron 2 nouveaux métiers. Le 2 du mois suivant, M. Aubry, inspecteur des manufactures à Tours, informait M. Orry que le nommé Devone, ouvrier en velours employé chez M. Viot, est parti sans congé de la ville, emportant ses forces, pinces et taillerolle, et devant 80 1. à son maître.
La manufacture n'avait pas encore atteint le degré de perfection désirable, ainsi que nous l'apprenons par une lettre de M. Orry, du 12 février 1742. « Le ministre, dit-il, se plaint de la mauvaise fabrication des damas fabriqués chez Mrs Soûlas, l'étoffe manque de moëleux et de brillant, le travail n'est pas soigné. Les 4 pièces cramoisi fournies par le sieur Gasnier et envoyées au sieur le Brun marchand, sont encore défectueuses ; les soies mal assorties, sales, tachées, barrées en travers et rayées en longeur, la couleur altérée et inégale de manière que les 4 pièces ne peuvent pas servir pour le même meuble. Monsieur Aubry est reprimendé sur le peu d'attention qu'il paraît donner à la fabrication de ces damas. Comme il y a assez longtemps que les fabricants font des damas façon de Gênes ils doivent être au courant de la fabrication et la bien faire. Mr Aubry ne doit pas souffrir que l'on envoyé des damas défectueux à Paris, il a le devoir de cacher les pièces qu'il trouvera défectueuses, de les laisser à la garde des fabricants et de l'instruire des défectuosités qu'il découvrira, afin qu'il puisse luy faire savoir ce qu'il conviendra de faire à ce sujet; il faudra avertir le sr Gasnier que s'il continue à faire aussi mal on luy retirera sa permission, rien ne pouvant porter plus grand préjudice au soutien de cette fabrique que la facilité que l'on aurait de laisser vendre des damas défectueux. »
En réponse à cette communication d'uncaractère sévère^. Orry reçut une lettredans laquelle on lui disait: « Monseigneur, conformément à l'ordre que vous m'a-
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m*avez donné, j'ai visité les pièces du sieur Gasnier, j'en ai trouvée de défectueuses. Mais M. le contrôleur général des manufactures m'ayant mandé depuis qu'il suffirait de l'informer de la qualité des étoffes lorsqu'elles seraient achevées, je vous prie de trouver bon que je me conforme à ses ordres. » [C. 102.]
Les fabricants et l'administration, d'un commun accord, s'efforçaient de pourvoir la manufacture des éléments propres à lui communiquer une nouvelle impulsion. On n'oubliait pas à Tours que c'est de l'Orient que nous vient le soleil avec la couleur et ses merveilleux produits, et que lors de l'installation de la fabrique Louis XI avait fait appel aux ouvriers d'Italie. M. Hardion, qui avait un rôle prépondérant dans la direction des ateliers, demanda que l'on fit venir des maîtres d'au delà des monts en offrant de payer les frais de voyage. L'administration chargea le consul général de France à Gênes de choisir des ouvriers renommés pour leur capacité et de les envoyer. Giuseppe Solary avec sa famille prit le chemin de la France et, après avoir reçu l'appui du prévôt des marchands de Lyon, se dirigea vers Tours. On le voit au travail sur les bords de la Loire au mois d'octobre 1740.
Le gouvernement, de. son côté, avait on ne peutplus à coeur la prospérité de la manufacture. L'inspecteur Aubry n'ayant pas apporté une surveillance assez rigoureuse, sinon une compétence suffisante, le ministre, en février 1742, crut ne pouvoir mieux faire que de confier le contrôle spécial de la fabrique de velours au Génois Solary. Cet habile ouvrier avait avec lui deux fils adultes, Joseph et Lucien, reçus maîtres à Tours, et deux jeunes garçons de huit à neuf ans. Voici la commission d'inspecteur particulier délivrée à Solary.
« Philibert Orry, conseiller d'Etat et ordinaire au
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conseil royal, contrôleur général des finances. En conséquence du pouvoir à nous donné par le Roy, étant informé des bonnes vie et moeurs, suffisance, capacité et expérience du sieur Joseph Solary au fait de la fabrique des velours, nous avons commis et commettons par ces présentes le dit sieur Solary en qualité d'inspecteur particulier pour la fabrique de velours dans la ville de Tours, sous la direction néanmoins de l'inspecteur des manufactures de la généralité de Tours, auquel le sr Solary sera subordonné, pour par le dit Solary exercer la dite inspection aux appointements de six cent livres et aux privilèges et exemptions attribués aux inspecteurs des manufactures.
« Le dit sr Solary examinera les ouvriers que l'on destinera a être employés en chef tant pour fabriquer des velours, que pour faire des apprentifs, afin de connaître s'ils sont en état de remplir ces objets ; il examinera les métiers sur lesquels les velours devront être montés ; il examinera pareillement les soyes qui seront employées en velours tant en chaîne qu'en poil et trame ; sur lesquels trois articles il remettra les observations à l'inspecteur des manufactures de Touraine qui en conséquence nous rendra compte des dittes observations pour recevoir nos ordres sur ce sujet.
« M. Solary enseignera aux ouvriers, qui lui seront désignés par l'inspecteur des manufactures de Touraine, l'art de remonder parfaitement et de raser les velours, à l'effet de quoy il sera établi dans le bureau des fabricants un lieu convenable pour ces opérations. Le sieur Solary vérifiera d'un bout à l'autre les pièces de velours qui seront portées au dit bureau lorsquelles auront reçu leur dernier apprest ; il examinera si les soyes sont conformes d'un bout de la pièce à l'autre bout et si le poil correspond aux lizières ; après la quelle vérification, s'il trouve les velours en règle, il
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appliquera un plomb aux deux bouts de la pièce, et s'il trouve quelques défectuosités dans les pièces, il ne les plombera point et il en instruira l'inspecteur des manufactures de Touraine. — Fait à Versailles le 12me jour de février 1742. (Signé) Orry. »
La question des lisières pour distinguer les damas et velours présentait un intérêt de premier ordre. Elle fut tranchée par une ordonnance de M.deLesseville, en date du 28 août 1742. Il commence par rappeler que la confusion des damas de Gênes, que l'on fabrique si habilement à Tours, « avec les damas ordinaires en 80 portées et les damas façon de Luques en 70 ou 72 portées, seroit sujette à plusieurs inconvéniens s'il ny étoit pourvu ». Il continue : « Vu les ordres à nous adressés par M. Orry, contrôleur général, du 20 du présent mois (août 1742), nous intendant ordonnons que dans deux mois à compter de la publication de la présente ordonnance les fabricants seront tenus de mettre aux damas ordinaires en 80 portées, et à ceux façon de Luques en 70 ou 72 portées, des lizières travaillées en satin toutes unies et sans rayures, de couleur de souffre ou autres qu'ils trouveront convenable pour les damas cramoisi et vert, et des lizières couleur de rubis ou cramoisi faux, pour les damas jonquilles, blanc et d'autres couleurs; deffendons à tous fabricants d'employer dans les damas, façon de Gênes, ainsi que dans ceux en 80 portées et façon de Luques 70 ou 72 portées, des soies de Tany, à peine contre les contrevenants de confiscation des étoffes et de 50 1. d'amende pour chaque contravention ; enjoignons à l'inspecteur des manufactures de tenir la main à l'exécution de notre présente ordonnance qui sera lue, publiée et affichée partout où besoin sera, à ce que personne n'en ignore et dont un exemplaire sera remis
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au bureau des gardes-fabricants, pour être inscrit sur le registre de la Communauté ». [C. 102.]
Un état détaillé des métiers de damas et de velours, fait par l'ordre de M. Baron pour le compte du roi nous est fourni dans un mémoire du sr Gasnier. On y voit 5 métiers de velours donnés à Solary par le roi ;
I métier de velours à Auger, aussi par le roi ; 1 métier de velours sur lequel travaille Joseph Leduc ; 2 métiers de damas sur lesquels travaillent Maugenest et Porton Berget. D'après ce compte, les maillons de verre à passer la soie coûtent 52 1. les deux livres, un corps de métier 60 1., un peigne d'acier 60 1., et 24 navettes 48 1.
Au mois d'avril, le sr Auger, apprenti de Solary, qui s'est adonné à Tours à la fabrication des velours de Gênes, demanda à être reçu gratuitement à la maîtrise, ainsi que le sr Baron le lui avait promis. L'administration, après information prise sur la capacité du demandeur, fut « d'avis d'accorder la maîtrise gratis ainsi que le métier et harnois achetés précédemment au sr Gasnier, le tout pour le dédommager des frais de son apprentissage ».
Un Mémoire de l'administration nous renseigne sur la situation de la fabrique de damas en 1742. « Les damas de Tours ne sont ni assez moëleux ni d'une belle couleur, par ce que le teinturier qui prétend n'être pas assez payé n'emploie que 20 livres de savon par 100 1. de soie, au lieu qu'à Gènes on en employé 50 livres.
II est certain que le teinturier ne pouvait pas pour 15 sols par livres mettre 50 p. 0/0 de savon et teindre la soie ; la cochenille luy était fournie par le fabricant sur le pied de 3 onces par livre, ce qui devait occasionner des abus. Cette soie n'était pas assez décruée ou trop longtemps au feu, devenait aigre et cassante, diffi-
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cile à travailler, de là vient l'habitude des dévideuses de graisser la soie d'huile d'olive pour la rendre plus douce et moins cassante. Les organsins qu'on employé à Tours proviennent de Modène, sont mal apprêtés et sales, les trames, dites Tanis (Indes), sont dures et lourdes et sont brillantes ainsi que celles d'Espagne et des montagnes de Sicile, et cependant ce sont celles qu'on employé à Tours pour la fabrication des damas. Les fabricants plus expérimentés se servent d'organsin du Piémont, ils sont plus chers mais plus fins et plus beaux. Les trames les plus conve. nables pour ce genre de fabrication sont les soies d'Avignon, d'Alais, Dauphiné, Provence, Sto Lucie et autres ; comme ce sont les plus belles soies et par conséquent les plus chères, il faut considérer si en les employant les fabricants peuvent y trouver leur compte eu égard à la cherté de ces soyes. Les plus beaux damas qui se fabriquent à Tours ne sont vendus à Paris que 12 1. l'aune, sur quoi le marchand qui les vend retient 7 s. pour la voiture et la commission, de sorte qu'il n'en revient au fabricant que 11 1. 13 s. Pour y trouver 10 p. 0/0 de profit, le fabricant devrait les vendre 12 1. 8 s. quitte de tout frais, et en ne les vendant que 11 1.13 s. il ne peut employer de belle soie. »
Aussi bien, l'on ne comprenait pas à cette époque que les soies les plus grosses sont toujours relativement plus chères et qu'en exigeant un certain poids à l'aune on forçait les fabricants à employer des soies lourdes et pas assez décruées, et à recourir, pour les charger, à des moyens frauduleux tels que l'huile et le sucre.
Cependant le gouvernement veillait à tout ce qui pouvait contribuer à favoriser la nouvelle manufacture. M- Orry, ayant appris que « plusieurs bons ouvriers
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du damas et velours de Gênes sont dans l'intention de passer en France, si on veut les accepter », en écrivit, le 2 avril 1742, à l'inspecteur général à Tours ; il lui fit observer qu'il pourrait être avantageux aux fabricants des bords de la Loire d'avoir ces ouvriers et l'invita à l'informer de leurs intentions. M. Aubry fit réponse que Gasnier prendrait 6 ouvriers en velours, Viot et Lambron 6, Lambron l'aîné 4, et Fergeau 4 ; seulement ils ne voulaient pas faire les frais du voyage et ne paieraient que 3 1. l'aune de velours.
Le maître-ouvrier génois, venu à Tours avec sa famille « pour former des apprentis à bien faire le velours », reçut gratuitement cinq métiers. La fabrique parut reprendre un nouvel élan. Le 30 juillet, le sr Girollet de Bois - Renault demanda l'autorisation de monter deux métiers de damas, façon deGênes.Deson côté, le sr Gasnier fit savoir à M. Orry que Auger a été admis gratis à la maîtrise et que les lettres ont été expédiées pour qu'il puisse travailler et faire travailler ; il terminait en disant qu'il « tachera toujours, par son exactitude, de mériter la protection de Sa Grandeur».
Le contrôleur général, sans cesse attentif à écarter ce qui devait causer quelque dommage à la manufacture, manda, le 20 août, à l'intendant, qu'il devait porter ses soins sur la façon de distinguer les différentes espèces de damas. Celui-ci rendit, le 28 août, l'ordonnance suivante : « De par le Roy, Charles de Lesseville..., sur ce qui a été représenté que la ressemblance des lizières des damas qui se fabriquent avec succès à Tours, avec celle des damas ordinaires en 80 portées et des damas façon de Lucques, en 70 ou 72 portées, serait sujette à plusieurs inconvéniens s'il n'y était pourvu. Vu les ordres à nous adressés par M. Orry, nous intendant ordonnons que, dans deux mois à compter de la publication de la présente ordonnance, les fabri-
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cants seront tenus de mettre aux damas ordinaires en 80 portées, et à ceux façon de Lucques en 70 ou 72 portées, des lizières travaillées en satin toute unies et sans rayures de couleur de soufre ou autres qu'ils trouveront convenable pour les damas cramoisi et vert, et des lizières couleur de rubis ou cramoisi par les damas jonquilles, blanc et d'autre couleur ; défendons à tous fabricans d'employer dans les damas, façon de Gênes, ainsi que dans ceux en 80 portées et façon de Lucques des soies de tany, à peine contre les contrevenais de confiscation des étoffes et de 501. d'amende pour chaque contravention. Enjoignons à l'inspecteur des manufactures de tenir la main à l'exécution de notre présente ordonnance ». [C. 102.]
Nonobstant les protections et privilèges dont jouissait la manufacture, les fabricants traversaient parfois des heures difficiles. Un rapport du 27 octobre nous met au courant des métiers « qui ont été abatus et de ceux qu'ils sont près d'abatre ». « Dans le nombre des fabricants qui font faire des damas façon de Gênes en 100 portées, le sieur Poulet a abatu son métier de luimême pour le réduire à 80 portées, parce que, dit-il, il n'en trouve pas la vente ; le sr Gasnier et les srs Soulas ont, à la vérité, un métier de moins chacun, mais on les a forcés de les abatre, parce que leurs ouvriers ne travaillaient pas bien ; le sr Leroux et le sr Fergeau ont parlé de les arrêter aussi, mais ils ne l'ont pas encore fait. A l'égard desmétiersdevelours,ilssubsistent à l'exception d'un métier au sieur Gasnier qui a été abatu pour la même raison que le damas ; il y en a encore quelques-uns qui ont proposé de cesser à la fin de leur pièce. »
Une machine avait été exécutée pour les marques. Une lettre du contrôleur général au sr Aubry, du 3 décembre, déclare que « la machine en cuivre faite par
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le nommé Sautigny, pour marquer les damas pour l'ameublement de Choisy, doit être payée par les sieurs Soûlas, qui ont cette machine en leur possession, et le sieur Gasnier, si ils s'en sont servi ». Dans une autre circonstance (18 mars 1743), M. Orry s'empressa d'accéder à la demande de M. Aubry. Celui-ci ayant fait savoir que « M. Le Nain a envoyé au sieur Sorbièrepère, fabricant à Tours, de la soie pour luy faire du damas, façon de Gênes, et que le fabricant demande d'être autorisé à en monter un métier, » le contrôleur répondit qu'il n'y voit point d'inconvénient et pria d'accorder l'autorisation. A son tour, le sieur Fergeau sollicita la faculté de monter un troisième métier.
De leur côté, trois fabricants adressèrent une requête à l'intendant. Les sieurs Viot frères, Lambron et Baudichon, associés marchands et fabricants de la ville de Tours, demandèrent qu'on leur concédât le privilège exclusif pour fabriquer le damas de Gênes et le velours, à diverses conditions. Entre autres choses ils réclamaient « qu'il leur soit accordé une somme pour frais de premier établissement, qu'ils pouront prendre les ouvriers des autres maisons qui font des pannes et pluches sans dédomagements et cela 3 mois après l'obtention du dit privilège, et recevoir les soies de Lyon franches de droit, et la sortie de même pour l'étranger des velours ». L'inspecteur des manufactures fit observer que « les srs Viot et Lambron, qui avaient la permission de monter 10 métiers de velours, ont cessé leur travail, et que les sieurs Soûlas qui n'ont la permission d'en monter que 4 en monteraient un plus grand nombre si il leur était permis ». Sur ce, le 4 novembre, M. Orry écrivit à l'intendant : « L'inspecteur a l'ordre de leur accorder autant qu'ils pouront en employer, et de ne pas laisser reprendre la fabrication à ceux qui l'ont abandonnée ».
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Deux mois plus tard, le 30 décembre, le contrôleur général écrivait qu' « il ne veut pas accorder les faveurs singulières que demandent certains fabricants deTours; c'est aux fabricants à conduire leur fabrique comme ils l'entendent sans nuire aux autres fabricants de Tours et du Royaume ; les fabricants de damas et velours, façon de Gênes, de Tours, sont d'une grande indolance et ont besoin d'être stimulés; il regrette le sieur Baron, qui est mort, et qui prive Tours de ses lumières; il faudra y suppléer en consultant tous ceux qui pourront être utiles, tels que les sieurs Hardion et Vaucauson, et autres qu'on croira être utiles ». Nous aurons l'occasion de parler de M. Hardion, qui obtint le privilège de fabriquer le damas de Gênes, et de Vaucauson, si connu par son talent d'ingénieur et par sa machine, destinée à favoriser l'essor de l'industrie.
La mort de Baron ne fut pas le seul coup dont la manufacture eut à souffrir. Le Génois Solary commença à se plaindre de l'inexécution des promesses qu'on lui avait faites. Le 19 février 1744, il adressa à l'intendant une requête. Il « expose qu'il a été engagé par le crédit de Mr de Rogny, envoyé de France auprès delà République de Gênes, pour venir en France, à Tours, conduire les ouvrages de velours de la manufacture qu'on y a établie à la manière de Gênes, à la sollicitation du sieur Hardion, marchand de cette ville ; que le sieur Baron inspecteur général des manufactures de France a vu les premiers velours fabriqués par le suppliant chez le sieur Thomas Michel Gasnier fabricant maître-ouvrier en soie en cette ville, pour le compte duquel lesuppliantacru travailler depuisleoctobre 1740 jusqu'au 30 août 1743, sous plusieurs conditions, qui lui furent faites par le dit sieur Baron, dont la majeure partie n'ont point eu d'exécution ; entre,autres condi-
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tions, il avait été convenu que le sr Gasnier lui payerait le velours qu'il ferait 4 1. 10 s. l'aune; qu'il avait travaillé de bonne foy, lorsqu'au règlement de compte le sieur. Gasnier luy a déclaré qu'il luy redevait 4111. 4 s. 6 d., lorsque le sieur Solary croyait être son créancier de 1011 1. pour le restant des façons à luy dues. »
L'affaire fut portée devant le nouvel intendant, « Jacques Pineau, chevalier baron de Lucé, sBr de St-Paterne et autres lieux, conseiller du roy, intendant de justice, police et finances de la généralité de Tours ». Celui-ci condamna le s 1' Gasnier « à payer au sieur Solary 624 livres qui luy restent dues ».
Il importait de tenter un nouvel effort pour soutenir les ateliers de damas et de velours sérieusement compromis. M. Hardion demanda que l'on fît venir d'autres ouvriers de Gênes en offrant de les défrayer du voyage et de les installer à Tours. Une lettre de M. Orry, du 9 octobre 1744, nous indique comment l'affaire fut conduite. « Je viens de recevoir une lettre de M. de la Tour, qui m'apprend que le sr Hardion, entrepreneur de la manufacture royale de damas, façon de Gênes, s'est adressé au consulat de France, à Gênes, pour avoir quelques bons ouvriers en damas pour sa fabrique, qu'en conséquence le consul a engagé toute une famille composée de 7 personnes, dont le nommé Lorenzo Massa est le chef, à passer en France pour se rendre à Tours, et que étant convenu de lui donner dix louis pour leur voyage, il lui en a remis cinq en partant, et convenu qu'il recevra les cinq autres à Lyon. J'ai écrit à M. le prévôt des marchands qui me marque que cette famille lui a été adressée par M. d'Héricourt, auquel M. Coutlet, notre consul, a écrit pour leur procurer, en cas de besoin, des secours ; Lorenzo lui ayant fait con-
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naître qu'il lui en avait coûté plus de 140 1. pour venir de Gênes à Marseille, tant pour le passage et la victuaille que pour les frais de la quarantaine et se trouvant absolument sans ressources, il n'a pu se dispenser de lui faire donner sur le domaine cinq autres louis, qui suffiront à peine pour le conduire lui et sa famille jusqu'à Lyon. Comme c'est le sieur Hardion qui doit payer les frais de voyage de cette famille, je vous prie de l'instruire de ces faits afin qu'il fasse rembourser au domaine ce que coûtera le voyage. » [C. 103.]
Une lettre de M. Rouillé, inspecteur des manufactures en remplacement de M. Fagon indisposé, le 9 mai 1744, nous renseigne sur le privilège accordé au sieur Hardion, de fabriquer seul, à Tours, les damas de 100 portées dits de Gênes ; l'arrêt porte que « les ustensiles pour la fabrication de ces damas, qui appartiennent au Roy et qui sont encore entre les mains du sieur Gasnier, seront remis à M. Hardion. »
La correspondance entre M. Hardion et le contrôleur général nous tient au courant de toutes les circonstances, relatives aux ouvriers étrangers. Le 12 octobre, l'entrepreneur écrivait à M. Orry : « J'ai reçu une lettre de M. de Savalette, datée de sa campagne du 3 de ce mois, par laquelle il me mande que mes Génois sont arrivés à Lyon et partis pour Tours, qu'ils n'ont pas pris la peine, en son absence, de voir M. le prévôt des marchands qui leur a fait compter cinq louis, qu'il remboursera à son retour, et qu'il répondra à la lettre que vous lui avez écrite à la Flèche. L'arrivée de cette famille a fait tourner la tête à Pozzo ; il avait jeudi un pied dans l'étrier pour s'en aller ; il s'est brouillé avec son hôte et son tireur ; il était yvre et, après avoir cuvé son vin, il s'est déterminé à quitter sa pièce pour achever la vôtre avec son fils, et j'ai pris le parti de la
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donner à un autre ouvrier, qui la travaille mieux et avec plus de régularité que ce Génois. Si ces deux garnements continuent à travailler comme ils ont commencé, votre pièce sera faite vers la fin du mois ; ils en font 2 aunes par jour, mais il arrivera que le père et le fils se brouilleront; je me déferai de ces misérables qui ne valent qu'à pendre. L'on n'a pas tenté jusqu'ici les teinturiers de Gênes ; mais on ne désespère pas d'en venir à bout, on m'a fait la promesse d'ici 15 jours ; j'en attendrai l'effet avant de ne rien risquer.
« Le sieur Roze voudrait bien avoir le nommé Courrault, ouvrier en velours, et qui fait actuellement de la peluche chez M. Viot, le jeune; pour éviter le cérémonial que les fabricants observent lorsqu'ils prennent des ouvriers, le sr Roze vous prie de vouloir bien envoyer une permission à Courrault de faire des velours, pour le remboursement de ce qui peut être dû au sr Viot et en laissant finir la pièce qui est sur le métier ; le sr Roze est le seul qui m'ait demandé de la soye pour poil de velours et je le vois dans la résolution de n'en céder à personne du ballot que je lui ai fait venir. Il est à craindre qu'un teinturier génois ne se déplace pas si c'est un homme habile, et nous courons risque de n'avoir qu'un paresseux et, d'un' autre côté, en arrivant à Tours, il sera obligé de faire un bain neuf qui gastera beaucoup de soie ; les autres maîtres le prendront en guignon, ne }ui donneront pas à teindre ; on a proposé de faire venir un vieux bain de Gênes, le voyage ne le gasterait pas, et on pourait répondre de la fidélité de celui qui le vendra. »
Quelques jours après, M. Hardion se plaint « de ce que la soie qui est demandée en Italie n'arrive pas ; il craint qu'elle ait été prise par les Anglais, avec qui on est en guerre ainsi qu'avec le roi de Sardaigne ; il se
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plaint également de M. Fagon(quiest mort), lequel lui avait promis monts et merveilles ; il a reçu des nouvelles des Génois et dit qu'il ne payera pas leur voyage ; il a engagé une Génoise, et tous les polissons de la ville courent après elle, c'est-désolant ».
Une autre lettre nous fournit de plus amples détails : « J'ai l'honneur, dit-il au contrôleur général, de vous informer que Lorenzo Massa est arrivé mardi dernier 13 de ce mois avec sa famille et cinq enfants, dont une fille de 16 ans, une de 14 ans et l'autre de 6, un petit garçon de 10 ans et une autre de 4 ans. Le père, la mère, et la fille aînée sont ouvriers, en damas de 100portées, la cadette ne peut encore faire que des demi-damas, les trois autres enfants dévident de la soie, ainsi, Monsieur, toute cette famille travaille. Je l'ai logée chez moi en attendant que j'aie trouvé une maison qui leur convienne pour eux et pour leur métiers, je doute qu'il en montassent quatre et en effet ils vont se réduire à deux jusqu'à ce qu'ils ayent accoutumé des journaliers en tire à leur mode. Cet ouvrier a visité mes métiers, il les a trouvés précisément comme ceux de Gênes, à la reserve que la tire est un peu plus pesante et qu'il la réduira au point que sa fille cadette qui n'a que 14 ans poura tirer. Nous avons aussi concerté le moyen de rendre le travail de l'ouvrier moins pénible par le moyen d'un carlet qui rendra les marches plus faciles à enfoncer. M. Coutlet a écrit qu'il s'était bien informé du caractère de cet ouvrier et qu'on lui a assuré qu'il était habile, laborieux, sobre, rangé, c'est ce qui se connaîtra avec le temps.
« L'ouvrage de l'ouvrier Pozzo, c'est-à-dire votre damas est fabriqué au mieux, jel'ay fait monter sur le métier ; il travaille bien et avec célérité. Suivant son calcul un bon ouvrier doit faire par an 500 aunes de damas et il dit le faire. Vous avez connaissance que
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c'est M. Coutlet qui m'a offert cet ouvrier et que je l'ai engagé à la condition qu'il n'exigera que 10 louis pour ses frais de voyage, 5 à Gênes et 5 à Lyon, cette proposition a été acceptée; M. Coutlet est plein de zèle pour le bien de l'Etat, sachant d'ailleurs que M. le comte de Maurepas s'intéresse beaucoup pour l'établissement de la manufacture de damas de Gênes à Tours, il a fait partir cet ouvrier sans attendre mes réponses, ni une adresse de Lyon. Comme on a rançonné cet ouvrier à la quarantaine, ils ont été obligés de vendre leurs hardes et ils se sont trouvés à Aix sans argent et sans ressources. Je vous supplie de bien vouloir leur faire crédit de ce qu'on a avancé pour eux. »
De tout temps, le gouvernement a été l'étoile polaire vers laquelle se sont tournés les regards des citoyens en proie aux vicissitudes de la vie économique. M. Hardion insista auprès du ministre afin d'obtenir un concours plus efficace de l'État. De son côté, M. Rouillé, en qualité d'inspecteur des manufactures, écrivit dans le même sens au contrôleur général, vers la fin de l'année, et lui proposa de prendre sept à huit cents livres sur l'excédent de la capitation de 1743 pour faire habiller et donner des lits à la famille génoise, que le srHardion a fait venir. M. Orry en éprouva quelque mauvaise humeur et parla de retirer la concession. Le 9 janvier 1745, il répondit à M. Rouillé: « Je vous prie de me mander quel est l'état actuel de cette fabrique, parce que si on ne peut pas espérer un certain succès sans être obligé de lui accorder successivement de nouveaux secours, il vaut autant révoquer le privilège. Il n'est pas douteux que le seul avantage des 10 sols par années qui auraient été accordés aux fabricants de Lyon, les aurait engagés à porter cette fabrique plus promptement à sa perfection. Il semble, à entendre le sr Har-
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dion, qu'on n'a pas assez fait pour lui ; je ne vois pas même qu'il se mette en état de répondre à l'opinion que l'on s'était fait de lui. Je veux bien pour cette fois, et attendu le peu d'objet dont il s'agit, consentir que vous fassiez pour cette famille génoise l'arrangement que vous proposez ; vous pouvez donner les ordres nécessaires à ce sujet. »
En 1747, on comptait à Tours 25 métiers fabriquant le velours de Gênes. Les sieurs Soûlas en avaient 15, le sr Viot le jeune 4, le sr Roze-Girollet 3, les sieurs Lambron, Patas et Gasnier chacun un, enfin le sr Solary en avait un « pour son compte ».
Ce n'est pas seulement aux individus, mais encore aux collectivités, que l'on peut appliquer la maxime du poète ancien,
Tempora si fuerint nubila solus eris.
Les temps étaient durs, particulièrement pour le tra. vail, et la manufacture de Tours portait le poids de journées bien lourdes pour l'industrie. Les chefs d'usine ne méritaient pas, semble-t-il, les jugements sévères qu'on formulait en haut lieu, sans tenir un compte suffisant des difficultés nombreuses contre lesquelles ils avaient à lutter. Les affaires allaient mal et les ouvriers se plaignaient de ne pas gagner suffisamment et d'être victimes de tromperies. C'est à cette heure qu'une parole de tentation se fit entendre à l'oreille des artisans besoigneux. L'ambassadeur de Suède fit des démarches auprès de Massa et réussit à l'attirer à la cour Scandinave ; un beau matin de l'été de 1748, on s'aperçut que l'ouvrier avait fui avec les siens et d'autres encore.
Le 3 juillet, l'inspecteur des manufactures de Tours en informa le gouvernement. « M. Rouillé envoya le
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signalement du Génois Lorenzo Massa et de sa famille : il est, dit-on, parti furtivement de chez M. Soûlas, on soupçonne que c'est pour aller en Suède, il a été engagé par l'ambassadeur de cette cour. M. Soûlas (le fabricant) le regrette, non pour lui, mais pour ses deux filles qui devenaient d'habiles ouvrières ; d'ailleurs il est son débiteur, et on soupçonne qu'il a débauché un autre ouvrier et deux ouvrières, qui sont partis immédiatement après lui (les deux filles Motin de la ville de Tours), et dont j'ai joint le signalement à celui de toute la famille Massa. L'ouvrier est italien, Dominique Mâche, mais n'a point été appelé dans cette fabrique, il y est venu volontairement. Ils emportent à eux tous près de 100 pistoles d'avance que les frères Soûlas leur ont fait ; comme cet exemple pourrait devenir pernicieux pour la fabrique, je crois que vous approuverez que j'aie donné des ordres en conséquence. »
Vers la fin de l'année 1748, les fabricants de Tours se plaignirent en outre de ce que la manufacture royale de Paris leur prenait des ouvriers sans congé et qui devaient des sommes importantes à leurs maîtres ; ces ouvriers étaient Abrazé et Maugenest, et les maîtres Jahan et compagnie. Il est vrai qu'à la même époque, comme compensation, ceux-ci avaient dans leurs ateliers Aubry et sa femme, sortis également sans congé de la fabrique de la capitale et débiteurs de 551.13 s. 6 d., dont les entrepreneurs réclamèrent la retenue.
A son tour, Solary reçut des avances des fabricants de Lyon et, attiré sans doute par le voisinage de son pays aussi bien que par les offres flatteuses des Lyonnais, il quitta les rives de la Loire pour les bords du Rhône. Le maître Soûlas réclama auprès du ministre en s'appuyant sur le règlement, et non sans exiger une indemnité du fabricant qui avait accepté le maître génois. Ses prétentions n'étaient pas fondées et, le 23
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décembre 1752, M. Trudaine écrivit à l'intendant M. de Magnanville : « Je me suis fait représenter le règlement du 2 janvier 1749, concernant les ouvriers de Tours, qui passent d'une manufacture dans une autre ; l'art. 4 défend bien à tous fabricants de prendre à leur service aucun ouvrier, sans le billet de congé du maître d'où il sort, à peine de 300 1. d'amende, mais il n'ordonne pas que les fabricants qui auront pris cet ouvrier soient tenus de rembourser les maîtres d'avec lesquels les ouvriers sortent, de ce que ces derniers pouraient leur devoir; les sieurs Soûlas peuvent, s'ils le jugent à propos* se pourvoir à Lyon en exécution de ce règlement contre les fabricants qui ont reçu Solary ; j'en écrirai à Mr le prévôt des marchands ; peut-être ferontils mieux d'entrer en composition sur les moyens de recouvrer ce qu'il leur est dû ». [C. 103.]
Les frères Soûlas furent entrepreneurs de la manufacture de damas de Gênes, de 1750 à 1769. Ils cédèrent, en 1756, leur fabrique particulière pour continuer exclusivement l'exploitation de la manufacture royale. Julien Soûlas eut une fille qui épousa M. Papion. Ce dernier devint entrepreneur de la manufacture, de 1770 à 1775, sous la raison sociale Papion père et fils. La fabrique de damas sombra, en 1790, dans la houle causée par les premières agitations de la tourmente révolutionnaire.
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IX
LE XVIIIe SIECLE vsuitej. RIVALITÉS ET THÉORIES ÉCONOMIQUES
L'exposé des documents relatifs à la fabrique nous a conduits au seuil de la seconde moitié du xvme siècle. L'évolution des idées nouvelles, qui sur plus d'un point étaient en contradiction avec celles du moyen âge, les aspirations de bien-être, de liberté et d'indépendance qui se faisaient jour dans les classes populaires, la propagation des théories des économistes et des encyclopédistes sur les droits et les devoirs réciproques du capital et du travail, les abus et les malaises provenant du régime-corporatif, d'ailleurs excellent en soi,les souffles de rébellion qui, de temps à autre, traversaient la nation en attendant de soulever une tempête formidable, capable de déraciner les institutions les mieux éprouvées, tout cela devait agir progressivement sur le monde des travailleurs et modifier le caractère des relations aussi bien que les procédés de l'industrie. A cette époque, Tours était encore une ville ouvrière importante, et nous allons assister à l'effet produit par le choc des éléments anciens et nouveaux, qui se trouvaient en présence. Tout d'abord les maîtres se plaignirent de l'inobservation du règlement, par suite de l'emploi d'ouvriers ne remplissant pas les conditions requises. Au commencement de l'année 1748, ils adressèrent à l'intendant la requête suivante :
« Supplient humblement les maîtres ouvriers en
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soye travaillant à façon de cette ville, disant que lés remontrances réitérées qu'ils ont fait aux gardes jurés et anciens pour empêcher les abus qui se commettent par rapport aux personnes qui travaillent dud. état sans droit, n'ayant produit aucun effet à cause que ce sont eux qui en employent la plus grande partie, ils ont pris la liberté de s'adresser à votre Grandeur pour l'informer de la confusion et du désordre qui règne dans leur manufacture. Par l'article XIII de leurs statuts il est expressément défendu à tous fils de maître et compagnon de tenir boutique, et qu'en cas de doute de maîtrise contre ceux qui travaillent à façon tenant boutique, ils seront contrains de vérifier comme ils sont maîtres et même par corps, s'ils se trouvaient refusant. Cet abus s'est tellement accru que le nombre d'ouvriers sans droit de boutique ouverte excède le nombre des maîtres, quoique la plus grande partie de ces ouvriers ne sont ni fils de maîtres ni compagnons et même sans avoir fait d'aprentissage, et qu'il y ena même nombre qui pousse la contravention assez loin pour prendre des compagnons et des apprentifs, quoiqu'ils n'ayent ni suffisance ni capacités, ce qui bien loin de pousser la fabrique à sa perfection ne tend qu'à la faire péricliter, puisque les maîtres faisant travailler attirent encore actuellement les journaliers des maîtres à façon pour leur donner à travailler, et pour que le peu de prix qu'ils donnent à ces sortes de gens serve de règle aux maîtres, dont une partie sont sans ouvrage, faute de ces journalliers qu'ils voient travailler devant eux ; il est inouï que jamais pareil abus se soit souffert dans aucun autre état.
« Puisque l'on n'a rien tant à coeur que de rechercher ceux qui travaillent sans droit,c'est à cette fin, Mgr, que les suppliants implorent votre autorité pour qu'il lui plaise ordonner qu'en attendant qu'il plaise à sa Ma-
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jesté de donner de nouveaux règlements à leur fabrique,, celui de 1667 qui est le dernier soit à l'avenir exécuté selon sa forme et teneur, après que les ouvrages montés sur les métiers des ouvriers sans droit de boutiqueseront fermés, et que pour plus d'exactitude à la recherche de ceux qui travaillent en contrevention, il soit fait au plus tôt une visite extraordinaire des gardes jurés, à laquelle assisteront quatre maîtres travaillant à façon de différents quartiers, pour seulement indiquer et conduire les gardes dans les boutiques où l'on travaille en contrevention, des quelles boutiques les gardes-jurés feront un rôle, afin que les ouvrages finies ils n'en puissent prendre d'autre que dans les boutiques des maîtres ; ce ne peut être que par ce moyen que les maîtres se puissent ressentir des sommes dépensées ' pour leur maîtrise, ce qui bien loin d'incomoder la fabrique lui donnerait au contraire un nouveau lustre, puisque ces sortes d'ouvriers, étant contrains de travailler dans les boutiques et sous l'autorité des maîtres qui sont responsables de leur ouvrage, veilleront à ce qu'ils la fassent bien et en plus grande quantité. C'est ce que les suppliants osent se flatter d'obtenir de votre équité et vous ferez justice. (Signé) : Ducou, J. Martin, J. Haran, Ribot, Monnereau. Archambault le jeune, S. Godard, P. Jacques, J. Legavre, F. Fouquereau, F. Cronier, Jean Dupuy père, J. Dupuy j., F. Dupuy, C. Couché, Hugues Allex, Philippe Philippon, François Prieure, François Crouilard, J. Boulloizeau, Audebert, A. Boulmay, E. Royer, Joseph Fosse, B. Boutard, N. V. Turpin, F. Delaleu, P. Marchand, Pierre Deniau, Jacque Piau, Boulmay, Niveau, Louis Berruer, C.Brault, E. Tulane, P. Graslin, Cochon, Soûlas, M. Hallouis, F. Voye, C. Martin, L. Pinson, A. Pinson, Goclfroy, H. Dupont, C. Legavre, F. Richard, Guyon. » [C. 103.]
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Les fabricants s'émurent des revendications des mes ouvriers et, à leur tour, s'empressèrent d'adresser une supplique qui porte la date du 25 janvier 1748. « Les fabricants de Tours à Mgr l'Intendant de la généralité de Touraine. Recourir à la protection de votre Grandeur, la supplier de nous honorer de ses conseils, c'est s'assurer de ne rien faire qui ne soit dans la plus grande exactitude ; les assemblées journalières d'une partie ■des ouvriers nous allarment, et tout ce qui peut tendre à troubler le bon ordre doit animer ceux qui en sont jaloux et pleins de respect et de soumission aux ordres du Souverain. Votre Grandeur a connaissance du sujet de ces mouvements qui a pour but une augmentation de prix sur les façons des ouvrages de cette manufacture eu égard aux denrées. Les plaintes de ces ouvriers nous paraissent d'autant moins fondées que les prix actuels sont bien au-dessus de ceux des années 1709, 1714 et 1739, temps auxquels le bled était beaucoup plus cher, et cependant on n'a jamais eu pareilles représentations de leur part, ce qu'il est aisé de prouver. Dans cette position, Mgr, que pouvons-nous faire de plus, notre manufacture étant affligée de tous côtés, tant par l'augmentation considérable des matières que par la cessation du commerce depuis 6 mois avec l'étranger ?
« Toutes ces raisons, Mgr, nous paraissent assez judicieuses pour sembler nous autoriser à ne rien faire 4e plus, sur le prix des façons de nos ouvrages ; mais, quand il s'agit de la tranquillité publique, nous oublions nos intérêts pour la conserver, et pour vous en donner des marques, nous avons bien voulu leur accorder une augmentation et M. le lieutenant de police leur en a porté parole. Aussi quelle a été notre ■surprise, Mgr, d'apprendre que ces ouvriers, loin d'accepter nos offres, l'ont prévenu qu'ils entendaient
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en appeler avec nous pour régler leurs prix ? Demande inouïe jusqu'à présent et contre nos statuts, dont les suites fâcheuses qu'elle entraîne après elle n'échapperont pas à vos lumières, et qui peignent à Votre Grandeur le point de vue de nos ouvriers, qui est moins l'objet de la misère que l'envie d'entrer en lice avec nous. Nous, nous avons recours à Votre Grandeur, et nous la supplions de nous prescrire la route que nous devons tenir à ce sujet, que nous nous ferons toujours une loy de suivre avec autant d'empressement que nous sommes avec le plus profond respect, etc. (Signé) : Sorbière, Viot, Audebert, Fr. Bàudichon, G. de Villiers, Mestivier, T&bareau le jeune. »
Les maîtres-ouvriers ne restèrent pas sous le coup de ces reproches et n'hésitèrent point à faire immédiatement des remontrances à l'intendant sur ce qu'il n'avait pas cru devoir les convoquer pour résoudre la question. « Les maîtres-ouvriers en soie travaillant à façon, de cette ville, fondés sur leur connaissance qu'ils ont de la disposition de Votre Grandeur à leur égard et de la protection dont vous les avez honorés, prennent la liberté de vous écrire sur l'avis qu'ils ont eu que vous alliez travailler avec le Conseil à donner de nouveaux règlements à la fabrique de Tours ; ils s'étaient cependant attendus que vous les auriez fait entrer en concertation avec les maîtres faisant travailler, avant votre départ, comme vous leur aviez fait espérer à la dernière audiance qu'ils ont eue de Votre Grandeur; l'oubli, des raisons inconnues ou votre prompt départ en auront empêché, mais la seule ressource qu'il leur reste, est que vous les avez toujours regardé d'un oeil favorable et paru touché de leur triste sort; cela les fait espérer de se dégager de l'oppression sous laquelle ils gémissent depuis si long-
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temps; cène pourra être qu'une marque de votre équité si connue et un sujet d'éterniser votre nom à jamais ; c'est la grâce qu'ils espèrent de vous, et celle de les croire avec toute la soumission et le respect possible, Monseigneur, Ducou et compagnie, rue de la Monnaie. »
L'administration, disposée à la défiance vis à vis des mouvements populaires, n'eut garde cependant de repousser àprioriles demandes des maîtres ouvriers, tant . par amour de la justice que dans l'intérêt de la manufacture. L'intendant les fit mander par son secrétaire, qui écouta leur requête. Mais l'affaire du règlement du tarif étant portée devant le Conseil royal, les ouvriers craignirent que la question ne fût tranchée dans un sens défavorable pour eux, et ils adressèrent à l'intendant, alors à Paris, une nouvelle supplique, datée du 6 février. « Comme les maîtres ouvriers en soie travaillant à façon ont été demandés, de votre part, par M. de la Fontaine, votre secrétaire, pour entendre leurs raisons vis à vis des gardes-jurés, le 3 de ce mois, et malgré les justes remontrances que firent les ouvriers pour empêcher qu'on ne fit un nouveau tarif du prix de leur différentes étoffes sans leur participation, ils persisteront toujours de le faire à leur insu et se détermineront à vous l'envoyer pour l'homologuer : ce qui causa de la consolation aux ouvriers, sachant de vous, Monseigneur, que l'ouvrier qui est le nerf d'une manufacture, n'en doit pas être l'esclave, ■ce qui arriverait infailliblement, s'ils avaient seuls le pouvoir de faire ces sortes de tarifs, qui ne peuvent être que très imparfaits, puisqu'ils n'ont point la maind'oeuvre et ne font seulement que d'ordonner l'ouvrage ; ce qui fait espérer que Votre Grandeur ne leur accordera pas leur demande, et qu'à son retour elle voudra bien permettre aux.ouvriers de lui faire con-
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naître combien il serait dangereux d'accepter un tarif qui n'a jamais été reconnu nécessaire dans aucuns statuts. L'alarme et l'inquiétude dans laquelle sont les ouvriers sur le sort qu'ils doivent avoir du Conseil touchant leur nouveau règlement leur font avoir recours à votre bonté, à ce qu'il lui plaise leur en donner quelque éclaircissement, ce qui calmerait leur crainte inexprimable, puisque de cette affaire dépend tout leur bien ; c'est la grâce qu'ils osent vous demander et celle de les croire avec le plus profond respect, etc. (Signé) : Ducou et compagnie. »
L'esprit de concorde et de fraternité par bonheur ne perdit pas ses droits ; au lieu de prêter l'oreille aux inspirations séparatistes, fabricants et ouvriers se réunirent pour concerter une entente commune. Voici le procès-verbal de l'assemblée, qui eut lieu le 7 février : « Les maîtres fabricants et les maîtres ouvriers à façon s'étant trouvés réunis au bureau des fabricants devant le conseil de police : 1° les ouvriers ont représenté que les temps étant devenus extrêmement durs, il n'est pas possible qu'ils puissent vivre du modique produit des façons de leur ouvrage dont ils ne leur reste guère que la moitier, leur loyer et les journaliers qu'ils employent payés, si les prix ne sont augmentés ; 2° qu'il ne leur est pas libre après leur pièce finie, de quitter un fabricant dont ils n'auront pas été contents, par le principe dans lequel sont les fabricants de ne faire travailler les ouvriers qu'après s'être assurés que c'est le fabricant qui les a volontairement renvoyés ; 3° que lorsqu'on suppose quelques défectuosités dans une étoffe, ce n'est pas aux fabricants de juger, les trois quarts d'entre eux ne connaissant point la main-d'oeuvre, mais aux maîtres ouvriers.
« Quant au premier article, les fabricants viennent
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<Ty pourvoir par le tarif qu'ils ont remis ; à l'égard du deuxième, les fabricants n'entendent point gêner la liberté des ouvriers et qu'il est juste qu'un bon ouvrier en soie, connu pour tel, soit reçu à travailler par le fabricant auquel il se présentera quand il aura achevé la pièce de celui qu'il quitte ; par rapport au troisième, qui ayant parmi les fabricants un nombre suffisant de maîtres au fait de la main d'oeuvre, l'examen des défauts de main d'oeuvre leur est dévolu à l'exclusion de ceux qui sont simplement maîtresouvriers.
« M. Tabareau a pris la parole et leur a fait comprendre qu'il désirait la paix, et que la preuve de ces dispositions à leur égard résultait de l'augmentation qu'ils venaient de leur accorder sans y être obligés. Les ouvriers se sont retirés fort contents en apparence, et ils demandent d'être instruits de l'augmentation. »
La question du travail était de plus en plus à l'ordre du jour, et le Conseil d'État, justement préoccupé des difficultés grandissantes entre les patrons et les ouvriers,prit un arrêt « portant règlement pour les compagnons et ouvriers qui travaillent dans les fabriques •■et manufactures du royaume », et que Louis XV promulga par lettres datées de Versailles le 2 janvier 1749. On y lit : « Faisons très-expresses inhibitions et défenses à tous compagnons et ouvriers employés dans les fabriques et manufactures de notre royaume, de quelque espèce qu'elles soient, de les quitter pour aller travailler ailleurs, sans en avoir obtenu un congé exprès et par -écrit de leurs maîtres, à peine contre lesdits compagnons et ouvriers de cent livres d'amende, au payement de laquelle ils seront contraints par corps. Pourront néanmoins lesdits compagnons et ouvriers, dans le cas où ils ne seraient pas payés de leurs salaires par
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leurs maîtres et qu'ils essuyeraient de mauvais traitements, qu'ils les laisseraient sans ouvrage ou pour d'autres causes légitimes, se pourvoir par devant les juges de police des lieux pour en obtenir, si le cas y échéait, un billet de congé, qui ne pourra cependant leur être délivré en aucun cas qu'ils n'ayent achevé les ouvrages qu'ils auraient commencé chez leurs maîtres, et acquité les avances qui pourraient leur être faites. Faisons pareillement défenses à tous compagnons et ouvriers de s'assembler en corps, sous prétexte de confrairie ou autrement, de cabaler entre eux pour se placer les uns les autres chez les maîtres ou pour en sortir, ni d'empêcher, de quelque manière que ce soit, lesdits maîtres de choisir euxmêmes leurs ouvriers, soit français, soit étrangers, sous pareille peine de cent livres contre lesdits compagnons et ouvriers, payables comme dessus. Faisons aussi très expresses défenses à tous fabricants et entrepreneurs de fabriques et manufactures, de prendre à leur service aucuns compagnons et ouvriers ayant travaillé chez d'autres de leur état et profession dans notre royaume, sans qu'il leur soit apparu d'un congé par écrit des maîtres qu'ils auront quittés, ou des juges de police en certains cas, à peine de 300 livres d'amende pour chaque contravention et de tous dépens, dommages et intérêts. » [Imprimerie Vauquier, Tours.]
Les transformations sociales, parties des profondeurs même de la nation, ressemblent au mouvement des cours d'eau : on les peut endiguer, mais on ne les fait pas remonter vers leur source. Les conditions économiques du pays allaient se modifier d'une façon sensible sous l'empire des idées et des événements. Malgré les efforts du gouvernement, des chefs d'usine
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aussi bien que des ouvriers, la ville de Tours sentait baisser graduellement le chiffre des affaires commerciales et celui de sa population. Et cependant les bonnes volontés ne faisaient pas défaut quand il s'agissait de lutter contre les progrès du mal.
Les fêtes religieuses chômées avaient été, à l'origine et durant le cours des siècles, une trêve pendant laquelle le travailleur se reposait de son dur labeur, à l'ombre de l'église et du foyer domestique. L'affaiblissement des croyances catholiques, le dérèglement des moeurs, les menaces de la misère et les âpretés de la lutte pour la vie tendaient à ôter en partie ce caractère bienfaisant et moralisateur à la série des solennités obligatoires. Déjà le roi y avait pourvu par lettres du 23 avril 1735 octroyant, en ce qui le concernait, la faculté d'apporter des modifications ; de son côté, l'épiscopat indiqua la règle à suivre. A Tours, l'archevêque Chapt de Rastignac donna, le 12 août 1750, un mandement portant réduction des fêtes chômées ; considérant « la profanation des solennités et les vicissitudes des temps », le prélat les réduisit à une trentaine, non compris celles des patrons des églises.
Dans leur ardeur à défendre l'existence de leurs métiers, certains maîtres-ouvriers introduisirent des irrégularités dans l'emploi des femmes et des enfants et se permirent, en outre, de « piller les desseins ». On s'en plaignit et, sur les conclusions du procureur, le 23 janvier 1750, le lieutenant général de police de la ville, faubourg et banlieue de Tours, rendit l'ordonnance qui suit : « Vu la remontrance faite par les procureur, gardes-jurés et principaux maîtres fabricans de cette ville, et l'ordonnance de soit communiqué, je requiers pour le roy, que défenses soient faites aux femmes et enfants des maîtres-ouvriers et com-
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pagnons de prendre à l'avenir aucuns ouvrages sous leurs noms, qu'il soit enjoint aux maris et pères qui voudront faire travailler leurs femmes et enfants, de prendre de l'ouvrage d'un seul et même maître et d'avoir un seul et même livre; que pareille défense soient faites à tous les fabricants de donner à travailler séparément aux femmes des ouvriers, compagnons et enfants demeurant dans la même maison; que si les fabricans donnent plusieurs métiers aux maris ou pères, ils seront tenus de les leur donner en leur nom et sur un même livre, sans que les femmes ni •enfants puissent exiger à l'avenir aucun billet pour travailler en leur nom et pour autres fabricants que celui qui employera leur mari ou père, et, où le fabricant serait refusant d'employer le mari, sa femme et ses enfants, il lui soit permis de prendre un billet, suivant l'usage, pour travailler ou bon lui semblera ; que les ouvriers et compagnons demeureront garants des dettes contractées par leurs femmes et enfants, jusqu'à ce jour, à l'occasion des ouvrages qui leur auront été données, séparément ou dans leurs maisons.
« Qu'il soit aussi enjoint aux ouvriers travaillant à façon de faire leur déclaration au bureau lorsqu'ils voudront travailler pour leur compte, dont mention sera faite sur le registre de la communauté ; que deffenses soient pareillement faites à tous marchandsfabricants de piller les desseins, aux ouvriers de les communiquer, et aux dessinateurs de les copier, sous peine contre les contrevenants à tout ce que dessus : scavoir, pour les fabricants de chacun 500 livres de dommages et intérêts, de confiscation des marchandises, et de 100 livres d'amendes vers le roy ; pour les ouvriers de 50 livres de dommages et intérêts vers le fabricant, et de 40 livres d'amende vers le roy ; de
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pareils dommages et intérêts, amende et confiscation de marchandises contre l'ouvrier travaillant pour son compte sans avoir fait la déclaration ci-dessus, et contre les dessinateurs convaincus de fraudes, de 1,000 livres de dommages et intérêts vers le fabricants et de 500 livres vers le roy. » [C. 104.]
La concurrence, causée par les toiles peintes, n'était pas sans préoccuper les fabricants de soie. A la fin de l'année 1751, ils adressèrent deux mémoires à l'intendant pour demander que l'on interdît le port de ces tissus; le premier, du 11 octobre, est signé : Audebert, Poitevin-Serisier, Pinon, Chardonneau-Roze et Daigremont ; le second, du 1er décembre et qui réclame avec encore plus de force, est signé des mêmes, sauf que Daigremont est remplacé par B. Abraham.
A leur tour, les maîtres-ouvriers en soie travaillant à façon se considéraient comme victimes d'injustices. En 1753, ils adressèrent leurs « plaintes en particulier sur l'arbitrage du travail» à l'intendant, dans un Mémoire que nous reproduisons, suivant notre habitude de citer les pièces originales. « Toutes les contestations qui s'élèvent entre les maîtres faisant travailler en soye et les maîtres qui travaillent à façon pour eux, sont portées au bureau de leur communauté et les gardes-jurés en rendent des règlements, et c'est aussi de ces mêmes règlements d'où dépend les sujets de plaintes qu'ont lieu de faire les maîtres ouvriers, par les raisons qu'on va déduire. 1° Tout le corps du bureau n'est composé que de maîtres faisant travailler, à ce moyen ils sont juges et parties, et quelque juste que soit la cause d'un ouvrier, il est rare qu'on leur rende justice, le fabricant étant toujours comme l'arbitre de sa cause, raport à l'intérêt qu'ils ont tous à se tenir la main, et le droit d'aspirer à la place de garde et faire
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pour son confraire ce qu'il aura fait pour luy, hodie mihi,,cras tibi. 2° Qu'un ouvrier soit dans le cas de faire arbitrer une étoffe, soit pour le prix, ou la nature de l'ouvrage, ou la deffectuosité de la soye ou quelque chose qu'il y ait à arbitrer, on ne nomma au bureau jamais que des fabricants pour experts ; quelle équité peut il y avoir dans les arbitrages ? Les fabricants n'ont de connaissance que l'ordonnance de l'étoffe, et l'ouvrier, qui a la main d'oeuvre, n'est-il pas plus capable ? pour quoi l'en exclure, n'est-il pas maître comme le fabricant, et en le refusant ne lui donne-t-on pas lieu de dire que l'arbitrage est injuste et contre le droit des gens, puisqu'il n'est rendu que par des arbitres du party et de l'état du fabricant ? 3° Par les statuts de l'état, l'ouvrier n'est tenu lorsqu'il veut changer de fabricant, qu'à un mois de congé ou finir sa pièce, et cet usage qui laissait à l'ouvrier une honneste liberté après avoir soldé avec celui qu'il quittait, n'a été aboli que par un règlement de police, obtenu sur requeste ainsi que l'ordonnance de janvier 1750, a l'insu des maîtres-ouvriers. C'est de leur exclusion du bureau que vient tous leurs maux ; et il est facile de juger du fait, si on fait attention que ce n'est qu'un party seul que le bureau, et les fabricants. On se renferme à dire que si Monseigneur l'intendant, ou le Conseil, daignait pour le bonheur des ouvriers se faire représenter les registres d'avis du bureau depuis cinq à six ans, il serait pénétré des choses qu'il y verrait. « Les maîtres-ouvriers, en attendant qu'il plaise au Roy de donner de nouveaux règlements à la fabrique, supplient très humblement Monseigneur de rendre une ordonnance pour le bien de l'état, portant qu'il soit permis à un maître-ouvrier de prendre de l'ouvrage pour un autre fabricant, en finissant les ouvrages montés, sur ses métiers, et le payant ou le faisant payer
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comptant tout ce qu'il lui doit ; que si le fabriquant ne peut ou ne veut occuper toute la boutique du maître ouvrier, il soit tenu luy donner un billet à la 8me et que pour tenir la juste balance, il ne soit rendu à l'avenir aucun règlement d'arbitrage sans qu'il y ait un maître faisant travailler et un maître travaillant à façon.
« Comme aussi que lorsqu'un ouvrier aura fini sa pièce, que le fabriquant ne sera point autorisé de donner 12 1. pour lui tenir lieu de pièce de congé, comme ils sont dans l'usage de faire depuis un très long temps, ce qui fait qu'un ouvrier qui a du travail le matin, n'est pas assuré d'en avoir le soir, ce qui est abusif et contre les statuts même. D'un autre côté, quand l'ouvrier demande un billet de congé à son maître, si il lui refuse il est obligé de le traduire au bureau, où on ne peut s'empêcher de leur en délivrer un ; mais il n'en est pas plus avancé, ne pouvant trouver d'ouvrage sur un pareil billet, par la ligue qui règne parmy les fabriquants qui se sont formés un empire sur les ouvriers au point de les fatiguer et de les rendre leurs esclaves, quoi qu'il n'y ait que la fortune qui les distingue. Dans cet état, les exposants n'ont d'autre ressource nid'appuy que Votre Grandeur qu'ils implorent dans la dernière des instances comme étant l'àme du bon ordre pour le commerce. » [C. 104.]
Le travail des femmes et des enfants, les conditions et la garantie qu'il comportait étaient déterminés d'une façon qui laissait matière à des difficultés : comment couper court à tous les abus qui sont inséparables des institutions? Le lieutenant de police de Tours, M. Reverdy, fixa les rapports par une ordonnance du 4 mars 1754 : « De par le roy, les fabriquants d'étoffes sont tenus de prendre à leur service les femmes et les en-
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fants travaillant à la soie, comme leurs maris et pères ; dans le cas contraire, il leur est permis d® prendre un billet de congé pour travailler où bon leur semblera. Arrêtons : 1° Lorsque les fabriquants seront refusant ou ne pourront continuer d'employer le mari, femme et enfants, et qu'ils n'en employeront que partie, lesd. maîtres refusant seront tenus de donner un billet d& congé aux ouvriers qu'ils ne voudront ou ne pourront employer, pour aller travailler où bon leur semblera,, à la première réquisition et sans délai, à peine, en casde refus, de 50 1. d'amende, à condition que le nouveau maître sera tenu de payer à l'ancien maître le 8e de ses ouvrages, suivant l'article 46 des statuts. 2° Que les maîtres ouvriers travaillant à façon, leur femme et leurs enfants demeureront solidairement garans des dettes par eux contractées à l'occasion des ouvrages qui leur auront été donnés par le même maître et sur le même livre, lorsqu'ils demeureront et vivront ensemble; que lorsque lesd. maîtres ouvriers et leur femme seulement demeurant et vivant ensemble, travailleront pour différents maîtres, ils seront également tenus et garans des dettes les uns pour les autres pour raison de leurs ouvrages ; mais que lorsque lesd. ouvriers, femmes et enfans demeureront séparément,, ils ne seront point tenus ni garans les uns pour les autres à raison des ouvrages qui leur auront été donnés à chacun en particulier. » [Imprimerie Vauquier, Tours. ]
La ville de Lyon, grâce à sa situation privilégiée, à la facilité des communications avec le Levant et à l'activité extraordinaire déployée par les fabricants, encouragés par le succès, voyait ses fabriques acquérir une importance de plus en plus considérable. Ce que Lyon gagnait était au détriment de la manufacture de
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Tours. Aussi les fabricants, marchands et maîtresouvriers de cette dernière ville, s'évertuaient à enrayer la concurrence, en réclamant contre ce qui leur paraissait arbitraire de la part des Lyonnais; ils ne songeaient pas qu'il est impossible aux corporations comme aux individus de réagir contre les grands courants économiques qui entraînent tout dans leur lit envahisseur, sans compter que la surproduction avait encombré les magasins de marchandises qui ne s'écoulaient que très lentement.
On avait octroyé à Lyon la faculté de fabriquer dans la laize de Tours (5/12). Les maîtres-ouvriers protestèrent contre cette concession dans un mémoire adressé, en 1754, au contrôleur général à Paris. « Dans la malheureuse situation où ils se trouvent réduits, il ne leur reste plus de ressources que dans la protection de Sa Grandeur qu'ils prennent la liberté d'implorer. Les magasins des fabriquants se trouvent plains d'étoffes fabriquées sans espoir de débouchés et les ouvriers qui travaillent encore sont sous le coup d'avoir leur congé d'un moment à l'autre, et obligés de tendre la main, et les ouvriers congédiés et en état de voyager sont passés soit à Lyon soit à l'étranger. C'est une disgrâce bien grande pour des hommes, dont l'art et les ouvrages ont toujours été regardés comme le bien principal, et le plus solide de la ville de Tours, de se voir forcé ou de s'expatrier, ou à mener dans leur patrie la vie méprisable de mandiant. Mais les malheurs qui se présentent journellement sous les yeux des suppliants, et les cris des fabricants annoncent que cette disgrâce va bientôt devenir générale ; en effet, si les fabriquants ne peuvent plus fournir à l'entretien des métiers qui composent la fabrique, il est inévitable que les suppliants vont périr tous dans la même calamité.
« Les suppliants n'exagèrent pas; il est constant que
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la fabrique de Tours se trouvant renversée, comme il n'est pas permis d'en douter, si la concession faite à Lyon de la laize de 5/12 subsiste, elle écrasera sous ses ruines plus de 20 mille personnes de la ville, qui n'ont d'autre état pour vivre que le travail que leur fournit la fabrique. Il est facile d'en donner une juste idée. Le mouvement seul des métiers en occupe plus de 9 mille, la partie du moulinage en employé plus de 12 mille, dont à la vérité il y en a plus de la moitié qui sont de la campagne ; il y a outre cela un nombre infini de femmes dont le travail est indispensable, ainsi les ourdiseuses, les remetteuses, les liseuses, les tordeuses, les monteuses, etc.; ajoutons plus de cinq cents apliqués uniquement à la teinture des soyes, et plus de deux mille pour le dévidage des soyes teintes. •— Ont signés les maîtres-ouvriers travaillant à façon : J. Haran, J. Martin, Louis Rouillé, Ducou, Ribot, F. Godard, Etienne Nicolas, Philipe Pavogean, Pecard, Fouquereau Montane, P. Vallée, Maingueneau l'aîné, Monereau, Legavre, Alex. Turpin, Laijiré Granger, Maquin, F. Crosnier, André Barat, J. Dupuy, Aubry, F. Dupuy, Guillois, Ch. Legavre, Cornu, F. Voyé, Chevalier. » [ C. 104. ]
Les fabricants de Lyon s'émurent de la démarche, firent valoir la liberté du travail, l'intérêt de l'industrie et la régularité de la concession qui leur avait été accordée. Ces idées se retrouvent dans une pièce que M. de Gournay adressa, de Paris, à l'intendant de Magnanville, le 3 juillet 1754. On y lit :« En 1666 et 1667 il y avait à Tours près de 7,000 métiers travaillant, et dans cette dernière année, M. Colbert ayant voulu obliger la fabrique de Tours à travailler dans la largeur de Lyon, ces 7,000 métiers se trouvèrent réduits à 1,000 dès l'année 1675. Or, en 1685, il n'y avait en-
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core à Lyon que 2,000 métiers : ce n'est donc pas Lyon qui a bénéficié des 6,000 métiers perdus par Tours; au surplus, ajoute M. de Gournay, je n'ai trouvé autre chose dans le mémoire des fabricants de Tours que le langage que tiennent tous ceux qui se croyent en droit un privilège exclusif et qui veulent s'en assurer la possession ; les raisons dont ils se servent sont les mêmes qu'ont employé les fabricants de Lyon toutes les fois que l'on a voulu attaquer leurs statuts et quelques-uns des privilèges exclusifs qu'ils exercent en vertu de ces mêmes statuts. Tout le monde réclame la liberté du commerce, mais, lorsque pour en venir à cette liberté, il doit en coûter quelque chose à l'intérêt particulier, on est toujours prêt à dire que la liberté du commerce est bonne en général, mais nuisible dans le seul point où notre intérêt particulier est blessé, et que pour ce point, le seul, on doit l'exclure de toute bonne administration.
« C'est le langage des fabricants de Tours, c'est celui de ceux de Lyon, et de tous les marchands et fabricants du royaume, qui ont été assez habiles pour persuader que ce qui convenait à leurs intérêts particuliers n'était autre chose que le bien général, tandis que dans le fait il n'y a rien de plus opposé. Mais je vous demande à vous, monsieur, si dans un temps où les souverains de l'Europe établissent chez eux des manufactures de soye, et leur permettent de travailler consciencieusement dans tous les genres et dans toutes les largeurs, les fabricants de Tours peuvent sérieusement se persuader que le roy se soit à jamais lié les mains envers eux et que, quelque soient les variations qui pourront arriver dans le commerce, le Conseil ne pourra conférer à aucune autre fabrique du royaume la liberté de travailler dans la largeur de 5/12. »
Ce langage en faveur de la liberté du travail et du
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commerce, venant d'une bouche aussi autorisée, était l'écho des idées qui gagnaient de proche en proche dans la nation. Mais son caractère insolite et peu fait pour .flatter les espérances des ouvriers tourangeaux, jeta parmi ceux-ci l'émoi et l'inquiétude et, du même coup, les porta à de nouvelles démarches plus instantes auprès de l'administration. Ils firent si bien qu'ils gagnèrent à leur cause le contrôleur général des manufactures. Dans une lettre du mois de septembre 1754, ce dernier écrivit à l'intendant M. Savalette de Magnanville :
« J'ai été touché des représentations que les députés des. marchands et fabricants d'étoffes de soye de Tours m'ont fait sur l'état où se trouve actuellement le commerce de la fabrique de cette ville, qu'ils attribuent aux permissions particulières qui ont été données à quelques fabricants de Lyon d'y faire fabriquer toutes sortes d'étoffes à l'imitation des étoffes étrangères dans différentes largeurs, comme 5/12 qui est la laize de Tours. Cette affaire m'a paru de nature à mériter beaucoup d'attention, et j'ai fait remettre aux députés du commerce les différents mémoires des marchands, des fabricants et des ouvriers, afin qu'après les avoir examinés le Bureau du commerce puisse décider cette contestation. Mais comme les permissions particulières, demandées par les fabricants de Lyon, leur sont accordées jusqu'à la fin de cette année, et •qu'en conséquence ils ont pris des engagements avec leurs correspondants dont il n'est pas possible de suspendre l'effet, vous pouvez donc tranquilliser les marchands et le corps de la fabrique de Tours, les assurer que ces permissions ne seront point renouvelées à Lyon, jusqu'à ce qu'il y ait une décision au Bureau du commerce sur le fond de la question; et, comme cependant il pourrait se trouver des moyens de venir au secours
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de la fabrication de Tours et d'y encourager l'émulation et l'industrie sans limiter ses propres facultés ny celles des autres fabriques du royaume, je vous envoyé un mémoire qui m'a été remis à cet effet, sur lequel vous aurez pour agréable de m'envoyer votre avis. (Signé) DESVILLE. » [C. 104.]
Cette fois encore les démarches des fabricants et des ouvriers furent couronnées de succès. On fit entrer en ligne de compte, pour ce qui est de Lyon, l'avantage de sa position, de l'étendue de ses débouchés et le privilège de ses quatres foires franches. Le contrôleur' général, au printemps de 1755, fit donc défense aux Lyonnais de fabriquer dans la laize de Tours ; à partir du 1er mai, on saisira toutes les étoffes de cette laize venant de Lyon. Nous ferons remarquer qu'en 1786, cette laize était encore suivie sur les bords de la Loire.
Il se produisit alors une accalmie dans les ateliers. Cette détente est signalée dans une lettre que l'inspecteur, M. Aubry, écrivait le 17 mars 1756 à l'intendant : « J'ai l'honneur de vous informer que les maîtres ouvriers en soye n'ont fait aucun mouvement depuis votre départ, et qu'ils nous paraissent disposés à rester tranquilles; nous avons déjà fait la visite de plus de la moitié des métiers, et nous avons été dans le cours de ces visites chez les plus mutins de ces ouvriers qui n'ont pas soufflés; tous en général m'ont dit qu'ils étaient bien fâchés d'être maîtres, parce que la maîtrise ne sert plus de rien, et que les compagnons ont autant de droit qu'eux; plusieurs se sont plaint de ce que ces mêmes compagnons avaient des aprentifs autres que leurs enfants, et lorsque je leur ai dit de me les indiquer, ils n'ont pu le faire. Je crois qu'à la fin de la semaine prochaine, ou au commencement de la suivante, en vous rendant compte du nombre des métiers que
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nous aurons trouvés, je serai en état de vous mander la quantité qu'il y en aura qui seront montés par les maîtres. » [C. 104.]
La question de la conservation des étoffes sur l'ensuple ou rouleau causait de temps à autre des contestations ; la difficulté provenait de ce que les ouvriers rendaient les pièces surl'ensupleet que les maîtres ne les déroulaient que quand bon leur semblait. En 1756, notamment, les procureurs et gardes-jurés furent invités à appliquer l'édit royal de 1744 sur cette matière. Les dignitaires delà communauté étaient alors J. Cartier l'aîné, Martin Lespron, Rougier, Duliepvre, Lambron, Viot, Barbet, Fergeau et Moreau. Plus d'une fois aussi, on vit s'élever des différends entre les maîtres proprement dits et les maîtres-ouvriers marchands travaillant à façon. Ces derniers seuls achetaient les soies et faisaient le commerce ; aussi demandèrent-ils, à maintes reprises, la séparation en deux catégories nettement tranchées : d'une part, les fabricants-marchands et, d'autre part, les maîtresouvriers à façon, classés sous l'unique dénomination de compagnons. [C. 110.]
Au mois de septembre 1756, les gardes-jurés de la corporation demandèrent l'autorisation d'emprunter cinq mille livres pour faire des réparations à la calandre. L'année suivante, le sr François AudebertCartier sollicita la permission de fabriquer le double croisé rayé, tramé de soie écrue, afin d'occuper ses ouvriers qui n'avaient pas de travail. Dans la nuit du 16 au 17 janvier 1764, la fabrique des srs Cartier et compagnie, comprenant 125 métiers, fut la proie des flammes. Au mois de février, les incendiés adressèrent au roi une supplique afin qu'on leur prêtât 240,000 livres pour la reconstruction. A la même époque, les
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sieurs Pellion frères et Ballas avaient 87 métiers, Tabareau 61, et Faisselle 66. On comptait Jahan comme procureur sortant, Thomas Gasnier procureur en exercice, Bourgeot garde sortant, L. Serizier, Rosier et Vidal, gardes en exercice. [C. 104, 105.]
Le tableau officiel de la province de Touraine (1762-66), rédigé par l'administration, présente la peinture exacte de la situation de la fabrique. Ce tableau a été publié, mais il rentre trop parfaitement dans notre cadre pour que nous ne le reproduisions pas ici.
« Soieries.—On fabrique actuellement à Tours, la seule fabrique qui soit en Touraine, 20 sortes d'étoffes de soie brochées, liserées, façonnées et unies qui n'ont toutes, par un privilège particulier à cette manufacture, que 5/12 de largeur, c'est-à-dire 1/12 de moins qu'à Lyon. Les étoffes brochées sont les dauphines, les gros de Tours, les moires et les serges ; les liserées sont le ras de Sicile, les carolines, les satins pour vêtements et pour ornements d'églises ; les façonnées sont les damas pour vêtements et pour meubles en une, deux ou trois couleurs ; les unies sont les pannes, les pluches, les ras de Sainte-Maure et de Saint-Cyr, les serges croisées et canelées, les velours à la Reine, les p'ous de soie insurgents, les droguets de soie, les gros de Tours en 15/16, pour rideaux de fenêtres, housses de lits. Ces étoffes sont envoyées dans les différentes provinces du royaume et même exportées en Allemagne, en Prusse, en Hollande, la plus grande partie est destinée pour Paris. Les soies, qui servent à la fabrication de ces différentes étoffes, sont tirées d'Italie, des royaumes de Naples et de Sicile, du Dauphiné et du Languedoc ; car celles que fournit la généralité de Tours, quoique de la meilleure qualité, ne sont pas encore d'un assez grand produit pour les faire entrer ici en ligne de compte. Il y a quelques négociants
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et fabricants qui vont faire eux-mêmes leurs achats à la foire de Beaucaire et du Languedoc.
« Les soies du Piémont arrivent apprêtées et montées en organsin ; elles servent à former les chaînes de la plus grande partie des étoffes. Celles des autres pays sont envoyées en cru et portent le nom de grège; on les monte à Tours au moulin en trames ou en organsin suivant leur destination. On y fait les mêmes étoffes qu'à Lyon, à l'exception de celles en or ou en argent, qu'on y fabrique moins communément; cette manufacture est bien moins considérable que celle de Lyon, mais c'est sans contredit la seconde en ce genre du royaume. Il y a actuellement 1700 métiers battants de toutes les différentes étoffes de soie, dans la ville de Tours. Ce nombre n'est pas fixé et ne peut l'être ; il dépend du plus ou moins de demandes faites aux fabricants. Ces métiers produisent, année commune, 18,000 pièces d'étoffes, de 5 livres jusqu'à 36 livres l'aune : les pièces ont depuis 30 aunes de cours jusqu'à 34. Le nombre des ouvriers, employés annuellement à la fabrication en tous genres, est évalué à 12,000. L'objet de ce commerce ne peut être estimé moins de 4,000,000, sur le pied de 400 livres de prix réduit pour chaque pièce d'étoffe.
« Damas et velours, façon de Gênes. — Il n'y a pas plus de 30 années qu'on a commencé, à fabriquer à Tours les damas de velours, façon de Gênes; on n'y connaît même encore qu'un seul fabricant qui travaille dans ce genre sous la protection immédiate du Conseil. Ces damas en cramoisi, bleu, vert, blanc, jaune, ou autres couleurs, sont en 100 ou 125 portées. Les métiers sont au nombre de 15 ; ils produisent, année commune, 120 pièces, chacune de 55 aunes, et forment pour l'intérieur du royaume, où ils se débitent, une branche de commerce d'environ 100,000 livres. Il y a
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aussi d'autres fabricants qui font aussi des damas, en deux ou trois couleurs pour meubles ; mais ils ne sont pas façon de Gènes et font partie des détails précédents. Le même fabricant, qui travaille aux damas façon de Gênes, fait aussi des velours ; il n'y a cependant que deux métiers montés qui ne fournissent ensemble, année commune, que 250 aunes, qu'on évalue à 6,000 livres.
«Mouchoirsde soie façond' Angleterre. — Cette manufacture est nouvellement établie à Tours. Elle fait des envois à l'étranger ; mais la plus grande partie de ces mouchoirs se consomment dans le royaume: elle a obtenu, à l'instar de la manufacture des étoffes de coton et de soie, nouvellement établie à Tours, l'exemption des droits de traites établies par l'arrêt du Conseil du 8 mai 1758. Il sort de cette fabrique, année commune, 6,000 douzaines de mouchoirs, qui se vendent depuis 21 livres jusqu'à 30 livres la douzaine, ce qui fait un commerce d'environ 150,000 livres. »
Le travail diminuait, mais les impôts ne baissaient pas. Une supplique des gardes expose qu'il y a vingt ans il y avait encore 2,000 métiers au moins sous la conduite de 300 chefs de manufactures, mais que depuis ce temps la fabrique a tant dépéri qu'il n'existe plus que 800 métiers sous la conduite de 25 chefs, sans que néanmoins les impositions aient étr adoucies. En 1765, les ouvriers en soie payèrent poué la capitation 8,400 1., plus 4 s. pour livre, ou 1,680 1.; pour la nourriture et l'entretien des enfants exposés à Tours 1101. 10 s., plus 8 deniers pour livre; pour la reconstruction du pont d'Amboise pour six ans, 3141., plus 8 deniers pour livre ; pour la réparation du pont ■de Bléré, 55 1. et 8 deniers pour livre; pour le remboursement des dépenses faites pour le casernement
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des recrues du régiment de Tours, 81. et 4 deniers pour livre, plus quelques autres impositions ; 4 deniers pour livre restaient aux mains du receveur qui répartissait les impôts. Le concierge du bureau touchait 100 livres. Les gages de l'inspecteur des manufactures étaient taxés au pro rata de l'importance de la communauté. Pour l'année 1766, les maîtres-ouvriers en soie payèrent 250 livres. [E. 464.]
De tout temps et dans tous les corps, les questions électorales ont eu le privilège de passionner les esprits en mettant en jeu les intérêts et les compétitions des classes et des personnes. A l'hiver de l'année 1765, la communauté des fabricants et ouvriers fut agitée par une contestation relative au droit et au mode de suffrage.
L'élection des gardes-jurés avait lieu au scrutin à deux degrés. Les gardes se rendaient, sur convocation officielle, à l'hôtel du lieutenant-général de police et lui présentaient le rôle de tous les maîtres du corps avec leur nom et prénom. Sur ce rôle on tirait une liste de 50 maîtres travaillant pour eux et n'ayant pas encore passé par les charges. Les huit premiers noms du rôle étaient écrits sur huit billets de même forme que l'on mettait dans le chapeau d'un enfant ; ce dernier, après les avoir remués, tirait un billet qu'il donnait au lieutenant; le premier sorti devenait le premier des 50 maîtres, et l'on continuait ainsi, de huit en huit, en retenant le premier jusqu'à ce qu'on eût formé le nombre desdits 50 maîtres.
Autre chose étaient les règlements, et autre chose leur application. L'élection de l'hiver de 1765 souleva des difficultés et des protestations. Le 10 décembre, « à cinq heures de relevée, » le lieutenant de police, accompagné du procureur et du greffier, se rendit au bureau
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de la corporation pour procéder à l'élection des gardes. A la réunion vinrent les sieurs Thomas Gasnier, Jean Tabareau, Louis Serizier, Alexandre Rozier, François Faissolle et François Vidal, assistés du procureur Louis Griveau et de l'huissier Gabriel Bessereau. Tout d'abord, Tabareau et Faissolle firent observer que l'on ne pouvait voter, attendu que les autres gardes n'ont pas suivi les statuts en ce qui concerne la formalité de la rédaction et du tirage de la liste; en outre, l'on n'a pas convoqué, à cet effet, la totalité des maîtres.
Les autres répondirent qu'ils n'ont fait que suivre un précédent et une décision prise par le corps au sujet d'uneprocédureplus utile; d'ailleurs, ils s'en remettent à la résolution du lieutenant, tout en faisant remarquer que l'on ne doit admettre comme « nominateurs que des maîtres travaillant pour leur compte et totalement libres, et non des particuliers qui serviraient de commis chez aucuns des membres de leur communauté, quand même lesd. particuliers auraient des métiers pour leur compte ». Les protestataires, partisans de l'extension du suffrage, déclarèrent que l'on doit « convoquer pour la nomination des gardes tous ceux qui font travailler, ayant le droit naturel de se choisir ceux qui doivent être à leur teste, dont on ne pourait les priver sans une distinction deshonorante, n'y ayant que les faillis qui ne puissent être de la convocation générale ». Ils terminèrent en accusant la majorité de violer « le droit des gens », de détenir arbitrairement les clefs du trésor avec le registre des délibérations, de manière à faire signer à domicile des « valétudinaires ». Les autres réclamèrent contre ces attaques, sur lesquelles ils se pourvoiront « en temps et lieu», en ajoutant que si le corps a fait des délibérations en l'absence des deux gardes susdits, « c'est qu'il était question d'aviser sur la division par eux occasionnée».
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Après avoir entendu les parties, le lieutenant leur donna acte de leurs dires et les convoqua pour le 12 courant à son hôtel, en vue de procéder à l'élection des 50 « nominateurs » ou électeurs, conformément à la teneur des statuts ; puis, pour le 14 suivant, afin d'é-. lire les gardes-jurés. Quant à ce qui est du droit électoral des commis, qui était l'objet du litige, le lieutenant décida que « au nombre des 50 nominateurs à élire pour la nomination des gardes », seront seuls compris « les maîtres libres faisant travailler pour leur compte et des commis maîtres, quand même ils auraient des métiers à eux sur lesquels ils font travailler pour leur compte. » [E. 464.]
La lutte entre les deux fractions, qui durait depuis quelques années, s'étendit aux questions d'imposition. Les uns réclamaient l'impôt à raison du nombre de métiers, et les autres, la répartition des dettes au marc la livre de la capitation. Une série de propositions et d'ordonnances, parfois contradictoires, furent faites par la corporation, le lieutenant de police et l'intendant, à partir de 1764. L'affaire fut portée devant le conseil d'État, qui rendit une décision le 17 mars 1767. Après une longue série de considérants, il conclut « qu'à l'avenir, chaque année, lerôlede la répartition des intérêts et principaux des dettes, ainsi que des charges de la communauté, sera arrêté au marc la livre de la capitation et rendu exécutoire par l'intendant ; les fabricants et marchands qui auront renoncé à leur commerce depuis le mois d'avril 1763, ou qui y renonceront par la suite, seront compris dans les rôles de répartition, pendant 8 années à dater du jour de la renonciation, et assujetis au payement des intérêts et principaux des dettes de la communauté ». L'ordonnance fut publiée et exécutée par l'intendant François-Pierre du Cluzel, chevalier, marquis de
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Montpipeau, baron du Chéran, seigneur de Blanville et autres lieux ; l'impression en fut confiée aux presses de Vauquer, typographe de l'administration.
L'automne de l'année 1768 apporta une innovation importante dans la fabrique. De différents côtés, on demandait que, « vu l'avantage et l'utilité qui en résulterait pour la manufacture », les compagnons reçus « en chef-d'oeuvre » et les fils des maîtres « dignes » eussent le droit de prendre des apprentis et des compagnons forains. Le 6 septembre, le lieutenant-général de police, Valentin Loiseau, sur la requête et les conclusions du procureur, rendit une ordonnance favorable. « Nous autorisons les gardes dudit corps en place à donner aux compagnons reçus en chef-d'oeuvre et aux fils de maîtres, reconnus dignes de pouvoir enseigner par un certificat des marchands fabricants, pour lesquels ils travailleront, le droit d'avoir des apprentifs et des compagnons forains chez eux, et de rendre leurs enfants compagnons nés, à la charge par les dits gardes en place, et conformément à la soumission portée en la dite requête, de ne pouvoir prendre plus grande somme que celle de 40 livres pour frais d'admission et de réception de chacun des dits compagnons et fils de maîtres qu'ils autoriseront ; comme aussi de nous présenter, chacune année, les dits particuliers par eux autorisés, à l'effet de prêter, sur les conclusions du procureur du roi, le serment de se bien et fidèlement comporter dans leurs fonctions, relatives au droit qui leur aura été accordé. Ordonnons que lad. somme de 40 livres sera précomptée aux d. particuliers lorsqu'ils voudront parvenir à la maîtrise et faire travailler pour leur compte, et ne pourront les d. compagnons reçus en chef-d'oeuvre et fils de maîtres autorisés par les dits gardes, tenir chez eux qu'un apprentif ; lesquels apprentifs ils seront tenus de pré-
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senter en personne avec leurs actes d'apprentissage, 8 jours après la passation des mêmes actes, aux gardes de la manufacture, et sous les peines portées par les règlements, même d'être déchus du droit qui leur aurait été accordé, d'avoir des apprentifs et compagnons chez eux ; n'entendons néanmoins par ces présentes donner atteinte aux droits et privilèges des maîtres qui ont été reçus en ladite communauté des marchands fabricants, et qui travaillent à façon comme ouvriers, desquels ils jouiront comme par le passé quant au droit de faire des apprentifs, et à celui de pouvoir être admis à travailler et faire travailler pour leur compte, en faisant notifier leurs intentions au corps qui leur en donnera pour lors acte et admission en forme, sans aucun frais. »
La formule, imprimée chez Vauquer en conformité avec cette mesure, est ainsi conçue : « Nous procureur et gardes, chefs et entrepreneurs de la manufacture des étoffes d'or, d'argent et de soyes de la ville de Tours, en conséquence de l'ordonnance de police ci-dessus, et après avoir vu le certificat de M. N. marchd f, par lequel il appert que N. compagnon et son ouvrier est capable de pouvoir enseigner et former des apprentifs, avons accordé et accordons par ces présentes au dit N. le droit de pouvoir prendre chez lui des apprentifs en se conformant aux règlements et à l'ordonnance de police ci-dessus mentionnée ; fait à Tours en notre bureau, ce.... »
La corporation des fabricants et marchands profita de la circonstance pour adresser une requête au roi et demander la confirmation de la précédente ordonnance de police, aussi bien que le maintien de la distinction entre lesfabricants et les maîtres ouvriers, afin de « remédier à des abus préjudiciables à la communauté ».
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Nous lisons dans la supplique : « La manufacture établie à Tours n'était dirigée anciennement que par .de simples ouvriers, qui travaillaient par eux-mêmes et qui n'avaient chacun sous eux et à leurs ordres qu'un simple apprentif ; mais, dans la suite, le commerce étant devenu plus considérable, et le débit des étoffes fabriquées à Tours s'étant accrédité, l'intérêt de cette manufacture a exigé quelle passât entre les mains de personnes, qui fussent non-seulement capables de veiller aux opérations, mais en état de se charger des entreprises et des objets de dépenses nécessaires pour la perfectionner ; c'est ainsi quelle est conduite actuellement par un corps composé de plusieurs personnes issues des meilleurs négociants de Tours et autres villes du royaume, qui remplissent des charges honorables tant dans la finance que dans la judicature. Tels sont les suppliants qui, comme chefs et entrepreneurs des différents métiers qui composent la manufacture, les font valoir par des ouvriers qui sont nommés par les gardes-jurés en place. Ces ouvriers sont en tout subordonnés aux supplians, qui ont le droit l'inspection sur ce qui se fait dans leur manufacture.
« Cependant quelques-uns des maîtres ouvriers ou compagnons privilégiés prétendant s'égaler à leurs chefs, ont tenté, en différents temps, de confondre leur état avec celui des supplians, et notamment en 1765, en faisant nommer un des entrepreneurs de la manufacture notable dans la classe des artisans. Cette nomination a été annulée de l'autorité de Sa Majesté qui a ordonné que l'entrepreneur élu remplirait de droit la première place de notable vacante parmi les négociants en gros, du nombre desquels Sa Majesté a ordonné, par arrêt du 30 octobre 1767, que le suppliant serait censé et réputé à l'avenir ; et par des ordres particu-
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îiers, adressés par son ministre au corps de ville, il a été dit que Sa Majesté veut et entend que les fabriquants de sa bonne ville de Tours concourent pour la notabilité dans la classe des négociants en gros. Malgré cette distinction exprimée en faveur des suppliants, de simples ouvriers, qui par état leur sont subordonnés, ont porté l'aveuglement jusqu'à prétendre s'assimiler à eux et, sous prétexte du droit qui est accordé par les statuts et règlements de la manufacture aux maîtres ouvriers d'avoir des apprentifs, ils ont prétendu que ce droit exigeait celui d'être marchands fabricants.
« C'est dans ces circonstances et pour prévenir une confusion aussi peu conciliable avec l'état des suppliants, qu'ils ont cru devoir se pourvoir par devant le lieutenant général de police de la ville de Tours qui, sur les conclusions du procureur général de Sa Majesté et sur le vu des statuts et règlements rendus pour la communauté des suppliants, a donné le 6 septembre dernier une ordonnance qui a pour but d'établir et spécifier la distinction qui doit être faite lors des réceptions, entre les entrepreneurs ou chefs de la manufacture et les maîtres ouvriers, en désignant ce qui doit être observé par ces derniers, relativement à leur droit d'avoir des apprentifs qui est le seul dont ils ayent joui jusqu'à présent. Toutes les dispositions de cette ordonnance tendent au bien de la manufacture des suppliants et à l'observation de plusieurs objets de police interressans à maintenir ; ainsi les suppliants ont tout lieu d'espérer que Sa Majesté voudra bien mettre à cet ordre le sceau de son autorité pour en assurer l'exécution.
« Requèrent, à ces causes, les supplians qu'il plût àSa Majesté confirmer et autoriser l'ordonnance du lieutenant général de police de la ville fauxbourgs et banlieue de la ville de Tours, du 6 septembre 1768, ordon-
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ner quelle sortira son plein droit et entier effet (suit la teneur de l'ordonnance), et sa Majesté est très humblement suppliée de vouloir bien la confirmer afin qu'il ne puisse y avoir à l'avenir aucune confusion entre les marchands fabricants ou chefs de la manufacture, et les maîtres ouvriers ou compagnons privilégiés, et ordonner que ces derniers, sous quelque prétexte que ce soit, ne pourront aucunement prétendre le droit d'être reçus dans la classe des marchands fabricants, enjoindre à tous les gardes en place de faire, lors des recejDtions, cette distinction des entrepreneurs d'avec les maîtres ouvriers, ordonner que les d. entrepreneurs continueront à l'avenir de prendre le titre de chef et entrepreneur de la d. manufacture et qu'ils seront toujours censés et réputés négocians en gros et que, comme tels, ils concourront pour la notabilité dans la classe des d. négociants en gros. » [C. 110.]
Conformément à cette .ordonnance de police, un règlement fut imposé aux compagnons, qui désormais avaient le droit de prendre des apprentifs ; en voici la teneur : « Article I. Ne pourront les compagnons autorisés comme ci-dessus ( ou ayant le droit de faire des apprentifs) tenir chez eux plus d'un apprentif, et ne le pourront prendre que pour cinq ans, les fils et les filles de maîtres ne tiendront lieu d'apprentifs; et seront les brevets d'apprentissage passés par devant notaires et témoins, à peine de nullité ; et demeureront les apprentifs actuellement en la maison et service de leurs maîtres, et non de leur d. maison, pareillement à peine de nullité apprentissage. — II. Ne pourront les apprentifs s'absenter du service des compagnons qui les auront obligés, le temps de leur apprentissage, sans cause légitime ; pourra led. compagnon faire arrêter son apprentif partout où il se trouvera, pour lui faire pa20
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rachever son temps, sinon le sommer par acte authentique parlant à sa personne, au domicile par lui élu, aux fins qu'il ait à continuer son service et après avoir attendu un mois, pourra le faire rayer du livre des matricules, où il aura été enregistré, et en prendre un autre, sans que l'apprentif qui l'aura quitté puisse se prévaloir du temps qui se sera écoulé pendant son premier apprentissage, sauf à lui à s'obliger de nouveau avec un autre compagnon pour le même temps de cinq années : et en cas que ledit apprentif revienne avant d'être rayé, le compagnon chez qui il s'était obligé pourra le reprendre, en parfournissant le temps perdu, temps pour temps, et non pour de l'argent; et s'il avait pris un second apprentif, sans avoir rayé le premier, sera led. dernier apprentissage de nul effet, et condamné en personne à l'amende de 30 1., et aux dépens dommages et intérêts dudit apprentif. — III. Ne pourrons lesd. compagnons débaucher ou attirer chez eux l'apprentif d'un autre, ni lui donner de l'emploi directement ou indirectement, à joeine de 60 1. d'amende, ni congédier leurs apprentifs sans cause légitime et jugée telle par les gardes de la manufacture, à peine de 301. d'amende.
« IV. Et en cas qu'un compagnon s'absente de la ville et laisse son apprentif sans emploi pendant un mois, il sera loisible aux gardes de la manufacture de remettre l'apprentif chez un autre compagnon pour parachever le temps de son apprentissage, sans qu'en cas de retour, il puisse reprendre led. apprentif, ni en obliger un autre qu'après led. temps expiré de son d. apprentif, à peine de301. d'amende et de nullité des brevets. — V. Pour empêcher les fautes et abus qu'aucuns compagnons puissent tenir plus d'un apprentif, ils seront tenus de les représenter en personne, avec les actes obligatoires, 8 jours au plus tard après la pas-
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sation desd. actes pardevant les gardes de la manufacture, pour être enregistrés sur le livre des matricules ; sera pour ce payé la somme de 9 livres, dont 6 1. applicables partie aux gardes et partie au corps de la manufacture, et trois livres à l'hôpital général de la charité. — VI. Après que les apprentifs auront fini le temps de leur apprentissage, les compagnons qui les auront obligés, seront tenus de leur donner quittance en bonne forme, sauf à se pourvoir pour ce qui pourra leur être dû, pour raison dudit apprentissage, et de les représenter en personne au bureau de la manufacture, 8 jours au plus tard après l'expiration de 5 années d'apprentissage, pour les faire recevoir et enregistrer au livre des matricules des compagnons, en payant les frais ordinaires ; à peine contre les contrevenants de 24 1. d'amende, et dene pouvoir obliger d'autre apprentif. » (Imprimerie Vauq uer. )
Indépendamment de l'intendant du Cluzel, qui apportait à la direction de la généralité ses rares qualités d'administrateur, la Touraine avait l'avantage de posséder un ministre justement célèbre par ses talents de diplomate et par la protection qu'il accorda aux lettres, aux sciences et aux arts. Le duc de Choiseul, on l'a nommé, avait acheté sur les rives de la Loire la terre de Chanteloup ; il se préparait à transformer le château de Mme des Ursins en un palais vraiment princier et à faire de ce domaine une nouvelle « Salente », selon les expressions des contemporains. Encore un peu et, à l'automne de 1770, une disgrâce éclatante va pour toujours exiler le duc dans son magnifique domaine de Chanteloup ; mais nous sommes au mois de juin, et le ministre jouit encore de la plénitude de son influence.
L'intendant, justement préoccupé des plaintes des
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fabricants navrés de la décadence de la manufacture de Tours au profit de celle de Lyon, transmit au duc de Choiseul les doléances de la corporation. Le ministre lui répondit par lettre datée de Versailles, le 9 juin 1770 : « Je ne suis que trop informé, monsieur, de l'état de dépérissement où se trouve la manufacture de Tours, ainsi que les suites fâcheuses qui en résultent pour les habitants de cette ville ; vous êtes, je crois, bien persuadé du désir que j'aurais de les aider, mais l'espèce de secours nécessaire dans une pareille circonstance dépend uniquement de Mr le contrôleur général ; c'est à ce ministre qu'il convient que vous proposiez l'avance d'argent dont les fabriquants ont besoin ; je me chargerai très volontiers d'appuyer vos démarches et de faire valoir toutes les considérations que je croirai capables de le déterminer. J'ai l'honneur d'être très parfaitement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Le duc de Choiseul *. »
On possède le « tableau des dettes passives de chaque communauté ou jurande des villes d'Amboise, Angers, Château-Gontier, Chinon, La Flèche, Laval, Le Mans, Saumur et Tours ». Le rôle est dressé en conformité avec les lettres de MM. Lambert, du Cluzel et Necker, concernant les comptes à rendre par les syndics des communautés d'arts et métiers.
Le compte des dépenses rendu au lieutenant général de police par les syndics receveurs des communautés d'arts pour 1770-1773 porte : .a En recettes pour les fabriquants de soie, 31,815 1. ; pour les teinturiers en soie et fil, 1,196 1. ; pour les passementiers, 5,121 1. — En dépenses pour les fabricants de soie, 30,4721. ; pour les
1 Archives d'Indre-et-Loire.
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teinturiers, 1,263 1. ; pour les passementiers, 5,099 1. » [E. 493.]
Le rôle de répartition des fabricants de soie pour 1773 comprend : pour la capitation en principal avec les 4 sols pour livre, 12,792 1. ; pour les enfants exposés, 381 1. 8 s.; pour le casernement des troupes, 1,141 1. 10 s. ; pour les pépinières, 69 1. 6 s.; pour le rétablissement du pont de Saint-Quentin, 241. 3 s. ; pour l'industrie, 2,200 1. Ce qui formait un total de 16,614 1. 7 s. Une ordonnance de l'intendant, du 16 avril 1773, ayant octroyé une réduction de 2,000 livres, il restait dû par la communauté 14,614 livres 7 sols. Les ouvriers étaient imposés à raison de 6 1. 5 s. L'année suivante, l'imposition à répartir entre les fabricants et marchands s'élevait à 15,369 1. ; dont 1,495 1. pour le « canal de Picardie et Bourgogne ». [E. 466,495.]
A cette époque, les bâtiments de la calandre et le bureau des fabricants d'étoffes de soie étaient au pouvoir du gouvernement, et l'IIotel Consulaire appartenait à la communauté des marchands On songea à les donner en location à leurs anciens propriétaires, mais il ne semble pas que les démarches aient abouti, et les maisons conservèrent leur destination première. En 1773, dans le rôle de répartition de la capitation sur les communautés de maîtres, les fabricants de soie figurent pour 11,974 1. 16 s., dont 4081. à déduire pour loyer; de leur côté, les passementiers payaient 1,645 1. 5 s. 8 d. [E. 495.]
Après avoir groupé les documents relatifs aux diverses phases de la manufacture, nous avons à parler des opérations préliminaires qui fournissent au tisseur en soie les matières nécessaires à son métier.
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X LA RÉCOLTE ET LA PRÉPARATION DE LA SOIE
On a prétendu que Louis XI introduisit en Touraine la culture du mûrier et des vers à soie et que saint François de Paule, tout heureux de doter sa nouvelle patrie d'une essence de son pays natal, seconda le roi dans cette tentative. On ne rencontre pas la preuve de ce fait, et ce n'est qu'en 1571 que les registres nous fournissent quelque indication. A cette époque, les mûriers étaient cultivés sur les riants coteaux de la Loire, à Saint-Symphorien par Mathurin Lebert et, à Saint-Cyr, par Pierre Peroust, l'un et l'autre « enteurs et planteurs d'arbres ». La municipalité de Tours, pour gagner les bonnes grâces du maréchal Artus de Cossé, gouverneur de Touraine, lui fit présent de 600 pieds que Jean Noyau choisit chez les deux pépiniéristes avec quelques arbres à fruits, au prix de 7 livres le cent, puis planta dans les terres de Rochefort et de Gonnor, domaines du maréchal en Anjou.
L'impulsion était donnée. Aux états généraux de 1576, les fabricants de Tours demandèrent qu'en raison du prix trop élevé des soies importées de l'étranger, le roi encourageât la culture des vers à soie en France. En plantant des mûriers dès maintenant, faisait-on observer, chaque monastère seraiten mesure, dans trois années, de fournir annuellement dix livres de soie ; on pourrait planter des mûriers le long des routes et demander à chaque paroisse une livre de soie
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par année ; de plus, pourquoi la noblesse ne suivraitelle pas le bel exemple donné par la dame Babou de la Bourdaisière qui, chaque année, fait filer deux cents livres de soie? De la sorte la France ne tarderait pas à se passer des matières premières venues du dehors et ferait un gain annuel de plusieurs millions.
Les préoccupations politiques empêchèrent, hélas! de prêter l'oreille à ces sages avis, durant les Etats de 1576 et de 1588; il fallut que Henri IV, par un édit du 21 juillet 1602, appelât l'attention sur l'importance de la culture du mûrier. En 1603, le corps de ville fit venir « de Bagnols, en Languedoc, vingt livres de graines de mûrier blanc à 40 sols la livre ». On acheta dans la même province trente-huit mille pieds de mûriers dont le vendeur, Barlatier, dirigea la plantation qui fut faite dans les terres remuées du mail et des bastions, au sud de la ville; les cultivateurs reçurent également du plant.
D'après l'autorisation de Henri IV, en 1607, le gouverneur du château du Plessis fit, dit-on, planter des mûriers blancs dans une pièce de terre près des murs du parc. Les documents deviennent plus précis dans la seconde moitié du xvnc siècle. En 1685, on abattit les ormeaux du parc que le roi venait de vendre, a Ensuite M. Taschereau prit le parc en ferme et y fit planter des mûriers blancs. Louis XIV lui accorda un brevet en date du 11 mars 1690, portant faculté de planterdes mûriers blancs dans le parc du Plessis et les terres qui en dépendent pour élever des vers à soye, et y faire des pépinières de mûriers blancs, dont il devait jouir pendant dix années ; par le même brevet il obtint son logement dans le château avec exemption de tailles pendant ce temps là l. » Les descendants de
i Archives de la Société Archéologique de Touraine, Notes historiques sur le couvent des Minimes, ms. du XVIII" s., p. 50.
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M. Taschereau continuèrent la culture des mûriers, et dans le cours d'un demi-siècle la famille des Pictières fit distribuer environ deux millions de plants. On voit encore près de l'entrée du Plessis un survivant de cette génération de mûriers.
Les cultures, faites avec soin et méthode, prospérèrent en même temps que la production des vers à soie, et la manufacture de Tours eut, pour ainsi dire, sous la main tout au moins une partie des matières premières nécessaires à la fabrication. Cependant les mûriers vieillirent et, en 1722, sur les observations de l'intendant Hérault, le roi ordonna que chaque année une somme de 3,000 livres des impositions de la généralité serait employée à l'entretien des mûriers ; trois ans plus tard, les plantations bénéficièrent d'une somme de 5,000 livres. D'après un compte de 1752, plus de cent mille plants, sortis des pépinières du Plessis, auraient été livrés aux agriculteurs au prix de 2 s. 6 d. le pied. Suivant une ordonnance de l'intendant, en 1754 il fut distribué dans la pépinière de Tours, à 206 particuliers, 41,952 pieds de mûriers, dont 25,200 à haute tige, et 16,750 à basse tige, pour être plantés en espalier et en charmille ; dans la pépinière de Saumur, 64 particuliers reçurent 14,350 mûriers à haute tige ; et, dans celle du Mans, on distribua à 66 particuliers 12,850 mûriers à haute tige et 4,200 à basse tige. [C. 107.]
La réussite du mûrier entraîne le succès du ver à soie, et, une fois la soie produite sur le cocon, il importe de l'en distraire. Le tirage et le dévidage de la soie est une des opérations importantes qui préparent la matière première à devenir, aux mains du tisseur, l'étoffe recherchée pour le vêtement et l'ameublement. En 1748, un manufacturier du midi, nommé Jubié, vint
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à Tours en compagnie de son fils avec l'intention d'établir une petite manufacture pour le tirage de la soie à la croisette. Il ne réussit pas et s'en retourna sur les bords de la Saône. Son fils, demeuré à Tours, se mit en rapport avec les principaux maîtres-ouvriers du pays et avec le contrôleur des manufactures. Ce dernier, reconnaissant en lui de l'intelligence et du savoir joints à de la probité, le chargea du soin de rétablir en Touraine la culture des mûriers blancs et des vers; des appointements de 2,000 livres par an étaient attachés & son titre de directeur des pépinières de mûriers et de l'élevage des vers à soie dans la généralité. Jubié apporta le zèle le plus actif dans l'exercice de ses fonctions. Il visita les pépinières de l'Etat et celles des particuliers, indiqua la meilleure manière de les mettre en -valeur et de greffer; il fit venir du midi de la graine de mûrier et aussi de vers ; il demanda cette dernière jusqu'en Espagne. Non content d'exposer d'excellentes théories, il montra les meilleurs procédés d'élevage. Il visita deux fois paranleséleveursdeLoudun,de Saumur, d'Angers, de La Flèche, du Lude, du Mans et de la Touraine, en répandant partout la pratique des méthodes les plus avantageuses.
De plus, à la place des anciens ustensiles, Jubié installa des tours, des bassines, des fourneaux et autres objets d'un nouveau modèle, en même temps qu'il formait des apprentis fileurs à tirer la soie à la croisade d'après le dernier perfectionnement. Ne reculant devant aucune fatigue, il fit plusieurs voyages en Angleterre pour connaître le procédé de la moire anglaise alors très estimée, et l'importa à Tours, puis à Lyon; en outre, il fit monter le velours de Hollande. [C. 107.]
Une déclaration du 19 août 1750 complète nos renseignements. « De par le roy et Mgr l'intendant de la généralité, y lisons-nous, le public est averti que sa
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Majesté, informée du goût et du zèle des habitants de la ville de Tours et autres lieux cle la généralité, tant pour la plantation des mûriers que pour l'éducation des vers à soye, a bien voulu pour leur donner moyen de tirer de cette production tous les avantages dont elle est susceptible, établir par arrêt du Conseil du 19 août 1750 une manufacture publique pour le tirage des soyes à la croisade, dont l'entreprise a été confiée au sieur Châtellier: qu'en conséquence, il vient d'être élevé un bâtiment, à Tours, dans le faubourg SaintEloy, auquel on peut aborder par deux entrées, l'une dans le faubourg, l'autre sur le mail; tous ceux qui auront élevés des vers pourront les apporter à l'établissement, on les achètera en cocons au prix plus élevé que dans le Midi; on les fera filer pour leur compte au prix de 30 sols par livre de soie de 12 à 14 brins, 35 sols par livre de 10 à 12 brins et 40 sols de 7 à 8 brins. »
Châtelier eut l'entreprise pour neuf années, etàla fin de cette période, il demanda une prolongation de trois ans. En ce qui concerne l'année 1751, nous possédons un état général de la dépense pour la manufacture du tirage des soies. Il accuse : 31 livres 3 onces de soie tirée cle 7 à 8 brins, cocons à 2 1. 5 s., 828 1. ; 34 livres tirées de 4 à 5 brins, 102 1. ; 17 livres 12 onces de cocons achetés par l'entrepreneur à 4 1., 71 1.; loyer, ustensiles et gages des commis, 2,000 1. ; graine de vers à soie venue d'Espagne et distribuée dans la généralité, 320 1. ; graine de mûriers 2 livres 1/2 distribuées, 301. ; gratification du cardeur et ustensiles qui lui ont été fournis ; 3 paires de cardes venues d'Avignon pour la soie fantaisie, 126 1. ; une paire faite exprès, 24 1. : gratification annuelle 350 1. [C. 107.]
Pour ce qui est du dévidage de la soie cuite ou teinte,
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Jubié s'entendit avec la veuve Girollet, à qui fut remise la direction de l'établissement. La machine, « extrêmement curieuse », fut installée dans une maison à bail appartenant au trésorier de Saint-Martin, sur la place de cette église, du côté de la Porte-Mortuaire. Certaines indications nous sont fournies par une lettre de Jubié, du 18 mars 1753, à l'administration centrale à Paris. « J'ai, dit-il, attendu, pour avoir l'honneur de vous rendre compte de la suite de mes opérations touchant le devidage des soyes teintes, d'être en état de vous informer que Mme Girollet vient de donner des ordres au s 1' Robert pour commencer l'établissement de cette manufacture par 200 guindres ; il a été passé en conséquence un marché par écrit avec ce tourneur pour l'entreprise de toutes les machines qui y sont nécessaires. Mme Girollet ne s'est détermi née à faire cette despense que sur le succès qu'ont eu les épreuves qu'elle a fait faire sur mon modèle de ce moulin ; vous trouverez bon que je me rende à Paris pour présenter, sous vos auspices, à M 1' de Trudaine un petit modèle de ce moulin. » [C. 104.].
Les perfectionnements, même les plus manifestes et les plus utiles, ne vont jamais sans quelque opposition. La machine de M. Jubié connut l'épreuve de la contradiction. Le 18 septembre, l'inventeur s'adressa au chef de la province en ces termes : « Le sieur Jubié vient réclamer les bontés de M 1' l'intendant et le supplier cle vouloir bien écrire en sa faveur à Mr de Trudaine, pour rendre un bon témoignage des soins qu'il s'est donné pour faire construire le moulin qu'il annonce au Conseil. Il expose queMr l'intendant voudra bien appuyer de tout son crédit la demande qu'il fait, d'obtenir la permission d'aller présenter, dans le mois prochain, à la fabrique de Lyon un modèle de cette machine qu'il fait construire ; il désirerait proffi-
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ter du séjour que Mr cle Gournay doit faire à Lyon pendant le mois d'octobre pour s'y rendre. »
M. de Trudaine ne se fit pas prier et, le 11 octobre, écrivit au prévôt des marchands à Lyon : « Le sieur Jubié, inspecteur des soies à Tours, qui vous remettra ma lettre, a fait construire un nouveau moulin pour le dévidage des soyes teintes qu'il prétend être plus parfait que ceux dont on s'est servi jusqu'à ce jour et remédier aux manoeuvres des ouvriers en ce genre ; il désire en faire faire l'essay à Lyon, je vous prie de vouloir bien lui en faciliter les moyens. Je ne sais si cette machine sera bonne ; mais je pense que tout ce qui pourrait prévenir l'huilage des soyes et les mauvaises manoeuvres des dévicieuses, serait fort avantageux, je vous seroy obligé cle me mander ce que vous pensez de cette invention. » [C. 104.]
A cette époque le cardage de la soie était fait par le sr Pousson, qui fut inquiété à l'automne 1754. « Le sr Pousson, cardeur des soyes cle fantaisie, lisons-nous dans une pièce, est menacé par les jurés de la commu,nauté des cardeurs et colistiers de cette ville d'être saisy par ce qu'il fait travailler depuis trois semaines 2 ouvriers qui ont appris leur métier à Orléans, dans la manufacture qui y est établie pour ce genre de travail ; ces deux ouvriers se nomment le premier Etienne Joly, natif d'Orléans, le second Pierre Mony, cle la paroisse deVillandry près Tours. Il serait nécessaire queM. l'intendant voulût bien ordonner aux gardes-jurés de la communauté de recevoir compagnons ces ouvriers, que Pousson est obligé d'occuper à faire travailler pour pouvoir exploiter toutes les matières provenant du tirage royal de cette ville. A Tours, le 25 septembre 1754. »
Dans la seconde moitié du xvme siècle, la Touraine montra une louable ardeur pour l'élevage du ver à soie.
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Le tirage, de 834 livres de soie de cocon en 1750, monta à 4,589 1. en 1751 ; nous le voyons, en 1760, à 16,911 1. et, en 1767, à 27,506 1. En 1754, la manufacture tira pour les particuliers les soies qui suivent : a l'abbaye de Beaumont, 40 1. ; Jahan Rocher, 25 1. ; Preuilly, président de l'élection, 271. ; DlleLegros, 211. ; le sr Dupont deHuismes, 24 1. ; Lambron Patas, 191. ; le sr Servais, au château du Plessis, 8 1. ; la dame Collon, 20 1. ; total 184 livres ». [C. 107.]
Avec un élan admirable, toutes les classes de la société dans les diverses parties de la province s'adonnaient à la culture des vers à soie. En 1768, parmi les personnes qui donnaient des cocons à tirer, nous relevons : Mme de Follin, 4 1. 8 onces ; M. le curé de S'-Laurent près Loches, 31 14 o. ; Mlle Mongonneau, du Plessis,1071. ; Mme de Jusseaume, 1481. ; Mme Vergé, 180 1. ; Mme de la Grandière, la mère, 631. ; M. Toisnier de la Frillière, 2281. ; M. Pointé, anglais, 11. ; Mlle Marchandeau, de Rochecorbon, 209 1. ; M. Caillard, de Langeais, 162 1.; M. Fr. Quette, 23 1. ; le frère Lonès, minime, 32 1.; M. Percheron, 36 1.; Mme Falloux, de Langeais, 117 1.; MUe de St-Germain, 93 ].; M. F. Nonnet, 42 1.; M. Testu, subdélégué, 100 1.; M. Prévost. Boudeville, 111.; M.Borard, du Plessis, 401.; MmeTaschereau Perrot, 34 1.
Le tirage se fit tout d'abord par les soins de M. Châtelain, puis par MM. Lecomte et Fay jusqu'en 1781. Il s'agissait alors de la soie jaune; on sait, en effet, que les oeufs du ver produisant la soie blanche, dite Sina, ont été introduits en France en 1789. D'après les évaluations communes, dans les conditions normales, 100 grammes de graines ou oeufs donnent 3 à 400 livres de cocons, et une livre de cocons contient en moyenne 290 cocons ; 100 livres de cocons produisent environ
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8 livres de soie filée, et pour cela il faut de 4 à 5 mille kilogrammes cle feuilles de mûrier. [C. 107-108.]
Le séjour de M. Jubié à Tours est lié au travail de la moire, dite d'Angleterre. Cette étoffe jouissant d'une grande vogue, dans l'intérêt delà fabrique tourangelleon décida de confectionner cet article. De fait, à son retour d'Angleterre, M. Jubié fit commencer ce genre; nous possédons un spécimen de moire rose, tissée à Tours en juillet 1752, qui imite parfaitement celle d'Outre-Manche. Vers le même temps, sous la direction de M. Jubié, on fabriqua à Lyon de la moire du même genre et un échantillon de moire grise est arrivé jusqu'à nous. C'est précisément celui à propos duquel, le 2 janvier 1755, M. deGournay écrivait à M. Jubié : « Voici un échantillon de taffetas broché d'Angleterre, que M. le contrôleur général me charge de vous envoyer pour le faire passer aux fabricants de Tours et savoir d'eux s'ils pourront l'imiter et à quel prix ils pourraient l'établir ». Nous possédons cet échantillon d'étoffe nuance crème. La réponse, faite le 22 janvier, porte queM.Roze peut faire faire pour lecompte de M. Bourjot le taffetas broché à l'instar de l'échantillon d'Angleterre.
Le prix de revient de cette moire nous est fourni par un compte, qui donne les débours « sans y comprendre les frais d'équipement ». Il s'agit de la pièce de 32 aunes : « 5 livres, poids de marc organsin de 36 à 38 deniers à 341., 170 1.; — trame superfine 5 livres à 26 1., 130 1.; — teinture de 10 livres, 6 1.; — dé vidage de l'organsin et trame, 12 1.; —façon de32 aunes, 32 1. » Une note ajoute que la pièce de 32 aunes, une fois calandrée, ne rendra au plus que 31 aunes à 11 1. 10 s., ou 356 1. 10 s. La pièce de moire rose fait 20 s. de plus par aune que les couleurs ordinaires.
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La fabrique de dévidage fonctionnait à merveille quand Jubié perdit son père, en 1757, et dut quitter Tours pour aller prendre la direction de la manufacture domestique. Son départ fut une perte considérable pour la Touraine, qui se réjouissait de posséder en lui un homme appelé à lui rendre les plus grands services par ses connaissances, son activité et son désintéressement. A ces qualités il ajoutait une aménité de caractère et un ascendant naturel qui lui permettaient de faire accepter ses idées, sans froisser les gens les plus attachés aux pratiques routinières et les plus réfractaires aux améliorations industrielles. Son poste fut donné à M. Aubry, qui d'ailleurs reçut des appointements plus élevés et resta en charge jusqu'en l'année 1781.
Parmi les sources d'information trop peu consultées, on doit mettre les Almanachs historiques des anciennes provinces. La série de ceux de la Touraine à partir du 1755 est conservée à la Bibliothèque municipale, où ils attendent d'être interrogés. A propos du sujet dont nous nous occupons, on y recueille quelques indications utiles pour l'année 1755. A cette époque, M. Jub é « inspecteur des pépinières royales de mûriers et manufactures de soie », est dit demeurant à la Galère. La notice mentionne ensuite la fabrique du faubourg Saint-Eloi. « Il y a la manufacture clu tirage des soies à la croisade, établie depuis quatre ans en cette ville. M. Chastelier est entrepreneur cle cette manufacture. Il achète les cocons de ceux qui élèvent des vers à soie dans cette généralité, un prix plus fort que celui des cocons des autres provinces clu royaume. Ceux qui ne veulent pas les vendre, sont les maîtres de venir les faire tirer eux-mêmes à la manufacture. L'entrepreneur, au moyen des gratifications que le roi
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lui accorde, ne prend que 30 sols par livre de soie tirée de 10 à 12 cocons ; 35 sols paf livre de celle de 7 à 8 ; et 40 sols par livre cle celle tirée au-dessous de ce brin ». — H y a en outre à la Trésorerie, une manufacture pour le dévidage des soies teintes, « formée depuis peu » par Mme Girollet-Cordier. « Elle est d'un grand secours à la fabrique de cette ville, puisqu'elle ôte tout moyen de graisser et huiler les soies. Les machines employées par ce travail sont d'une nouvelle invention et très curieuses ».
« La manufacture d'apprêt des soies fines tant désirée, écrit-on en 1760, et dont l'entreprise-paraissait si difficile, est enfin établie ; les machines sont nouvellement inventées, le succès parle en sa faveur. On y apprête les soies les plus fines et on y fait, en quinze jours, ce qu'on aurait peine à faire ailleurs en 6 mois ; celles de Tours y sont apprêtées aussi promptement, sans être sujettes à tomber en bourre, lorsqu'on les employé ; ce défaut ne vient point de leur qualité, comme on le pensoit, mais du mauvais apprêt qu'elles recevaient. M. Caillault est l'inventeur et l'opérant, rue clés Anges, près le carroy des Tanneurs. Il fabrique aussi des mouchoirs de soie, façon de Perse, déjà connus et estimés, en toutes couleurs et de différent goût. » En 1762, comme inspecteurs des manufactures et des pépinières cle mûriers, nous voyons M. Aubrypourla fabrique de soie de Tours et pour les toiles et draperies de Touraine et Anjou, place d'Aumont, puis rue de la Guerche ; M. Nioche de Tournay, pour le Mans, au Mans ; M. Brisset pour les toiles de Laval, de Mayenne et de Château-Gontier, à Laval ; et M. Chastelier, entrepreneur de la manufacture du tirage des soies à la croisade, faubourg Saint-Eloi.
Cependant les fabricants et les particuliers rivalisaient de zèle pour la préparation et le travail de la
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soie.Enl771, paraissait « de par leRoi etM. l'intendant, un avis au public », relatif aux magnaneries et ainsi conçu : « Le public est averti que, sur ce qu'il a été représenté, que dans le nombre des particuliers de cette ville et des environs qui élèvent des vers à soye, plusieurs ne sont point en état de faire les dépenses nécessaires pour tirer les cocons, que la même raison détourne beaucoup d'autres de se livrer à cette éducation, — le sieur Roze-Girollet, marchand-fabriquant de cette ville, s'est offert d'acheter les cocons qui lui seraient apportés sur le pied de 26 sols la livre au sortir des bruyères, bons et loyaux, et les particuliers, qui voudront profiter de cette offre, sont avertis de ne cueillir les cocons que 8 jours après que les vers seront montés. Le sieur Roze demeure carroy des Carmes. » [C. 108.]
En ce temps-là, un « mémoire sur l'état présent de la récolte de soie dans la généralité, et sur les moyens d'assurer la progression de cette récolte » fut adressé à l'intendant du Cluzel, dont l'intelligence, le zèle et l'activité ont laissé en Touraine des traces toujours visibles *. « La culture des mûriers et l'éducation des vers à soie, y lisons-nous, étaient oubliées dans la Touraine depuis plus d'un siècle lorsque M. de Magnanville vint y résider ; ce magistrat éclairé, ayant reconnu le sol et le climat les plus propres à favoriser cette industrie, mit tout en oeuvre pour nous en faire recouvrer les richesses. Son activité ouvrit une vaste carrière au zèle déjà signalé de M. L'Escalopier, son successeur; nous devons à l'un et à l'autre une éter1
éter1 tome 38 des Mémoires de la Société Archéologique est consacré à une très remarquable étude sur l'intendant du Cluzel par M. Dumas, actuellement maître de conférences à l'université de Toulouse ; cette savante étude a été couronnée par l'Institut.
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nelle obligation de la violence qu'ils surent faire à notre indolence naturelle. Grâce à leurs soins infatigables, l'expérience dissipa nos préjugés, ils nous démontrèrent par elle que nous étions à même de cueillir les plus belles soies de l'Europe, et qu'ils nous seroit aisé d'en faire une récolte considérable. Les moyens d'encouragement que le Conseil prodigua, joint aux premiers succès opérèrent enfin l'émulation désirée; chacun s'empressa de former des plantations, de construire des verreries et des filatures ; déjà il se récoltait de 8 à 10 milliers de soie dans cette généralité lorsqu'elle eut le bonheur d'être confiée à vos soins. Votre présence redoublant l'émulation, vous y mettrez le comble en nous obtenant un moulinage pour l'ouvrage de la soie. La généralité de Tours peut produire actuellement 12 milliers de soie; si cette récolte suit la progression des plantations, dans dix ans elle s'élèvera à plus de 50 milliers. Mais les inconvénients de la vente et les abus de la filature ont singulièrement refroidi l'éducation, joint à la crise manufacturière. Aussi vous ne pouvez mieux faire que de proposer des prix d'encouragement aux producteurs et fileurs de soie. » Une note fait remarquer que l'on a visité les moulins d'alentour établis sur la Brème, la Choisille et l'Amasse, et qu'ils conviennent au travail. [C. 105.]
Le projet des primes d'encouragement était trop sage pour ne pas être bien accueilli par l'administration. En conséquence on porta à la connaissance du public la circulaire suivante : « De par le roy, on propose aux personnes qui élèvent des vers à soie et qui font tirer chez eux, ainsi qu'aux fileuses par eux employées, les prix suivants au concours pour la présente année 1771. — 1er Prix, pour ceux qui auront filé depuis dix jusqu'à vingt livres de soie, de la qualité la plus belle, la plus fine et la plus égale, 40 livres ; 2e Prix, pour ceux
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qui auront filé depuis vingt jusqu'à trente livres de soie, de même qualité, 60 livres; 3e Prix, pour ceux qui auront filé depuis 30 jusqu'à 45 livres de soie, pareille qualité, 90 livres; 4e Prix, pour ceux qui auront filé depuis 45 jusqu'à 60 et au-dessus, de pareille qualité, 110 livres. Ces prix seront partagés entre les cultivateurs et les fileuses, savoir les 3/4 pour le cultivateur et le 1/4 pour la fileuse. Sont établis juges commissaires : MM. Cartier-Roze, de la Barre, Pouget, Champoiseau et Simon-Viot, négociants de la ville. » [C. 108.]
La préparation de la soie nous intéresse trop spécialement pour que nous ne donnions pas les noms de ceux qui s'en occupèrent durant le dernier tiers du xvine siècle. En 1767, M. Caillaulta disparu et l'on voit, en 1770, la dame veuve Caillault près Saint-Saturnin. <La manufacture de dévidage, établie à la Trésorerie, actuellement rue de la Scellerie, est dirigée par Mm<! Girollet-Cordier. Une note de l'intendant faisait savoir que M. Roze-Girollet, au carroi des Carmes, achetait les cocons, qui lui étaient apportés au sortir des bruyères, à 25 s. la livre. En 1771, lesr Moisant, près de Saint-Saturnin, fait l'apprêt de soies fines et fabrique des mouchoirs de soie, façon de Perse; les années suivantes, ce travail est continué par la veuve Moisant. A partir de 1775, « les sieurs Lecomte et Fay,entrepreneurs delà manufacture royale du tissage . des soies à la croisade, achètent les cocons 4 fr. par livre plus cher que dans tout le royaume : il demeurent fauxbourg Saint-Eloy ». De son côté, « M. Lemonier continue l'apprêt des soies fines et fabrique des mouchoirs de soie, façon de Perse, de toutes couleurs, près de Saint-Saturnin ».
Durant les dernières années du règne de Louis XVI, la généralité avait pour intendant Marius-Jean-Baptiste ■
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d'Aine. Sous son administration, l'apprêt de la soie,, par suite de circonstances locales, n'allait pas sans éprouver quelques difficultés ; les maîtres firent part de leurs inquiétudes à qui de droit. L'inspecteur des manufactures, après s'être faitexposer l'état de l'affaire, en écrivit en ces termes à l'intendant :
« D'après les informations et l'éclaircissement, pris par l'inspecteur des manufactures soussigné, sur l'exposé en la requête du sr Ousfray-Badyer, anglais de nation, aprêteur en soyerie à Tours, il résulte que les aprêteurs ses prédécesseurs, et entre autres le sr Daumin, ont joui non seulement du loyer gratis de la maison,où se font les apprêts,mais encore l'ont eu toute entière ; qu'on n'en a accordé que la moitié, pour le logement du sr Badyer qui a dû s'en contenter quoiqu'avec beaucoup de gêne; lesr Badyer a joui, depuis 1767 jusqu'en 1779, du loyer gratuitement de la moitié de la maison ; ce n'est qu'à cette époque que les gardes-jurés et fabricants de soyeries exigèrent qu'il payerait 150 1. et qu'il serait chargé des réparations locatives d'usage C'est en vain qu'il fit des représentations sur l'inexécution de leur promesse, et qu'on lui devait le logement, il fallut en passer par là de leur décision. De plus il lui avait été promis verbalement une pension, lorsqu'il vint de son pays s'établir à Tours, où on ne connaissait pas le moirage, et il y a aparence de ce que l'on a avancé, à cet égard, à l'inspecteur dans une lettre qui lui a été écrite le 5 juin 1767, par laquelle les srs Dupont, André Simon, Roze Simon, François Baudichon, Vidal et Pillet, tous six alors gardes-jurés en exercice, lui annoncent que, sur le rapport de feu M. Ducluzel, intendant de la généralité, par ses bontés pour la fabrique de Tours, ce magistrat avait obtenu de M. le contrôleur général l'établissement d'une calendre et 1,800 1. pour les 18 pre-
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miers mois que le sr Badyer resterait en lad. ville à y exercer ses talents, lesquels émoluments lui seraient payés de 6 en 6 mois ; à la suite de la lettre des gardes est mentionné : « Peut-être sur la connaissance de vos talens obtiendrons-nous la continuation de la pension ; d'après cela nous ne voyons plus rien qui puisse vous retenir à Lyon, aussy nous vous prions d'accélérer votre départ. »
« Le sieur Badyer est vrai, de bonne foi, plein de probité, mais sa déclaration, ainsi que celle des jurés, verbale est insuffisante. L'inspecteur des manufactures, consulté par M. Devin de Galande, intendant du commerce par ordre de M. le contrôleur général sur la requête du sr Badyer, a envoyé lad. lettre des gardes-jurés au d. intendant et y en a joint quatre autres, dont une de feu M. de Trudaine de Montigny, les lres en datte du 12 mars, 14 avril, 25 may et 27 novembre 1766, et celle cle M. de Trudaine, du 28 may 1767, qui sont toutes en faveur dud. sr Badyer pour appuyer ses réclamations, entre autres celle du 14 avril par laquelle on lui promet et on l'assure de lui accorder son logement gratis ; ces lettres sont restées dans le bureau de M. Devin de Galande depuis le 8 juin 1785, que le d. inspecteur-lui a rendu compte de cette affaire. Toutes les épreuves et expériences des talens du cl. aprêteur, exigées par M. Trudaine, ont été exécutées en présence d'experts nommés par le conseil ; on a reconnu l'étendue de son savoir, de ses connaissances et de quelle utilité elles pouvaient être pour les fabriques de Tours, où les aprêteurs étaient attendus et demandés avec impatience. » [E. 106.]
Nous avons signalé le zèle apporté à la plantation des mûriers. Parmi les domaines dépendant du prieuré de Tauxigny, placé sous la haute suzeraineté de l'abbaye
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de Cormery, se trouvait la métairie, dite des Mûriers par suite de la culture qu'on y faisait. Les pièces relatives à cette terre nous apprennent qu'à une certaine époque clu xvni 8 siècle, elle était baillée à moitié à Charles Laurent; mais nous y observons un renseignement plus utile. Suivant l'usage de la Touraine, le produit des vers à soie était partagé par moitié. Le propriétaire « payait les frais de bêche et de taille des arbres, fournissait de mannes, de papier et de vinaigre pour le mieux, ainsi que la moitié de la graisse » ; de son côté, le métayer « fournissait seul le bois, le charbon et les journées pour le soin des vers ». Comme rendement, nous voyons vendre à M. Valete, GrandeRue (du Commerce), porte Saint-Saturnin, 7 livres 8 onces de soie à 24 livres, ou 180 livres d'argent.
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Dans la seconde moitié du XVIII 0 siècle, les progrès de la mécanique contribuèrent grandement à la prospérité des industries textiles, et Jacques de Vaucanson, en particulier, a droit à notre gratitude pour le métier dit Chaîne sans fin, qu'il imagina en vue de préparer la soie. On sait que le célèbre mécanicien, né à Grenoble en 1709 et mort à Paris en 1782, fut membre de l'Académie des sciences et inspecteur des manufactures de soies. Parmi ses inventions, dont l'industrie tira le plus heureux profit, il convient de placer le métier à organsiner ou à tordre la soie en organsin ; on appelle de ce dernier nom la soie torse qui a passé deux fois au moulin.
En 1754, Aubenas était en possession d'une fabrique d'organsin. Celle-ci comprenait 48 moulins, savoir : 16 à tordre la soie en premier apprêt, de 18 pieds et demi de long à trois vargnes, de 9 pieds de haut, contenant chacun 192 fuseaux ; 8 à tordre en second apprêt, de même dimension, possédant chacun 128 fu-
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seaux; 20 moulins de dévidage, de 19 pieds de long, ayant chacun 80 tavelles ; 4 moulins de doublage ayant chacun 60 fuseaux ; la fabrique renfermait, en outre, 50 tours à double croisière pour tirer la soie des cocons. Les moulins, installés dans un vaste bâtiment, étaient mis en mouvement par l'eau.
Doter la manufacture de Tours de semblables métiers, c'était l'enrichir d'un rouage précieux pour la préparation des soieries. Mais où se procurer la somme nécessaire ? On ne pouvait mieux s'adresser qu'au duc de Choiseul. M. Cartier, l'un des manufacturiers les plus intelligents et les plus actifs, recourut à l'intermédiaire du seigneur de Chanteloup. Ce dernier fit prêter aux fabricants de Tours 240,000 livres sur la caisse militaire, sans intérêts et remboursables en six années. Le premier payement, qui eut lieu en 1766, était de 40,000 livres. Restait 200,000 livres, que M. L'Escalopier, le 19 février 1767, proposa d'employer au profit de la manufacture. Le duc de Choiseul fit si bien qu'il obtint que cette somme fût attribuée au moulinage.
Dès lors on entama des pourparlers avec M. de Vaucanson, auquel on demanda le prix de revient d'un établissement de ce genre. Il répondit, le 16 avril 1767, en fournissant les détails demandés et ajouta qu'il se rendrait à Tours pour examiner la qualité de l'eau et pour voir l'importance de la chute qui doit servir de force motrice. Le 8 mai, une somme de 215,000 livres était octroyée pour l'installation des moulins. Le 24 juillet, l'intendant du Cluzel passa avec Vaucanson un traité, par lequel celui-ci s'engageait à monter les moulins et ustensiles nécessaires pour organsiner, moyennant 130,000 livres ; l'inventeur toucha 100,000 livres. Les ouvriers, qui établirent « la calandre de M. de Vaucanson », sollicitèrent le paiement de leur
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travail. Le 20 décembre 1769, les gardes-marchands et fabricants adressèrent une requête au procureur général, afin qu'on leur procurât les 4,540 livres destinées à payer les ouvriers ; cette somme leur fut allouée. En 1770, on rencontre « le sr Chalon et compagnie » occupés à l'établissement de la manufacture ; on apprend bientôt que cette « compagnie s'est retraitée », en 1771. [C. 105 ; E. 465.]
Cependant l'installation n'allait pas assez vite au gré des fabricants, qui transmirent leurs doléances à l'intendant et, par lui , au gouvernement. Turgot insista auprès du célèbre mécanicien et en donna avis à qui de droit par la lettre suivante :
« A Paris, le 30 septembre 1775.
« A Monsieur Ducluzel,
« M. de Vaucanson, Monsieur, que j'ai pressé en dernier lieu de remplir les engagements qu'il a pris depuis longtemps pour fournir et mettre en place des moulins à soye qui lui ont été demandés par le Roy,me marque par sa lettre du 4 de ce mois qu'il fera achever les ouvrages qui restent à faire, aussitôt qu'on lui aura fourni les fonds qui doivent lui être délivrés aux termes d'une convention qu'il dit avoir passée avec vous à cet effet; je n'ai aucune connaissance de cette convention, je suis instruit que M. de Vaucanson a reçu depuis plusieurs années des sommes considérables, que la province de Touraine a fait des avances assez fortes, qui devront sans doute lui être restituées, puisqu'il a été jugé que les moulins de M. de Vaucanson ne peuvent lui être utiles ; si vous avez fait avec lui quelques conventions particulières, je vous prie de me les faire connaître afin que je puisse juger si la de-
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mande qui m'est faite de nouvelles avances, mérite d'être écoutée.
o Je - suis très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Turgot. » [C. 107.]
La principale difficulté ne venait pas de Vaucanson, mais bien de la chute d'eau. Faute de rencontrer une force assez puissante, on allait renoncer à l'installation de la machine à organsiner et la céder à la province du Dauphiné. A cet effet des pourparlers furent entamés entre les deux administrations provinciales. Nous en trouvons l'écho dans une lettre que M. du Cluzel écrivait, le 25 juin 1777, à M. de Marcheval, intendant de la généralité de Grenoble :
« Je vous avoue, Monsieur et cher camarade, que je suis fort tourmenté du traité de M. de Vaucanson ; je vois par une lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 18 juin 1773, pendant que j'étais en Angleterre, que vous en avez gardé la copie et que vous en avez remis l'original à un secrétaire que j'avais à Paris; jusqu'ici toutes mes recherches ont été inutiles, j'en vais faire de nouvelles. Ce que j'ai découvert dans la liasse des papiers de cette affaire, c'est que sur le traité de 130,000 livres, il a été payé 100,000 livres en 5 paiements (du 4 octobre 1768 au 2 février 1771) et qu'il reste dû 30,000 livres ; mais malheureusement tout cela ne nous dit pas si le sr Vaucanson était chargé de la voiture, je crois cependant pouvoir vous en répondre ; j e dou te d'ailleurs qu'il le niât, et on pourrait le forcer à représenter le double de son traité. Je vous avoue, mon cher camarade, que j'ai autant d'impatience que vous de voir finir cette affaire, pour que vous nous rendiez les 20,000 écus que vous nous avez promis, et dont nous avons grand besoin pour notre rue; vous voyez que vous faites un bien bon marché avec nous,
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puisque nous vous faisons présent de 40,0001. ; mais, pardonnez-le-moi, d'une mauvaise paye il faut en retirer ce que l'on peut, et je compte pour beaucoup d'avoir une occasion de renouveller les assurances bien vraies de l'inviolable et respectueux attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être — (Signé) Ducluzel. »
Un acte du 8 avril 1778 nous apprend que la machine à organsiner fut cédée à la province du Dauphiné moyennant 60,000 livres, qui furent destinées à des travaux utiles à notre province, en particulier à la création de la place qui porte le nom de Choiseul. D'après le contrat intervenu, la caisse de commerce devait payer 10,000 1. à la municipalité de Tours dans le courant de mai, et la généralité Dauphinoise, pareille somme dans six mois; le reste serait soldé par la caisse de commerce, par payements de six mois en six mois. Le dernier versement devait être effectué le 6 décembre 1782. [C. 106.]
L'année suivante, au mois de mai, un sieur Gamonet proposa d'établir à l'hospice un moulin à organsiner. Le traité porte, d'une part, que Gamonet construira le moulin et formera des élèves ; et, d'autre part, qu'on lui abandonnera le huitième du produit du moulin, durant deux années. [C. 107.]
Avant de poursuivre le récit des progrès de la préparation de la soie jusqu'aux limites extrêmes du xvme siècle,, nous devons, afin de mener de front les diverses parties de cette étude, exposer la révolution opérée dans la manufacture par suite de l'abolition des corporations.
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XI TURGOT ET LA SUPPRESSION DES MAITRISES
Louis XV venait de mourir à l'âge de 64 ans et, sous le gouvernement de Louis XVI, Turgot se préparait à appliquer le plan de réformes économiques qu'il s'était promis de réaliser en prenant le ministère. Partisan de la liberté absolue du travail et de l'échange des produits, cet homme d'Etat commença par renverser les bases de l'ancienne organisation de l'industrie. De 1774 à 1776, il fit rendre dans ce sens divers édits dont le plus fameux abolissait les maîtrises et jurandes et anéantissait les corporations d'arts et de métiers, en s'autorisant des inconvénients et des abus que ce régime entraînait avec lui.
Dès le mois de juin 1774, sur le rapport de l'abbé Terray, contrôleur général des finances, un arrêt du conseil, interprétant l'édit de 1699 et la déclaration de 1749, ordonnait: 1° que les gardes-jurés des différents corps et communautés de marchands et artisans du royaume,ou autres préposés pour la recette et administration des revenus de ces communautés, seront tenus d'en rendre compte tous les ans devant les juges de police ; 2° qu'un double des comptes sera remis à l'intendant, qui l'enverra au conseil avec son avis ; 3° qu'il soit fait défense aux gardes-jurés d'établir aucunes cotisations à moins qu'ils n'y soient dûment autorisés.
L'édit du mois de février 1776, après un long préam-
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bule sur les droits du travail, la protection due aux ouvriers, les inconvénients du monopole, les dangers résultant de la faculté de s'assembler en corps et les irrégularités qui ont pu être commises, déclare qu'il entend « affranchir les sujets de toutes les atteintes portées à ce droit inaliénable de l'humanité ». En conséquence l'article premier porte : «Il sera libre à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, même à tous étrangers, même non naturalisés, d'embrasser et d'exercer telle espèce de commerce, et telle profession d'arts et métiers que bon leur semblera. »
Nous n'avons pas à entrer ici dans l'examen détaillé de cet édit, dont le caractère et les conséquences ont été si souvent discutés au double point de vue philosophique et social. Nous ferons seulement remarquer que la mesure ne s'étendait pas aux pharmaciens, orfèvres, imprimeurs, libraires et barbiers-perruquiersétuvistes. Assurément il convenait d'harmoniser les conditions du travail avec l'état des moeurs, mais on est autorisé à se demander si procéder d'une manière aussi radicale ce n'était pas corriger un excès par un autre. Protéger les travailleurs, c'était bien; mais briser les corporations en livrant l'ouvrier aux hasards de la lutte pour la vie, n'était-ce pas aller à l'encontre du but qu'on se proposait ? En outre, la liberté absolue n'était-elle pas la porte ouverte à toutes les défectuosités de l'ouvrage ? L'expérience a répondu à ces questions et, de nos jours, les ouvriers éprouvent le besoin de reconstituer les corporations sous une autre forme, afin de défendre leurs intérêts contre l'écrasement qui résulte de la concurrence, de l'égoïsme, de l'extension du marché et des multiples circonstances de la vie sociale.
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Quoi qu'il en soit, il y avait de graves intérêts engagés dans la question des corporations et il importait de les prendre en considération. A cet égard, l'édit avait à garantir « la sûreté des créances », résultant des emprunts contractés par les corporations. L'article 23e décida que les créanciers devront « remettre es mains du contrôleur général des finances les titres de créance », en sorte qu'il soit procédé à la liquidation et que le gouvernement pourvoie au remboursement. En conséquence, un arrêt du conseil d'Etat du 20 avril commit les intendants à l'effet d'assurer dans leur généralité la liquidation des dettes des divers corps et de connaître des créances après avoir, au préalable, exécuté l'inventaire des effets mobiliers, des immeubles et des titres. Cet édit fut imprimé par P. Vauquer (Tours, 1776).
Un état du 9 juillet 1776 nous fournit une indication relative à la situation de la corporation. La communauté était composée de 132 contribuables, tant veuves que maîtres. Le tableau mentionne « les personnes et les choses au profit desquelles tournent les sommes » '. Les droits attribués à la communauté, aux gardessyndics étaient employés à l'acquittement d'une partie des dettes de la corporation. La pièce est signée : Phellion, J. Simon du Petit-Bois, Charles Rose, Abraham Rose.
Conformément à l'édit précédent, un arrêt du Conseil, du 1er septembre 1776, ordonna de mettre les.
i
Pour Gens
les Maîtres. Apprentifs. sans qualité.
Pour la communauté ... 97 1. 9 s. 224 1. 15 s. 224 1. 15 s. Pour les anciens et syndics. 21 1. 16 s. 39 1. 15 s. 39 1. 15 s. Pour les officiers de justice. 14 1. 1-4 1. 14 1.
Pour l'hôpital 12 I. 12 1. 12 1.
[C. 147.]
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scellés sur les meubles, deniers, titres et papiers des communautés et jurandes de Tours et de vendre leurs meubles et immeubles. Par lettre du 26 septembre, M. Restru rendit compte de sa mission à M. Jarrossier en ces termes :
« Monsieur, en exécution de vos ordres, j'ay apposé les scellés sur tous les effets appartenant aux communautés de cette ville ; je me suis transporté dans les bureaux de celles qui en ont, j'y ay mis le scellé sur les coffres et armoires, qui s'y trouvaient et fait faire une description des effets qui étaient en évidence et qui ne pouvaient se tenir sous le scellé; mais il y a peu de communautés qui aient cle bureau, et il n'y a que celuy des marchands et fabriquants où il se soit trouvé quelques meubles, le surplus des autres communautés n'ont qu'un coffre, et ils étaient dans les cloistres ou lieux de passage appartenant aux communautés de relligieux où ils se rassemblent pour célébrer le fête de leur Patron. De la vous concevez facilement, Monsieur, que le travail de cette apposition de scellés ne produit pas à beaucoup près ce qu'on avait pu se flatter qu'il produirait et je ne croirai pas qu'on se détermine à faire faire de vente, parce qu'il n'y a rien à espérer, fors le mobilier des marchands et fabriquants. Car pour ce qui regarde les autres communautés je ne croirai pas que les effets qu'on pourrait vendre pussent faire un total de 60 livres. Quant aux immeubles, je ne connais que le bâtiment des marchands qui peut estre regardé comme un objet, mais ce bâtiment sert à la juridiction consulaire et il y a aussy dedans une belle ■salle voûtée, qui sert aux fabriquants en laine des dehors et environs de la ville pour y déposer leur marchandise qu'ils viennent vendre aux marchands, et pour y plomber les étoffes ; ces deux occupations sont nécessaires et si on voulait vendre ce bâtiment il fau-
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drait placer ailleurs et la juridiction et la halle. Les fabriquants ont aussi une maison pour leur bureau, mais la vente en serait difficile, puisqu'ils font une rente sur cette maison de mille livres remboursable pour 50,000 1., et elle vaudrait à peine 6,000 livres. Les fabriquants ont aussi une autre maison, dont partie sert à leur calandre, dont ils ne retirent rien de celui qui fait aller la calandre ; l'autre partie est louée à un procureur 200 1. par an. Je ne connais point d'autres immeubles, et il ny a pas une communauté qui ne m'ait assuré qu'elle n'avait d'argent en caisse. J'ai cru devoir avoir l'honneur de vous faire un détail, parce que je cloute qu'il y ait d'autres opérations à faire; les inventaires qui seraient à faire ne regardent que les procédures que les différentes communautés ont eu et dont elles gardent soigneusement les papiers dans leurs coffres qui en sont remplis. Je serai cependant toujours prêt à exécuter les nouveaux ordres qu'il vous plaira m'adresser à ce sujet. J'ai l'honneur, etc. Restru. » [C. 151.]
A cette époque la manufacture comptait 62 maîtres possédant 975 métiers '. C'est dans les premiers jours
1 Ces maîtres étaient: Noël Aillet, 2 métiers;Baudichon, 66; Bourgeot, 14; Barbet, 20; Brossier-Raimbault, 11; Bouvard, 17; Boulay père, 2; Boulay fils, 3; Bacot fils, 28; Balte et F. Vidal, 2; Barré, 18; Cartier-Doucet, 39; Chollière, 14; Chardonneau et Texier, 15; Chabelard de la Barre, 39; Corneau Boulay, 11; Corneau-Granger, 6; Cormier, 12; Coudeloup, 5; Cartier-Cousins, 115; Deschamps-Thibault, 4; Desbordes, 2; Devilleret-Chevalier, 2; Destem, 5; Dupont-Bonneau, 15; Dupuy-Corneau, 3; Delaroche fils, 9; Deveau Joseph, 4; Faissolle, 72; Gasnier, 21; Gauvry, 4; Gendron, 2; Hory, 3; Jahan fils, 27; Joncher;', 12; Lambron-Viot, 15; Lomonier, 29; Merry père et fils, 16;Moisan et Graslin, 9; Mabille, 4; Machefert, 4; Pillet père et fils, 27; Proust, 2; Poyard, 6; Roze-Viot, 14; Roziers, 8; Roze frères, 16; Rousseau, 2; Richebourg, 14; Raimbault-Brossier, 7; Simon-Baron, 24; Seuzier-Duliepvre, 9; Simon, du Petit-Bois, 25; Souche, 2; Simonet 2; Trézevent, 18; Vallée-Robé, 2; Vallée de Villeret, 2; Poulet, 15; Abraham, 10; Tessier-Jullienne, 56; Lambron-Basset, 13; total des métiers, 975. — Arch. d'Indre-et-Loire. [C. 150.]
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de décembre que le délégué se présenta au siège officiel des diverses corporations. Indépendamment du bureau des marchands, ou Palais du commerce, situé rue du Collège, les fabricants de soieries avaient leur maison propre rue du Petit-Soleil '.
Les fabricants de soie avaient espéré un instant qu'on leur épargnerait l'odieux de l'inventaire de leurs « titres, papiers et effets »; mais l'ordonnance se dressait dans son inflexible rigueur et, par une matinée d'hiver, ils durent ouvrir toutes leurs serrures devant l'officier ministériel. A la suite de sa visite, ce dernier rédigea le procès-verbal que nous transcrivons :
« Le 7 décembre 1776, à dix heures du matin, nous, subdélégué et commissaire assisté de notre greffier, sommes transporté dans le bureau des fabriquants de cette ville à l'effet de procéder à la levée des scellés par nous opposés, et ensuite à l'inventaire de tous les
1 Nous mentionnons le siège des autres corporations. C'était poulies fripiers, faubourg S'-Eloy; les tapissiers, près le Grand Marché, rue de la Cuillère; les bonnetiers, rue de l'Arbalète; les passementier, rue des Carmes; les bouchers, dans une galerie servant de tuerie, pour la boucherie de cette ville; les maçons, chaussetiers,. maréchaux, selliers, ciriers et couvreurs, cloître des religieux Augustins de Tours; les cordonniers et chaudronniers, cloître des religieux Carmes; les serruriers et tisserands, cloître des religieux Cordeliers; les corroyeurs et vitriers, cloître des Carmes; les bourelliers et pannetiers, cloître des Cordeliers
Le Bureau des pâtissiers et teinturiers en soie, cloître des Cordeliers; les tonneliers, cloître des Carmes: les sergetlier, cloître des Cordeliers; les charpentiers et les boulangers, cloître des Augustins; les teinturiers en bas teint, leur coffre dans le cloître des Carmes; les taillandiers, cloître des Jacobins; les rôtisseurs, leur coffre dans l'étude de M> Chesnon, notaire; les ferblantiers, cloître des Jacobinsles boisseliers, cloîtredes Cordeliers; les chapeliers, cloutiers, tailleurs, tourneurs, menuisiers et mégissiers, cloître des Jacobins ; les couteliers, chez le maître de la communauté Robert; les épiciers, rue des Bons-Enfants; et les chirurgiens au cloître des Cordeliers; [C. 151.]
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effets et papiers appartenant à la d. communauté, auquel effet nous avons fait avertir les gardes cle se trouver en ce lieu pour être présents aux d. levées de scellés et inventaire. En conséquence ont comparus les personnes de Jean Simon du Petit-Bois, Jacques Fulgence Phellion et François Abraham, gardes de la d. communauté lesquels ont offert d'être présents aux levées des scellés et inventaire ; pour apretier les effets nous avons mandé le d. Jean Chalmel.
« Ensuite nous sommes monté dans le d. Bureau dans lequel s'est trouvé : Un feu de fer poly, pelle pincette, tenaille et souflet, estimé 15 1.; un morceau de toile verte 15 s.; une table en bois de noyer, sur ses 6 piliers et ses deux rallonges, 1 1. 10 s.; un tapis de turquie de deux aunes et demie de long sur une aulne et demie de large, 6 1.; une table en bois chêne et son tiroir avec un tapys cle drap violet garni cle la frange, 31.; une fontaine de cuivre rouge et sa cuvette, 12 1.; quatre tabourets de tapisserie avec 2 escabeaux,
2 1.; seize chaises de bois d'agacia foncées de jonc, 121.; une table de bon bouillard et son châssis avec ses deux ralonges, 3 1.
« Avons reconnus sains et entiers les scellés par nous opposés sur les fermetures des deux portes du cabinet étant à côté du Bureau et, les scellés levés, ouverture faite des portes avec les clefs représentées par notre greffier, s'est trouvé : une table de bon noyer sur ses quatre pilliers, deux tiroirs dont un ferme à clef, 4L; deux tabourets couverts de tapisserie, un escabeau, 15 s.; un bureau chêne et bouillard, 15 s.; un comptoir de bois de chêne garni de 7 tiroirs, deux planches servants de porte-bouteilles, 6 1. ; une boîte avec son tiroir fermant à clef et ses supports de fer,
3 1.; deux porte-manteaux, une boëte en sapin, une grande planche servant de dressoir, IL; onze aulnes
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de tenture de bergame, 6 L; deux aulnes, une tringle de fer, une pile de 8 livres de potin, 91.; vingt aunes de tapisserie à fleurs de lys, 80 L; un verrier d'osier et 24 verres, 10 L; à la porte de la salle une porte battante, 11. Dans la salle d'audience, une table de bois chêne et bouillard en équerre, un tapys de drap bleu garni de fleurs de lys, 6 L; un tabouret couvert de serge verte, 5 bancs de bois de chêne, 3 L; un poêle de faïence garni de son tuyeau, 121.; un lustre de fer, 4 bras cle cheminée de cuivre doré, 12 L; un marchepied à deux marches de bois chêne contenant 5 pieds et son siège couvert de serge verte garnis de clous dorés et remplis de foin, et un parquet en bois de chêne, sept bancs de bois de chêne, le tout estimé, 50 L; une porte battante de toille, 11.
« Dans le Bureau de la marque, un comptoir en équerre avec ses deux petites armoires et garni de la marque en plomb et potin, 20 L; une table de bois sur ses 4 piliers, 2 L; une autre table id. de 8 pieds de long, 4L; une paire de balance de cuivre jaune, garnie de son flot et cordée, 101.; trois bancs de chêne dont deux en équerre avec un tabouret, 5 L; une porte battante garnie de toile verte, 21.; un feu de fer poly, pelle et pincette, 6 L; un morceau de toile rayée de deux aunes, 10 s. ; une armoire de bois chêne et bouillard à deux battants fermant à clef, 6 1. Sur la fermature de laquelle armoire est un scellé que avons reconnu sain en entier. Le d. scellé levé, ouverture a été faite de la d. armoire dans laquelle ne s'est rien trouvé. Une autre armoire de bois chêne à 4 battans fermant à 4 serrures à secret, 15 1. dans laquelle ne s'est rien trouvé ; dans le corridor un banc de bois chêne sur ses supports, 10 1.
« Ensuite nous sommes remontés dans le bureau où sont les papiers de la communauté resserrés dans une
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armoire, sur laquelle nous avions apposé deux scellés, et que nous avons reconnu sains et entiers, et les dits scellés levés, ouverture a été faite clés serrures avec les clefs représentées par notre greffier, se sont trouvés différents papiers, après l'examen desquels ayant été procédé ils se sont trouvés consister en ce qui suit : L'expédition d'un acte, passé devant M6 Richer nro en cette ville, le 7 février 1665, par lequel Me René Robichon, conseiller au siège présidial de cette ville,, et dlle Anne Léonard son épouse ont donné à titre derente foncière moyennant 800 livres par an à la communauté de fabricants la maison et ses dépendances composant le Bureau ; la grosse d'un bail à rente, passé devant M. Richer nre le 5 juillet 1667, par lequel le sieur Mathurin Maillard bourgeois de cette ville et dame Anne Rade son épouse et autres ont donné à rente foncière à lad. communauté un petit corps de logis, situé rue du Petit-Soleil joignant celle où nous sommes moyennant cent livres par an, lesquelles rentes ont été remboursés depuis ainsi qu'il paraît par un inventaire et dont les quittances ne se sont point trouvées ; plus une liasse concernant les anciens titres cle propriété des deuxmaisons ci-dessus au nombre de40pièces; la grosse du contrat d'acquêt fait par la communauté devant Ma Pineau notaire à Orléans, le 18 septembre 1744, du sieur Paul Paquier bourgeois d'Orléans d'une maison située ville de Tours rue et porte des Prés, paroisse de Saint-Venant, appelée la Grande-Savonnerie, et consistant en un grand corps de logis et ses dépendances, moyenant la somme de six mille cinq cens livres dont trois mille livres ont été payés comptant au vendeur, et ses trois mille cinq cens livres restant payables le 31 janvier. 1746, et en outre cent cinquante livres de pot de vin. Le surplus du prix de laquelle vente lesd. garde sont déclaré que le remboursement a été fait clans
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les temps au vendeur, à laquelle grosse, sont joints les anciens titres de propriété de lad. maison, le tout au nombre de 29 pièces.
« Déclarent lesd. sieurs gardes qu'ils doivent les rentes viagères aux ci-après dénommés : rentes viagères dues par la d. communauté au sr de Moniaque 200 livres par an ; à la dlle Thiellet épouse du sr Forestier, 320 1. ; à la veuve Dauphin, 200 1. ; aux dlles Coeslier, 752 1. ; à M. l'abbé Duperche, 300 L; au sr Abraham de la Bretonnière, 1280 1. ; au sr de BoisHourdy, 360 L; à la veuve de Villeneuve, 300 1. ; au sr Hardy, 4501. ; à la veuve Joubert, 188 1. ; à ladlle Baron, 2701., ;à la fille Jeanne Tranchant, 90 1. ; à la dame Jahan et à la dlle Le Brun sa soeur, 540 1. ; au sr Grignon, curé de Saint-Clément, 412 1. 10 s. ; à la dlle Jeanne Palas, 300 L; au sr abbé Dausserre, 320 L; ausr Antoine Cormier, 234 L; au sr Coullon, 400 L; à la veuve Hardion, 108 1. Toutes lesquelles rentes montent à 7,224 1. 10 s. par an. Les arrérages desquelles rentes sont exactement payées d'année en année, ayant été fait un rôle d'intérêts la présente année pour y faire face. « Déclarent les srs gardes que lad. communauté doit les rentes cy-après désignées : Rentes constituées aux héritiers de la dame veuve Charpentier, 1,000 1. de rente constituée, assignée spécialement sur la maison où nous sommes au principal de 40,0001. ; au chapitre de Saint-Martin, pour indemnité, 58 1. 5 s. 3 d., ; au vicaire de la paroisse deBalan, pour fondation, 50 1. ; à M. Salmon de la Brosse, rente constituée, 120 1. ; à l'Hôpital général de la Charité, 180 1. ; aux héritiers Gasnier, 901. ; à la fabrique de Saint-Saturnin, 160 1. ; au desservant de l'église succursale de Saint-Genoud, 25 1. ; au chapitre de Saint-Venant, 351. ; au sr Maillard, 40 1. ; àla fabrique de Ballan, 51. Total des rentes constituées dues chacune année, 1,763 1. 5 s. 3d.
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« Déclarent les srs gardes qu'ils ont loué à la dame veuve Brisset, de cette ville, la petite maison donnant sur la rue du'Soleil, dépendant de ce Bureau, par bail ' passé devant M0 Gaudin notaire en cette ville pour neuf années, qui ont commencé au jour de Saint-JeanBaptiste de l'année dernière, ce moyennant la somme de 96 1. chaque année, l'expédition duquel bail, qui est du 19 mars dernier, ils ont présentement remis à notre greffier, comme aussy ils ont remis les titres et pièces cy-dessus inventoriées à notre dit greffier qui s'en est chargé. Lesd. sieurs gardes nous ont déclaré que lad. communauté a loué au sr Froidure, procureur au présidial, une portion de la maison de la calendre, appelée la Grande-Savonnerie,, par bail passé devant Me Gaudin notaire moyennant deux cent livres, dont il ny à plus que l'année courante à expirer, et que les loyers de lad. maison qui écheront au jour de NotreDame cle Mars prochain, sont compris dans le rôlle des intérêts faits la présente année pour lad. communauté, l'expédition duquel bail ils ont présentement remis à notre greffier. Déclarent lesd. sieurs gardes qu'ils doivent, outre les rentes cy-dessus, pour les charges particulières du corps, la somme de 1459 1. à différents particuliers tant pour les droits de nomination de gardes, gages des clercs de communauté, pain bénit et autres menues dépenses.
« L'heure de midy survenue nous nous sommes retirés et remis la continuation dud. inventaire, à ce jourdhuy deux heures de relevée à se trouver en cet endroit, et ont ngné aussy Abraham Roze, Phellion, Lambron, Basset, Tessier-Julienne ; et ledit jour 7 décembre 1776 2 heures de relevée, dans le Bureau des fabriquants, aété continué ledit inventaire. Lesd. sieurs gardes nous ont déclaré qu'il est dû par le Roy à lad. communauté 1,100 1. de gages pour la réunion des
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offices d'inspecteur et controlleur, créés par Edit de 1745, et que les titres desd. rentes ont été envoyés à Paris, il y a trois ans, pour en toucher les arrérages et •que les mêmes titres ne leur ont point été renvoyés. ■ Interpellés les srs gardes de nous déclarer si lad. communauté a quelqu'argent comptant, obligation et autres titres que ceux cy-dessus inventoriés, à quoi ils ont répondu que lad. communauté n'a aucun argent comptant, est propriétaire du droit de marque des étoffes de leurs manufactures, et que le produit qu'ils ont tiré jusqu'à présent n'a pas été suffisant pour faire face à, l'acquittement des dépenses annuelles de lad. communauté, ce dont ils justiffieront par le compte qu'ils en rendront incessamment devant qui il appartiendra. Dont et de tout ce que dessus, nous avons fait et dressé le présent procès-verbal, led. jour et an. » [C. 151.]
Les nouvelles mesures avaient jeté le désarroi dans la manufacture. Tout au moins ne pouvait-on refuser aux fabricants de soieries de leur conserver leur lieu de réunion. A cet effet, ils s'adressèrent au gouvernement, auquel ils demandèrent la conservation du Bureau. L'administration locale leur transmit la réponse du pouvoir central, dans le courant du mois de septembre 1777. Aussitôt l'un d'eux, Abraham Roze, s'empressa d'envoyer à l'intendant une lettre signée des principaux fabricants et dont voici la teneur, qui reflète bien les préoccupations du moment :.
« Monseigneur, M. Rotru nous a fait part de la lettre que vous lui avez écrite par rapport à l'abandon provisoire que le Roy voulait bien nous faire de notre Bureau, aux conditions d'en payer le loyer tel qu'il sera réglé et les réparations. Nous n'avons eu rien de plus pressé, Monseigneur, que de convoquer une assemblée générale et notre premier ouvrage a été de faire sentir
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que c'était à vos bons soins que nous étions redevables du bien que le Roy consentait de nous faire ; mais quelle a été notre surprise lorsqu'au lieu de trouver chez tous une façon de penser unanime et sem.blable à la notre, nous avons trouvés tous les esprits, effrayez de la condition du loyer et des réparations, renoncer pour ainsi dire totalement au bienfait. En effet, Monseigneur, emportés uniquement par le sentiment de la reconnaissance, nous avions glissés légèrement sur les reflections que nous avions bien faites nous-mêmes et sur les risques que nous courions ; si le loyer est considérable, où prendrons-nous de quoy y satisfaire, si les réparations sont autres que les locatives qui sont les seules qui ayent jamais regardé les locataires, à quoi ne nous exposons-nous pas pour une vieille maison comme la notre, pouvant tomber en ruine d'un moment à l'autre ; ne conviendrait-il pas mieux de se contenter d'une simple chambre dont le loyer ne pourrait jamais être que très peu de chose.
« Telles sont, Monseigneur, les reflections du plus grand nombre ; nous prenons la liberté de vous en instruire n'ayant pas voulu passer outre ny constater notre assemblée par aucune délibération, sans auparavant avoir appris de vous la marche que nous devons suivre. Nous vous prions très instamment de vouloir bien nous l'indiquer, persuadés comme nous devons l'être qu'elle ne puisse jamais être contraire à nos intérêts et nous l'attendrons avant de prendre aucun parti. Pouvons-nous mieux faire, Monseigneur, avant de vous assurer du respect qui vous est dû et que nous vous devons à tant de titres, qu'en vous priant d'être . intimement persuadé qu'on ne peut être plus reconnaissant que nous le sommes de tout ce que vous faites pour nous, et qu'il vous en coûte infiniment quand vous
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ne faites pas tout ce que vous désirez si ardemment de pouvoir faire. Nous avons l'honneur etc.. — Les gardes de la manufacture de soyes de Tours : AbrahamRoze, Poulet, Tessier-Jullienne, Phellion-Chaplot. » [C. 148.]
Les fabricants, justement émus de l'incertitude dans laquelle ils vivaient au sujet de la question du bureau, écrivirent une autre lettre à l'intendant, à la date du 30 septembre. « M. Rotru, disentils, nous ayant fait passer les intentions de Votre Grandeur, nous avons en conséquence fait assembler le corps, qui sur l'exposé que nous luy avons présenté n'a rien pu statuer, a seulement délibéré que nous prendrions la liberté de vous faire de très humbles représentations : 1° Lorsque nous avons pris la liberté de demander à Sa Majesté la conservation de notre Bureau, nous pensions qu'elle aurait bien voulu l'abandonner gratuitement, le corps l'ayant fait construire tant pour la commodité des fabriques que pour la juridiction consulaire, qui dans tout temps au rapport de nos seigneurs clu Parlement s'est distingué; sa chapelle, sa chambre du Conseil, ses trois vaisseaux y tiennent un grand amplacement; 2° un Bureau où se déposent les pièces de plus de 20 fabriques circonvoisines, qui occupent des milliers d'âmes et leur donnent les secours de la vie, tous gens assujetis aux impôts ; ces pièces y sont inspectées et mises en vente deux fois la semaine ; il est incontestable que le bien général est préférable à celuy du particulier ; sans dépôts, plus de concurrence des acheteurs, avantage pour le fabriquant ; sans concurrence on doit craindre la chute des fabriques ; 3° depuis bien des années Votre Grandeur a pris connaissance que le corps a levé sur ses membres cle quoi payer les intérêts des sommes qu'il a empruntées pour la construction de cette maison
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élevée sur les fondements d'une très encienne, qui menaçait de chutte et fut condamnée par le bureau des finances, ce qui de nécessité obligea le corps à la reconstruction ; ce fut le bien général, un dépôt pour les marchandises des fabriques circonvoisines, un lieu pour la juridiction consulaire, qui depuis sa création y a son siège royal.
« Permettez, Mgr, de représenter à Votre Grandeur la triste situation d'un propriétaire qui, après avoir payé les intérêts des sommes qu'il avait empruntées pour le bien général, interest qui par suite du temps doivent s'éteindre par la mort des principaux créanciers, serait assujety à payer les loyers de son propre fond, les réparations, et entretiens considérables d'un lieu public au commerce, vingtième et autres charges. Qu'il nous soit permis, Monseigneur, de demander à Votre Grandeur, pour et au nom des juges consuls quel sera le moyen de payer le loyer d'un emplacement, les frais annuels que la juridiction est indispensablement obligée de faire ; serait-ce des juges qui sacrifient leur temps pour le bien général, et qui rendent la justice gratuite, et sans épices ? Si le corps des marchands était contraint à payer les loyers de son fonds il est à présumer que la juridiction consulaire serait obligée d'y contribuer à proportion du domaine qu'elle occupe. Quant au mobilier, il est suivant l'ordonnance, rien de superflu, puisque l'on pourrait dire que le nécessaire y manque ; le seul objet qui intéresse nos coeurs, c'est le portrait de Louis XV le Bien aimé, d'heureuse mémoire. Nous sommes, avec respect, Monseigneur, etc. Délibéré en notre Bureau à Tours, le 30 septembre 1777. » [C. 148.]
L'intendant répondit aux gardes fabricants en leur permettant de continuer à tenir leurs assemblées dans
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le palais consulaire, à la condition qu'ils paieront le loyer et en les engageant à bien réfléchir à leur résolution; la réponse est du 11 octobre. «J'ai reçu, dit-il, la lettre par laquelle vous avez pris la peine de m'expliquer les raisons qui vous ont fait penser, ainsi qu'aux autres membres de votre Corps, qu'il vous serait plus onéreux qu'utile de conserver les bâtiments qui ont été acquis originairement pour le service de votre Bureau et des assemblées, et pour l'exploitation de la calendre, à la charge de payer au Roi des loyers et de vous charger des réparations. Vous exposez que, d'un côté, le bâtiment de votre Bureau menace ruine et vous présente l'objet d'une dépense considérable pour son rétablissement, et que, d'un autre côté, vous envisagez dans le payement d'un loyer peut-être considérable une charge nouvelle pour cette communauté qui, dans son état actuel, aplus besoin de secours et de soulagement que de charges. Je pourrais vous objecter que quand le corps entier de la fabrique fut déterminé pour l'acquisition de son Bureau et de la calendre, il a sans doute regardé ces objets comme importants pour la fabrique, comme ils le sont en effet. Si vous disiez que la fabrique a pu faire des sacrifices dans les temps plus heureux, mais que son état actuel ne luy permet plus d'en faire de semblables, je pourais également vous faire connaître qu'une révolution favorable, pouvant un jour rendre à cette fabrique son ancienne activité, vous seriez dans le cas de regretter la perte d'établissements qui lui ont coûté fort cher ; que ce n'est pas par cette raison, la position actuelle de la fabrique qui doit vous décider, mais plutôt la considération d'un événement futur ; que d'ailleurs la location des bâtiments n'est qu'une jouissance à terme que vous pouvez abandonner dans la suite, si elle vous devenait à un certain point onéreuse. Mais n'ayant d'autre
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intention que de vous proposer mes réflexions, c'est à vous, messieurs, de les peser et de les discuter avec attention pour me mettre en état, par une délibération positive, d'informer M. le Directeur général des finances du parti définitif que vous avez pris. Je vous prie de ne pas faire attendre cette délibération. Je suis, etc. » [C. 148.]
La réponse ne se fit pas attendre. Les fabricants avaient plaidé si éloquemment leur cause que le souverain se montra favorable à leur demande. Un arrêté du conseil d'Etat fut rendu à la fin de janvier de l'année suivante. « Le Roi, y est-il dit, étant informé que la communauté des marchands de Tours, suspendue par Ledit du mois d'avril 1777, possédait dans cette ville une maison dans laquelle se tenaient les assemblées du corps, comme aussi les audiences de la juridiction consulaire et la halle ou dépôtpour les draperies et autres étoffes de laine ; que pareillement la communauté des maîtres fabricants en soie de la même ville, supprimée par le même édit, était propriétaire de deux corps de bâtimens séparés, dans l'un desquels se tenait le Bureau de la fabrique, et dans l'autre des calandres propres à l'apprêt et au moirage des étoffes de la manufacture, Sa Majesté, toujours occupée de ce qui peut intéresser le commerce et favoriser l'industrie, a jugé nécessaire d'excepter les dites maisons des dispositions de l'article XIX de l'édit du mois d'avril dernier, par lequel il est ordonné que les immeubles appartenant aux communautés supprimées par led. édit seront vendus, pour le prix en provenant être employé au payement de leurs dettes, à quoi voulant pourvoir,
« Ouï le rapport du sieur Moreau de Beaumont, conseiller d'Etat ordinaire et au conseil royal des finances, le Roi étant en son conseil a ordonné et ordonne qu'il sera sursis à la vente et adjudication desd. maisons,
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et qu'en conséquence la communauté des marchands, et celle des fabricants de la dite ville, créés par l'édit du mois d'avril dernier, jouiront des dites maisons comme en jouissaient les anciennes communautés, supprimées par led. édit, et ce jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par Sa Majesté ; à la charge que lesd. maisons continueront d'être destinées ainsi et aux mêmes usages que par le passé; comme aussi sous la condition que les d. communautés entretiendront les d. maisons en bon état de toutes réparations et acquiteront les charges de toute nature dont elles peuvent ou pourront être tenues ; ordonne Sa Majesté que dans le cas où les revenus ordinaires desd. communautés ne suffiraient pas au payement des d. réparations, les syndics et adjoints des d. communautés se retireraient par devant le sr intendant et commissaire départi, pour sur son avis être par Sa Majesté pourvu ainsi qu'il appartiendra, sans que les d. communautés puissent faire à l'occasion de l'entretien des d. maisons aucun emprunt, qu'en vertu de lettres patentes dûment enregistrées. Fait en conseil d'Etat du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le 30e jour de janvier 1778. — (Signé) Amelot. » — Bibl. de Tours, n° 524.
L'industrie nationale — et la manufacture de soies de Tours n'avait pas d'autre sort — traversait une crise redoutable. Le gouvernement s'évertuait à conjurer le marasme grandissant à l'aide de résolutions propres à encourager les industriels. Par une ordonnance du 28 décembre 1777, Louis XVI institua un prix pour les nouveaux établissements de commerce et d'industrie. Non content d'approuver les mesures tendant à leur assurer des secours pécuniaires, le roi, « désirant entretenir l'émulation par des motifs de gloire et d'honneur, jugea à propos de fonder un prix
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annuel en faveur de toutes les personnes qui, en frayant de nouvelles routes à l'industrie nationale ou en la perfectionnant essentiellement, auront servi l'Etat. » Ce prix consistait en « une médaille d'or du poids de douze onces, ayant d'un côté la tête du roi, de l'autre côté une exergue et une légende analogues au sujet. » La médaille devait être décernée, à partir de l'année suivante, par un jury, formé du ministre des finances, de trois conseillers d'Etat, des intendants du commerce,des députés etinspecteursgénéraux du commerce. Elle est destinée non pas « aux auteurs de simples mémoires, mais seulement aux personnnes dont les idées utiles auront été mises à exécution.» On pourra décerner un second prix, « s'il arrivoit que deux citoyens eussent des droits à peu près égaux à cette marque de distinction. »
A l'époque qui nous occupe, les maîtres fabricants d'étoffes de soie à Tours étaient au nombre de 88 '. La diminution des métiers, non plus que l'abolition des corporations et de leurs statuts, était loin de procurer la sécurité. Du moins n'avait-elle pas pour résultat de faire disparaître les contestations. En 1778, les gardesjurés firent une saisie chez un ouvrier du sieur Simon du
i Pour ce qui est des autres me» ouvriers, on comptait : <• 63 maîtres massons, couvreurs, plombiers, paveurs et autres constructeurs en pierre, plâtre et ciment ; 78 maréchaux-ferrant grossiers, serruriers, taillandiers, ferblantiers, nids de ferrailles, cloutiers et autres ; 32 charpentiers ; 102 menuisiers, ébénistes, layeliers. tonnelliers, boisseliers : 17 tondeurs, épingliers, balanciers, chaudronniers, poilliers, potiers d'étain ; 15 coutelliers, armuriers et autres ouvriers d'acier; 20 orfèvres, joailliers, horlogers; 30 selliers, bourreliers, charrons et autres métiers de voitures ; 147 marchands, merciers, drapiers, grossiers et autres ; 125 passementiers; 29 teinturiers en haut et bas teint; 39 bonnetiers, chapeliers, pelletiers, foureurs; 40 tapissiers, vendeurs de meubles en vieux et miroirs ; 55 épiciers, ciriers, chandeliers ; 24 tanneurs corroyeurs ; 154 cordonniers ; 38 traiteurs, pâtissiers, rôtisseurs ; 60 bouchers, charcutiers ; 86 aubergistes, cabareliers, cafetiers, limonadiers; 58 boulangers.[E. 496.]
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Petit-Bois, fabricant de soies qu ils prétendaient avoir employé de la soie écrue. M. Aubry, contrôleur des manufactures de la généralité de Tours, en écrivit au ministre en ces termes, qui nous mettent au courant des nouveaux procédés de fabrication: a Ils ont pris chez cet ouvrier une main de soye qu'il employait dans son étoffe et on reconnut qu'elle n'étoit point écrue, mais chargée d'un aprest étranger, au moyen de quoy l'affaire qui avoit été portée à la police n'a point été suivie jusqu'à présent, Comme ce corps étranger, donné à la soye, inquiétoit un peu nos fabricants j'ay vu, en l'absence de M. Simon, M. Vauquier son associé ; j'ai raisonné avec lui sur cet aprest et luy ai demandé sy pour tranquiliser les fabricans on ne pourroit pas le supprimer, mais il m'a démontré qu'il étoit absolument nécessaire pour la perfection de certaines étoffes ; il m'en a fait voir, et j'ay trouvé de toute beauté, tant pour le brillant de l'étoffe que pour la légèreté du dessin et la perfection de la fabrication. Si vous étiez curieux d'en voir je ne doute pas qu'il ne puisse vous en faire voir à Paris. Dans presque tous les dessins de leurs étoffes, il y a des parties qui sont peintes sur l'étoffe même pour faire mieux sortir les fleurs et leur donner plus de grâce et d'agréments; ils prétendent que cet aprest donné à la soye empêche que la peinture ne s'étende sur les fleurs et ne les gâte. La seule chose qui me paroisse à craindre c'est que cette peinture ne s'efface à la longue ; mais à en juger par les certificats de négociants et commissionnaires de Tours, Orléans, Paris et autres endroits où ils en envoyent, il ne paroît pas qu'ils ayent reçu aucunes plaintes à ce sujet et cette fabrique mérite d'être soutenue. » [C. 111.]
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XII LA. FABRIQUE JUSQU'A NOS JOURS
La théorie, sinon la pratique de la liberté du travail, tendait progressivement à entrer dans les moeurs aussi bien que dans les usines. Mais l'esprit de réglementation non moins que la nécessité de réprimer ou de prévenir les abus, toujours dommageables à l'industrie, porta le gouvernement à élaborer de nouveaux règlements en harmonie avec le milieu social et avec les réformes exécutées ou projetées. En attendant leur promulgation, le roi rendit des lettres patentes, données à Marly le 5 mai 1779. Il s'agissait de régler certains points, tels que les marques, tout en consacrant la liberté de fabrication. « Nous approuvons, dit le roi, que lorsqu'une étoffe nouvelle aura obtenu par le temps et le goût général de consommation une vogue et un nom particulier, les chefs de communauté puissent, de concert avec l'inventeur, demander la permission d'en fixer la bonne fabrication en joignant ces étoffes à la liste de celles dont la composition soit réglée ; mais lorsque des chefs de manufacture, avec le dessein de fabriquer conformément aux règlements y auraient manqué, ce qui peut arriver -par une simple inattention ou par la faute de l'ouvrier, nous ne voulons pas qu'ils soient exposés, comme ils l'ont été jusqu'à présent, à des peines trop sévères; nous avons cru devoir modérer ces peines et les fixer au degré convenable pour prévenir les abus sans rigueur inutiles. »
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La lettre royale renferme quatorze articles, dont nous mentionnerons ceux qui se rapportent plus directement à notre sujet: « I. Il sera désormais libre à tous les fabricans et manufacturiers, ou de suivre dans la fabrication de leurs étoffes telles dimentions ou combinaisons qu'ils jugeront à propos, ou de s'assujettir à l'exécution des réglemens. — II. Il sera incessamment procédé à la rédaction de nouveaux règlements de fabrication ; à l'effet de quoi les communautés de fabricans, dans les principaux lieux de fabrique, seront tenus de nous adresser promptement des mémoires dans lesquels ils indiqueront la manière dont les étoffes devront être fabriquées suivant leur dénomination ou leurs qualités différentes sous la même dénomination; pour lesd. mémoires vus et examinés être ensuite statué ce qu'il appartiendra. (Les articles III, IV, V, VI s'appliquent à diverses étoffes.) — VIL N'entendons rien innover en ce qui concerne les lisières et les marques prescrites par les anciens règlements pour toutes les étoffes de soie, de quelque nature et espèces qu'elles puissent être qui seront fabriquées conformément aux dits réglemens ;,voulons seulement que pour lesd. étoffes, il soit ajouté sur le plomb dont elles seront revêtues, le mot Réglée on simplement la lettre R ; et, à l'égard des étoffes fabriquées d'après des combinaisons arbitraires, elles pourront porter, au choix du fabricant, toutes les lisières indistinctement, autres néanmoins que celles assignées pour les étoffes réglées; et le plomb dont elles seront revêtues, ne portera pas la marque de règlement ci-dessus indiquée.
« VIII. Il sera libre à tout fabricant de teindre et peindre, faire teindre et peindre les étoffes, toiles ou toileries en grand ou petit teint, ou en couleur mélangée de grand et petit teint, à la charge par eux de faire apposer sur toutes lesd. étoffes, toiles ou toilleries
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indistinctement un plomb qui indiquera la manière dont elles sont teintes et le nom du teinturier. —IX. Les étoffes qui seront présentées à la visite avec les marques distinctives réservées à celles fabriquées suivant les réglemens et qui ne s'y trouveront point conformes, seront coupées de six aunes en six aunes ; une des lisières sera arrachée et la demi aune attenante à chacun des deux bouts de l'étoffe sera confisquée ; dérogeant à cet égard aux dispositions des réglemens qui porteraient autres et plus grandes peines. — X. Voulons qu'en ce qui concerne les matières d'or et d'argent employées dans la fabrication des étoffes, les anciens réglemens soient exécutés ; faisons en conséquence très expresses inhibitions et défenses à tous fabricans de filer l'or et l'argent faux, autrement que sur le fil, et de mélanger le fin et le faux dans la même étoffe, sous peine de confiscation et de mille livres d'amende. —- XL Toutes les étoffes de fabrique nationale sans distinction pourront circuler librement dans tout le royaume et y être mises en vente, pourvu qu'elles soient revêtues du plomb de règlement ou cle celui d'étoffes libres ainsi que de celui de teinture. Abrogeons expressément le plomb de contrôle prescrit par les articles XXXIX et XLII des réglemens généraux, et les arrêts des 14 décembre 1728 et 5 décembre 1730. ■— XII. Il ne sera dorénavant accordé aucun titre de manufacture royale, excepté pour les établissements uniques dans leur genre. — XIII. Les fabricans qui auront exploité de père en fils pendant 60 ans, et avec une réputation soutenue, la même manufacture, pourront apposer eux-mêmes à leurs étoffes les plombs prescrits, et seront dispensés de les présenter aux bureaux de visite, après néanmoins y avoir été autorisés par nous ; et sera ladite autorisation révoquée en cas d'abus. » [C. 133.]
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Parmi les fabricants de soieries, plus d'un pouvait montrer avec fierté les lettres, j'allais dire de noblesse industrielle, dont il est question dans le dernier article. Assurément c'était là un titre dont ces familles avaient bien le droit de s'estimer grandement honorées. Parmi celles-ci figurait la maison des Jahan. A l'été de 1782, nous voyons « les gardes, chefs et entrepreneurs de la manufacture de soie, or et argent », Faissolle, F. Cartier-Roze, Lemonier, N. LambronCartier et A. Simon le jeune, ainsi que l'inspecteur Huet de Vaudour, attester que « la famille du sieur Antoine-Charles Jahan, tant du côté paternel que maternel, exerce de père en fils, depuis près de deux cents ans avec honneur l'état de marchand-fabricant ». A cette époque, la fabrique comprenait 46 maîtres, possédant 880 métiers déclarés payant et 270 métiers exempts. [C. 111.]
• Au cours des années 1780 à 1783, le conseil d'État rendit plusieurs ordonnances concernant l'industrie et le commerce. Des lettres-patentes des 1, 4 et 28 juin 1780 avaient pour objet les bureaux de marque. En exécution de celles-ci, le ministre Necker donna une instruction pour servir de guide aux préposés à la desserte des bureaux de visite; nous en extrayons les quelques passages qui nous intéressent.
« I. Les gardes-jurés feront des visites tant dans les ateliers des fabricans, que chez les différents ouvriers, à l'effet de vérifier si les étoffes, destinées à être revêtues du plomb de règlement ou de liberté, portent les marques distinctives quelles doivent avoir suivant la nature de la fabrique. — IL Ils dresseront chaque année un tableau indicatif des fabricans, des maîtresouvriers, teinturiers, apprêteurs et marchands, de leur jurande, pour y avoir recours au besoin. — III. Ils
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seront exacts, à se trouver au Bureau de visite et de marque, aux jours et heures indiqués, et conformément à l'ordre établi par les juges des manufactures, ils y visiteront toutes les marchandises qui leur seront présentées, et les marqueront du plomb de règlement ou du plomb de liberté, suivant la nature de la fabrication desd. étoffes ; ils constateront par de i'réquens débouillis la qualité des teintures et ils saisiront celles desd. étoffes qui se trouveront en contravention aux règles prescrites. — IV. Ils se comporteront avec modération dans toutes leurs fonctions ; en cas de diversité d'opinion, ils appelleront un des plus anciens gardes-jurés, pour former un voeu à la pluralité des voix. — V. Ils auront soin lors de leurs visites, de veiller à ce que les aunes et les poids soient conformes aux modèles et matrices déposés dans les hôtels de ville, et en cas de défectuosités dans les d. poids et mesures, ils en rendront compte, et les dénonceront aux officiers de police. — VIL Les gardes-jurés oupréposéspourront faire des mémoires sur tout ce qui pourra intéresser la fabrication, le commerce et l'industrie. —VIII. Ils s'informeront des différentes contestations ou procès qui pourront s'élever entre les maîtres et les ouvriers pour fait de fabrication, et feront les démarches convenables pour les terminer. — IX. Comme il est important de connaître les variations du commerce de chaque lieu, lesd. gardes-jurés ou préposés à la visite et marque des étoffes, dresseront tous les 6 mois des états conformes au modèle qui leur sera remis de toutes les étoffes qu'ils auront visitées et marquées, soit qu'elles aient été fabriquées conformément aux règlements, ou suivant des combinaisons arbitraires. »
Nous n'avons pas à rapporter ici tous les arrêts relatifs au travail des manufactures, et nous ne mention-
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nerons que les résolutions de nature à nous renseigner plus spécialement sur l'histoire de la fabrique de soieries. Le 19 mars 1781, à la suite de certaines contraventions, le conseil d'Etat accorda aux fabricants et marchands un délai, au cours duquel ils pourront faire apposer une marque de grâce aux étoffes qui ne seraient pas revêtues de la marque prescrite. Un arrêt du 28 juin détermina les fonctions des juges des manufactures lors des élections des gardes-jurés et fixa à 3 livres les honoraires à leur payer. Une série d'arrêts prorogea jusqu'au 1er janvier 1782 la durée pour l'application de la marque de grâce. Un acte du 25 juillet déclara que les coupons d'étoffes et toiles de 6 aunes et au-dessous pourront circuler et être mis en vente sans marque; cette mesure fut révoquée par une ordonnance du 4 novembre suivant.
Cependant les corps d'arts et métiers, constitués par l'édit du mois d'avril 1777, ne possédaient pas encore de statuts de nature à assurer leur fonctionnement. Le roi, en conseil tenu à Versailles le 1er mal 1782, rendit un « règlement que Sa Majesté veut être provisoirement observé». Nous en mentionnerons les principaux points. Pour ce qui est de l'apprentissage, les brevets seront enregistrés et le temps courra depuis ce moment. Les apprentis seront formés exclusivement par les maîtres des corporations établies par édit ou par lettres du roi. Après quatre années d'apprentissage, on pourra être reçu maître à 20 ans ; les enfants de maîtres et maîtresses pourront être reçus à 18 ans après deux années de travail chez les parents. L'examen se fera devant les syndics et devant trois maîtres. Le juge de police délivrera le brevet, après s'être « assuré de leurs bonnes vie et moeurs par le témoignage de deux ou trois témoins de bonne foi ». Quant à ce qui est des filles ou femmes, elles peuvent être reçues dans les
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communautés d'hommes, mais elles n'assisteront pas aux assemblées. Le juge de police dressera un tableau annuel des maîtres et apprentis, et un autre des agrégés ou maîtres qui n'ont pas acquitté leurs droits; ceux-ci ne sont pas admis aux assemblées. On ne peut cumuler plusieurs professions qu'après la permission du juge de police et l'acquittement des droits de réception dans chaque communauté. Chaque corps a un syndic et des adjoints chargés de l'administration des affaires et élus pour deux ans.
Les préoccupations de l'époque se reflètent plus particulièrement dans ce qui concerne les assemblées. Les corps qui ne comprennent pas plus de 25 maîtres pourront se réunir en commun pour élire les syndic et adjoints et pour traiter leurs affaires. Les autres choisiront à cet effet dix députés dans une assemblée générale dont le préfet de police fixera le jour, l'heure et la forme. Les délibérations de ces députés, chargés des affaires de la communauté et présidés par les syndic et adjoints, seront prises à la pluralité des voix. Les réunions se feront en présence du juge de police et du substitut du procureur, assisté du greffier; les membres s'y « comporteront avec décence et circonspection ; en cas de contravention, il y sera pourvu sur le réquisitoire du procureur général ».
Chaque année, le syndic et les adjoints feront au moins quatre visites chez les maîtres et agrégés pour s'assurer de l'observation des règlements, ce dont ils rendront compte à la première assemblée. On ne pourra exiger ni recevoir de présents ni de repas à l'occasion des réceptions, visites, saisies, ou sous prétexte de confrérie, « ni pour quelque raison que ce soit, sous peine de concussion ». On ne réalisera pas de dépenses ni d'emprunts sans autorisation légitime. Les comptes seront rendus annuellement parle syndic
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et les adjoints et déposés en triple exemplaire. Ces derniers dresseront le rôle de la répartition.
Les maîtres et agrégés ne pourront louer leur maîtrise ni prêter leur nom; les apprentis, ouvriers et garçons ne quitteront pas le maître avant la fin de l'engagement. Il est interdit à ceux-ci de s'assembler en corps, « sous prétexte de confrérie ou autrement, de cabeler entre eux pour se placer chez d'autres maîtres ». Les marchands en gros, c'est-à-dire « ceux qui font leur commerce sous balle et sous corde », ne pourront être contraints à se faire recevoir dans les communautés d'arts et métiers, mais seulement à se faire inscrire au greffe de la juridiction consulaire et au greffe de police. Les marchands, non pas ambulants, mais forains, pourront vendre en gros en tout temps dans les villes, en déposant leurs marchandises non dans les maisons particulières, mais au Bureau des corporations.
En 1783, la fabrique de Tours comprenait 1171 métiers, dont 880 déclarés et payant visite, et 290 exempts, les uns et les autres possédés par un certain nombre de maîtres et répartis chez les particuliers soit isolément soit par petits groupes de deux ou trois 1 .
1 Les maîtres fabricants étaient MM. Abraham Roze et C'e, 39 m.; V. Aubin, 8 m. ; Aury, 2 ; Aillet, 1 ; Bourgeot, 13 ; Bacot,23 ; Brossier, 5 ; Bouvard, M ; Baudichon elC'% 53 ; Boulay fils, 3 ; Cartier; Roze, 80 ; Carlier-Cuisnier, 70 ; Cartier-Doucet, 39 ; Corneau-Granger, 6 ; Corneau-Boulay, 11 ; Cormier, 28 ; Coudelou, 8 ; Vve Daveau-Chedereau,2 ;Vve Desbordes, 1 ; Vve Deschamps-Audebert.,1; Vve Sl-Jean-Champoiseau, 3 ; Delaroche fils, 8 ; Destem.5 ; Devilleret-Chevalier, 1 ; Dupuy-Corneau, 1 ; Faissole, 104; Gallois et Liger, 20 ; Gasnier, 2 ; Gauvry. 7 ; Gendron, 12 ; Hamelot, 2 ; Jahan fils, 46 ; Laboureau, i ; Mayault, 55 ; Habille, 3 ; Mery, 1 ; Poyard, 17 ; Phellion-Graslin, 2 ; Charles Roze et C", 24 ; Raimbault-Brossier, 4 ; Raimbault-Perré, 4 ; Simon du Petit-Bois et Vauquer, 75; Souche, 2 ; Thomas, 23 ; Vve Viot-Baudichon, 51 ; Vallée-Devilleret, 2. [E. 466.]
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Cette indication trouve un complément dans les comptes des gardes de visite. Ceux de 1783, se référant à l'année précédente, accusent une recette de 306 1. 16 s. pour les droits de marque des étoffes de soie, et une dépense de 132 L, soit 721. au commis de marque, 36 1. de chauffage, 121. pour le serrurier. Il y a en outre 12 1. attribuées au graveur; on venait en effet de faire exécuter une nouvelle marque portant, d'un côté, trois fleurs de lis et, de l'autre, le millésime. Les comptes généraux du même bureau nous renseignent sur les produits de la fabrique, qui ont reçu la marque. Nous y voyons pour l'année 1780, 7,454 pièces et coupons; pour 1781, 6,723; pour 1782, 6,136; pour 1783, 2,855; pour 1784, 5,422; pour 1785, 3,359; pour 1786, 3,042; pour 1787, 5,179. [E. 463.]
Puisque nous sommes à la question de la marque des étoffes, nous fournirons quelques éclaircissements à ce sujet. Au mois de mai 1786, parut une « Instruction pour servir à reconnaître les plombs posés aux draps dans les bureaux de visite et de marque». « Les plombs, y lisons-nous, dont on se sert pour marquer les draps, ont neuf lignes de diamètre ; ils sont frappés aux draps par le moyen de deux queues qui se tortillent ensuite, de sorte qu'il est impossible de les réapposer sans que l'empreinte en soit altérée ; la branche de jonction a 8 lignes, elle est marquée sur le dessin par une vignette formant des coeurs enlacés par deux petites palmes en sautoir et, sur le dessous, par 1786, un petit lion et un petit aigle de chaque côté du millésime ; on lit sur la tranche, d'un côté, Marque générale, et, de l'autre côté, du Commerce.
o II y a deux sortes de coins pour marquer les plombs. Les uns sont ronds pour les manufactures réglées, les autres sont octogones pour les fabrications
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libres. Ces coins ont neuf lignes de diamètre; les ronds portent pour empreinte trois fleurs de lys entourées des deux colliers des ordres du Roi ; celui de St-Michel est divisé par huit coquilles, la chaîne ou tortille de ce collier descend à droite et à gauche, et les coquilles répondent aux quatre H fleuronnées et aux quatre trophées d'armes du collier du St-Esprit, qui se trouve lui-même divisé par huit fleurs de lys fleuronnées et liées aux trophées d'armes et aux H par une petite chaîne, le tout entouré d'un grènetis. Le revers est composé principalement d'une inscription et d'une légende ; l'inscription porte ces mots en abrégé Man™* réglées, surmontés d'une petite fleur de lys. Au-dessous clu mot Réglées il y a une petite lettre italique qui désigne la généralité où est établi le Bureau de visite, le sceptre et la main de la justice au bas. Un petit ruban tortillé 46 fois entoure le milieu ; le mot Bureau occupe le haut de la légende, il est entre deux fleurs de lys, et le nom du Bureau occupe le bas, le tout entouré d'un grènetis.
« Le coin octogone porte pour empreinte une grande fleur de lys fleuronnée entourée également comme les ronds des colliers des ordres du Roi avec la même division ; il n'y a que le grènetis qui forme l'octogone. Le revers ne diffère des coins ronds que par l'inscription qui porte en abrégé Fabrication libre en toute lettre. Le ruban de ce revers se tortille 45 fois, le grènetis forme également l'octogone. Chaque coin a en outre un point de remarque particulier. Le Sr Gatteau s'en est réservé la connaissance, pour s'en servir lorsqu'en cas de contrefaçon, on jugera à propos de faire confronter les plombs soupçonnés avec les pièces originales. »
Un arrêt du conseil d'Etat, du 31 mai, modifia les termes de celui du mois de décembre ; au lieu de
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quinze lignes de diamètre, les plombs auront seulement neuf lignes. Il ordonna, en outre, qu'il ne serait perçu qu'un sol six deniers pour chaque plomb apposé sur les étoffes. Les nouveaux coins furent envoyés à l'inspecteur des manufactures, à la mi-juillet, avec mention de les a faire mettre en usage le plus tôt possible ». [C. 133.]
En conséquence, le 28 juillet, l'inspecteur Michel Huet de Vaudour se rendit au bureau général de visite et de marque. Il remit aux gardes-jurés les quatre coins nouveaux, deux pour la fabrication réglée et deux pour la fabrication libre ou arbitraire, avec les empreintes pour les bien reconnaître. De plus il déposa entre leurs mains « un petit baril des nouveaux plombs pesant 300 livres poids de marc et contenant 14,400 plombs, à raison de 48 plombs à la livre », en leur enjoignant de percevoir 1 s. 6 d. par chaque plomb, et d'en mettre deux sur les pièces et un seul sur les coupons. Le procès-verbal est signé de l'inspecteur et des gardes J. Abrassart, Buhourd d'Argis, Etienne Leroux et F. Delussay ». [C. 109.]
Et maintenant jetons un coup d'oeil d'ensemble sur la fabrique. Ce n'est pas seulement en ville que les métiers étaient installés ; les faubourg et les campagnes des environs s'emplissaient, du matin au soir, clu bruissement joyeux des petites cités ouvrières. Les localités, en amont et en aval, avaient bénéficié de ces avantages; Mais la manufacture de rubans, qui avait compté naguère 300 métiers montés, en 1776 n'en possédait plus que
1 Le total des plombs pour les années 1786-87 s'élève à 5S. 120, qui se répartissent ainsi: Tours, 32,800 dont 4,000 pour la soie et le reste pour la lainerie; beaumont-la Honce, 1,200; Châleau-du-Loir, 3,000; Le Lude, 1,000; Beaugé, 1,200; Angers, 2.920; Vihiers, 3,000; Cliolet, 2,400 ; Ludun, 2,200; Chinon, 1,200; Richelieu, 1,200; Mayenne, 3,000; Doué, 3,000. [C. 133.]
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60 et, dans ce nombre, étalent compris « les débris de l'établissement fait à Luynes », où dans les débuts se trouvaient une cinquantaine de métiers.
Au point de vue qui nous occupe, la petite ville d'Amboise, si célèbre par la couronne artistique dont son front est parée, ne doit pas être oubliée. Dans ses murs l'industrie toujours fleurit à l'égal des beaux-arts, et l'on y voyait, au milieu du xvme siècle, une manufacture de draps comptant 110 métiers. Vers 1760, on y installa « un établissement de fabrication d'étoffes de soie àdoubles croisières, destinées à faire des culottes ; elles sont faites sur un métier particulièrement composé et imitent celles travaillées à l'aiguille ou au métier. On les dit plus parfaites en ce que toute maille qui s'échappe ne coule point, comme aux ouvrages faits sur le métier; il y a eu dans l'origine 25 métiers montés. » Le document que nous citons ajoute : «mais on doute que cet établissement, qui va déjà en déclinant, ait le succès qu'on en espérait » L
Entrons à cet égard dans quelques détails. Parmi les fabricants de Tours, se trouvait Jacques Dupont, qui transporta ses « équipes » à Amboise avec l'espoir de réussir mieux qu'à Tours. Il s'installa au château et, le 8 janvier 1771, il adressa un mémoire à M. de Trudaine, afind'être.autorisé à fabriquer, « en toute sorte de largeur, toutes sortes d'étoffes de soyes écrue, cuite, fil, laine, coton et argent, à l'imitation de celles étrangères, comme aussi de faire teindre, dans sa manufacture, ses soyes et autres matières, et d'y employer tous les ouvriers dont il aura besoin, sans pouvoir être inquiété par qui que ce soit. »
Dupont installa, à Amboise, 30 à 40 métiers et se mit à l'oeuvre; mais, hélas ! le nerf de l'industrie ne
1 Tableau de la p>ovince de Touraine (1762-1766).
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tarda pas à faire défaut. Décrivit, à cet effet, à M. de Trudaine, en lui faisant observer que les étoffes sorties de ses ateliers sont fort recherchées et que partant il serait à propos qu'il pût accroître la fabrique; en conséquence, il sollicite une somme de 20 à 30 mille livres qu'il rendra dans l'espace de dix ans. M. de Trudaine fit réponse à M. Aubry, inspecteur des manufactures de Touraine, que Dupont ne doit pas se flatter de rien obtenir et le pria de lui rendre compte de l'état des choses.
La réponse ne fut pas favorable. « Comme le sieur Dupont a fait de mauvaises affaires à Tours, ce n'est pas une recommandation pour lui octroyer ce qu'il demande. D'ailleurs depuis très longtemps on fabrique de la draperie à Amboise, et il ne serait pas prudent d'y introduire la soierie, qui ne fait que végéter à Tours, malgré tous les éléments dont elle dispose. » [Arch. Départ. C. 109.] Nous ajouterons seulement que parmi les ouvriers en soie qui paraissent alors à Amboise, on remarque Lemaire, dont l'inventaire, dressé en 1771, renferme une grande quantité de vêtements de soie 1 .
Le succès de la fabrique, durant la période du XVIII 8 siècle, est dû, pour une bonne part, à l'habileté des dessinateurs. Les procédés de décoration introduits par Lancret Boucher, Watteau, Fragonard, et les autres maîtres devinrent comme le code usuel des fabricants. Que pouvait-on faire de mieux que d'appliquer au travail de la soie ces dessins d'un charme si particulier, se mariant à ravir avec les appartements et le mobilier ? Les vêtements, les tentures et surtout les
1 Cet inventaire a été communiqué à la Société Archéologique par l'èrudjt M. A. Gabeau,
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ornements d'église que l'on possède ne sont pas moins séduisants par la grâce du dessin que par la douceur et la science des tons, vers lesquels se porte si volontiers l'admiration de nos contemporains. De beaux spécimens des étoffes du xvme siècle, en particulier des ouvrages de la fabrique de Tours ont été recueillis avec soin par MM. Galais et Démonté. La collection du premier, dont nous parlerons en son lieu, a été achetée par le Musée des Arts décoratifs de Paris ; mais heureusement celle du second est restée à Tours et, dans la pensée du donateur, est destinée à former le noyau d'un musée d'art industriel. M.L. Roze possède également une belle collection d'étoffes de cette époque.
Nous aimons à le redire, le goût naturel clu Tourangeau, le sentiment inné cle l'élégance, développé par la vue des sites harmonieux, des palais somptueux et des oeuvres d'art de premier ordre, des remarquables séries de meubles, de tapisseries et cle tentures variées, n'a pas été le moindre facteur de cette floraison magnifique. Mais il convient d'ajouter que les maîtres de dessin savaient interpréter et mettre en oeuvre ce fonds de dispositions natives tout en s'inspirant des travaux des artistes de la Capitale. Les modèles peints sur papier transparent, qui sont parfois de vrais chefsd'oeuvre de conception et d'exécution, nous révèlent les signatures de Barrot (1720), de Riffe, de La Chèze, et de Villez (1746) ; plus tard, on remarque celui cle Trichard (1780). Le plus' connu est Louis Durand, que le contrôleur général signalait comme étant un artiste distingué. Le dessinateur, hélas! ne faisait pas fortune et, en 1768, il sollicita de l'administration un secours pour conjurer sa détresse.
Il est vrai que la question de propriété des dessins revenait souvent à l'ordre du jour. Les fabricants de Tours, ainsi d'ailleurs que ceux de Lyon, se plaignirent,
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à plusieurs reprises, de ce que l'on copiait leurs modèles. Le roi s'émut de ces justes doléances et un arrêt du conseil d'Etat du 14 juillet 1787 apporta un remède à la situation. Le souverain commence par proclamer que la supériorité des manufactures « est principalement due à l'invention, la correction et le bon goût des dessins ; que l'émulation qui anime les fabricans et dessinateurs s'anéantirait, s'ils n'étaient assurés de recueillir les fruits de leurs travaux ». En conséquence, afin d'assurer la propriété du travail et de stimuler le talent, il rendit l'ordonnance suivante :
I. — « Les fabricans qui auront composé ou fait composer des nouveaux dessins, auront seuls le droit de les faire exécuter en étoffes de soies, soie et dorures, ou mélangées de soie ; la durée de ces privilèges sera de 15 années pour les étoffes destinées aux ameublements et ornements d'église, et de6pour celles brochées et façonnées servant à l'établissement ou autre usage. — IL Deffenses à tous ouvriers de vendre, donner, ou prêter, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit, les dessins qui leur auront été confiés pour fabriquer, sous peine de 100 livres d'amende, de déchéance de la maîtrise, s'il y écheoit, même de punition corporelle. — III. Deffenses à tous dessinateurs et autres personnes, quelqu'elles soient, de lever et copier, faire lever et copier, directement ou indirectement, et en quelque façon que ce puisse être, aucun dessin sur des étoffes, tant vieilles que neuves, ni sur les cartes des dessins desd. étoffes, à peine de mille livres contre le dessinateur ou celui qui les a fait lever, et en outre de confiscation des étoffes fabriquées sur les dessins. — IV. Les dessins faits à la marche avec une chaîne vulgairement appelée poil, seront censés dessins et en conséquence compris dans ces défenses, comme ceux qui se font à la tire et au
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bouton. — V. Les fabricants devront présenter l'esquisse originale ou un échantillon à leur choix au Bureau de leur communauté, dont sera dressé procèsverbal de description sans frais. — VI. Faute de ce, ils demeureront déchus de toutes réclamations. » Un autre article porte interdiction « à tout fabricant de faire exécuter en étoffe de soie et dorure, ou en étoffe mélangée de soie, aucun dessin exécuté en papier peint ou autrement, sans s'être assuré si le dessin exécuté en papier ne l'a pas été en étoffe, sous les peines portées à l'article III. »
De tout temps l'émulation a été l'un des ressorts les plus puissants de l'activité humaine, et cette émulation a trouvé un heureux stimulant dans les concours et les prix qui les couronnent. Au cours de l'année 1787, la ville de Tours, désireuse d'encourager les diverses branches du travail, proposa « sept prix d'émulation suivant les intentions des chefs de province ». Trois furent attribués à l'industrie de la soie, à savoir « aux ouvriers qui auront fabriqué la plus belle pièce de gaze, l'une unie, l'autre brochée ; — à celui des ouvriers de Tours qui aura fabriqué la pièce de satin noir la plus parfaite et de la longueur de 40 aunes ; — à celui des teinturiers en soie qui aura teint en noir, delà manière la plus parfaite, 12 livres de soie. 11 y avait en outre les prix pour le menuisier ayant l'armoire la mieux faite, pour un élève de l'école de dessin, pour l'exposant des deux plus beaux poulains, et pour le producteur de la plus grande quantité de miel et de cire « de ses ruches ».
Ces prix devaient être distribués « solennellement en présence du corps municipal dans la grande salle de l'hôtel de ville, par M. le Maire, comme le représentant des chefs de la province », les uns, « le 16 mai jour du mariage de la royne, après une messe dans l'église des
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Carmes », les autres, le 23 août, « jour de la naissance du roy, après la messe célébrée annuellement en l'église du collège ». Le prix consistait en «la gravure du Roi la plus ressemblante, richement encadrée sous verre, ayant pour titre Emulation; et au bas : Fut-il jamais plus cher à tout Français; pour exergue autour du médaillon du roy : Père de ses sujets, il en est le modèle ». [C. 111.] L'un des lauréats du concours fut M. Jeuffrain, et le prix, que nous avons placé naguères à l'exposition de Tours, en 1893, est conservé précieusement dans la famille Jeuffrain, à Amboise.
La recette des droits de marque continuait à produire une somme assez importante. En 1787, elle s'élevait à 524 1. 12 s. 6 d. ; la dépense pour la manutention et la desserte du bureau montait à 136 1. Le préposé du bureau touchait 72 livres d'honoraires ; c'était alors M- Fay père, « nommé depuis plus de quarante ans par la voix unanime des gardes-jurés et de la communauté des fabricants ». [C. 133.]
Le souffle précurseur de l'agitation révolutionnaire traversait la France et paralysait progressivement l'activité nationale. L'industrie de la soie, qui est surtout un travail de luxe, ne fut pas la dernière à ressentir les effets de la crise. C'est à peine si, de loin en loin, on trouve la mention de quelque réception de maître. Le 18 février 1786, le lieutenant général de police, Valentin Loiseau, délivrait à Simon-Gatien-Pierre Gohuau, de Saint-Jean, des lettres de maîtrise « de fabricant en soye, laine, fil et coton » en la ville de Tours. En vain cherche-t-on quelque réception de compagnon. La fabrication des étoffes de soie cessa durant une vingtaine d'années. L'écho de cette situation douloureuse nous est envoyé par un document du 25 décembre 1789. Un administrateur de l'hospice, M. L. Cuau, écrivait, à
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cette date, à un collègue, qui était en même temps maître ouvrier* en soie : j'ai nommé « M. Pillet fils, administrateur de l'hospice général, carroy des Tanneurs ». « Depuis 1785 que je suis receveur de la Charité, disait-il, aucuns de Mrs les gardes vos confrères ne m'ont compté, ainsi qu'ils l'ont toujours fait à mes prédécesseurs, les droits dus à notre hôpital pour les réceptions des maîtres et apprentifs de votre communauté. Je vous prie donc instamment d'avoir l'obligeance d'en référer à votre Bureau. » [E. 465, 467.]
Au mois de février 1789, eurent lieu les élections des délégués chargés de choisir les députés aux états - généraux. Les ouvriers en soie choisirent pour électeur M. Cartier-Cuisnier, tandis que les passementiers désignèrent M. Mauzé. Le cahier des doléances du tiersétat de Tours, approuvé àla réunion du 8 mars, contient un article important au sujet de la manufacture. Après avoir demandé la suppression de certaines charges inutiles et l'extension de la juridiction consulaire, le cahier s'exprime ainsi : « Les députés demanderont qu'il soit incessamment fixé un règlement général pour les manufactures d'étoffe de soie duroyaume, dans lequel on évitera toutes distinctions entre elles. Cette uniformité est d'autant plus nécessaire pour rendre à la fabrique de Tours une partie de son ancien lustre qu'elle est grevée au profit de la ville d'un droit de 23 sols par livre de soie étrangère, droit si onéreux pour la fabrique qu'une seule maison peut justifier qu'il lui a coûté à elle seule plus de 350,000 livres depuis 50 ans. » Il réclame, en outre, « la suppression des droits cle marque, portés à 2 sols par plomb ; la suppression des commissions d'inspecteurs, comme onéreuse à l'Etat, l'inspection pouvant être faite sans frais dans chaque fabrique par des membres d'icelle expé-
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rimentés, » et la suppression des droits de réception qui grèvent les ouvriers ou leurs veuves L
La tourmente révolutionnaire passée, le travail national reprit son cours avec les énergies que le nouvel ordre de chose portait en soi, du fait des traditions anciennes et des réformes nouvelles. L'un des facteurs essentiels et l'un des éléments de vitalité de la fabrique de soieries consistait dans la culture du mûrier. Or de 1790 à 1800, nombre de mûriers périrent ou furent arrachés comme bois improductif. Sous le premier empire, le général-préfet cle Pommereul encouragea la production de la soie. Il fit installer des pépinières de mûrier dans le jardin de la préfecture et aussi à la souspréfecture de Loches. Sous la Restauration, la Société d'agriculture d'Indre-et-Loire, fidèle à sa mission et à ses louables traditions, encouragea puissamment la culture des mûriers. Après une première tentative infructueuse dans des terrains appartenant à l'hospice, cette Société adopta, en 1831, un excellent plan de pépinière départementale. Le sieur Ham père, qui le réalisa, reçut une allocation de 2,000 francs du conseil général. Mais cette organisation n'obtint pas le succès désiré, non plus que l'expérimentation essayée à la colonie de Mettray sous la direction de M. de Chavannes de la Giraudière. D'un autre côté, les terrains en contre-bas des remparts 'furent cle nouveau transformés en une pépinière, qui donna de beaux produits aux mains de M. de Costa, originaire du Piémont, de M. Sprecher et de M. Bonnebault ; les agriculteurs furent à même d'en tirer des sujets excellents.
De 1800 à 1847, la production moyenne de la soie
1 Le cahier du Tiers a été publié avec de savantes notes par M. H. Faye, avocat, dans les Bulletins de la Société Archéologique, t. IX, pp. 230-270.
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dans le département a été de 12,000 kilog. parannéeet le prix moyen du kilog. a été de 50 fr. 30 c. Les récoltes les plus riches se sont faites en 1837 et 1840. Le prix le plus élevé du kilog. de soie a été de 80 fr., en 1817 et 1818, et le plus bas, de 40 fr., en 1811-1813etl830-32.
La préparation de la soie suivit un progrès analogue. Ce fut d'abord la filature à la croisure, ou à la croisade, à la manière'du Piémont; puis le tournage à la marchette ou avec le pied, qui remplaça celui de la main, fut troublé par la Révolution et l'on vendit les moulins. En 1802, le préfet de Pommereul installa une filature à douze moulins système Vaucanson, dont la direction fut confiée à M. Armand-Noël Champoiseau ; mais les pertes éprouvées firent renoncer au travail. Du moins la maison avait formé de bonnes fileuses qui, encouragées d'autre part par les prix offerts par la Société d'agriculture, répandirent les meilleurs procédés de filage. De la sorte on produisit des soies supérieures de 4/5 et 5/6 cocons, propres à faire des trames et des organsins pour les diverses fabrications.
Plus tard, la vapeur apporta au travail de la soie le précieux concours qu'elle fournit si libéralement à toutes les industries.Une filature à vapeur fut installéeàTours, par M. Noël Champoiseau, et une autre à Sainte-Radegonde, un peu en amont. Les produits qui en sortirent pouvaient lutter avec les plus belles soies du Midi.
Le métier Jacquart, véritable trésor, fut pour l'industrie textile ce que l'imprimerie avait été pour les lettres et les sciences. Sur les bords de la Loire on se mit résolument à l'oeuvre avec l'espoir de voir briller quelque chose de l'éclat des anciens jours. On commença par fabriquer des étoffes courantes, rubans, cravates et gilets de soie dont une bonne partie prenait le chemin de la Bretagne ; puis progressivement
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on mit sur le métier des tissus plus importants. A l'occasion de son couronnement, Napoléon Ier, désireux de seconder les efforts des nouveaux fabricants, fit d'importantes commandes. En 1804, il fut employé 10,500 kilogrammes de soie et la vente s'éleva à plus de 120,000 francs. Les ouvriers reprirent courage et bientôt l'on compta 211 métiers ; par malheur une nouvelle crise réduisit le nombre à 175, chiffre qui marque la moyenne des années 1815 à 1834.
La fabrique comprenait : en 1807, 211 métiers en neuf maisons fournissant environ pour 800,000 francs d'étoffes; en 1814, 175 métiers avec neuf maisons; en 1827, 106 métiers avec quatre maisons; en 1837, 150 métiers avec trois maisons ; en 1847, environ 200 métiers avec trois maisons i. Pour cette année 1847, le tableau des soies employées accuse en soie organsin 10 kilog. 030, trame fine 142 k. 450, bengale 70 k. 980, peigne de soie 20 k. 075, soie torse ou cordonnet 15 k. 080, poil de chèvre 5 k. 500, et cartisane 42 marcs. Pour l'année 1856, la statistique donne en soie organsin 42 k. 700, trame fine 759 k. 595, peigne de soie 48 k. 150, fleuret simple 96 k. 800, poil de chèvre 18 k. 940, et cartisane 150 k.
Dans l'intervalle, en 1813, M. Champoiseau avait fondé une manufacture pour ouvrer la soie et la rendre propre à la fabrication de la trame et de la chaîne des tissus. Sous le gouvernement de juillet, les ateliers acquirent une activité nouvelle. Au premier rang des fabricants, résolus à mettre tout en oeuvre pour relever la manufacture, il convient de placer MM. Meauzé et Cie. Sans négliger leur fabrique de passementerie, ils se prirent à confectionner les belles étoffes de soie, telles
1 Note de M. Champoiseau,au Congrès scientifique de Tours en 1847..
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que damas, brocatelles, lampas et popelines moirées. D'autres fabricants se mirent à l'oeuvre; MM. Pillet et Roze et Fey et Martin exécutèrent les tissus d'ameublement avec un succès qui répondit pleinement à leurs efforts.
Aux expositions universelles de Londres en 1852, et de Paris en 1857, les soieries de Tours, représentées par les envoisde MM. Pillet-Meauzé et Fey et Martin, soutinrent dignement l'antique réputation de la manufacture. A l'exposition universelle de Paris, en 1857, les produits de la fabrique tourangelle marchaient de pair pour la beauté et la pureté des tissus avec les soies les plus magnifiques ; aussi le jury, dans son désir d'être juste, attribua la même récompense aux fabricants de Tours et de Lyon.
Aux âges précédents, les dessinateurs avaient joué un rôle de tout premier ordre au point de vue du renom et de la prospérité de la fabrique. Il devait en être de même en nos jours, où le goût des arts du dessin pénètre de plus en plus les couches de la société. Au commencement du siècle, nous voyons le directeur de l'Ecole des Beaux-Arts de Tours appliquer son talent et son temps à exécuter des dessins et des mises en carte pour les ateliers. Rien ne l'arrêtait quand il s'agissait d'interpréter, sur carton quadrillé, les modèles avec leurs nuances délicates qui devaient être reproduits par la soie à l'aide du métier Jacquart. A l'école de Raverot se forma M. César Galais, dont l'habileté surpassa celle du maître et qui consacra près d'un demi-siècle au travail du dessin et de la mise en carte, pour les fabriques de Tours. Etudes persévérantes, voyages répétés, visites des musées et des oeuvres remarquables du passé, labeur du jour et de la nuit, rien ne coûta à M. Galais pour atteindre au degré de sincérité qu'il rêvait. A l'exposition de Tours
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de 1841, le rapport du jury des récompenses mentionna « M. C. Galais, le jeune dessinateur, d'un rare talent, dont les mises en carte sont exécutées avec une remarquable perfection, une grande intelligence : ses compositions sont faites avec goût et conviennent parfaitement au genre actuel ; le jury se plut à reconnaître que cet artiste soutient avantageusement la concurrence avec les meilleurs dessinateurs de Paris et de Lyon ». Jusqu'à sa mort, arrivée en 1891, M. Galais ne cessa des'inspirer des meilleures traditions de l'art ancien qu'il appliquait aux besoins nouveaux avec une entente parfaite de la décoration; et celle-ci, selon les expressions du rapport de l'Exposition universelle de Paris en 1855, imprima « une grande pureté et un cachet particulier de bon goût aux nombreuses productions de la fabrique de Tours ».
Actuellement la manufacture deTours compte en viron 300 ouvriers et ouvrières. Elle a pour « maistres-fabricants », comme on disait jadis, M. Louis Roze, qui a eu l'excellente pensée de réunir de beaux spécimens de soieries anciennes et de curieux objets se rapportant à la fabrication d'autrefois; MM. Combé et Delaforge, " qui ont succédé à M. Poirier et à M. Démonta, lequel a légué à la ville sa remarquable collection d'étoffes de soie pour former un musée d'art industriel ; et M. Elie Croué, qui est en même temps un lettré distingué. Noblesse oblige : fidèles aux glorieuses traditions de la fabrique tourangelle, les chefs de maison s'appliquent à donner aux tissus toute la perfection et toute la beauté désirables ; ils excellent dans l'art de réaliser les superbes étoffes d'ameublement où l'on ne sait qu'admirer le plus des grâces du dessin aux arabesques élégantes, ou des charmes des couleurs, dont le chatoiement le dispute aux visions les plus enchanteresses.
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XIII
A TRAVERS L'HISTOIRE. TRAVAIL, MOEURS, LUTTES ET COUTUMES
Dans l'ordre social aussi bien que dans la nature, il y a place pour l'axiome antique Nihil per saltum. Ici et là, les conclusions découlent des prémisses et l'évolution des énergies natives se réalise d'après un plan sagement ordonné. N'empêche que, à certains égards, les progrès de l'humanité ne soient dus parfois à des mouvements imprévus, qui ressemblent à des bonds dont les causes et les conséquences déconcertent les calculs les plus ingénieusement combinés. Après une longue route dans la voie battue ou dans l'ornière creusée par la foule, on dirait d'un réveil subit et d'un élan magique qui réaliseront un pas gigantesque et une étape particulièrement féconde, au profit de la civilisation, en attendant que la routine reprenne son empire et aboutisse, à son tour, à une nouvelle envolée. Le génie est le facteur normal de ces éclosions superbes, dont on peut dire avec le poète que l'admiration populaire « ne saurait d&ns ces floraisons reconnaître le travail des masses ».
Les lettres, l'éloquence, la philosophie et l'économie politique ont brillé d'un éclat merveilleux par les oeuvres de Platon, de Lycurgue, d'Homère, de Virgile, de Justinien, de Chrysostome, d'Augustin, de Boèce, d'Alcuin, de Dante, de Pétrarque, de Rabelais, de Corneille, de Leibnitz, de Bossuet, de Montesquieu, de
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Chateaubriand, de Lacordaire, de Lamartine, de Musset, de Hugo et de Balzac. Les sciences avec leur application aux nécessités de la vie ont rencontré des pionniers de premier ordre dans Aristote, Averroôs, Roger Bacon, Copernic, Galilée, Descartes, Newton, Lavoisier, Claude Bernard et Pasteur. Dans la carrière des arts plastiques, les sommets, qui jalonnent le sentier ardu tracé par les Muses, sont éclairés par les rayons de maîtres tels que Praxitèle, Phidias, Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, Corrège, Rubens, Murillo, Lebrun, Puget, Houdon, Prudhon, Ingres, Delacroix et Puvis de Chavanne.
L'art industriel, à son tour, a subi d'autant plus complètement la loi que nous énonçons que ses progrès sont plus intimement liés au développement cle la mécanique, et que celle-ci pivote autour des découvertes conçues dans les méditations et les expériences du cabinet, du laboratoire ou de l'atelier. Le tissage des étoffes, pour rester dans les limites de notre sujet, mesure ses progrès par les étapes où se dresse comme en vedette un métier, lequel, à l'instar de la Minerve échappée du cerveau de Jupiter, est sorti, pour ainsi dire, tout équipé de la tète d'un inventeur de génie.
Depuis le jour où, sous l'inspiration de Minerve, déesse des arts, l'homme créa le premier métier de tissage, de longs siècles s'écoulèrent sans que l'humanité connût d'autre instrument. Qui ne se souvient du VIe livre des Métamorphoses, dans lequel le poète représente Pallas et l'habile fille de Colophon en Ionie occupées, dans un concours redoutable, à figurer sur la toile des aventures mythologiques? « Elles commencent par tendre les fils légers formant une double série et les attachent au métier en les séparant par un roseau. Puis la navette de buis, poussée par les doigts agiles, forme la trame, qui se déroule en s'entrelaçant
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avec la chaîne, à laquelle elle s'unit sous les coups du peigne aux dents aiguës ; les couleurs, préparées dans des vases d'airain, se marient avec une délicatesse telle que l'oeil a peine à distinguer les nuances, à l'instar des merveilleux reflets de l'arc-en-ciel. Sous leurs mains, l'or flexible se mêle à la toile, et les antiques traditions revivent harmonieusement sur l'étoffe ». Le mécanisme rudimentaire, décrit par Ovide, est demeuré l'apanage des ouvriers jusqu'à l'aurore des temps modernes. Simple pour le travail des tissus unis, le métier à haute lisse ou à la tire, pour l'exécution des étoffes brochées, était plus compliqué et comprenait une série de cordes et de poulies ; des manoeuvres servaient à tirer les samples pour lever les fils de soie. Enfin, à l'aube du xixe siècle, Jacquart inventa l'admirable métier qui simplifie si parfaitement la besogne. Entre ces deux dates extrêmes se déroule le travail de la soie.
Cette histoire, nous l'avons esquissée au cours de ce livre et nous ne pouvons qu'en résumer les grandes lignes. Après avoir été longtemps le monopole de l'Orient, la soie, sur l'aile des bombyx ou dans la canne de bambou des missionnaires, émigra en Europe, qui dès lors ne fut tributaire que d'elle-même. La Grèce, la Sicile, l'Italie et la Provence eurent leurs ateliers qu'elles entourèrent de soins jaloux. Il était réservé au monarque, entre tous doué de puissantes initiatives au service d'une volonté indéfectible, de doter le centre de la France de cette industrie. En 1471, en dépit de la résistance des divers corps de la ville, Louis XI installa ouvriers et métiers, qui devaient prendre un magnifique accroissement et rivaliser bientôt avec les manufactures les plus renommées du globe. Des règlements salutaires servirent tout à
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la fois à protéger le travail contre les entreprises rivales et les maîtres contre leurs propres écarts : rien n'était laissé à la fantaisie ni même à l'initiative privée, et un jour vint où ce cadre, trop étroit pour les moeurs et les besoins nouveaux, fut brisé au profit du travail libre et de la concurrence du monde entier, devenu comme un immense marché.
On ne sera pas surpris des succès de la fabrique si l'on songe au milieu dans lequel elle grandit. La Touraine avec son ciel bleu, ses jolis cours d'eau, ses collines harmonieusement ondulées, ses jardins, ses parcs et ses manoirs enchanteurs, ses habitants aux moeurs douces et polies, aux facultés souples et éprises du beau, n'est-elle pas la Toscane de la France, et Tours n'est-elle pas comme une autre Florence assise sur les rives délicieuses cle la Loire ? Cela était plus vrai encore à l'époque où les princes de Valois n'avaient rien à envier aux Médicis, dans la protection accordée aux arts et aux artistes. La cité, clans laquelle Foucquet, Poyet, Bourdichon et les Clouet tenaient le pinceau avec tant d'éclat, Michel Colombe, Guillaume Regnault et les Juste maniaient le ciseau avec une telle supériorité, où tout, dans l'orfèvrerie, la tapisserie, la marqueterie, la dinanderie et les arts les plus variés présentait le cachet du bon goût, ne pouvait que figurer au premier rang dans le travail des étoffes de soie, d'or et d'argent. Des ouvriers intelligents et actifs sous la direction de maîtres exercés, guidés eux-mêmes par des dessinateurs d'élite, devaient aboutir à cette floraison éclatante qui caractérise la première moitié du xvie siècle.
Il était déjà loin le temps où Charles VIII, soit pour endiguer l'amour du luxe, soit pour donner satisfaction à la noblesse, porta l'édit de 1485, par
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lequel il défendit l'usage des étoffes d'or et d'argent atout bourgeois ' qui ne jouissait pas d'un revenu de 2,000 livres. L'Église, à son tour, adoucit l'austérité de ses premières défenses. Dans le concile de la province de Touraine, tenu à Angers en 1365, on avait réglé, entre autres objets, le costume ecclésiastique : il avait été décidé que le clergé séculier et régulier devrait porter « un vêtement long conforme à sa profession », et bannir « les habits de soie ou cousus d'une soie de couleur différente du vêtement aussi bien que le manteau ou cape de même ». Mais, à mesure que l'industrie de la soie se répandit, les canons tempérèrent leurs rigueurs et, dans la suite, cette défense disparut des règlements ecclésiastiques. On ne la retrouve plus, notamment, dans les statuts si détaillés, portés en 1537 par l'archevêque de Tours, Antoine de la Barre 1.
D'ailleurs, toutes les classes luttaient d'empressement à favoriser cette industrie, comme elles rivalisaient de goût pour l'achat des belles soieries. A l'instar de la cour, les hôtels des seigneurs et des bourgeois formaient comme un cadre ravissant de grâce dans lequel s'épanouissaient les robes de velours et les pourpoints de satin brodé des gentilshommes^ des nobles châtelaines. Les fêtes religieuses ne connurent bientôt plus que des ornements de draps d'or, d'argent ou de soie sortis des fabriques tourangelles. Le prélat grand seigneur fut suivi par le curé citadin, puis par le recteur campagnard, et bientôt chaque église eut sa chasuble ou sa chape de soie ; ce spectacle n'allait pas sans une douce et légitime fierté pour nos aïeux, toujours empressés aux solennités civiles et religieuses.
' Maan, Sancta et Metropol. Ecoles. Turonensis, 11° part., p. 92, 145, — Clocas sericatas sive consutas deserio allerius coloris quàmfuerit cloca vel manteltus seu cappa. — Art. XX.
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Il n'est pas jusqu'aux solennités funéraires qui contribuaient, pour leur part, à faire valoir la manufacture. Les cérémonies célébrées au château d'Amboise à l'occasion des obsèques de Charles VIII, au mois d'avril 1498, se firent avec une majesté vraiment royale. D'après « le dispositif de l'ordre et des cérémonies », on devait placer sur le cercueil « un drap d'or traînant en terre, auquel y aura un bord de velours bleu, orné de fleurs de lys d'or et bordé d'hermines, et une croix blanche dessus. Sur lequel drap et corps sera mis un carreau de drap d'or à l'entour de la tête où sera la couronne, le sceptre et la main de justice, et aura dessus un poêle de velours noir, à une croix blanche ». Les draps d'or et de velours de la fabrique avaient servi à vêtir le roi en son vivant ; après sa mort, ils contribuaient à rehausser l'éclat de la pompe funèbre.
Que ne nous est-il donné de faire revivre, comme par une évocation magique, les splendeurs des palais et des manoirs dans lesquels le chatoiement des étoffes irisait de nuances infinies les grandes salles, discrètement éclairées par les flammes du foyer et par la lueur des torches ! Quels charmes nous goûterions à voir passer sous nos yeux, au milieu des meubles somptueux, le cortège des costumes étincelants sortis des ateliers des tisseurs et des brodeurs tourangeaux ! Quel décor de féerie que celui des galeries et des salons des châteaux de la Loire, de la Vienne, du Cher, de l'Indre et de l'Amasse, et comme nous serions éblouis par la magnificence des résidences d'Amboise, de Chinon, de Chaumont, de Langeais, deChenonceau, d'Azay-le-Rideau, d'Ussé et de Champigny, pour ne mentionner que les principales! Les bourgeois et les gentilshommes, aussi bien que les princes et hauts suzerains des provinces de l'Ouest, se plaisaient à commander à la manufacture
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de Tours les tissus pour leurs meubles et leurs vêtements. Aussi bien une visite de ces châteaux seraitelle le complément obligé de l'étude de la fabrique tourangelle; mais, hélas! ces merveilles se sont évanouies comme le rêve d'un beau jour.
Si nous avons le regret de ne pouvoir évoquer autrement que par l'imagination la magnificence du train de maison des Bohier, des Berthelot, des d'Amboise, des d'Espinay, des Bourbons-Montpensier et des autres Mécènes, du moins sommes-nous plus heureux en ce qui regarde l'un des plus puissants seigneurs de l'OuestJ'ai nommé les La Trémoïlle qui occupaient à la cour une situation considérable et possédaient des domaines importants, notamment à l'Ile-Bouchard en Touraine, et à Thouars en Poitou. Tout naturellement eux aussi, ainsi qu'en font foi leurs comptes, venaient plus d'une fois frapper à la boutique des marchands de Tours. Or les inventaires, soigneusement rédigés, du château de Thouars ont traversé les siècles et sont soigneusement conservés dans les riches archives de M. le duc de La Trémoïlle, chez lequel la haute noblesse et les antiques traditions de famille sont rehausées par le savoir et par le culte éclairé des lettres et des arts.
Le puissant seigneur de Thouars, Louis de La Trémoïlle perdit sa femme, Gabrielle de Bourbon, en 1516. On fit à la défunte les obsèques les plus solennelles. Il va de soi que l'on s'adressa pour les préparatifs au chef-lieu de la province. Pierre Mervache, « peintre demeurant à Poitiers », peignit plusieurs centaines d'écussons, ainsi qu'on le voit par son reçu du dernier novembre 1516. Pierre de Rays, marchant à Thouars, et Laurent Berruyer, « marchant de draps de soye à Poictiers », firent diverses fournitures. La capitale de la Touraine fournit son appoint et Thibault Tardif,
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« marchant à Tours », toucha 25 écus soleil pour « les velloux satin, toille d'or et camelet d'or, et aultres choses », suivant sa quittance du 8 décembre 1516.
Si nous feuilletons les inventaires, par exemple celui de l'année 1553, nous y voyons une profusion incomparable d'étoffes d'or, d'argent et de soie. Salons, galeries, cabinets, chambres, garde-robes, bibliothèque, vestibules, garde-meubles étincèlent de l'éclat des tissus les plus riches et les plus variés, parmi lesquels les soies, les damas et les velours occupent le premier rang. Tentures, lits, sièges, coussins, pavillons, pantes et draperies de toutes sortes sont comme une féerie pour les yeux. Nous cueillerons, comme au hasard, dans ce parterre d'étoffes aux couleurs chatoyantes. Ce sont ici « cinq grandes pièces de damas vert et rouge à devises de lettres V et R d'orfavrye, sept autres pièces de taffetas rouge et une grande pièce de taffetas incarnat à feuillage et oiseaux, » qui forment tenture ; là, « trois quarreaulx ou coussins, de drap d'or rouge, deux de velours cramoisy à C entrelacés, bandes et lozainges d'orfavrye ; quatre quarraux de velours bleu semés de fleurs cle lys, ou de soye violette, et deux autres de drap d'or frizé de viollet les dessoubz de satin viollet ». Les sièges sont richement tendus et, parmi la série sans nombre, nous relevons comme spécimen « une chèze de velours ver a broderye de drap d'or, une de drap d'or figuré de velours cramoisy, une de velours jjaulne figuré garnise de devises L et G (initiales de Louis de La Trémoïlle et de Gabrielle de Bourbon) et une de toille d'argent faicte à broderye ».
S'agit-il des dais et baldaquins, nous remarquons « un ciel de taffetas incarnat à broderye ; un de drap d'or figuré de velours viollet frangé de soie vert et fil d'or ; un de drap d'or figuré de velours cramoisy
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avecques bandes de velours bleu à broderie en toille d'argent, partye de frange de soye cramoisye bleue et fil d'or et partye à petites franges de fil d'or ; un de damas rouge couvert d'orfevrye à papillottes d'argent, un de satin broché tanné et de velours noir frangé de gris et noir ; un de velours vert à passements d'or et d'argent ». Nos regards se reposent avec complaisance sur des ciels « de velours avec franges de soie noire ; de satin jaulne découpé de velours noir ; de drap d'or et de satin broché viollet et blanc, led, blanc semé de chiffres ; de satin blanc et viollet et damas blanc, le fond de taffetas bleu frangé de serge blanche, jaulne et violette ; les pantes de damas gris et rouge, de drap de velours vert à V et R, et chenettes d'orfevrye frangé de soye rouge vert et fil d'or, de velours cramoisy et vert et draps d'or ».
Enfin nous voyons « un lit au ciel de velours viollet cramoisy semé de LL et GG et entrelacé de fil d'or et frangé de soyeblanche viollet et fil d'or, garny de troys rideaulx de taffetas blanc et bleu avec bandes de velours viollet cramoisy et satin noir à quarrraulx de cordelières et chiffres faits de broderye, le viollet à lonzanges semées de pennes, servant à la chambre de Pan vers la rivière». Si nous avions le loisir de nous attarder, nous mentionnerions les pantes « de damas rouge, de taffetas rouge, de taffetas rouge, paille et incarnat, de velours figuré de jaune et viollet, et de velours cramoisy, » les courtepointes « de damas rouge, de taffetas blanc, de taffetas rouge, de taffetas vert et rouge, » ainsi que les couvertures « de taffetas jaune à fleurs, à bandes de velours blanc et rouge, de taffetas rouge avec fil d'or, » enfin une merveilleuse profusion de tissus, rehaussés « d'ouvraiges » les plus exquis.
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La beauté des étoffes et la réputation européenne dont elles jouissaient étaient pour la capitale de la Touraine un motif flatteur d'en faire des présents, toujours appréciés, aux hôtes qu'elle souhaitait honorer, ainsi que nous l'avons vu dans les chapitres précédents. Nous ferons remarquer que les usages d'antan ont refleuri sous nos yeux, dans une ville où les soieries constituent la principale industrie, à l'occasion de la visite faite par le chef de l'État, pour l'inauguration du monument de M. Carnot. En cette circonstance, la chambre de commerce de Lyon a offert à M. le Président de la République des pièces de velours et de soie brochée et damassée, d'une grande valeur artistique. Il est vrai que la cité lyonnaise n'a pas songé à y ajouter un présent du genre de celui que Tours octroyait, en pareille occurrence, à un puissant visiteur. En 1570, outre « le vin blanc de Vouvray », la ville offrit au maréchal de Cossé « 600 pieds de mûriers, 100 poiriers, 25 pêchers et 25 abricotiers ». [Archives de la mairie, Reg. des délibérations, t. 87.]
La prospérité de l'industrie, l'accroissement de la fortune et l'extension des relations placèrent les principaux fabricants et marchands de soie dans une situation enviable ; ils tinrent bientôt le haut du pavé de la bourgeoisie, et plus d'une fois les gentilshommes et même les princes firent appel à leur bourse. On n'a pas oublié comment les de Beaune, les Bohier, les Briçonnet, les Berthelot, les Morin et maints' autres ont leur berceau dans cette classe. Les arts ne furent pas les derniers à bénéficier de cet essor auquel la Touraine doit ses merveilleux châteaux, et aussi les plus jolis hôtels de sa capitale.
Les guerres intestines de la seconde moitié du
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xvie siècle jetèrent le désarroi dans la ruche ouvrière, en inquiétant les fabricants et les acheteurs. L'usure infâme se tenait à la porte, prête à profiter de la gêne, et ses séides, pareils aux vautours qui planent sur le champ de désolation, fondirent sur les malheureuses victimes de l'industrie et du commerce. Dans le cahier des doléances de la Touraine aux états généraux d'Orléans en 1560, le clergé, au nom du « troisième estât populaire », prit l'initiative d'une protestation contre « aulcune espèce d'usure, sur peine de punition corporelle et de privation de tous et ung chascun ses biens ».
La situation de la manufacture à la fin du xvi° siècle nous est révélée par les doléances, transmises aux états de Rouen, le 30 octobre 1596. Comme on ne saurait trop recourir aux documents contemporains, nous citerons ici les « Articles qui ont esté par ordonnance et délibération du corps de la ville cle Tours, du sixiesme novembre mil cinq cens quatre-vingt-seize, ordonnez estre adjoutez au cahier des remonstrances baillées au sieur des Vaux, l'ung des dépputez de la dite ville pour aller à l'assemblée des Etats à Rouen ».
« Parce que la ville de Tours estoit il y a trente ans grandement peuplée et remplie de plusieurs estaz de mestiers, entre lesquelz celluy de l'art de la soye estoit sy grand qu'il y avoit plus de huit cens maistres ouvriers et six mil compagnons, et douze mil personnes qui vivoient de l'art de la soye, tant pour esmonder, dévider, moulliner, que teindre en toutes coulleurs les dictes soyes qui donnoient à vuivre à tous les autres estaz de la dicte ville, qui leur vendoient et débitoient tant vuivres que marchandises pour leur entretenement et de leur famille ; et maintenant par le malheur des guerres cruelles et des bancques et associations, que quelques jDarticuliers marchants ont faictz
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avecques les estrangers pour arrester toutes les soyes en Italie, il a esté impossible aux d. maistres ouvriers de pouvoir avoir des d. soyes, en sorte qu'ilz ont esté contrainctz pour la pluspart de quitter leur d. maîtrise, et ne se trouvent à présent que environ deux cens maîtres et point de compagnons, tellement que à ce moïen la d. ville est fort dépeuplée et appauvrie, voire de plus des deux tiers, et tous les autres états en ressentent grandes incommoditez ; de sorte que pour remettre l'art en sa première splandeur et tous autres estaz, en conséquence. Sa Majesté sera suppliée de faire deffence que toutes associacions de bancque ne se facent plus et que pour le temps de cinq ans il ne soit loisible sinon aux d. ouvriers de pouvoir acheter des dites soyes sur peine de confiscation et de 500 livres d'amende contre ceux qui y contreviendront. Pareillement qu'il soit interdit et deffendu l'entrée en France des marchandises de draps d'or, d'argent et de soye manufacturées, ou du moins les charger de si grosses taxes et impostz que cela ne puisse empescher la fabrication des cl. soyes en la ville, d'aultant que par l'achapt des d. marchandises manufacturées venant des pais estrangers, il sort chascun an hors du royaume deniers clairs, plus de six millions d'or, desquelz les ennemis espaignolz se prévallent, tant à Lyon, Gennes, Millan, que aultre ville, pour faire la guerre contre la France, il seroit besoing pour le bien du royaume que l'apport et trafficq de toutes soyes mises en oeuvre fut deffendue ». [Archives de l'hôtel de ville.}
Du moins, la vitalité de la manufacture, entretenue par la protection de Henri IV, de Richelieu, de Colbert, de Choiseul et du Cluzel, réussit, non sans ressentir de douloureuses atteintes, à triompher du mal interne et externe dont elle souffrait. Dès le 20 juillet
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1605, le gouvernement accorda l'autorisation de fabriquer certaines étoffes à la façon de [Gênes. Un historien de Touraine écrivait au milieu du xvne siècle : « Les Tourangeaux s'occupent pour la plus grande partie à la soye, aussi bien qu'en Italie, art qui est à présent si bien estably que c'est une des plus belles manufactures du monde ; ils excellent particulièrement en draps d'or, d'argent, de soye et de laine, voire en passemens de toutes sortes, comme aussi dans la teinture en toutes couleurs. » En outre, à Luynes, « on voit quantité de passementiers en soie, qui travaillent la plupart dans les caves creusées dans le roc, au long du costau qui regarde la rivière de Loire ' . »
Les ouvriers étaient installés, non seulement dans les faubourgs, mais encore dans les localités environnantes. Tout naturellement ces derniers tentèrent de se donner une sorte d'autonomie. Au mois de juillet 1579, ceux qui demeuraient « au bourg de Maillé » (Luynes) obtinrent du roi des lettres patentes en vue d' « establir ung corps dud. estât aud. lieu et nommer des maistres-jurés pour visiter'leurs ouvroiges ». La communauté de Tours fit des démarches auprès de la municipalité en l'engageant à prendre les moyens d'empêcher l'entérinement desd. lettres. L'assemblée décida d'agir dans ce sens. [Archives de la mairie, Reg. des délib., t. XXL]
Le passé est le domaine de la variété dans les coutumes aussi bien que dans les costumes. On sait comment chaque corporation avait ses usages, parfois anciens, souvent pittoresques et toujours enracinés dans les moeurs. Il est vrai que les divertissements n'allaient pas sans désordres ni accidents'. Au printemps de 1579
1 Martin Marteau, Le Paradis délicieux de Touraine, 1651, p. 36, 66.
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(a. s.), des ouvriers en soie revenaient de Saint-Cosme, le jour de « Caresme-prenant ». Il y eut une bagarre, dans laquelle les clercs du palais, accompagnés d'autres citadins, tuèrent un des ouvriers. Ce fut le point de départ d'une vive effervescence et l'occasion de réunions tumultueuses, dans lesquelles les ouvriers se signalèrent par leurs vivacités. L'administration s'en émut et, le 6 mars, une réunion se tint aux Jacobins afin d'aviser aux moyens à prendre « contre les assemblées faictes par les ouvriers en draps de soye ». [Archives de la mairie, Reg. des délib., t. XXL]
Les ouvriers en soie avaient hérité, entre autres, d'une coutume étrange à laquelle ils tenaient tout particulièrement. Le mardi.gras, ils s'assemblaient armés de hallebardes et prenaient possesssion de la porte de Sainte-Anne, à l'extrémité ouest de la ville. A tous les gens de pied ils interdisaient l'entrée et la sortie, en les contraignant àpayer une redevance qui permettait de fêter gaiement le carnaval. Il s'ensuivit, à maintes reprises, des scènes de désordre auxquelles la municipalité chercha de mettre un frein sans y réussir. En 1671, le retour du mardi gras allait ramener les mêmes conflits quand l'intendant Voisin de la Noiraye résolut d'y couper court par des mesures préventives. Dès l'aube, il fit occuper la porte par deux compagnies d'arquebusiers; devant la force il fallut s'incliner et la coutume disparut, aux regrets des ouvriers en soie, voire même des habitants, toujours attachés aux pratiques singulières et légèrement excentriques.
L'entrée dans la confrérie était accompagnée d'un ensemble de formalités qui accusent tout à la fois l'esprit de l'époque et le caractère de la corporation. Par exemple, au mois d'août 1688, nous assistons à une ré-
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ceptionpar les « maîtres et gouverneurs de la confrérie de Saint-Louis ». Ils délivrent à l'élu une pièce ainsi conçue : « Nous certifions avoir noblement reçu François Lefebvre maistr.e dud. état, après qu'il nous a été certifié de prudomie, et être français suivant l'ordonnance, par nous trouvé capable et expérimenté, et que les ordonnances dud. état lui ont été lues, lesquelles il a promis, comme aussi lui avons enjoint, garder, observer et entretenir de point en point et de ny contrevenir, ains suivant icelles se gouverner comme il appartiendra, sans faire aucune manufacture préjudiciable aux privilèges dudit état; portera honneur et révérence aux gardes, tant présent qu'à l'avenir ; les avertira des abus et malversations qu'il saura être faictes au préjudice de lad. marchandise tant par les marchands merciers et drapiers, que marchands forains, courtiers et autres quelconques, sitôt que led. abus viendra à sa connoissance. Ne ferasemblablement aucune société ni compagnie avec aucune personne s'ils ne sont marchands, merciers, épiciers et drapiers, reçus maistres etrésidanten cette d. ville, ne fera aucune commission, et ne prêtera sa marque pour ni à qui que ce soit, tiendra boutique ouverte et tapis sur rue en cette d. ville ou dedans le palais, et ne pourra tenir ni autre pour lui qu'une seule boutique, banc en échope du dit état en cette d. ville de Tours, ou dedans le palais, dehors ou es fauxbourg; ne prendra aucun aprentif qui soit marié durant icellui, ou qui soit étranger, ce qui est expressément défendu par les statuts et ordonnances, ,et nous avertira et nos successeurs gardes aud. état, des serviteurs qu'il aura à son service, lesquels seront vrais françois : et s'il se veut servir d'aucuns étrangers, ne le pourra prendre que pour deux^ans seulement afin qu'ils ne puissent acquérir le privilège et dont led. maistre sera tenu de les
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avertir afin aussi qu'il ne puissent dire qu'ils ayent été trompés, et ce dans quinzaine après qu'ils seront entrés à son service, pour le droit de service desd serviteurs françois être payés tant au Roy nostre sire, qu'à la d. confrérie et communauté à peine de recourir sur lui; ne contreportera ni ne fera contreporter aucunes marchandises dans les fauxbourgs ny dans les hôtelleries, gardera les commandements de Dieu et observera ceux de l'église, sans exposer ni vendre aucunes marchandises les jours de dimanche et testes, sur les peines portées par les ordonnances, pour ouvrir et lever noblement lad. boutique banc ouéchope dud. état en cette d. ville de Tours, palais ou fauxbourgs dicelle à la charge par ledit Lefebvre de payer la somme de.... entre les mains cle... pour le droit royal à nous apartenant et réuni à nostre communauté suivant les édits, à la charge aussi de faire prêter le serment, et de se faire recevoir à M. le lieutenant général de Police audit Tours, et de payer et continuer dorénavent par chacun an dix solz parisis à lad. communauté, aux jour et fête sainct Louis, ou lors de la queste d'icelle : le tout cy dessus sur peine de perdre son droit au dit état. — En témoins de ce nous avons fait mettre à ces présentes les scelz du dit état, et le seing de nous à ce commis, l'an mil six cens quatrevingt huict le 19e jour d'aoûst ' . »
De 1668 à 1774, le nopibre des compagnons reçus a été de 4246. Les femmes, dites compagnonnes, sont comprises dans ce chiffre. Jusque vers 1740, le nombre des femmes reçues était peu important, mais à partir de cette période, il prend un accroissement si considérable qu'il finit par l'emporter sur le nombre des hommes. Il est vraisemblable que ce développement
1 Bibl. de Tours, ms. 1240.
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féministe, comme on dirait aujourd'hui, tient au genre des étoffes que l'on fabriquait à ce moment.
La réception de l'apprenti se faisait par contrat passé devant notaire, ainsi que nous le voyons par cet acte du 7 mai 1768 : « Par devant les conseillers du roy notaires à Tours soussignez, fut présente Marie-Jeanne-Brault, veuve Jacques Delahaye, maîtreouvrier en soye aud. Tours, y demeurant quartier de la Ville-Perdue, paroisse de Notre-Dame-Lariche, laquelle pour le bien et avantage de François Delahaye, son fils, l'a mis et engagé en qualité d'apprentif avec et dans la maison d'Urbain Phelion, maître ouvrier en soye aud. Tours, y demeurant dite paroisse de Notre-Dame, à ce présent et acceptant aux clauses et conditions cy après expliquées, et qui sont que led. apprentif travaillera pendant le temps de cinq années entières et consécutives à compter de ce jour pour et sous la conduite dud. Phellion, pendant lesquelles cinq années led. Phellion promet et s'oblige de montrer et enseigner aud. apprentif son état et mestier, en toutes ses parties sans lui en rien cacher et de le rendre parfait ouvrier à la fin dud. temps si aud. apprentif ne tient, et pendant le temps dud. apprentissage led. apprentif sera logé, couché et nourri par sa dite mère, qui d'ailleurs l'entretiendra de tout ce qui luy sera nécessaire. Et seront les coûts des présentes, les frais d'enregistrement au bureau des marchands fabricants, droit de compagnonage et tous autres à la charge de la d. veuve Delahaye, qui sy oblige. »
Au sujet des honoraires dus à l'occasion des réceptions, nous entrerons ici dans quelques détails. L'apprentissage de l'état d'ouvrier en soie, on vient de le voir, était de cinq années ; les maîtres, ne logeaient ni ne nourrissaient leurs apprentis ;' à la réception de
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celui-ci, il était dû 6 L, dont 3 1. pour la communauté et 31. pour la Charité. Le maître, s'il est simple compagnon ou forain, doit payer pour la communauté 224 1. 15 s. ; pour les anciens syndics, 39 1. 15 s. ; pour les officiers de justice, 14 1. ; et pour droit de l'hôpital général 12 1. ; ce qui faisait un total de 290 1. 10 s. Quand il s'agissait d'un compagnon privilégié, c'està-dire un fils ou gendre de maître, ou bien un compagnon ayant épousé une veuve de maître, il versait pour la communauté, 97 1. 9 s. ; pour les anciens syndics, 21 1. 16 s. ; pour les officiers de justice 14 L, et pour droit de l'hospice 121. ; ce qui se montait à 1451. 5 sols.
Qui dit corporation dit blason. La communauté portait pour armoiries : d'azur à la lettre L couronnée d'or et accompagnée de trois fleurs de lis aussi d'or, 2 et I ; au chef cousu de gueules, chargé de trois tours d'argent. La lettre L couronnée remémorait la fondation de la fabrique par Louis XI, tandis que les tours rappelaient les armes de la ville. Ce blason suffisait à la légitime fierté des maîtres-ouvriers, mais il ne suffisait pas, semble-t-il, au pouvoir central.
Il fut un temps où, roturier malgré soi, l'on eût été mal venu à se parer d'armoiries. Les idées romaines sur l'incompatibilité entre le commerce et le patriciat avaient créé, à l'origine, une sorte de fossé de démarcation qui persévère durant tout le moyen âge. A l'aurore des temps modernes, par l'action des événements et l'évolution des théories politiques, on tend de plus en plus à se donner la main par-dessus cette frontière des castes sociales. Encore un peu et toute une catégorie de Français vont être invités et quasi contraints à passer d'une classe à l'autre, sous l'influence des nécessités budgétaires. A l'été de 1698, les maîtres-
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ouvriers en soie furent menacés de se voir blasonner malgré eux. C'était à la séance de fin de mai, où siégeaient les gardes-jurès Jean Bourcier, Martin Thomas, Jean Daguindeau du Petit-Bois, Pierre Granger, Louis Audebert et Jean Soullas, procureur, ainsi que plusieurs mes marchands, parmi lesquels Jean Roze, (aussi ailleurs Michel Roze), Michel Hardy, René Billard et Joseph Fredureau, sieur du Vivier. Le procureur informa l'assemblée que « les particuliers qui composent la communauté sont menassez d'estre poursuivis pour paier chascun la somme de 23 1. 10 s. pour les armoiries, quoiqu'ils n'aient aucunes armes et qu'ils n'en aient requis ni demandé ». Les assistants furent « unanimement d'avis de former opposition à l'exécution des d. taxes et de soutenir, au nom cle la communauté, que les maîtresparticuliersnesoientpointobligez de prendre des armoiries ni de payer la d. somme et qu'elle a satisfait et payé la somme portée par le tarif ». [Regist. des délibérations de la corporation.} ■ Ce n'est pas que les dignitaires de la corporation ne fussent pas dignes d'être anoblis. L'industrie et le commerce de la soie ont été non seulement le principe du développement et de la prospérité de Tours au temps passé, mais aussi comme la source principale où s'alimentaient la bourgeoisie et les classes libérales. Les plus honorables familles sont nées et ont grandi au foyer dece labeur fécond, sinon toujours rémunérateur. Il suffit de mentionner les maisons de Beaune, Quantin, Girollet, Dupuy, Gault, Lambron, Champoiseau, Roze, Viot, Cartier, et une série d'autres dont quelques-unes sont encore excellemment représentées dans notre ville.
La.profession était alors comme héréditaire et les enfants continuaient la maîtrise de leurs parents. Citons, au hasard, les Desnoues dont le métier est tenu
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par Martin (1668), François (1684) et Nicolas (1687) ; les Baleschoux, qui comptent quatre maîtres-ouvriers : Gatien (1687), Jacques (1688), Jean (1698), et Charles (1755). [E. 468.] La notoriété qui s'attachait à ces familles eut pour effet de porter le peuple à donner leur nom à la rue qu'elles habitaient. Telle est l'origine de l'appellation des rues Abraham, Abrasée (1684+1704), Baleschoux, Serizier(xvme s.) et par erreur Cerisiers, Joulins (1720), Petit-Faucheux (1684), Sauvage (1678); quant à la rue du Mûrier, elle s'appelait en 1520 « des Apprentis », et son nom, qui rappelle à sa façon la fabrique, tient à une enseigne de «Meurier», sculptée en bas-relief sur l'une des maisons.
Plus d'une célébrité s'est épanouie sur cette souche florissante et il est à peine besoin de rappeler le nom de Prousteau. Guillaume Prousteau, baptisé à SaintPierre le Puellier le 17 mars 1628, eut pour père « sire Noël, m" ouvrier en soie », et pour mère Françoise Boyer. Son esprit élevé, cultivé par des voyages à travers l'Europe, et ses profondes connaissances juridiques lui donnèrent une place distinguée parmi les érudits et les amis des lettres, en même temps que sa bienfaisance le fit appeler le Père des pauvres. G. Prousteau a composé des ouvrages fort appréciés des juristes. Il mourut en 1715 après avoir occupé la chaire de docteur régent à l'Université d'Orléans, en laissant aux bénédictins de cette ville sa riche bibliothèque, qui est devenue le noyau delà bibliothèque municipale '. Plus d'une fois les fêtes domestiques et les cérémonies religieuses réunirent, dans une douce et bienfaisante fraternité, les maîtres ouvriers et les membres
1 Cf. Guillaume Prousteau, fondateur de la bibliothèque publique d'Orléans, et ses lettres inédilrs à Nicnlas Thoynard, par E. Jovy, président de la Société des sciences et arts de Vilry-Ie-François. Paris, 1888, in-S, 78 p.
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des plus nobles familles de Touraine. Une solennité baptismale de ce genre se célébrait le 19 novembre 1640, dans l'église, aujourd'hui détruite, de Saint-Pierre du Boile. « Honorable homme Louis Rodays, me ouvrier en soye», présentait aux fonts sa fille Claude. Le parrain était « Laurent de la Baume le Blanc, chevalier, seigneur de La Vallière », et la marraine « demoiselle Louise de La Baume le Blanc », dont le nom est étroitement lié à l'histoire intime du règne de Louis XIV.
Un des éléments de la vitalité et l'un des facteurs de la prospérité était l'esprit de confraternité qui rapprochait les membres de la corporation. Nous avons exposé plus haut la lettre et l'esprit des statuts et règlements donnés par Louis XI et complétés dans la suite en particulier par Colbert. Le lien religieux s'ajoutait à ces statuts pour leur donner la consécration de l'autorité chrétienne avec tous les avantages moraux dont elle est l'inépuisable source. Les ouvriers en soie avaient leur patron et leur fête de confrérie, pour lesquels leur zèle ne le cédait en rien à celui des autres corporations. Saint Louis « jadis roy de France », était le patron de la confrérie qui portait son nom et comprenait les maîtres ouvriers de grosserie, de mercerie, d'épicerie, de draps de laine, d'or, d'argent et de soie, ainsi que les joailliers ; la confrérie avait pour siège l'église Saint-Saturnin, jadis située à l'ouest du carroi de Beaune. Au xvnr 3 siècle, les maîtres-ouvriers en soie avaient pour siège religieux de leur corporation, l'église du couvent des Augustins, qui s'élevait alors vers l'angle nord-est des rues des Halles et Marceau.
Chaque année, les ouvriers se réunissaient pour la célébration de la fête de la communauté et avaient à coeur d'entretenir les objets qui servaient au culte. Le souvenir des confrères défunts n'était pas négligé et,
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en 1714, la corporation chargea P. Raymonneault de renouveler la décoration mortuaire de l'autel. La note de l'ouvrier indique qu'il « broda 4 testes de mort et ossements et larmes profillées d'or et d'argent fin sur le parement et crédence et fourny de soie (20 1.) ; deux armes pour mettre aux deux côtés de la croix d'or et d'argent fin (181.) ; des croix et larmes sur le voille et bourse, palle ovillée d'argent fin (61. ), pour la doublure et le cadre du parement, pour la palle, etc., (61.)». Chaque hiver, les pères Augustins célébraient la solennité de la corporation et remplissaient les fonctions réclamées par les sociétaires ; à cet effet, ils reçoivent 1001. « pour le service célébré dans leur église pour la confrairie pendant l'année eschueà la Saint-Sébastien.» [E. 463.] Des agapes fraternelles accompagnaient d'ordinaire la solennité patronale de la confrérie, et l'écho en est parvenu jusqu'à nous. Le temps, qui dévore tant de choses, a épargné la note du pâtissier— il se nommait Hureau—pour l'année 1764. Pour le mois de janvier, il était dû un pain bénit (15 L), 57 brioches à 50 s. (28 L), un pâté (12 L), 6 douzaines de petits pâtés (21. 08-s.), une langue de boeuf (11.10 s.); 20 douzaines de petits pâtés (3 1. 04 s.) ; pour le mois de juin, un jambon (19 L), 4 livres de boeuf (4L 16 s.), deux langues de boeuf (31.), 12 douzaines de petits pâtés (4 1. 16 s.), 2 livres de boeuf (2 1. 8 s.), 6 douzaines de petits pâtés (2 1. 8 s.), au total 99 livres payées par le procureur Gasnier. [E. 464.]
De l'année 1471vdate de la création de la fabrique par Louis XI, à l'année 1776, qui marque la suppression des corporations par Turgot, durant une période de trois siècles la manufacture connut toutes les alternatives de la prospérité et des revers. Au début, la manufacture comprenait un certain nombre de maîtres
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qui possédaient d'ordinaire un métier pour chaque membre de la famille et un autre pour un apprenti étranger. Dans la suite, les maîtres qui avaient acquis plus d'aisance, donnèrent du travail à façon aux maîtres qui étaient demeurés dans une situation plus modeste. La corporation allait ainsi se développant progressivement jusqu'à ce que, sous François Ier, les maîtres reçussent une subvention du roi, de pair avec les princes de la palette et du ciseau. Mais après l'apogée d'un éclatant midi, la fabrique entra dans la pénombre mélancolique du soir. Indépendamment des raisons extérieures provenant de la concurrence étrangère, des guerres et des événements politiques, elle portait en soi les causes de la caducité propre à toute oeuvre. Les institutions humaines, essentiellement perfectibles comme leurs auteurs, ne subsistent qu'à la condition de se transformer en s'adaptant aux circonstances de temps et de milieu.
La corporation ancienne avec ses statuts protecteurs était une création aussi profitable aux produits industriels qu'aux ouvriers eux-mêmes, mais le soin jaloux des maîtres pour barrer la route à toute innovation ne pouvait avec le temps que nuire au développement de l'institution. L'étranger, n'écoutant que l'esprit d'initiative, modifiait les procédés et le rendement du travail, tandis que cette fixité devenait une cause radicale d'infériorité. En 1667, Colbert tenta bien de relever la fabrique en réprimant les abus et en formulant une sorte de parfait manuel de la fabrication de la soierie, mais dans l'application les inspecteurs, sans doute, suivirent trop la lettre et pas assez l'esprit des règlements, et l'on continua de tourner dans le cercle d'une immobilité, source naturelle de décadence.
D'autre part, la corporation, excellente dans son but et sa forme initiale, devait, en se perpétuant, laisser
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paraître son caractère d'exclusivisme d'une façon qui se heurtait avec la transformation des idées et des moeurs. Les relations de l'ouvrier et du patron se ressentaient de la dureté de l'organisme du moyen âge, et l'ouvrier, ayant tout juste de quoi vivre quand le travail allait bien, se trouvait vite réduit à la misère par le chômage. La coutume de payer au compagnon la moitié de la façon au commencement de la pièce et une autre partie au milieu du travail avait eu l'avantage de favoriser l'ouvrier, mais aussi l'inconvénient de le lier sans réserve au fabricant, auquel, en fin de compte, il était réduit à emprunter, avec la ressource de trouver un autre patron qui consentît à le prendre en répondant pour lui.
Le dualisme, dont la racine se nourrissait de la sève d'indépendance innée en chaque individu, se manifesta à plusieurs reprises d'une façon tantôt plus sourde et tantôt plus éclatante. Au cours de cet ouvrage, l'antagonisme s'est révélé à nous dans la corporation des ouvriers en soie. Le registre des délibérations nous fournit d'autres indications qui trouvent leur place en ce chapitre, dans lequel nous nous arrêtons de préférence aux lignes maîtresses du sujet et aux conclusions utiles, que l'histoire a le droit et le devoir de dégager au profit de la philosophie et de l'économie sociales.
Pendant l'hiver de 1693, plusieurs ouvriers de la manufacture adressèrent un Mémoire de doléances au grand Conseil. Ils se plaignaient : 1° de ce que « les maîtres-ouvriers pour lesquels ils travaillent leur font un tort considérable en diminuant le prix et l'aunage des marchandises »; « 2° de ce qu'ils ne peuvent tirer aucune justice de cette perte, parce que les gardesjurés anciens et particuliers sont leurs juges et leurs parties dans ces occasions » ; 3° de ce qu'on « a permis
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aux compagnons de travailler dans leurs maisons en payant 6 livres à la communauté »„ A la réunion corporative qui suivit, le 9 novembre, les « mes façonniers furent invités à s'expliquer ». Les explications tendirent à prouver que l'on s'efforçait toujours de « satisfaire les ouvriers judicieusement ».
Une ordonnance, envoyée de Paris et communiquée à l'assemblée du 12 juin 1697, réglait certains points relatifs « aux jurandes ». Le 29 janvier de chaque année, les marchands et mes particuliers faisant travailler et contre lesquels il n'y a rien à dire, seront tenus de se rendre au bureau à une heure et demie, de déposer leurs noms « dans un boisseau qui sera remué » et dont on tirera cinquante noms, et les autres devront se retirer incontinent sous peine d'amende de 31., et l'on procédera à la pluralité des voix à l'élection de deux gardes-jurés, d'un procureur, de deux visiteurs et de deux receveurs ; prendront part au vote les jurés et anciens, ainsi que les 50 maîtres dont les noms sont sortis de l'urne. Quant aux assemblées et conseils de police, ils comprendront les gardes-jurés, le procureur, les anciens qui ont passé par les charges et huit particuliers qui n'auraient pas eu de charges ; de ces derniers, quatre seront nommés par les gardes-jurés et anciens, et quatre par les mes particuliers au conseil de police qui se tient avant la Saint-Sébastien.
A cette occasion, les mes particuliers s'efforcèrent de rendre leur influence plus effective. Ils demandèrent que l'on ne fît pas de procès ni d'emprunt sans l'avis de tous les mes particuliers et sans la signature d'au moins les trois quarts. Les gardes répliquèrent que l'on ne doit point les assembler tous : ils sont trois ou quatre cents, et « il y "aurait du péril et du tumulte », sans qu'il soit possible « de délibérer meurement sur aucune
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affaire ; mieux vaut la règle adoptée suivant l'article 64 des statuts de 1667, et c'est ce qui se pratique parmi les marchands de la ville ».
On objecta qu'il n'y a pas d'inconvénients, attendu que l'on ne convoquera que les mes « contre la conduite desquels il n'y a rien à dire »; du reste, dans les assemblées générales d'avant la Saint-Sébastien, « la plupart des mes sont appelés sans que cela cause du trouble »; enfin a il est assez à propos que pour les questions d'emprunt et de procès, chacun sache le motif ». Au demeurant, « cela ne doit pas être mis en délibération puisque ce qui est demandé a été ordonné par arrêt du Conseil ».
La réponse fut que l'on n'avait jamais fait d'assemblée de tous les mes ; dans les conseils de police de la Saint-Sébastien, on a parfois convoqué 15 ou 20 des principaux, notamment pour la taxe de 16,500 1. imposée à la communauté en 1692, et en pareille occurrence, « il n'y avoit pas grand inconvénient d'appeler quelques principaux des mes » ; l'arrêt du Conseil se doit entendre « de faire signer les assemblées et délibérations par les trois quarts » des assistants, et non pas des membres, ce qui rendrait impossible la conclusion d'une affaire.
Les mes particuliers firent remarquer que les gardes avouaient, par le fait, la nécessité de la consultation demandée en certains cas ; aussi bien, « personne ne doutera qu'ils n'en ont appelé que le moins qu'ils ont pu, » et à l'avenir, en pareille circonstance, a il est très raisonnable que tous les mes en ayent connaissance ». Pour l'arrêt, il est clair, puisqu'il dit que les déclarations seront signées au moins des trois quarts des mes qui composent la communauté.
On souleva une autre question, celle du nombre des
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métiers. Les mes particuliers demandèrent que pour parer « aux abus des mes qui débauchent les ouvriers des uns des autres, aucun me ne pourra avoir plus de 40 métiers, et ceux qui seront en société jusqu'à soixante » ; pour le surplus, il faudra le déclarer au bureau et payer 12 1. pour chaque métier en plus, sous peine de 300 1. pour une fausse déclaration. — A cela les gardes et anciens répondirent que cette proposition va « contre la liberté du commerce, qu'on ne manque point d'ouvriers et qu'il est de l'interest publicq de laisser aux fabricans la liberté d'avoir autant de métiers qu'ils pourront. » — Au contraire, répliquèrent les mes, c'est l'envers de la liberté commerciale et de l'utilité publique ; il arrive, en effet, chaque jour, que ceux qui « ont une fabrique forte et grande débauchent les meilleurs des mes dont la fabrique est modique, ce qui cause souvent la ruine desd. maîtres. » Pour ce qui est des taxes, les mes exprimèrent le voeu que celles que l'on imposera dans l'avenir « soient imposées sur les métiers et moulins, et non point par capitation ni par rapport aux facultés ». — Cette demande de douze mes, répondirent les gardes, est en contradiction avec celle envoyée à Paris par une cinquantaine des leurs, et réclamant l'impôt par capitation suivant l'arrêt du 23 mai 1690; de fait, l'impôt par métier a été l'occasion de « toutes sortes de fraudes et de fausses déclarations », et c'est pourquoi la communauté avait résolu « de taxer à proportion des facultés de chacun, ce qui s'est fait jusqu'à présent sans aucune contradiction ». — On obvierait à la fraude, répliquent les maîtres particuliers, en obligeant à la déclaration sous peine de 300 1. ; et ce sera « plus régulier, car ceux qui ont une fabrique plus considérable et gagnent davantage paieront une somme plus forte que ceux qui ayant une plus faible fabrique gagnent aussi moins ». —
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L'obligation de la déclaration dans le passé, poursuivent les anciens, n'a pas empêché les fausses indications si bien « qu'à peine a-t-on tiré le quart de ce que l'on envisageait » ; cette taxe ne donnerait pas un produit certain pour solder les arrérages et charges ; du reste, le mieux est l'impôt « à proportion des facultés de chacun, comme il est ordonné par l'arrêt de 1690, qui a été exécuté ». Les mes terminent en maintenant leurs conclusions, « dont acte».
L'opposition qui avait trouvé un chef très actif dans la personne de Gasnier, l'un des mes ouvriers, transmit ses desiderata au chancelier d'Aguesseau, qui adressa à cet effet un mémoire à la corporation. Dans la séance du 13 juin 1697, les gardes-jurés et anciens consignèrent leurs observations. Il y aurait gros inconvénient à « porter aucun retranchement aux droits des gardes-jurés pour raison des maîtrises ». Ils ne s'opposent point à la nomination des gardes par tous les marchands et mes du d. état, mais avec quatre cents environ, il pourra y avoir « tumulte et péril », et « il y a beaucoup à craindre particulièrement dans certains temps d'émeutes, qui ne sont que trop fréquents ». Pour les assemblées ordinaires ou de police, « il n'y aurait pas de sécurité d'y appeler tous les m''s » ; l'article 64 permet d'ajouter aux dignitaires quatre des principaux mes ; si le Conseil veut porter le nombre à six ou huit, « on s'y soumet », mais non sans observer que « c'est le seul privilège des anciens, après avoir servy trois années dans la jurande et donné son temps aux affaires delà communauté. »La répartition des taxes doit se faire « à proportion des facultés de chacun » ; il n'y a pas lieu « de gêner le commerce et de limiter le nombre des métiers ». Gasnier et autres se sont soulevés sans raison contre la communauté, ont écrit des libelles
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injustes contre les gardes. — On rédigea un mémoire dans ce sens, et l'on députa Dugué en vue de soutenir auprès du Conseil les droits de la corporation, avec une somme de « cent vingt et une livres pour un présent de velours ». On voit que l'un des mes qui avaient le plus la confiance de la communauté est « M. Lambron », qui est qualifié « nostre cher et ancien ».
Les dignitaires du corps n'entendaient pas lâcher prise. A la réunion tenue le 12 mai 1703, « huit ou dix des marchands mes n'ayant pas encore passé par les charges » se présentèrent sur convocation. Les gardesjurés remontrèrent qu'il « n'estoit point raisonnable d'introduire cet usage ; » puis « les anciens se levèrent de leurs places et l'assemblée finit sans aucune conclusion.» [Registredes délibérations delà communauté.)
Au milieu des difficultés, les ouvriers trouvèrent auprès de la municipalité un écho à leurs j)laintes et un appui à leurs revendications. Ici,le maire intervient pour faire annuler une saisie ; là, il appuie la cause des compagnons accablés par le chômage ; ailleurs, il propose des modifications aux articles des statuts qui sont en opposition avec le progrès de la manufacture et les intérêts de la cité. Le maire, dans une circonstance, alla même jusqu'à défendre aux gardes-jurés et maîtres de « faire aucunes assemblées dans leur Bureau » pour donner leur avis sur les différends de la corporation ; mesure contre laquelle les maîtres réclamèrent en appelant à l'intendant (22 août 1696). Au cours d'un conflit, la municipalité donna l'ordre d'emprisonner pour dettes le maître Hardy, « capitaine en chef du quartier de La Riche », non sans « éclat et scandale » populaire. Le corps, dans une longue délibération, protesta contre la violation de ses droits ; il accusa le maire d'écouter « sa haine et ressentiment contre le dit
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corps », et « de donner sa protection à plusieurs malheureux qu'on appelle les brouillons », nuisant aux intérêts de la communauté » (7 déc. 1696). A l'occasion de cette affaire,quatre ou cinq maîtres particuliers, dits « inquiets et turbulents », se concertèrent avec quelques autres, firent des réunions et tentèrent de recueillir de l'argent pour plaider contre les administrateurs de la corporation ; l'assemblée résolut de les dénoncer au procureur du roi (13 déc. 1696).
Le maire fit, un jour, présenter au bureau « un échantillon d'étoffe-verte tramée de fil », avec le voeu qu'elle fût faite à Tours et que « cela emploierait un grand nombre d'ouvriers sans employ ». On objecta l'article 20 des statuts sur les satins plains (14 déc. 1697). Plus tard, la municipalité proposa de faire « lever six deniers par livre sur les soyes entrant en ville; » le corps protesta dans l'intérêt de la manufacture, « les soyes étant déjà chargées d'un prix excessif » (12 avril 1698).
L'un des incidents de ce conflit au sujet de la juridiction contentieuse revêt un caractère singulier. Les gardes-jurés saisirent chez le marchand m8 Thomas Gasnier une pièce de soie, qui n'avait pas « la laise » réglementaire. Sur-le-champ, celui-ci alla trouver l'échevin Bernier et en obtint une ordonnance le chargeant de faire la visite chez plusieurs marchands mes ; il fit saisir quelques pièces comme étant « un peu étroites », et les transporta au greffe de la' juridiction de l'hôtel de ville. On devine les protestations des maîtresjurés contre « l'entreprise violante contraire aux statuts ». Dans la réunion du 19 juillet 1698, on déclara la saisie abusive et de « nul effet », et l'on condamna Gasnier à rendre les choses saisies et à verser 500 1. de dommages et intérêts. On profita delà circonstance pour assurer le chancelier d'Aguesseau que les gardes s'acquittaient parfaitement de la fonction de marquer
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les étoffes, et que c'est « à mauvaise fin » que l'on a tenté près de lui de « surprendre l'établissement d'un commissaire pour la marque ».
A l'été de 1701, le corps de ville prit la « délibération secrète et non écrite sur les registres de priver tous les subjets de la communauté des honneurs de l'échevinage », nonobstant les règlements de 1619 et 1688; et, pour appliquer immédiatement cette résolution aux élections faites à cette date, on écarta de parti pris tous les mes en soie. La corporation, considérant cette mesure comme v injurieuse », décida, dans sa séance du 14 avril, de se pourvoir auprès du Conseil royal.
L'année suivante, le 1er avril, la municipalité rendit une ordonnance dans laquelle elle rejetait « toutes les charges de l'hôpital général de Tours sur les soyes ». Aussitôt par une requête la corporation se plaignit de cette injustice, en demandant de faire « repartir tant sur les soyes qu'autres marchandises qui entrent en ville, les sommes nécessaires à la subsistance des pauvres de l'hôpital, suivant un tarif qu'il conviendra dresser». De son côté, l'intendant ayant proposé pour aider les indigents de l'hôpital, d'imposer « 41. sur chacune balle de soye qui entre ville », la corporation, tout en protestant de sa soumission aux volontés de l'intendant, demanda que cette imposition fût seulement de 60 sols (24 mai 1702). Plus tard, la municipalité ayant voulu imposer 10 1. sur chaque balle, le corps réclama contre cette mesure écrasante et accepta le taux de 61. à verser au mains « des commis préposez parles administrateurs de l'hôpital » (3nov. 1702).
A l'époque qui nous occupe, l'industrie, considérée dans une branche ou une autre, ressemblait à un arbre privilégié que l'on enveloppait de tous les élémens pos-
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sibles de défense, au point que la barrière protectrice menaçait d'étouffer la vie de l'organisme. De nos jours, au contraire, on pourrait dire que les industries, livrées aux ardeurs de la lutte et delà concurrenceront comme un verger ouvert à toutes les surprises et à toutes les incursions. Nous n'avons pas à juger ici les avantages et les inconvéniens de ces procédés opposés. Les mesures restrictives d'autrefois et les théories ouvertes d'aujourd'hui trouvent leur point de départ et leur raison d'être dans le milieu et dans les événements qui les ont vues naître. En tout temps, il importe de se souvenir que le peuple est comme l'immense réservoir des énergies nationales et qu'il convient de ne pas faire obstacle à l'expansion de ces forces intimes; l'intérêt du pays consiste à tenir libre et bien dégagé le canal par lequel ces éléments de vitalité se répartissent dans les différentes couches sociales.
Parmi les ordonnances destinées à défendre les fabriques de soie, menacées par l'importation de nouveaux tissus, se trouve celle qui interdisait de porter des vêtements d'étoffes des Indes, dites indiennes. La femme d'un empirique nomade, friande de piquer la curiosité, se faisait un jeu de braver les défenses administratives. Il en résulta de l'émoi parmi les fabricants de Tours, qui sur-le-champ adressèrent à l'intendant une requête ainsi conçue :
« A Monsieur l'intendant de la généralité de Tours. Supplient humblement les gardes-jurés corps et communauté des maîtres ouvriers en soye de cette ville, disant que quoy qu'il soit deffendu par les édits et déclarations du roy de porter aucunes toilles peintes, ny étoffe des indes, néanmoings Estevanne leur huissier a trouvé ce matin une femme qui avoit sur elle une robbe de chambre d'indienne deplusieurs couleurs, à laquelle ayant demandé son nom elle auroit répondu que
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son mari se nommait Pétard, qu'il était chemiste et logeoit en l'hostellerie deS'-Louis, où ledit Estevanne s'étant présenté, il auroit trouvé ledit chemiste, auquel ayant dit le sujet de son transport, et demandé son nom et auroit répondu qu'il avoit nom Jean Teigne, que sa femme avoit toujours porté ladite robbede chambre dans tous les lieux du royaume où il a passé et exercé la chemie et arraché les dents, et qu'il se moquait de tout ce qu'on luy pouvoit dire à ce sujet, dont le dit Estevanne a fait son procès-verbal ; pour ce considérer, Monseigneur, il vous plaise permettre aux supplians faire assigner devant vous ledit chemiste et sa femme, sur les noms qu'ils ont déclarés, pour dire que défiances seront faites à la dite femme de porter aucuns habillemens de toille peinte, ni indienne, que pour l'avoir fait, ils seront solidairement condamnés en trois mil livres d'amandes portées par les édits et déclarations du roy, et qu'ils seront tenus de représenter la dite robbe de chambre pour être coupée par morceaux de manière qu'on ne puisse s'en servir. A quoy les suppliants concluent, et vous ferez bien. (Signé Girollet, Duilleau, Daigremont.— Tours, le 17 septembre 1715. » [E. 464].
Les moeurs, les usages et les règlements des corporations, aussi bien que la facilité moins grande des communications, faisaient que les ouvriers se déplaçaient assez peu ; « le tour de France », comme l'on dit, était une exception parmi les travailleurs du métier. Néanmoins le désir de voyager, les relations d'affaires ou de famille et d'autres considérations portaient parfois les ouvriers à changer de localité. Nous possédons un état des ouvriers qui quittèrent la fabrique de Tours de 1747 à 1749, avec l'indication des maîtres pour lesquels ils « besognaient » et des sommes dues lors de leur départ.
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En certains cas on remarque la mention du pays où ils se sont retirés ; quand celle-ci fait défaut, c'est « qu'ils sont allés on ne sait où ».
« Des frères Soûlas: Clément (avril 1747) doit 138 1. 10 s., à Paris. Charles Bouvard (mai 1749), 225 1. 8s. à Reims. La fille Martin (juin 1748), 131 1. 15 s. 3 d., à Paris. Une autre fille Martin (1748), 1751.17 s. 8 d., à Paris. Laurent Massa (1748), 300 1., en Prusse. Dominique Massa (1748), 175 1., en Prusse. Claude Martin (juillet 1749), 1,698 1. compris la soie emportée, en Espagne. Jacques Racault (sept. 1748), 1511., à Paris. Jean Vallée (juin 1748), 460 1.
« Du sr Letort: Gabriel Lurin fils (1749), 104 1. 5 s. Urbain Nicolas Carré (janv. 1749), 129 1. 16 s. François Métivier (mars 1749), 374 1. 14 s. — Des srs Viot et Lambron : Urbain Boursier (déc. 1748), 160 1., à Paris. Charles Penard (oct. 1749), 901. Pierre Saubier (avril 1747), 156 1. — Du sr Bardouleau : Pierre Fegu (fév. 1747), 7 1.9 s. Jean Champigny (oct. 1747), 38 1. 10 s. François Demaron (fév. 1749), 70 1. 2 s. François Vaux (fév. 1749), 30 1., à Rennes.
« DusrGarnier: Charrier (déc. 1746), 1211.; Maurice Brunet (avr. 1748), 141 1. 16 s. ; Louis Soudée (1748), 2001. ; Denis Cornet (1748), 500 1. ; SimonPouillot(oct. 1749) 90 1. —DusrCartier : RenéDouteau(mars 1749), 73 1. à Lyon. — Du sr de la Roche-Serisier : Pierre Penard (mars 1749), 88 1. 7 s. ; André Veyrac (1749), 64 1. 12 s. — Du sr Liger : Gatien le Guy (déc. 1747), 72 1. 15 s. ; s'est engagé dans le régiment de Lusignan-Cavalerie, compagnie de Floriani. — Du sr Baron : la fille Navire (janv. 1746), 84 1. 2 s., à Paris; Jean Buslot (janv. 1747), 162 1. 1 s., à Paris; Barillet (août 1749), 113 1. 11 s., à Paris.
« Des srs Metezeau et Aubin: JeanDulaguenant (juin 1747), 55 1. 6 s. ; Urbain-Nicolas Carré (déc. 1747),
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50 1. — Du sr Martin Lepron : Antoine Gouron (oct. 1749), 93 1. 11 s. ; Joseph Piraux (juil. 1748), 84 1. 2 s. — Du sr Jahan et Cio : Guibert (mars 1748), 230 1., à Paris; Claude Chêne (juil. 1748), 96 1. 6 s., à Paris. Antoine Mariot et sa femme (oct. 1749), 506 1., à Paris. — Du sr Pillet Dubois: Daveau (août 1749), 2501. — Dus' Bourgeot : François Davaux (fév. 1749), 431. 17 s., à Rennes. — Du sr Audebert fils aîné: Louis Girardin (août 1749), 79 1. 2 s.; Jean Houssaye (nov. 1749), 32 1.8 s.
« Des srs Roze et Girollet : Minguenan (oct. 1748), 481., à Paris; François Métivier et sa femme (1749), 2031. 4 s. — Du sr Mery : André Veyrac (mai 1749), 156 1. 4 s., a emporté 1 1. 10 onces de soie. — Du sr Pinon : Marie Egron, femme de Veyrac (mai 1749), '93 1. 11 s. — Des frères Lambron : Louis Boujard (oct. 1749), 70 1. — Du sr Daveau : Jean Pochard (juil. 1749), 33 1. 17 s. — Du sr Alloin : Julien Malbault (janv. 1749), 66 1. 10 s. — Du sr Bacot Barré : Gilles Gendron (mai 1747), 511.; Philippe Bourgueil, sa femme et son fils (juil. 1748), 257 1.10 s. — Du sr Moisy: Marie Gaultier (1747), 151 1. — Du sr Sénéchal : la femme Boumme (1746), 481. 12 s. La femme Genty (1746), 11 1. 17 s. — Du sr Dausserie Lepron: Jean Ansault (1747), 134 1. 9 s., à Lyon; René Perré (1747), 347 1. 10 s., à Lyon. — De la vs Mauduit : Nicolas Barat (mai 1749), 30 1. — Pour les quatre années, les sommes dues par les ouvriers qui ont quitté Tours s'élevaient à 9,552 1. 10 s. »
Quelle était la situation financière de la corporation au milieu du xvme siècle ? Le compte rendu, en 1768, par Fr. Chardonneau-Roze portait 36,694 1. 14 s. 6 dde recettes, et 36,620 1. 12 s. 1 d. de dépenses. Les charges annuelles de la communauté comprenaient
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10,3461.15 s. qui se répartissaient ainsi : enrentes viagères, 7,2241. 10 s. ; en rentes constituées 1,7631.5 s. ; pour charges particulières et nominations d'officiers 1,4591. Le budget de la corporation pour l'année 177374, d'après le compte rendu au lieutenant de police par les syndics, se montait en recettes à 31,817 1., et en dépenses à 30,472 1. *. Un état du rôle dejla capitation pour 1778 mentionne 98 marchands-fabricants d'étoffes de soie 2.
Autant le passé s'incarnait, pour ainsi dire, dans le respect de l'autorité et l'esprit hiérarchique, autant dans l'avenir le mouvement des idées portait vers l'égalité et la liberté. Pour le présent, on flottait entre la protection et la libre concurrence. Aux Tourangeaux qui écrivaient : « Que le nombre des ouvriers est diminué ! La protection ne peut-elle pas le rétablir ? »
1 Ce compte comprend: pour les bonnetiers et chapeliers, recette* 3,296 1., dépenses 3,680 1. ; charpentiers, r. 1,064, d. 1,031 ; ciergiers, r. 2,961, d. 2,968; cloutiers, r. 730, d. 894; cordonniers, r. 2,096, d. 1,671 ; coustiers, r. 235, d. 206 ; couvreurs, r. l,073,d. 936 ; fondeurs, épingliers, chaudronniers, potiers d'étain, r. 208, d. 179 ; fripiers, r. 993, d. 844; marchands, r. 27,741, d. 27,569; menuisiers, ébénistes, tourneurs, layetiers, tonneliers, boisselicrs, r. 2,072, d. 2,019,; vanniers, r. 349, d. 349 ; passementiers, r. 5,121, d. 5,099 ; tapissiers vendeurs de meubles en neuf et vieux, miroitiers, r. 590, d. 211 ; teinturiers en soie et fil, r. 1,196, d. 1,263. [E. 493.]
2 Nous avons parlé, en son lieu, de la curieuse machine de bois destinée à presser et lustrer les étoffes : j'ai nommé la calandre, dont la désignation vient du mot cylindre. En 1744, la communauté des maîtres-ouvriers en soie acheta un immeuble pour y réaliser l'installation nécessaire. La machine devait avoir le sort de la corporation elle-même. Un décret du 5 germinal au X autorisa l'aliénation, et le bâtiment fut octroyé à l'hospice, moyennant une légère allocation et sous la condition de continuer à ioger l'apprêteur, la calandre et les divers ustensiles. Il y a plusieurs années, on trouva dans le logis de la calandre quelques gros canons en fer, remontant à une époque reculée et dont l'un est au Musée de la Société archéologique ; ces pièces, devenues inutiles au point de vue militaire, avaient été utilisées comme contrepoids pour le travail de l'usine.
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(1755), on répondait de la capitale qu'aux temps nouveaux il faut des moeurs nouvelles. L'institution appelait une réforme, une transformation ; on lui appliqua la méthode de suppression, qui plongea l'industrie dans le désarroi. A cet égard, il est curieux d'entendre la pensée des délégués qui rédigèrent le cahier du tiers état de Touraine en 1789, à la veille de l'ouverture des états généraux.
« Un des abus, y lisons-nous, qui nuit le plus au commerce est l'établissement de toutes les charges, la plupart inutiles, auxquelles on a attribué, moyennant plus ou moins grosse finance, les privilèges et droits de finance, transmissibles au premier, second, troisième degré, et qu'il suffit même à l'égard de quelques-unes d'avoir possédé pendant un certain nombre d'années, pour anoblir à jamais celui sur la tête duquel elle a passé et toute sa postérité. Les commerçants, au moment où ils seraient le plus en état d'étendre leurs spéculations, séduits par l'appât des distinctions, quittent le commerce ; s'ils sont assez sages pour résister à cette séduction, leurs enfants s'y laissent facilement entraîner, on en voit tous les jours des exemples. » Au ministre qui tenait actuellement « les rênes », on rend hommage pour le nouveau code « dans lequel il a voulu surtout concilier la liberté si nécessaire pour la prospérité du commerce, avec cette bonne foi qui ne l'est pas moins pour l'avantage des manufactures elles-mêmes et pour la sûreté du public ». On vante le grand ministre dont le patriotisme « avait rendu la liberté à toutes les professions d'arts et métiers si utiles au public ». Puis on ajoute : « Mais bientôt on a formé de nouvelles corporations en réunissant les différents arts et métiers qui paraissaient avoir quelque analogie entre eux, et malheureusement cette opération, peut-être utile en elle-même,
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a été gâtée par cet esprit de fiscalité qui se glisse partout dans un Etat obéré ou mal administré 1 . »
A son tour, un brillant homme d'Etat, leader des assemblées parlementaires et membre de l'Académie Française, résumait récemment la question des corporations. « C'est le principe de l'association, disait-il, qui a fait la prospérité économique de l'Europe entière ». Après avoir signalé et les abus, qui finirent par vicier les divers corps, et la mesure radicale de la Révolution, il ajouta : « En 1791, on tua le principe de l'association en interdisant aux travailleurs jusqu'au droit de se grouper. On alla jusqu'à dénier que les travailleurs eussent des intérêts communs. Mais ce principe renaît sous une autre forme. Nous ne saurions trop encourager la mutualité parce que c'est une armée invincible: c'est la raison en face de la chimère, c'est le patriotisme en face de la guerre des classes 2. »
Et maintenant quel est l'état de l'industrie de la soie? Le bombyx, éclos sous le ciel d'Orient, n'a pas abandonné son pays d'origine en émigrant dans les contrées occidentales. La Chine, le Japon et les Indes continuent d'entretenir une culture séricole très intense. Les statistiques, approximatives d'ailleurs,accusaient, il y a quelques années, pour une période de dix mois, 3,680,000 kilog. de soie pour la Chine, 550,000 kilog. pour le Japon et 425,000 kilog. pour les Indes orientales. La Syrie, la Turquie d'Asie et la Turquie d'Europe donnaient une production de 449,000 kilog.
L'Europe n'a rien négligé pour développer l'industrie de la soie. La Grèce, pour la période dont nous
1 Cf. le cahier des Doléances publié par le savant M. II. Faye dans le Bull, de la Soc. arcli. de Touraine.
! Discours prononcé par M. P. Deschanel, à Nogent-le-Rotrou, le 15 juillet 1900, dans une fête de mutualité.
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parlons, atteignait le chiffre de 400,000 kilog., l'Italie 2,838,000 kilog., et l'Espagne 140,000 kilog. Les produits industriels de chaque région présentent une certaine variété, et néanmoins chaque pays s'adonne plus spécialement à certains genres d'étoffes. La Russie, dont le groupe de Moscou compte environ 12,000 ouvriers, fabrique de remarquables soieries pour ameublement; l'Angleterre a ses satins et ses moires, l'Autriche, les étoffes pour ornements d'église et meubles, la Suisse, les tissus légers, et la Turquie, les étoffes brochées d'or et d'argent; l'Allemagne, désireuse de produire beaucoup et à bon marché, confectionne des tissus variés, notamment les velours. Les Etats-Unis, de leur côté, ont donné une grande extension au travail de la soie.
La France occupe le rang le plus honorable. Environ 200,000 sériculteurs, dont plus de 60,000 adonnés à de larges éducations, habitent le Gard, l'Ardèche, la Drôme, le Vaucluse, l'Isère, les Bouches-du-Rhône, l'Hérault, le Var, la Lozère, les Basses-Alpes, les Alpes-Maritimes, la Savoie, l'Ain, le Rhône et quelques autres départements moins favorisés. Le relèvement de la production française, arrêté vers le milieu du siècle par de cruelles épidémies, reprit depuis lors sa marche ascendante et, en 1874, atteignit 731,000 kilog.
A cette heure, en dépit de la fièvre d'une concurrence de plus en plus redoutable, la France maintient sa vieille réputation dans l'industrie de la soie aussi bien que dans les autres branches de production. D'après le bulletin de la chambre de commerce italienne à Paris, pour les quatre premiers mois de l'année 1900, l'exportation des soies de France en Italie s'est élevée à 18,481,600 francs, et l'importation d'Italie en France à 10,527,000 francs. La fabrique de Lyon, dont la plupart des métiers sont installés à la campagne et qui
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tend de plus en plus à substituer les usines au système des métiers isolés, tient à cet égard la place d'honneur, et les tableaux officiels accusent, pour 1899, un chiffre d'affaires de 451,000,000 de francs.
Quant à la capitale de la Touraine, ainsi que nous l'avons vu, sa production n'atteint plus, hélas ! le chiffre très élevé dont elle pouvait s'enorgueillir. Les événements, les communications, les transformations diverses au point de vue de l'industrie et du commerce en sont la cause. Du moins la qualité de ses produits, la richesse de ses étoffes pour ameublement et tenture continuent à défier toute supériorité. Si le nombre des métiers a diminué, la beauté des tissus n'a rien perdu de la perfection, de l'éclat et de la magnificence d'autan.
Nous touchons aux termes de cet essai sur l'histoire de la fabrique de soieries. Une dernière réflexion, inspirée par le rôle patriotique de la soie à travers les âges. Tissu léger et délicat entre tous, mais aussi d'un chatoyement à la fois vif et tempéré, la soie traversa le monde en faisant les délices des peuples de l'Orient et del'Occident. Les fêtes privées et publiques, civiles et religieuses, à Byzance, à Ravenne, à Palerme, à Gênes, à Lyon et à Tours, demandèrent à cette étoffe merveilleuse le charme que les yeux solliciteraient vainement sans elle. Les héros de la patrie et de la religion, les grands hommes et les saints furent ensevelis dans ses plis ondoyants. Le jour où la foi patriotique et religieuse souhaita de développer sur le front des peuples un étendard, qui fût comme le mémorial perpétuel des gestes glorieux de la nation, la soie se tendit comme d'elle-même à la hampe préparée par le clerc ou par le héraut d'armes.
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Toute l'histoire de notre pays est, pour ainsi dire, écrite sur cette série d'oriflammes qui se déroulent des bords de la Loire aux rives de la Seine. Longtemps le voile bleu du tombeau ou chape de saint Martin guida les Francs dans la carrière du triomphe. Puis la bannière rouge de Saint-Denis fut déployée au souffle de la victoire, à l'heure où la poitrine des braves jetait le cri de « Mont joie ! » aux échos de la France émue tour à tour par l'allégresse et par l'angoisse. De son côté, la royauté tint à l'honneur de symboliser ses origines et son rôle par l'étendard de soie blanche qui devint comme le drapeau de la nation, tandis qu'à distance flottait, parfois avec honneur, le fanion des hauts suzerains et des puissants seigneurs. Enfin, en un jour d'entraînement et de réveil patriotique, les trois couleurs se rapprochèrent pour réaliser le drapeau tricolore, qui a fait le tour de l'Europe portant dans ses plis les généreuses idées et les nobles sentiments de la France.
Au lointain rivage des océans, comme sur la terre chérie de France, le carreau de soie aux trois couleurs brille à tous les regards comme le palladium vénéré de tous les héroïsmes, connus ou ignorés, d'hier et d'aujourd'hui. Quelle magnifique apothéose du modeste labeur de métier dont nous avons esquissé l'histoire, et comme les ouvriers doivent tressaillir d'une fière émotion, à la pensée que leur travail est devenu le point de ralliement et comme l'image sainte vers lesquels s'orientent les fronts et les coeurs ! Aussi bien, nous aussi, avant de déposer notre outil et de clore ces lignes, nous adressons le salut de la plume — épée des pionniers pacifiques — au symbole auguste de la Patrie, superbement auréolé des gloires incomparables du passé et des radieuses espérances du présent.
L. BOSSEBOEUF.
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DOCUMENTS ANNEXES
I. — MAITRES-OUVRIERS EN SOIE
AU XVIe SIÈCLE
La période de la première moitié du xvie siècle ayant joué un rôle prépondérant dans l'histoire de la fabrique, nous donnerons Ja série des maîtres-ouvriers dont la liste a été conservée pour les années 1543 à 1545. En 1543 on reçut à la maîtrise, après les épreuves, voulues : Hugues Guetault, Jehan Douzille, Martin Caillau, Jacques Martin, Philibert Ogeron, Robert Plametau, Henri Dedroment, GuillaumeHallouys,Biaise Dequarques,Charles Devergerre, Jacques Chesneau, Jacques Delafousse, Mery Lorillon, Pierre Halleron, Mesme Guerinet, Jehan Gohart, Antoine Hardouin, Guillaume Barroye, fils de maître, Simon Deschamps, Jehan Gubert, Nicolas Hardouineau, Jehan Poulet.
En 1544, furent reçus maîtres : René Foriau, Jacques Gouridin, Geoffroy Moreau, Julien Dumoulin, Georges Bessin, fils de maître, Nicolas Lefan, Claude Amy, Jehan Gasnier. En 1545. ont été reçus maîtres : Georges Pellet, fils de maître, Toussaint Floreau, fils de maître, Gatien Aubry, Roberte Mariau, fille de maître, Jacques Thabart, Pasquel Roumeau, Henri Mahuet, Hugues Delaporte, Jehan Gasteau, Jehan Baultru, Jehan Turré, Paule Bouchet, fille de maître, Rémi Moreau, fils de maître,Nicolas Chantepye, Jehan Chenu, Jacques Barillet. En 1546, les réceptions, de janvier au 4 avril, comprennent: Zacarye Desoye, Guillaume Reyne, Bertrand Fertere et René Dary.
Les actes de réception de cette époque sont signés de' maîtres, qu'il esta propos de transcrire. Ce sont: Claude Nobileau, fils de maître, Mathurin Delaunay, Deschamps,
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Henri Angellier (1543) ; Jehan Angellier, Guyon Deboue» Jacques le Singe, Jehan Guérin (1544) ; Jehan Framert, Jehan Dedrès, Jacques Proust, Jacques Briant, Jehan Brosyet, Martin Potier, Jehan Moreau, Thomas Boucher, Etienne Suppletain, Pierre Moreau, Jehan Simonneau, Michel Jasleau, Lancelot Beuvilé, Thomas Mesur, G:lles Berthelot, Martin Dubain, Enne Rubate, Jehan Alleaume, Robert Nobileau, Pierre Nadereau, Loys Bouchart, Guillaume Frelon, Victor Chartier, Loys Tabart, Martin Gennis, Michel Autin, Jehan Lambert, Henri Chabeneult, Jehan Perret, René Papault, Loys Benedict, Helie Guirault, Jullien Puissant, Jehan Brisson, Jacques Arnault, Guillaume Pion, Charles Jesen, Jacques Chartier, Jehan Jubin, Jacques Quillet, Michel Bouchet, Marin Grateloup, Jacques Gruday, Jehan Gallery, Jehan Petit, Jean Aubert, Jehan Maubert,Guillaume Guibertaul,Jean Chelant, Jehan Halouis, Marc Deschamps, Jehan Barrois, Antoine Villages, Denis Angelart, Michel Gasteau, Jehan Bauldry, Jehan Rovyau, Antoine Chantelou, Jehan Allemyrant, Jehan Girauldet, Rémi Bauldry, Pierre Angellier, Robert Nobileau, Pierre Razue, Guillaume Chevilleau, Mathurin Ansault, Guillaume Fouilleau, Guillaume Gausbay, Nicolas Pichonneau, André Mauduit, Jullien Bosse, Jehan Huche, Pasquie Martigny, Mathurin Delaunay, Rémi Verger, Yves Guimar, Jehan Chotard, Jehan Vuydard, Jehan Sauvineau, Jehan Ghasleau, Antoine Deschamps, Pierre Guenault, Thomas Duboys, Nicolas Raymonneau, Martin Constantin, Pierre Guette, Guillaume Bessay, Pasqual Mestigny, Claude Nobileau, Jehan Augie (1545).
En 1546, outre quelques-uns des noms précédents, on rencontre : Jehan Mauclerc, Jehan Fauveot, Jacques Villar, Jacques Bonnart, Rémi Sebron, Jehan Galloys, Jean Potier, Noël Garraut, Jehan Arnault, Mathurin Chevalier, René Vergne, Joubert, Guillaume Coulombe, Jehan Forastier, Pierre Guesnault, Michel de Saumur, Besnard ■Ganay ».
1 Bibliothèque de Tours, M. 1259.
- 513 — II. — LES PROCUREURS ET GARDES-JURÉS
DE LA CORPORATION (Archioes d'Indre-et-Loire, C. 104. E. 467.)
1543-1544, Mathurin Raymonneau, Jacques Armenault. Loys Bordure, Guillaume Charbonneau, Jehan Potier, Claude Nobileau, gardes-jurés. —1545, Guillaume Arnault, Guillaume Regnault, Guillaume Berthelot, gardes.— 1632, Jullien Vincent, François Pelletier, Alexandre IJelorme, François Pallu, Pierre Mahuet, gardes. — 1639, René Besnard, procureur, Pierre Seguier, Luc Charpentier, Jehan Brossier, Louis Martin, gardes.
1667, François Leroux, procureur; Michel Soudain, Michel Carron, Loys Leduc, Sébastien Loppin, gardes. — 1669, Hardy, Chalouyneau, Leduc, J. Branchus, Gasnier Roujon. — 1670, Boursier, Branchus, F. Douault, Hardy. — 1671, Chesneau,Gasnier,Maugeant, F. Douault. — 1672, M. Caron, Chesneau, E. Breton, F. Douault, Maugeant, Vaillant, P. Bourcier. — 1673, Leduc, Maugeant, Vaillant, Leroux, P. Bourcier, Chesneau, Armenault. — 1674, Moisant, Hardy, Rolland. — 1675, Pillet, Armenault, Leroux, Moisant,Rabasche. — 1676, Laurent Aubry, François Moisant, Louis Rolland, Estienne Jjepelletier, Jacques Rabasse, Urbain Billard,Christophe Tascherean, procureur. — 1677. Pierre Loppin, E. Lepelletier, J. Rabasche, U. Billard, C. Taschereau, Jacques R.ouillé, François Froidure, procureur. — 1678, Emery Breton, C. Taschereau, François Froidure, Nicolas de la Bonne, Jacques Rouillé, Joseph Cartel. — 1679, Martin Chesneau, Jacques Rouillé, François Froidure, Nicolas de la Baune, Joseph Cartel, Jean Lomelle, Antoine Bonault.
1680, Delabanne, J. Cartel, P. Lomelle, Bonault, de Saumur, Durand. — 1681, Amenault, Durand, Desaumur, Lepelletier, Orvau. — 1682, Taschereau, Lepelletier, de Saumur, Orvau, Durand, Chavanne, Suppligeau. —
33
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1683, L. Rolland, Lepelletier, H. Besnard, Orvau, Chavanne, Roze, Suppligeau. — 1684, Rabasche, H. Besnard, A. Roze. — 1685, Lepelletier, Ph. Besnard, Chaussé, Jehan Roze, M. Hardy, François Briffault, Défais. - 1686, Ch. Chaussé, Briffault, Défais. M. Hardy.E. Chesneau.— 1687, Chaussé, Preuilly, Bourcier, Briffault, Moussard, Cartel, Chesneau. — 1688, Preuilly, Chesneau. —1689, Simon, J. de la Brée, E. Preuilly, Orvau.
1690, Chavanne, Simon, Breton, R. Billard, J. Labrée.
— 1691, Suppligeau, Billard, Lambron. — 1692, Roze, Baron, R. Billard, Lambron, J. Chotard, P Billard, Lelort.
— 1693, J. Chotard, P. Billard, J. Fredureau, Baron, Lambron, Lasneau. — 1694, Michel Bardy, procureur, Jacques Baron, Pierre Billard, Joseph Fredureau, Louis Lasneau, René La Chaize. — 1695, J. Fredureau, Bourcier, procureur, Duvivier, L. Serizier, J. Tourtay, René de la Chaize, Lasneau.— 1696, de la Chaize. Duvivier, J. Tourlay, Pillet, Martin Thomas, Chaussé, L. Serizier. — 1697, Briffault, M. Thomas, J. Tourtay, Daguindeau, Granger.
1700, Claude Breton, Louis Audebert, Jean Soûlas, Noël Girollet, François Despagne, Charles Amirault, Jean Vergne. - 1706, Fredureau, procureur. — 1707, De la Chaize, procureur. — 1710, Tourtay, procureur. — 1711, Jean Daguindeau, sr du Petit-Bois, procureur. — 1712, Louis Audebert, procureur, Bernard, Billard, Audebert aine, Daguindeau, F. Doullet, Besnard, Soûlas, Jahan Banchereau, Nourteau, Pétard, Girollet, Roze, Deschamps.
— 1713, Soûlas, procureur, R. Bourgeot, Vincent Pétard, J. Douet, H. Roux, Billault, Deschamps, Daigremont, Audebert, B.Sicart. —1714, Girollet, receveur-procureur, Noël Girollet. A. Girollet, L. Serizier aîné, Deschamps, Duillau, Lefert, Sicart, Daigremont, Legasvre, Audiasne, Linoire, procureur. — 1717, Soûlas, procureur. — 1718f Debru, Bompierre, Desnoux. — 1719, Gatien Sellier, procureur, Charles Millard, Toussaint Lambron, Alexandre Cormery, Simon Vergne, Jacques Sorbière, Jean Preuilly.
— 1734, Jacques Simon, procureur. — 1735, Julien Soûlas et Charles Pouget, procureurs. — 1736, Jean Cartier, pro-
— 515 —
cureur. — 1737, François Pradeau. — 1738, Preuilly, procureur. — 1739, Soûlas, procureur.
1740, Billard, procureur. — 1741, Gasnier, procureur *.
— 1742, Veyrat, procureur. — Letort-Robin, Baudoin du Cousteau, Roze-Billault, Beyrat aîné, Cartier-Guérin, Chotard-Bulet, Chaplot Abraham. — 1743, Lespron, procureur. — 1744, Liger, procureur. — 1745, Viot aine, procureur. — 1746, Serizier, procureur. —J. Fulgence-Phellion, Delussay, Pradeau. — 1747, Jean Tabareau, procureur.
— 1748, Letort, procureur. — 1749, Hou, procureur. — 1750, Roze-Girollet, procureur. — 1751, Michel Viot, procureur. Besnard Abraham, P. Daigremont, André Audebert, Jean Poictevin, Philippe Delaroche. — 1752, Simon, procureur, A. Audebert, Poictevin Serizier. — 1753, Jul•ien Soûlas, procureur. — 1754, Charles Pouget aîné, procureur. — 1755, Jean Cartier aîné, procureur. — 1756, Deschamps-Audebert, procureur. 1757, François-Georges Baron-Gasnier, procureur. - 1758, Michel Roze-Billault, procureur. — 1759, André Cartier-Saint-René, procureur.
1760, Girollet-Simon, procureur. — 1761, Antoine Letort-Robin, procureur. — 17J32, Jacques Leroux procureur.
— 1763, Louis Jahan, procureur, G. Bourgeot, E. Vidal, F. Pinon, J. Tabareau, F. Abraham, P. Phellion, Sorbière1
Sorbière1 liste imprimée en 1776 chez F. Vauquer tpère, à Tours, donne une nomenclature différente. Les procureurs seraient : André Cartier (1741), Jacques Leroux (1743), Louis Jahan (1744), Thomas Gasnier (1743), F. Baudichon (174S), François Chardonneau (1749), Pierre Daigremont (1730), Philippe Delaroche (1752), Claude Serizier (1755), François Lambron (1736), PierreTexier, Jacques Cartier (1757), Antoine-Charles Roze (1758).
La même liste mentionne comme gardes-anciens : Fr. Poulet (1758), Jacques Phellion (1753), Fr. Abraham et Elienne Cartier (1760), J. Chabelard de la Barre (1761), Robert Bourgeot et A. Phellion le jeune (1762), Alexandre Roziers et Fr. Faissolle (1764), Fr. Cartier (1765), André Simon fils et Ch. Pillet (1767), Fr. Michel Roze (1767), Simon Chollière et Victor Julienne (1768), Gabriel Lamé ■et Fr. Trezevents (1769), Jacques-Louis Roze (1770), J. Simon (1773), J. Fulgence Phellion (1774), Fr. Lambron (1773), François Abraham (1776).
— 516 -
Viot. Un État imprimé en 1764 chez Vauquer, porte pour l'année (1763-64) les noms suivants : Louis Jahan, procureur ; Robert-Bourgeot, André Phellion, Jean Tabareau fils, Louis Serizier, Alexandre Roziers, François-Jacques Faissolle, gardes ; François Pinon et Martin Lambron-Bullet, receveurs ; François Abraham et Etienne Cartier, grands-gardes et visiteurs; Antoine Letort, ToussaintLambron aîné, Martin Delussay, Hyacinthe Duliepvre, Jean Chablard de la Barre, commissaires anciens; Jacques-Louis Roze, Gilles Bassereau, Etienne Raimbault et Pierre Hamelot fils, commissaires particuliers.
1764, Thomas Gasnier, procureur, Simon, F. CartierRoze, Roze, Dupont, Pillet, Faissole, L.-J. Serizier, Chardonneau-Roze, Mabille. — 1765, Jacques Sorbière, procureur, Duplanton, Vidal, Cartier-Roze, Roze, Jullienne,Chardonneau, Sergier, Pillet, A. Rosier, Jahan, Loiseau Gaultier. - 1766, François Baudichon, procureur, MM. Soudain, J. Simon, E. Froidure, Simon-R'oze, Chardonneau-Roze, Daigremont, Julienne, Loiseau, Trezevent, Dupuy, Gaultier, Tourtay. — 1767, F. Chardonneau-Roze, procureur. Jullienne , Chollièrc, Gaultier, Babih, Honoré Bouru, Texier faisné, Tourtay. — 1768, Pierre Daigremont, procureur, Jullienne, Chollière, Charles Roze, Roze des Bretonnières, Texier, Senzier-Duliepvre. — 1769, Philippe Delaroche, procureur, Gaultier, Chollière, J. Cartier, Soûlas', Charles Roze, F. Lambron-Roze, Simon du PetitBois, Babin, Nicolas Pasquier.
1770. — Hardy, procureur. — 1771, Louis Sensier, Duliepvre, procureur; Jahan fils, Daigremont, Poulet, Texier, Gaultier-Phellion aîné, Simon, Roze des Bretonnières.— 1772, Fr. Lambron-Viot, procureur ; Charles Roze, Gaultier, Simon du Petit-Bois, Abraham Roze, PhellionChaplot, Cartier, Texier, Jouchery, Moisand-Dupin,Poulet, Delaroche-Serizier. — 1773, Pierre Texier, procureur ; Raimbault Serre, Abraham Roze, Poulet, Serizier-Duliepvre, Phelion-Chapelot, Barbet fils aîné, Gaultier, Charles Roze, Cartier. — 1774, Joseph Cartier-Cuisnier, procureur; Simon du Petit-Bois, Roze Charles, Phellion aîné,.
- 517 —
Abraham Roze, Cartier, Gaultier. — 1775, Charles, RozeViot, procureur ; Poulet, Pillet père, Simon du Petit-BoisA. Rosiers, Faissolle, Brossier fils, Lambron-Basset, Tes-, sier-Julienne, Elie Daveau. — 1776, François-Gatien Poulet, procureur ; Abraham Roze, Tessier Julienne, Poulet. J. Lambron-Basset, Cartier-Roze, Gaultier. — 1777, Cartier-Doucet, Lambron-Basset, Tessier-Julienne. — 1778, Cartier-Doucet! procureur. — 1779, Bourgeot, procureur. 1780, Faissolle, procureur; Charles Roze. — 1781, Lambron - Cartier, procureur; Joseph Cartier, Martin Raimbault, Cormier, Baron, Cartier-Roze, Simon jeune, Faissolle,* A. Jahan. — 1782. Etienne Cartier-Champoiseau, procureur ; Jahan, Simon du Petit-Bois, Letort-Baudichon, Pillet fils. — 1783, Cartier-Douineau, Letort-Baudichon, Simon et Pillet. — 1784, Fr. Faissolle, syndic, Pillet fils, Gendron, Cartier-Champoiseau, Martin Lambron-Cartier, Simon du Petit-Bois. — 1785, Simon du Petit-Bois, E. Cartier, Champoiseau, Cartier-Douineau. — 1786, CartierDouineau, procureur ; Cartier Champoiseau. — 1787, Etienne Cartier-Champoiseau, syndic ; Joseph Cartier.
III. — RÉCEPTION DES COMPAGNONS
Registre matricule du Bureau des marchands-fabricants
de soie
[Areh. d'Indre-et-Loire, E. 468.)
Les treize premiers feuillets manquent, et le rôle des réceptions des compagnons commence à l'année 1669. On y voit le nombre et le nom des compagnons reçus et l'indication des maîtres chez lesquels ils ont fait leur apprentissage. A partir de 1775, on passe à un autre registre (E. 469). Jusqu'en 1756, on paye 111. 8 s. 4 d., et, à partir -de cette date, 111. 8 s. 9 d. Chaque série de réceptions est suivie des noms des maîtres qui ont signé. Nous transcri-
— 518 —
vons ici le total des compagnons reçus par chaque année, quf était arrêtée d'ordinaire dans la seconde semaine de janvier.
Comp.
1669. . 259
1670. . 282
1671. . 18.3
1672. . 130
1673. . 99
1674. . 125 1675 . 99
1676. . 94
1677. . 157
1678. . 58 1679.■. 63
1680. . 105
1681. . 95
1682. . 100
1683. . 90 4684. . 101
1685. . 64
1686. . 68
1687. . 103
1688. . 193
1689. . 22
1690. . 22
1691. . 26
1692. . 27
1693. . 47
1694. . 15
1695. . 94
Comp.
1696. . 31
1697. . 36
1698. . 60
1699. . 22
1700. . 45
1701. . 45 1702 . 9
1703. . 12
1704. . 18
1705. . 28
1706. . 41
1707. . 11
1708. . 10
1709. . 10
1710. . 10
1711. . 30
1712. . 19
1713. . 21
1714. . 23
1715. . 15
1716. . 9
1717. . 28
1718. . 24
1719. . 44
1720. . 22
1721. . 11
1722. . 21
Comp.
1723. . 31
1724. . 22
1725. . 8
1726. . 14'
1727. . 18
1728. . 18
1729. . 26 1730 . 16
1731. . 14
1732. . 18
1733. . 18
1734. . 14
1735. . 24
1736. . 42
1737. . 22
1738. . 14
1739. . 14
1740. . 37
1741. . 29
1742. . 37
1743. . 44
1744. . 28
1745. . 37
1746. . 52
1747. . 81
1748. . 43
1749. . 83
Comp.
1750. . 36
1751. . 45
1752. . 83
1753. . 70
1754. . 49
1755. . 46
1756. . 26
1757. . 37
1758. *. 25
1759. . 19
1760. . 20
1761. . 18
1762. . 12
1763. . 19
1764. . 15
1765. . 22
1766. . 75
1767. . 27
1768. . 95
1769. . 26
1770. . 17
1771. . 5
1772. . 9
1773. . 13
1774. . 17
519
IV. - ÉTAT DE LA MANUFACTURE DE M. CHATELAIN
(1750-80)
Années Cultivateurs Soies entrées (cocons) Soies sorties.
1750 47 8341. »o. 831.14 o.
17M 85 4.589 » 403 10
1752 124 3.579 » 320 6
1753 194 7.659 » 723 9
1754 260 9.972 » 922 15
1755 229 7.099 » 724 12
1756 218 6 537 » 624 1
1757 243 7.643 » 798 13
1758 240 7.923 » 788 8
1759 227 7.929 » 804 4
1760 332 16.911 » 1.691 5
1761 354 14.750 » 1.506 13
1762 384 20.426 » 2.175 1
1763 398 14.083 » 1.478 »
1764 397 14.953 » 1.629 6 '1765 489 20.4-25 » 2.019 10
1766 504 26.138 » 2 8H8 13
1767 403 8.593 » 896 13
1768 428 27.506 » 2.899 8
1769 474 25.847 » 2.721 11
1770 » 15.577 9 1.662 8
1771 » 16.287 4 1.7G0 »
1772 » 7.975 12 872 »
1773 » 12.888 10 1.346 8
1774 » » » » »
1775 » 16.568 8 1.736 7
1776 » 12.548 8 , 1.356 9
1777 » » a 1.799 »
1778 » 14.209 7 1.582 4
1779 » 16.492 » 1.784 11
1780 » 10.303 3 1.059 11
Le présent état a été arrêté et certifié conforme par le docteur Aubry, inspecteur des manufactures, des pépinières de mûriers blancs et de tirage de la soie dans la généralité de Tours.
— 520
V. - TABLEAU DES ENTRÉES DE SOIES (1747-50)
ETAT des soyes qui sont arrivées en la ville de Tours pour le compte des marchands et fabricants de la dite ville, depuis le 1" janvier 1747 jusque et compris le dernier aoust 1 750, détaillé par mois.
1747 1748 1749 1750
Janvier. . . 11.430 liv. 19.455 liv. 17.785 liv. 9.280 liv.
Février. . . 8.255 » 15.635 » 15.216 » 6.146 »
Mars. ... 27.395 » 23.549 » 14.465 » 6.670 »
Avril. . . . 36.108 » 10.854 » 13.411 » 14.187 »
May. . . . 26.885 » 21.818 » 8.910 » 10.526 »
Juin .... 15.472 » 14.249 » 15.060 » 10 523 »
Juillet . . . 5.295 » 25.081 » 10 202 » 15.087 »
Aoust. ... 9.400 s 17.500 » 11.235 » 13.579 »
Septembre . 25.440 » 11.357 1/2 22.022 » » • »
Octobre. . . 21.258 » 12.656 » 31.117 >> » »
Novembre. . 12.385 » 21.590 » 40.056 » » »
Décembre. . 22.870 » 6.598 » 25.009 » » »
TOTAUX. .222.193 » 200.3421/2 224.488 » 85.998 »
Certifié conforme par le directeur. (Signé) LESEIGNEUR. Tours, le 9 septembre 1750.
(Archives d'Indre et-Loire. C. 104).
(1755-1757)
Etat du produit des étoffes fabriquées à Tours sur le pied de 1600 métiers (250 journées de travail non compris les maladies, etc.)
Nombre d'aunos Prix Produit Nombre Façons Fabrication Poids
par an do l'auno par an de métiers par jour. do l'aune
ÉTOFFES UNIES
Ras Saint-Maure 31.230 SLCs. 164.0621.10s. 50 8 sols. 2™ 1/2 3 onces
Taffetas 5/8 6.250 5 10 34.375 » 10 9 >. 2 1/2 3 »
Gros de Naple 12.500 9 •> 112.500 » 10 8 » 5 5 »
Gros de Tours pleins ... - 18.750 6 » 112.500 » 30 7 » 2 1/2 3 »
Cannelles 12.500 9 » 112.500 » 10 9 » 5 5 »
Velours à la Reine 12.500 H 05 H0.625 » 10 9 » 5 6 »
Croisés de soye 150.000 4 » 600.000 » 200 6 » 3 2 ..
Serge de soye 37.500 4 » 150.000 ..50 6 .. 3 2 »
Molière tout sove 7.500 7 >• 52.50(1 ..10 6 » 3 3 »
Mohere argent 5.000 12 10 62.500 » 10 10 » 2 3 »
Pannes 2.250 12 10 28.125 » 12 30 » 0 3/4 5 »
Pluches 5.0U0 12 10 62.500 » 20 29 « 1 5 »
Velours 993 20 » 19.866 13 40 31.10 » 0 1/3 8 ..
Ras Saint-Cvr 22.500 4 10 101.250 » 30 6 » 3 3 »
Ras pour veuve 9.000 6 » 18.000 » 4 6 » 3 5 »
Peau de poulie 2.500 4 10 11.250 » 4 8 » 2 1/2 2 »
FAÇONNÉS NON BROCHÉS
Ras de Sicile 90.000 8 » 7:0.000 » 300 { » ., 1 1/2 3 o. 1 g.
Damas ordinaire 15.000 8 » 120.000 » 50 19 ,. 11/2 3 1
Damas pour meubles .. . 15.000 9 10 142.500 » 50 1 02 » 1 1/2 4 onces
Dauphine nuée 4.000 12 » 48.000 » 20 38 » 1 4 »
dilto camaveux 16.000 12 10 200.000 • » 80 38 .. 1 4 »
Mohere lizërée 4.000 10 >• 40.000 » 20 30 .. 1 3 o. 4 gDamassé
gDamassé 4 10 101.250 » 75 11 .. 1 1/2 2 onces
Lucoises 1.500 5 05 7.875 » 5 U ,, 1 1/2 2 ..
ÉTOFFES BROCHÉES
Serges-brochées 150 6 10 292.500 » 150 1 08 » 1 1/2 2 »
Dauphinnes brochées . ... 80 16 » 128.000 » 80 3 » » 0 1/2 5 »>
Moheres brochées 20 11 » 22.000 » 20 2 » .. 0 1/2 3 o. 4 g.
Gros de Tours 250 12 » 300.000 » 250 2 » » 0 1/2 3 4
TOTAUX 577.993 3.904.679 23 1.600
— 522 —
VII. - ÉTAT DES FABRICANTS SANS MÉTIERS
ET DE LA CAPITATION QU'ILS PAYENT (1764)
Viot fils, 30 1. ; Tabareau-Leroux, 40 1. ; Tourtay-Avril, 50 1. (pas assez taxé) ; Soulas-Tabareau, 40 1. ; SoulasGirolet, 40 1. (pas assez taxé) ; Veuve Roze-Billault, 60 1. {id.) ; Pradeau l'aîné, 40 1. (id) ; Laîné-Tourtay, 36 1. ; Liger-Fourneau, 25 I. (id) ; Veuve Deviliers, 40 1. ; De Lussay, 16 1. : Veuve Bourgeot, 40 1. (id) ; M" 0 Audebert l'aînée, 451.; M1Ie Louise Audebert, 451.; Audebert garçon, 45 1. (ces trois tiers ne sont pas à leur taux à beaucoup près) ; Rose Girolet, 60 1. (même observation).
VIII.-ÉTATDES FABRICANTS AYANT DES MÉTIERS
ET DE LA CAPITATION QU'ILS PAIENT A RAISON DE CES MÉTIERS (1764).
Simon Baudichon, 140 1., Simon Roze, 60 1. (associés), 58 métiers ; Sorbière-Viot, 140 l.,Sorbière,441. (2associés), 43métiers; Roze-Simon, 75 1., Roze frères 441. (2associés), 58 métiers ; Antoine-Charles Roze, 75 L, 38 métiers; Poullet, 90 1., 16 métiers; Pinon-Lambron, 70 1., 20 métiers; Phelion Ghaplot, 34 1., Phelion-Bellas, 501., Louis Bellas, 441. (3 associés), 75 métiers ; Lambron-Viot le jeune, 50 L, 16 métiers ; Martin Lambron-Butet,501., 7 métiers ;LetortRobin, 90 L, 25 métiers ; Gasnier-Lîger, 60 1., 33 métiers; Veuve Gautier-Leturgeon,401.,10métiers; Faissolle,501., 50 métiers; Dupont, 40 L, 36 métiers; Veuve Dulay, 34 1., 7 métiers; DeIaroche-Serizier,221., 8métiers; Cartier-SaintRené, 120 1., Cartier-Roze, 60 1., Cartier-Cuinier, 70 1. (3 associés), 110métiers; Cartier l'aîné, 100 L, 15métiers ;
— 523 —
Cormier, 501.,7 métiers ; Chardonneau-Roze, 701., TessierRoze, 44 1. (2 associés), 45 métiers ; Cartier-Doucet, 40 1., 21 métiers; Baudichon-Viot, 1001.,64 métiers; Veuve Balechou-Audebert, 22 L, 10 métiers; Bacot-Barré, 60 L, Antoine Barré, 28 1. (2 associés), 48 métiers ;Bonault-Saisyr 281., 13 métiers; Baron-Ganier, 22 1., 5 métiers ; Audebert fils aîné, 120 L, 12 métiers ; Audebert-Cartier, 60 L, 9 métiers.
(Archives d'Indre-et-Loire, C. 110.)
IX — GENRES D'ÉTOFFES FABRIQUÉES
SUR LES DIVERS MÉTIERS (1756)
Une nomenclature des « marchands fabricants qui ont fait plomber leurs pièces d'étoffes au bureau des marchands du 29 septembre 1756 au 31 janvier 1757, » indique les genres d'étoffes exécutées par chacun d'eux.
Les brochés sont faits par Daigremont, Simon, RozeGirolet, Roze-Viot, les Phellion, Richebourg ; les damas pour meuble, par Cartier-Cousin, Barat-Duvillier, Dulie Pierre, les Audebert, Cartier-Doucet ; le damas courant, parPiot, Douveau-Chederie, Mâchefer, Veuve Moreau; le croisé, par Delaroche, Dupont, David Hallouis, Simon-Lambron, Douceau, Aubin, Deschamps-Garnier, Gasnier, Estevanne, Rosier, Thomas Fay, Pasques, Gallois ; les ras de Sicile, par Abraham, Chardon, Gasnier-Liger, Viot-Baudichon, Dulac, Bacot-Baré, Chardonneau, Vuidal, Bacot-Dumoutier, Benardin, Méry, Veuve Poitevin ; le ras de Saint-Maur, par Daveau-Chereau, Amelot, Gautier-Léturgeon, Bourgeot-Verger, Moisant-Palard, Nicie, Gouebault aîné, Treize-Vents, Amelot; le rasSaint-Cyr, par Audebert-Gateau, Gautier-Léturgeon, Dulac ; le gros de Tours, par Roze-Billault, Lambron-Viot, Sorbière-Viot, Boiron, Billault ; les damassés par Fabareau, Prudence, Deschamps;
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les velours, par Cartier-Doucet ; les velours et pannes, par Soûlas, frères, Corneau-Granger ; le satin d'église, par Pierre Vallée, Pillet-Dubois, Leroux, Servois, Rouillé ; les moires, par Girolet Simon, Barat David ; le pou de soie par Petard-Servois, Dupont et Lange ; la serge brochée par Dreux.
Quelques-uns fabriquent plusieurs étoffes, tels Roze-Billault, le ras de Sicile, le broché et le gros de Tours ; Girolet-Tessier, le ras de Sicile et le broché ; Servois-Chollet, le satin d'église et la serge brochée ; Bouault-Hardy, les ras de Sicile et dauphines ; Delabarre, le damassé, le gros de Tours et le croisé ; Letort-Robin, Lambron aîné, Sorbière, Abraham Roze, Moisy et Pinon, le broché et la dauphine ; Serizier père, le ras de Sicile et le ras de SaintMaur ; Viot aîné, la moire et le ras de Saint-Maur ; Lambron-Viot, le broché et le gros de Tours ; Dupont et Cie, le ras de Saint-Maur et le croisé ; Roze-Billault, le ras de Sicile, le broche et le gros de Tours.
TABLE DES MATIÈRES
PROLOGUE 193
L— LA SOIE EN FRANCE AVANT LOUIS XI
La soie en Orient ; la Chine, la Grèce, Constantinople, les Croisades. La soie en Occident : la Sicile, l'Italie, la France. Tissus anciens de soie en France. La Touraine el les soieries au moyen âge 196-203
II.— INSTALLATION DE LA FABRIQUE PAR LOUIS XI
Influence économique de Louis XI. Il crée la manufacture de Tours. Noms et salaires des ouvriers. Opposition des habitants et résistance de Louis XI. Les premières étoffes confectionnées; succès et renom. Organisation, statuts et règlements 204-220
III. — LA FABRIQUE DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIe SIÈCLE
Métiers séparés ; les soieries chez les gentilshommes et les bourgeois, aux entrées princières et aux fêtes publiques. Les étoffes de Tours au château de Gaillon. Protection particulière de François Ier et de Philibert Babou. Les maitres-ouvriers ; inventaire du magasin d'un maître-ouvrier en 1539. Concurrence do la ville de Lyon. Etablissement à Tours de foires franches. Entrée solennelle de Marie-Stuart 221-235
IV. — LA FABRIQUE ET LES GUERRES INTESTINES
Les luttes politico-religieuses du xvie siècle, et leur résultat économique. Protection de Charles IX. Présents de soieries aux notabilités. Catherine de Médicis. Doléances aux états de Blois en 1576. Concours de la municipalité. Remontrances aux états de Blois en 1588. Mesures de protection. Doléances aux états de Rouen en 1596 236-249
V. — HENRI IV, RICHELIEU ET COLBERT
Henri IV ordonne la plantation de mûriers. Arrêté en faveur de la fabrique.Nouvelle ère de prospérité.Appui du cardinal de Richelieu. Tableau de la manufacture en 1638. Réception des maîtres et des compagnons. Contrôle et sanction. La Fronde et son influence sur la fabrique.Etals à Tours en 1651. Entrées des matières premières. Action de Colbert ; statuts et règlements nouveaux. Etoffes confectionnées à Tours. Ordonnances contre la fraude. Les biens de la corporation 250-273
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VI. — APRÈS LA GUERRE DE HOLLANDE
Triple alliance contre la France. Décadence de la manufacture et ses causes diverses ; effet de la révocation de l'édit de Nantes. Remède proposé par l'intendant de Miromesnil. Question inquiétante de la laize des étoffés ; règlement du Conseil d'Etat et résolution des maîtresouvriers. Le registre des délibérations de la corporation. Le bureau. Marasme de la manufacture Le transit des soies. Affaires contentieuses. Situation des finances de la corporation. Honoraires et emprunts. Décision du Conseil d'Etat en 1699 274-302
VII. — LA FABRIQUE DURANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIII* SIÈCLE
Le monopole des soies. Société en commandite. Règlement sur le nombre des métiers. Comptes du receveur.Larcins et procès. Le service militaire et le métier. Transport des soies par Lyon. Contestations entre patrons et ouvriers. La marque des étoffes ; arrêt de 1733 ; plombs de contrôle. Soies sur le rouleau ; ordonnance de 1740. La vente et l'achat ; mode de paiement. Prix du travail pour chaque espèce d'étoffes. Tableau de la manufacture en 1744. Infractions et ordonnances au sujet de la marque. Les maux et les remèdes d'après les actes officiels. Inspecteurs de la fabrique 303-333
VIII. — LA MANUFACTURE DE VELOURS ET DE DAMAS
La France et Gênes. Projet d'installation de la fabrique de velours et de damas. Supplique au roi. Lettre du contrôleur général des manufactures. Nomination d'un contrôleur particulier. Rapport sur les desiderata des fabricants. Arrêté de l'intendant en 1739. Métiers de velours et de damas ; qualités et défauts des étoffes Accroissement de la manufacture ; état du travail. Vigilance de l'admistration supérieure et locale. Arrivée d'ouvriers génois. La fabrique en 1742. Action des sieurs Baron, Solary, Hardion et autres chefs. Nouveaux ouvriers génois. Travail des ouvriers étrangers et indigènes. Succès et vicissitudes 334-369
IX. — LE XVIII" SIÈCLE (suite). RIVALITÉS ET THÉORIES ÉCONOMIQUES
Requête à l'intendant au sujet des règlements. Rivalité entre les maîtres ouvriers et les fabricants. Mesures de l'administration et résolution d'entente. Règlement de 1749 relativement aux ouvriers. Réduction des fêtes chômées. Emploi des femmes et des enfants. La propriété des dessins et modèles. Concurrence des toiles peintes. Mémoire des ouvriers sur l'arbitrage en 1753. Ordonnance de 1754 sur le travail en famille. La question de la laize des étoffes entre Tours et Lyon. La liberté du travail et les mesures de l'administration. Tableau officiel de la manufacture (1762-66!. Antagonisme à propos des élections des dignitaires et au sujet des impositions. Nouveaux droits attribués aux compagnons par rappot't aux apprentis. Le duc de Choiseul en Touraine. Budget de la corporation 370-405
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X. — LA RÉCOLTE ET LA PRÉPARATION DE LA SOIE
La culture du mûrier du xvi* au xvm" siècle. Le tirage ,. et le dévidage de la soie. Le tirage à la croisade au xvine siècle. La machine de Jubié. L'élevage des vers au xvm" siècle. La moire d'Angleterre. L'inspection des pépinières. L'apprêt des soies en 1755. Mémoire sur la récolle de la soie. Primes d'encouragement aux éleveurs et fileuses. Rapport de l'inspecteur dès manufactures. Conditions de la culture du mûrier. La machine de Vaucanson 406-426
XL—TURGOT ET LA SUPPRESSION DES MAITRISES
Edits de 1774 à 1776. Etat de la corporation en 1776. Inventaire des meubles, papiers et titres de propriété. Requête et correspondance pour conserver le lieu de réunion. Le Bureau est maintenu. Inquiétude et marasme Prix fondés par le gouvernement. Procédés de fabrication 427-446
XII. — LA FABRIQUE JUSQU'A NOS JOURS
Nouveaux règlements en 1779. Ordonnances sur le droit de visite et de marque. Règlement de 1782 sur les réceptions. Les assemblées, les droits et devoirs réciproques. Etat de la fabrique en 1783. Instructions sur les plombs de marque. Métiers à la campagne. Dessinateurs et dessins. Propriété des dessins et arrêté de 1787 sur celte question. Prix établis par la ville de Tours. Doléances du corps en 1781. Réorganisation après la Révolution. La fabrique depuis le commencement du xixe siècle. La situation actuelle. Les dessinateurs : MM. Raverot et Galais. Les fabricants et leurs succès 44'7-469
XIII.— A TRAVERS L'HISTOIRE. TRAVAIL, MOEURS, LUTTES ET COUTUMES
Progrès des arts libéraux et industriels. Le tissage de la soie, ses étapes. La Touraine et les arts. Développement du goût pour la soie dans les diverses classes sociales. Les châteaux et les églises. Les La Trémoille et les Bourbons-Montpensier. Rôle important des marchandsfabricants de soie. Les crises au xvi" siècle. Nouvelles doléances aux états de Rouen en 1596. Réveil au xvii« siècle. Usage étrange le jour du mardi gras. Acte de réception d'un maître. Compagnons et compagnonnes. Contrat d'apprenti. Honoraires pour les réceptions. Blason de la corporation et refus d'anoblissement par les maîtres. La corporation souche de la bourgeoisie en Touraine. La confrérie et la fête patronale. Avantages et inconvénients du système corporatif ancien. Antagonisme entre les maîtres et les ouvriers ; les élections, les assemblées et les arbitrages. Les métiers et les taxes. Action de la municipalité. Monopole exclusif ; le port de l'indienne et procès-verbal à la femme d'un « chemiste ». Ouvriers partis de Tours de 1747 à 1749. Budget de la corporation en 1768. Réformes demandées en 1789. Production de la soie en Europe de nos jours, particulièrement en France et en Touraine. La soie symbole national dans le passé et l'avenir 470-510
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DOCUMENTS ANNEXES
I. — MAITRES-OUVRIERS EN SOIE, AU XVIe SIECLE ... 511
II. — LES PROCUREURS ET GARDES-JURÉS DE LA CORPORATION 513
III. — RÉCEPTION DES COMPAGNONS (XVII* et XVIII" Siècle) 517
IV. — ETAT DE LA MANUFACTURE DE M. CHATELAIN
(1750-1780) 519
V. — TABLEAU DES ENTRÉES DE SOIES (1747-1750). ... 520
VI. — TABLEAU DES SOIES TISSÉES (1755-1757) 521
VII. — ETAT DES FABRICANTS SANS MÉTIERS ET DE LA CAPITATION QU'ILS PAIENT (1764) 522
VIII. — ETAT DES FABRICANTS AYANT DES MÉTIERS ET DE
LA CAPITATION QU'ILS PAIENT (1764) 522
IX. — GENRES D'ÉTOFFES FABRIQUÉES SUR LES DIVERS
MÉTIERS (1756) 523
ERRATA
Page 214, ligne 9, lire 1485 au lieu de 1845.
— 270, — 12, — 11/24 — 14/24.
— 338, — 25, — 1739 — 1639.
— 406, — 15, — 17 — .7.
CHATEAU DE LA ROCHE-BERTAULD
A LA FIN DU XVII" SIÈCLE
Reconstitution d'après les documents de l'époque.
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LA SEIGNEURIE
DE
LA ROCHE-BERTAULD
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La plupart des auteurs qui se sont occupés de l'histoire de la Touraine méridionale ne font pas mention de la seigneurie de la Roche-Bertauld, ou se contentent d'indiquer simplement sa situation : Dufourl n'en dit que quelques mots en parlant de la commune de Ciran; M. d'Espinay 2 décrit à peine son antique château; M. Carré de Busserolle 3 lui consacre, dans son dictionnaire, un court article et donne, bien incomplètement, la succession de ses seigneurs. Cependant, ce fief méritait de fixer plus sérieusement l'attention par sa position géographique, son administration féodale et le renom des familles qui l'ont eu en leur possession.
1 Dufour, Dictionnaire historique de l'arrondissement de Loches, t. I, p. 221.
5 D'Espinay, Mémoire sur l'architecture civile dans la Touraine méridionale au moyen âge, page 15 (Caen, Le Blanc, 1871).
3 Carré de Busserolle, Dictionnaire historique, géographique du département d'Indre-et-Loire, t. VI, article Roche-Bertauld.
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Situé sur un coteau élevé, à la limite même de la baronnie de Ligueil et du comté de Loches, le château de la Roche-Bertauld dut avoir, dès l'origine, une certaine importance stratégique. Il domine à la fois la vallée de l'Estrigneuil et celle de l'Esves, et du haut de ses tours le regard embrasse un panorama des plus variés : c'est d'abord, à mille mètres à peine, le petit bourg de Ciran à demi-caché par les saules et les peupliers ; plus loin, au sud, Ligueil se présente au milieu d'une plaine fertile, coupée par de nombreux replis de terrain ; vers le nord, Varennes laisse entrevoir le clocher de sa vieille église, et Esves, les restes de son ancien monastère ; tandis qu'au couchant un rideau d'arbres marque les sinuosités de la Ligoire, qui passe, dans le territoire de Vou, au pied du manoir de la Roche-de-Gennes.
Plusieurs routes, d'origine romaine, sillonnaient cette contrée et ajoutaient encore à l'importance de la Roche comme point d'observation *. La route qui reliait Loches à Ligueil et, de là, se dirigeait par Marcé, versPort-de-Piles etparCussay, versLaHaye, après avoir traversé la paroisse de Varennes 2, passait dans le bourg de Ciran ?. Un guetteur, placé sur la terrasse du château, pouvait la suivre sur une longueur
1 Consulter : Auguste Chauvigné : Recherches sur les voies de communication. — Bourassé : Essai sur les voies romaines ^Mémoires de la Soc. archéol. de Touraine, t. XIII). — Mabille : Notice sur les divisions territoriales de l'ancienne Touraine.
1 Des vestiges de celte voie ont été découverts près de l'ancien château de Varennes (Carré de Busserolle : Dictionnaire d'Indre-etLoire, t. VI, article Varennes).
3 Voir de Salies ; Histoire de Foulques Nerra, pages 70, 71, 156, 255, etc.
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de plus de trois lieues et aucun mouvement insolite ne lui échappait. C'était la route ordinaire des gens de guerre qui se dirigeaient du Poitou vers l'Orléanais, lTle-de-Françe et les provinces du nord. Au xvn 9 siècle, 11,000 à 12,000 hommes d'armes, chaque année, parcouraient cette voie *, et, au xi" siècle, durant les guerres continuelles des comtes d'Anjou contre leurs voisins de Blois et de Poitiers, ce mouvement militaire ne devait pas être moindre. Une seconde route se greffait à la première au village de Varennes, traversait l'Estrigneuil sur un pont de pierre, non loin de l'oratoire de Saint-Senoch, de là atteignait Betz, Preuilly, et se prolongeait jusqu'au Blanc 2. Cette voie, qui réunissait des centres importants, coupait la Brenne et reliait la partie la plus florissante du Berry au comté de Loches, devait aussi être très fréquentée des troupes armées. Un chemin vicinal qui allait de Ligueil à Barbeneuve, puis à Verneuil, était également d'origine fort ancienne. La Roche -Bertauld surveillait ces routes et cette position remarquable ne dut pas échapper à la clairvoyance d'Eudes de Blois et de Foulques d'Anjou, qui se disputaient aux xe et xie siècles la prépondérance en Touraine, faisant de ce jardin de la France un vaste champ de combats. D'ailleurs, la présence certaine d'un château fortifié, qui existait encore au début du xive siècle, mais dont il
1 Mémoire concernant la généralité de Touraine, par de Miromesnil, intendant de la généralité, 1698 (Bibl. de Tours, mms. 1207, pages 65 et 100).
2 Voir Archives d'Indre-et-Loire, G. 961, un acte de 1692 où il est question « du grand chemin de Preuilly au Blanc ». — Voir aussi à l'Etude de Ciran, divers actes de mai 1632, 13 juin 1653,1693, qui fixent l'itinéraire de la route de Varennes au Blanc. — Arch. d'Indre-etLoire, E, 108, 110 ; G. 777. — Arch. de la Vienne, H 3, 506. — Chauvigné (op. cit, p. 30), qui indique le parcours de cette voie, semble confondre Barbeneuve, aujourd'hui chef-lieu de la commune de SaintSenoch, avec l'ancien emplacement de Saint-Senoch.
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faut reporter la fondation à une époque beaucoup plus reculée, montre qu'on avait de bonne heure reconnu les avantages de ce point stratégique '.
La situation respective des deux antagonistes dans le sud de la Touraine est curieuse à étudier, pour bien comprendre le rôle que dut jouer la Roche-Bertauld dans la lutte séculaire, qui devait se terminer par l'avénement au comté de Tours des descendants de Foulques Nerra, à la place des comtes de Blois vaincus et chassés.
Lorsque Foulques, en 987, succéda à son père Geoffroy Grisegonelle, les possessions des Angevins dans cette région étaient déjà considérables. On peut les diviser en deux groupes : l'un ayant pour centre Loches et l'autre, dans le bassin de la Vienne. Loches était entré dans l'apanage des comtes d'Anjou par suite du mariage de Foulques le Roux avec Roscille, fille de Garnier 2; cette place fortifiée commandait la vallée de l'Indre, que défendaient encore Buzançais et Chatillon, acquis aux Angevins dès le temps d'Ingelger 3. Ces villes formaient, avec le château de Villantrois, le premier groupe qui enserrait, par le sud, le comté de Blois que, vers l'ouest, Amboise surveillait encore. Le second groupe, qui comprenait La Haye conquis à la suite d'une guerre injuste 4, Loudun enlevé ainsi que plusie